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                                                                                                                                           Date : 20010703

                                                                                                                                     Dossier : T-1005-99

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 740

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 JUILLET 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

SIU M. LAI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, FRANK CANNATARO, DEREK CHIBBA, WING CHU, JOE DiCHIARA, JOHN GOLLA, JEAN-MARC GUINARD, IMRAN KHAN, RAYMOND LAZZARA, ANUP LILADHAR, WINSTON LIM,

ANN MAYO, LEO MERWIAK, JOHN NOWOSELSKI et SALVATORE TRINGALI

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 5 mai 1999 par laquelle le président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique, M. A. H. Rosenbaum, a rejeté les appels interjetés par le demandeur et d'autres personnes en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la Loi), en vue de contester les nominations effectuées à l'issue d'un concours interne organisé par Revenu Canada pour doter le poste de chargé de dossiers importants (AU-04) à Mississauga, en Ontario.


Les faits

[2]                 En avril 1997, Revenu Canada a publié un avis de concours interne en vue de doter le poste de chargé de dossiers importants (AU-04) à son bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest. La date limite pour s'inscrire au concours était fixée au 18 avril 1997.

[3]                 L'avis de concours précisait les critères de présélection et les exigences cotées du poste à pourvoir et servait comme tel d'énoncé des qualités essentielles que devaient posséder les candidats désirant participer au concours. La candidature des personnes qui ne satisfaisaient pas aux exigences des critères de présélection en ce qui concerne les études, la compétence professionnelle ou l'expérience était écartée à l'étape de la présélection. Les candidats qui satisfaisaient àces critères étaient ensuite évalués en fonction des qualités suivantes : connaissances, capacités et qualités personnelles.

[4]                 Un jury de sélection composé de quatre cadres supérieurs de Revenue Canada a évalué les candidatures en fonction des qualités requises à l'aide de trois mécanismes de sélection. Les connaissances requises ont été évaluées au moyen d'un test de connaissances écrit. Les capacités des candidats ont - à l'exception de la capacité de communiquer verbalement - été évaluées au moyen d'un test de connaissances, d'un test standardisé et d'une entrevue. La capacité de communiquer verbalement, ainsi que tous les facteurs afférents aux qualités personnelles, ont été évaluées au moyen d'une entrevue.


[5]                 Le jury de sélection a étudié les 95 candidatures en fonction des critères de présélection et il a écarté la candidature de quatre personnes. Les 91 autres candidats ont été invités à se présenter à un examen écrit et au CFP-820. De ce nombre, 21 candidats ont obtenu le nombre de points requis au chapitre des connaissances exigées et 36 candidats ont recueilli le nombre de points suffisant pour ce qui était des capacités requises. Quatorze candidats ont obtenu le nombre de points voulus pour les deux facteurs et ont été convoqués à une entrevue. Le jury de sélection a conclu que les quatorze candidats en question satisfaisaient tous à la norme minimale pour ce qui était des qualités personnelles et de la capacité de communiquer verbalement. Le jury a ensuite procédé au classement de ces candidats par ordre de mérite.

[6]                 Le nom des quatorze candidats jugés qualifiés au concours a été inscrit sur une liste d'admissibilité. Ces candidats sont les personnes physiques défenderesses nommément désignées dans la présente demande.

[7]                 Le demandeur n'a pas satisfait à la norme minimale requise au chapitre des connaissances. Il a recueilli 198 points sur une possibilité de 350, se classant ainsi sous le seuil minimal de 60 %.

[8]                 En octobre 1997, le demandeur a, avec plusieurs autres candidats non reçus, contesté le choix des candidats reçus en interjetant appel en vertu de l'article 21 de la Loi.


[9]                 L'instruction de l'appel par le président du comité d'appel, M. Rosenbaum, s'est échelonnée sur une période de treize jours, entre le 31 mars 1998 et le 3 novembre 1998. Les appelants ont formulé plusieurs arguments au sujet de l'examen écrit. Ils soutenaient que le jury de sélection avait tenu compte de questions qui n'étaient pas pertinentes ou qu'il avait attribué de façon inacceptable des points à divers candidats. Le président Rosenbaum a conclu que les appelants ne s'étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que les décisions du jury de sélection n'étaient pas déraisonnables et il a rejeté les appels.

[10]            Le 9 juin 1999, les candidats non reçus ont introduit la présente demande de contrôle judiciaire au moyen d'un avis de demande.

[11]            Le 17 août 1999, sept des huit candidats non reçus se sont désistés de leur demande. Siu M. Lai demeure donc le seul demandeur en l'espèce.

La décision du comité d'appel

  

[12]            Dans sa décision motivée, le président Rosenbaum a tiré les conclusions suivantes :

  

            a)         aux termes de l'article 12.1 de la Loi, il n'avait pas le pouvoir de réviser les qualifications établies par le Ministère;

            b)         la notation du jury de sélection était raisonnable;

            c)         les appelants ne s'étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la grille de notation utilisée par le jury de sélection pour les questions des sections I, II et III de l'examen écrit était manifestement déraisonnable;


            d)         les questions posées lors de l'examen écrit étaient légitimes et permettaient d'obtenir des renseignements sur lesquels le jury de sélection pouvait fonder son évaluation des connaissances des candidats au sujet de la jurisprudence, de la législation et des principes et méthodes ministériels;

            e)         le jury de sélection a évalué les candidats en fonction de tous les titres de compétence énumérés dans l'énoncé de qualités;

            f)          les explications fournies par Revenu Canada pour expliquer pourquoi des candidats avaient été autorisés à consulter des exemplaires de la Loi de l'impôt sur le revenu lors de l'examen étaient suffisantes et il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer qu'on avait permis à des candidats de consulter leurs notes personnelles lors de l'examen.

   

Norme de contrôle

[13]            Il est utile et à vrai dire nécessaire de préciser la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer lorsqu'elle examine une décision rendue par un comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Le demandeur reproche au comité d'appel d'avoir contrevenu aux principes d'équité procédurale et de justice naturelle. Dans le cas où elle conclurait que le comité d'appel a manqué à son obligation d'agir avec équité ou qu'il a commis un déni de justice naturelle, il est évident que la Cour interviendra.

[14]            En ce qui concerne les erreurs de fait, la norme de contrôle applicable est celle qui est énoncée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale. Notre Cour peut accorder une réparation si elle est convaincue que l'office fédéral en question a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.


[15]            Pour ce qui est des erreurs de fait, dans l'arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, (1994), 168 N.R. 321, la Cour suprême du Canada a cité et approuvé une de ses décisions antérieures, l'arrêt Bradco, aux pages 336 et 337 :

  

[...] on peut faire une distinction entre les arbitres ad hoc nommés pour régler un différend particulier découlant d'une convention collective et les commissions des relations de travail chargées de surveiller l'interprétation permanente de textes législatifs et d'établir des politiques et précédents en matière de relations du travail dans un ressort donné. Il faut faire preuve, en ce qui concerne ces commissions et d'autres tribunaux spécialisés chargés de réglementer un domaine industriel ou technologique précis, d'une plus grande retenue à l'égard de leur interprétation de la loi, et ce, malgré l'absence de clause privative.

   

Il y a donc lieu de faire preuve d'une certaine retenue en ce qui concerne les erreurs de droit. Dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l' Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 226 N.R.201, la Cour suprême du Canada a statué que « [...] la détermination de la norme de contrôle que la cour de justice doit appliquer est centrée sur l'intention du législateur qui a créé le tribunal dont la décision est en cause. Plus précisément, la cour appelée à exercer le contrôle judiciaire doit se demander : "La question soulevée par la disposition est-elle une question que le législateur voulait assujettir au pouvoir décisionnel exclusif de la Commission?" » La Cour applique, en matière d'interprétation des lois, ce qu'elle appelle l'analyse « pragmatique et fonctionnelle » . Cette méthode exige la prise en compte de plusieurs facteurs. Cette méthode plus nuancée de recherche de la volonté du législateur se reflète aussi, pour reprendre les propos de la Cour, dans l'éventail des normes de contrôle possibles.


[16]            Les facteurs à prendre en considération dans le cadre de l'analyse « pragmatique et fonctionnelle » se divisent en quatre catégories : les clauses privatives, l'expertise du tribunal administratif, l'objet de la disposition législative et, en dernier lieu, la nature du problème : question de droit ou de fait?

[17]            Dans le jugement Archer et Archer (exploitant leur entreprise sous le nom de Fairburn Farm) c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2001] F.C.J. No.46, mon collègue le juge Pelletier a expliqué que l'analyse pragmatique et fonctionnelle vise à permettre de savoir si le tribunal doit répondre correctement à la question dont il est saisi ou s'il a une certaine latitude en ce qui concerne son interprétation de la loi ou des faits. Au paragraphe 27 de sa décision, le juge déclare ce qui suit :

[...] L'analyse pragmatique et fonctionnelle vise à permettre de déterminer si le tribunal doit répondre correctement à la question dont il est saisi ou s'il a une certaine latitude dans son interprétation de la loi ou des faits. Cela est principalement fonction de l'expertise et de la spécialisation du tribunal et de la nature de la question. C'est pourquoi l'on parle d' « un tribunal spécialisé agissant dans son domaine d'expertise » . La norme de contrôle doit s'interpréter comme se rapportant à la norme à appliquer à un tribunal particulier qui prend un genre particulier de décision.

[18]            En l'espèce, le comité d'appel est chargé de réviser les décisions prises par un jury de sélection en vertu de la Loi. Les appels sont interjetés par les candidats non reçus et le comité est chargé de vérifier si les personnes qui ont été nommées à un poste ou qui sont sur le point de l'être ont été nommées en conformité avec le principe du mérite.

  

[19]            Il est utile d'examiner brièvement les dispositions législatives relatives à la constitution du comité d'appel. La Loi prévoit la constitution d'une Commission à qui de vastes pouvoirs sont attribués et de nombreux devoirs sont imposés en ce qui concerne la nomination de personnes qualifiées à des postes au sein de la fonction publique du Canada. La Loi prévoit aussi que le Conseil du Trésor peut demander à la Commission de mettre en oeuvre des programmes d'équité en matière d'emploi au sein de la fonction publique ou d'autres programmes relatifs à l'équité en matière d'emploi au sein de la fonction publique. La Commission peut, en vertu de la Loi, charger un comité d'appel de faire enquête pour déterminer si une nomination a effectivement été faite en conformité avec le principe du mérite. La Commission et le comité d'appel disposent, en vertu de la Loi, des mêmes pouvoirs que ceux que possède un commissaire en vertu de la partie II de la Loi sur les enquêtes du Canada.


[20]            La question en litige est celle de savoir si le président du comité d'appel a commis une erreur de droit en n'appliquant pas la bonne norme de contrôle lors de l'examen de la décision du jury de sélection. Compte tenu de l'analyse qui précède et de la méthode « pragmatique et fonctionnelle » , la question qu'il y a lieu de se poser est celle de savoir si le président est tenu d'appliquer la bonne norme de contrôle ou s'il faut reconnaître au comité d'appel une certaine latitude dans son interprétation de la loi ou des faits. J'estime que, dans un cas comme celui qui nous occupe, le comité d'appel doit avoir un degré d'expertise et de spécialisation élevé pour pouvoir s'acquitter des fonctions que la Loi lui confie. Il doit bien connaître les rouages de la fonction publique et comprendre les exigences techniques des divers postes visés par les concours sur lesquels il est régulièrement appelé à se prononcer. Bien que ces décisions soient en grande partie des décisions de fait, il n'y a pas de doute que des considérations d'ordre juridique entrent en jeu lorsqu'il s'agit de décider si les objectifs du principe du mérite ont été respectés. À mon sens, le comité est tenu d'examiner des questions qui impliquent une foule d'enjeux et de facteurs qui sont interdépendants et qui agissent l'un sur l'autre et qu'on peut qualifier de polycentriques. J'estime que ces facteurs commandent sans nul doute une certaine retenue de la part de la cour de justice qui est saisie d'une demande de contrôle judiciaire et qu'ils confèrent au comité d'appel une certaine latitude en ce qui concerne son interprétation du droit et des faits. Il n'est cependant pas nécessaire que je détermine le degré précis de retenue dont il y a lieu de faire preuve envers les décisions du comité d'appel. Ainsi que je l'expliquerai plus loin dans la présente décision, je conclus que le comité d'appel a effectivement appliqué la bonne norme de contrôle lors de son examen de la décision du jury de sélection.

Questions en litige

  

[21]            Les prétentions et moyens du demandeur reposent sur les questions suivantes :

  

(1)        Le président du comité d'appel a-t-il commis une erreur de droit en n'appliquant pas la bonne norme de contrôle lors de son examen de la décision du jury de sélection?

(2)        Le président du comité d'appel a-t-il contrevenu aux principes d'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision?

(3)        Le président du comité d'appel a-t-il commis une erreur en concluant que, même si le demandeur avait démontré que certaines des questions posées lors de l'examen ne permettaient pas d'évaluer les principes et les méthodes ministériels, cette irrégularité ne tirait pas à conséquence?


(4)        Le président du comité d'appel a-t-il omis d'observer les principes de justice naturelle en refusant d'accorder aux témoins de l'appelant, MM. George Enns et Siu M. Lai, la possibilité raisonnable de se faire entendre?

(5)        La conduite du président du comité d'appel soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

Analyse

  

[22]            Il est utile de reproduire le paragraphe 21(1) de la Loi, qui porte sur l'appel prévu par la Loi qui fait l'objet de la présente instance :

  

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.


21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board esongletlished by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.           


[23]            Je suis bien conscient du fait que l'appel qui est prévu au paragraphe 21(1) de la Loi vise la nomination, effective ou imminente, qui fait suite à un concours et non la décision aux termes de laquelle il est jugé qu'un candidat ne possède pas les qualités requises. Dans l'arrêt Charest c. Canada (Procureur général, [1973] C.F. 1217, à la page 1221 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a déclaré que le droit d'appel prévu au paragraphe 21(1) de la Loi n'a pas pour but de protéger les droits de l'appelant, mais d'empêcher qu'une nomination soit faite au mépris du principe de la sélection au mérite.


[24]            Le juge Rothstein a, dans le jugement Scarizzi c. MarMarinaki, (1994), 87 F.T.R. 66; [1994] F.C.J. No. 1881(en ligne : QL) expliqué de façon limpide la mission que la Loi confie au comité d'appel. Voici ce qu'il déclare, au paragraphe 6 de sa décision :

Il est évident que l'une des fonctions du Comité d'appel consiste à s'assurer, autant que possible, que les jurys de sélection respectent le principe du mérite dans la sélection de candidats pour des postes au sein de la fonction publique conformément à l'article 10 de la Loi. Il n'est toutefois pas autorisé à substituer son opinion à celle du jury de sélection en ce qui concerne l'évaluation ou l'examen d'un candidat. Ce n'est que lorsqu'un jury de sélection se fait une opinion à laquelle aucune personne raisonnable ne pourrait arriver qu'un comité d'appel peut modifier sa décision.

[25]            Le juge Rothstein a ajouté que, dans la plupart des cas, « un comité d'appel ne devrait modifier la décision d'un jury de sélection que lorsque la décision de ce dernier est manifestement déraisonnable » (non souligné dans l'original). Le rôle du comité d'appel consiste à s'assurer que la sélection a été faite conformément au principe du mérite et il doit respecter la décision du jury de sélection s'il est convaincu que la sélection était raisonnable.

[26]            Le demandeur affirme que le président Rosenbaum n'a pas appliqué la bonne norme de contrôle lorsqu'il a examiné l'affaire. Le demandeur cite à cet égard la transcription des débats et soutient que l'emploi répété par le président Rosenbaum des mots « manifestement déraisonnable » au cours de l'audience prouve qu'il n'a pas appliqué la bonne norme de contrôle puisqu'il a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable. Le demandeur soutient qu'il s'agit là d'une norme de preuve trop exigeante et que la norme qu'il convient d'appliquer en pareil cas est celle de la « décision raisonnable simpliciter » .


[27]            Un examen attentif de la transcription des débats montre bien que le président a effectivement employé l'expression « manifestement déraisonnable » à de nombreuses reprises au cours des treize jours qu'a duré l'audience. On ne peut conclure de ce seul fait que le président n'a pas appliqué la bonne norme de contrôle. Il faut situer ces mots dans leur contexte et se reporter en fin de compte aux motifs qu'a rédigés le président pour décider s'il a ou non appliqué la bonne norme de contrôle.

[28]            J'ai également constaté, en examinant la transcription des débats, que le président Rosenbaum semble utiliser de façon interchangeable les expressions, « de toute évidence déraisonnable » , « nettement déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » . Ces mots n'ont rien de magique. D'ailleurs, à l'invitation du demandeur, j'ai consulté le dictionnaire Oxford pour y chercher la définition du mot « manifestement » :

[TRADUCTION]

                                  « MANIFESTEMENT adv. D'une manière manifeste, nettement, indiscutablement, de toute évidence.

Par conséquent, affirmer qu'une proposition est « manifestement » déraisonnable ou « de toute évidence déraisonnable » sert à exprimer la même norme. Il en est particulièrement ainsi dans le contexte du mandat que la Loi confie au comité d'appel. Le comité d'appel ne procède pas au contrôle judiciaire de la même façon que notre Cour le fait.


[29]            Il importe de signaler que le rôle du président Rosenbaum consiste à procéder à l'enquête prévue au paragraphe 21(1) de la Loi. Il est chargé de par la Loi de faire des recherches ou des investigations au sujet des faits d'une affaire pour s'assurer qu'une nomination, effective ou imminente, a été faite conformément au principe du mérite et il ne peut intervenir que si la décision du jury de sélection était manifestement déraisonnable.

[30]            Il ressort de la transcription des débats que le président a effectivement procédé, au cours des treize jours qu'a duré l'audience, à un examen attentif et approfondi de la procédure suivie par le jury de sélection et qu'il a examiné la décision du jury de sélection, comme la Loi le chargeait de le faire. Dans les motifs détaillés qu'il a rédigés, le président a finalement conclu que les décisions et les agissements du jury de sélection étaient raisonnables.

[31]            Il est utile, dans le cadre de la présente analyse, de reproduire des extraits de la transcription des débats. Le 2 février 1998, au cours d'une conférence téléphonique, le président a abordé la question précise de la norme de contrôle applicable dans l'échange suivant qu'il a eu avec Me Tuci, le représentant du demandeur[1] :

[TRADUCTION]

                                  Le président Rosenbaum : Mon rôle consiste à déterminer si l'évaluation des candidatures auxquelles le jury de sélection a procédé était raisonnable. Et c'est à l'appelant qu'il incombe de démontrer que l'évaluation du jury de sélection était manifestement déraisonnable.


                                                                                      Il s'agit donc d'une charge de preuve très lourde et les comités d'appel prennent bien garde - et moi aussi - de ne pas déborder le cadre de leur compétence. Ainsi, lorsqu'un jury de sélection est accusé d'avoir mal évalué un candidat, il faut démontrer que son évaluation était complètement et totalement déraisonnable.

                                  Me Tucci :                               Totalement déraisonnable.

                                  Le président Rosenbaum : De sorte que toute personne qui prendrait connaissance de la notation ne pourrait faire autrement que conclure que l'évaluation du jury de sélection était déraisonnable.

Le président a en outre déclaré ce qui suit au cours de la même conférence téléphonique :

[TRADUCTION]

Le président Rosenbaum : Oui, prenez le jugement Scarrizzi. La Cour y emploie l'expression « manifestement » . Et je crois que le juge emploie même cette expression à trois reprises dans le jugement, parce qu'il était outré par ce que le comité d'appel avait fait. Parce qu'en fait, le juge a déclaré que le comité d'appel avait substitué son évaluation à celle du jury de sélection et qu'il avait outrepassé sa compétence en agissant de la sorte.

On parle d'une évaluation manifestement déraisonnable, c'est-à-dire d'une évaluation du jury de sélection qui est « incontestablement, indubitablement, nettement déraisonnable » . Ou, en d'autres termes, une évaluation dont aucune personne qui l'examinerait ne pourrait conclure qu'elle est raisonnable. D'accord?

Ce que je dis habituellement lorsque je préside une audience, c'est que si l'évaluation est un tant soit peu raisonnable, je me range du côté du jury de sélection. C'est tout ce que je dis.

[32]            Le défendeur affirme que le président Rosenbaum a réitéré le bon critère à plusieurs reprises au cours des treize jours qu'a duré l'audience. Voici, à cet égard, quelques extraits des propos qu'a tenus le président :

[TRADUCTION]

                                  [...] Ainsi, pour formuler le critère en des termes non techniques, si son évaluation est un tant soit peu raisonnable, je me range purement et simplement du côté du jury de sélection [...] Ce n'est donc que lorsqu'un jury de sélection a agi de façon manifestement déraisonnable que le comité d'appel intervient et qu'il critique l'évaluation du jury de sélection.


Transcription, 2 avril 1998, dossier de la demande du défendeur,

volume II, onglet 5, aux pages 550 et 553.

                                  Nous abordons la question en nous demandant si la réponse du candidat permet raisonnablement à un jury de sélection de conclure qu'il a saisi l'idée. C'est ce que je recherche, parce qu'ai parlé d'une évaluation un tant soit peu raisonnable [...]

Transcription, 2 avril 1998, dossier de la demande du défendeur,                                                                               volume II, onglet 6, aux pages 617 et 618.

                                  Bon. Vous devez me démontrer qu'il [le jury de sélection] a agi de façon complètement et totalement déraisonnable en ne lui attribuant qu'un seul point [...] De sorte que toute personne qui prendrait connaissance de la notation ne pourrait faire autrement que conclure que l'évaluation du jury de sélection était déraisonnable [...]

Transcription, 2 avril 1998, dossier de la demande du défendeur,

volume II, onglet 6, aux pages 612 et 625

                                  Non, pas hors de tout doute raisonnable... Il ne s'agit pas de décider si l'évaluation est bonne ou mauvaise [...] Il s'agit de décider si l'on peut raisonnablement conclure ou non qu'elle mérite ou non les points [...] Il s'agit de savoir si la notation était manifestement déraisonnable [...] Il faut tenir compte du fait qu'il [le jury de sélection] dispose d'une grande latitude en matière d'attribution de points. La catégorie des notations raisonnables peut être très large.

Transcription, 3 avril 1998, dossier de la demande du défendeur,

volume II, onglet 7, aux pages 733 à 735

                                  Et ce n'est que lorsque le jury de sélection a agi de façon visiblement ou manifestement déraisonnable que le comité d'appel peut intervenir. [Non souligné dans l'original.]

Transcription, 3 avril 1998, dossier de la demande du défendeur,

volume II, onglet 7, aux pages 737 et 738

                                  Mon rôle consiste à déterminer si le jury de sélection a agi de façon raisonnable. C'est le critère que je dois appliquer. Je ne peux intervenir que si le jury de sélection a agi de façon manifestement ou nettement déraisonnable.

                                                                                     

Transcription, 3 avril 1998, dossier de la demande du défendeur,

volume II, onglet 7, aux pages 741 à 746.


[33]            Ainsi qu'un examen de la transcription des débats le démontre, le président Rosenbaum a effectivement cité les bonnes autorités et a bel et bien repris les paroles mêmes du juge Rothstein dans le jugement Scarizzi à la page 386 de la transcription des débats du comité d'appel en date du 1er avril 1998 que l'on trouve dans le dossier de la demande du défendeur, volume II, onglet 4 :

[TRADUCTION]

[...] Le rôle du comité d'appel consiste à se convaincre que les sélections sont effectuées au mérite et à vérifier les agissements du jury de sélection. Il s'agit en tout premier lieu de se demander s'il a agi légalement et d'une façon appropriée ou raisonnable. Nous utilisons le concept du caractère raisonnable.

[34]            Je crois qu'il est par ailleurs utile de reproduire un extrait des motifs du président Rosenbaum, (dossier du demandeur, décision du comité d'appel, à la page 109) :

[TRADUCTION]

En conséquence, il ne m'appartient pas d'évaluer de nouveau les qualités des candidats choisis, à savoir Guinard, Lim, Khan, Tringali, Chu et Mayo en rapport avec leurs « connaissances » ou leurs « capacités » , ou de réévaluer les appelants Lakhani et Lai par rapport au critère des « connaissances » . Mon rôle se borne plutôt à me demander si le jury de sélection a agi raisonnablement lorsqu'il a attribué les points en question aux candidats qui ont été retenus et aux appelants relativement aux réponses qu'ils ont données aux questions précises qui leur ont été posées ou en réponse aux problèmes qu'ils ont relevés en examinant l'étude de cas. De plus, je ne peux adresser des reproches au jury de sélection que s'il est évident que sa notation était manifestement déraisonnable. J'ai donc examiné la question en respectant les limites de ma compétence et je conclus que les explications que le ministère a fournies pour justifier la notation du jury de sélection étaient raisonnables, y compris la rectification apportée à la notation de MM. Lim, Chu et Lakhani, en ce qui concerne les aspects qui ont été relevés. [Non souligné dans l'original.]


[35]            J'ai attentivement examiné la transcription des débats en appel, les motifs écrits du président Rosenbaum et la jurisprudence pertinente. De plus, le caractère inquisitoire de l'enquête et le fait que le président a expressément cité le jugement Scarizzi et qu'il a conclu que l'évaluation était raisonnable m'amènent à conclure que le bon critère a été appliqué. Je suis convaincu que lorsqu'il a instruit l'appel, le président Rosenbaum a appliqué la bonne norme de contrôle, en l'occurrence celle qu'a exposée le juge Rothstein dans le jugement Scarazzi.

[36]            Je vais maintenant aborder le deuxième point soulevé par le demandeur, selon lequel le président du comité d'appel a contrevenu aux principes d'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision.

[37]            En l'espèce, la Loi reconnaît au demandeur le droit à une décision motivée. D'ailleurs, l'article 21 oblige le comité d'appel à motiver sa décision. Cette obligation est reprise à l'article 28 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (2000), DORS/2000-90, modifié, article 28 (le Règlement), qui dispose :


28. Dès que possible après la fin de son enquête, le comité d'appel avise la Commission, l'administrateur général en cause, l'appelant et le candidat reçu de sa décision motivée.


28. As soon as practicable after the inquiry into the matter is complete, the appeal board shall notify the Commission, the deputy head concerned, the appellant and the successful candidate of the board's decision and reasons for the decision.


Le président a communiqué aux parties une décision dans laquelle il a de toute évidence analysé chacune des allégations avancées devant lui et il a exposé ses motifs avec suffisamment de détails pour permettre à toute personne visée par sa décision d'envisager la possibilité d'exercer un recours par voie de contrôle judiciaire. Je conclus que le président n'a pas contrevenu aux principes d'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision. J'estime en fait que les motifs du président sont fouillés et complets.


[38]            Quant à la troisième question en litige, le demandeur soutient que le président Rosenbaum a commis une erreur en concluant que, bien que le demandeur ait démontré que les questions posées lors de l'examen ne permettaient pas d'évaluer la connaissance des principes et méthodes ministériels, cette irrégularité ne tirait pas à conséquence. Il s'agit là d'une pure question de fait et, pour pouvoir intervenir, la Cour doit conclure que la décision était manifestement déraisonnable ((Hassall c. Canada (Procureur général), [1999] F.C.J. No. 148 (Q.L.), au paragraphe 21), ou qu'elle était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le président disposait.

[39]            En ce qui concerne cet aspect de la décision du président Rosenbaum, je conclus que sa décision n'était pas fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Il a relevé certaines irrégularités dans la procédure suivie par le jury de sélection, mais il ne lui appartenait pas de réévaluer le candidat. Son rôle se bornait à décider si le résultat du concours était faussé en raison d'une irrégularité. Ainsi que le juge Pratte l'a déclaré dans l'arrêt Caldwell c. Canada (Commission de la fonction publique), [1978] F.C.J. No. 918, dossier A-194-78, au paragraphe 4 (Q.L.) :

... Un appel selon l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ne porte pas sur le processus de sélection mais sur une ou plusieurs nominations ou propositions de nomination. Ce que doit décider le comité d'appel en vertu de l'article 21 ce n'est pas si le processus de sélection qui a eu pour résultat la nomination contestée a été dans tous ses aspects réguliers et justes mais plutôt si cette nomination ne serait pas contraire au principe du mérite. Une fois convaincu que le résultat du concours n'a pas été influencé par une irrégularité, le Comité d'appel ne peut ensuite l'invoquer pour accorder l'appel.


[40]            J'estime qu'il était raisonnablement loisible au président Rosenbaum de conclure que l'irrégularité en question ne tirait pas à conséquence en ce qui concerne le concours et je m'en remets à son jugement sur cette question. Il n'y a donc rien qui justifierait l'intervention de la Cour sur cette question.

[41]            Sur la quatrième question, le demandeur a soutenu que le président Rosenbaum n'avait pas observé les principes de justice naturelle en refusant aux témoins des appelants, MM. George Enns et Siu M. Lai, la possibilité raisonnable de se faire entendre.

[42]            À mon avis, et compte tenu de la transcription des débats en appel, cette affirmation ne tient pas. Premièrement, les deux témoins ont eu l'occasion de se faire entendre au cours des treize jours d'audience. Deuxièmement, il y a lieu de noter que le paragraphe 21(1) de la Loi prévoit que, lors de l'enquête qu'il mène en vertu de ce paragraphe, le comité d'appel doit accorder à l'appelant et à l'administrateur général en cause l'occasion de se faire entendre et que cette occasion leur a effectivement été donnée.


[43]            En l'espèce, il ressort à l'évidence de la transcription des débats en appel que le demandeur a fait témoigner M. George Enns, un des appelants. M. Enns a témoigné qu'il s'était présenté à une épreuve écrite pour un poste AU-04 à Hamilton, qu'en préparation pour ce concours, il avait demandé à quelqu'un de lui fournir des échantillons d'examens ainsi que du matériel didactique, qu'on lui avait remis le matériel didactique et les notes personnelles prises par un candidat lors du concours en question et que ce candidat avait pu consulter ces notes lors de l'examen[2].

[44]            Il ressort également de la transcription des débats que le président Rosenbaum a demandé à plusieurs reprises au témoin d'identifier la personne qui lui avait remis le matériel didactique. Le témoin a refusé de le faire. Le président a déclaré qu'il n'accorderait aucune valeur à ce témoignage. Il a expliqué qu'il était important de connaître l'identité du candidat qui aurait consulté ses notes personnelles, étant donné que, si l'on pouvait établir que ce candidat avait était avantagé par rapport aux autres candidats, il faudrait accueillir l'appel interjeté de sa nomination. Le président a conclu à bon droit que, s'il ne connaissait pas l'identité du candidat, il ne pouvait pas conclure que l'examen avait été compromis[3].

[45]            Ce n'est qu'après que M. Enns eut terminé son témoignage et après que l'audience eut été levée temporairement que le demandeur a demandé qu'on lui donne l'occasion de fournir lui-même le nom de la personne de qui M. Enns avait reçu ces renseignements. Le président a refusé la requête du demandeur en déclarant que les appelants avaient eu l'occasion de produire une preuve directe par l'intermédiaire de M. Enns, que cet élément de preuve n'avait pas encore été produit et qu'il n'avait pas l'intention de revenir sur cette allégation.


[46]            Six jours plus tard, le 27 mai 1998, le demandeur a réitéré son offre de fournir au comité d'appel le nom de la personne qui aurait « consulté ses notes personnelles lors de l'examen » . Il a proposé pour ce faire de témoigner au sujet de ce que M. Enns lui avait dit. Le président Rosenbaum a une fois de plus refusé. Il a invoqué deux raisons pour justifier sa décision : en premier lieu, sur le plan de la procédure, il ne convenait pas de permettre aux appelants de produire des éléments de preuve après la clôture de leur preuve, et, en second lieu, le président Rosenbaum n'était pas prêt à permettre au demandeur de présenter une preuve par ouï-dire relativement à une sérieuse accusation de plagiat alors que les appelants avaient eu amplement l'occasion de présenter une preuve directe à ce sujet. Il a en outre signalé que le Ministère n'aurait pas la possibilité de mettre ce témoignage à l'épreuve par voie de contre-interrogatoire et il a conclu en faisant observer que le simple fait de nommer la personne en cause n'ajouterait pas grand chose à la preuve déjà soumise.

[47]        Finalement, le demandeur a par la suite proposé au président de rappeler M. Enns pour qu'il témoigne au moyen d'une contre-preuve. Le président a refusé d'accéder à cette requête, en répétant que les appelants avaient eu amplement l'occasion de présenter leur preuve et qu'une telle façon de procéder ne serait pas juste envers le défendeur, qui ne bénéficiait pas d'un droit de réplique à cette étape de l'instance.


[48]            Dans l'affaire Wiebe c. R., [1992] 2 C.F. 592, (1992) 5 Admin. L.R. (2d) 108 (C.A.F.), le juge Hugessen s'est penché sur les règles de procédure et sur les tribunaux administratifs. Dans cette affaire, le débat portait sur la question de savoir si le comité d'appel avait commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant d'ordonner l'exclusion des témoins de la salle d'audience pendant que d'autres témoins déposaient. Bien que les faits de l'affaire Wiebe soient différents de ceux de la présente espèce, le juge y énonce des principes généraux en matière de procédure qui, à mon avis, s'appliquent à la présente affaire et que j'estime utile de reproduire (aux paragraphes 6 et 8) :

[...] [Il n'y a] aucun doute que [le comité] est maître de sa procédure.

[...]

Manifestement, les tribunaux administratifs ne sont pas toujours tenus de suivre les mêmes règles que les cours. Pour chaque tribunal, les exigences varieront selon la nature de l'enquête tenue, et elles dépendront de la question de savoir si et dans quelle mesure on peut considérer à bon droit la procédure comme contradictoire. Dans le cas des comités d'appel établis en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique en général, et plus particulièrement dans les circonstances de l'espèce, je suis d'avis que le comitéaurait dû concevoir son pouvoir discrétionnaire de la même façon qu'une cour.

[49]            J'estime qu'en l'espèce, le président a effectivement conçu son pouvoir discrétionnaire sur cette question procédurale de la même façon qu'une cour de justice. Je conclus que le président Rosenbaum n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention quant à cet aspect de la présente affaire. À mon avis, les principes d'équité n'obligent pas un comité d'appel qui a déjà accordé à un appelant une occasion raisonnable de se faire entendre de reconnaître à cet appelant un droit illimité d'être entendu.

[50]            Finalement, dans sa cinquième et dernière question, le demandeur soutient que la conduite du président du comité d'appel soulève une crainte raisonnable de partialité.


[51]            Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge De Grandpré, dissident, dans l'arrêt Liberty c. Office national de l'Énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet.

                                  [...]

                                  Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[52]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 47, le juge L'Heureux-Dubé a réaffirmé le principe bien établi suivant lequel « le test relatif à la crainte raisonnable de partialité [peut] varier, comme d'autres éléments de l'équité procédurale, selon le contexte et le genre de fonction exercée par le décideur administratif » .

[53]            J'ai examiné les incidents invoqués par le demandeur pour prétendre qu'il existe une crainte raisonnable de partialité. J'ai pris connaissance de la transcription des débats et j'ai constaté, à leur lecture, que, dans de nombreux cas, le président a usé de patience envers le demandeur en prenant le temps de lui expliquer des points de procédure et en faisant l'impossible pour accommoder toutes les parties au cours de l'audience. Ce genre d'enquête se déroule dans le contexte d'un débat contradictoire et, en l'espèce, le président devait composer avec une longue audience de treize jours, alors qu'à l'occasion, les relations entre le demandeur et/ou son représentant et le président étaient tendues. Tous les incidents et propos précités doivent donc être examinés dans ce contexte.


[54]            Je suis d'avis qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur et de façon réaliste et pratique ne conclurait pas que, selon toute vraisemblance, le président, consciemment ou non, n'a pas rendu une décision juste.

[55]            Pour les motifs précités, je conclus que le demandeur n'a pas convaincu la Cour que la conduite du président soulevait une crainte raisonnable de partialité.

[56]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR :

1.         REJETTE la demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, à l'encontre de la décision que le président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique, M. A.H. Rosenbaum, a rendue le 5 mai 1999;

2.         ADJUGE les dépens au défendeur, le procureur général du Canada.

  

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »             

Juge                   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-1005-99

  

INTITULÉ :                              SIU M. LAI

                                                                                                                                                                       

et

Procureur général du Canada, Frank Cannataro, Derek Chibba, Wing Chu, Joe Dichiara, John Golla, Jean-Marc Guinard, Imran Khan, Raymond Lazzara, Anup Liladhar, Winston Lim, Ann Mayo, Leo Merwiak, John Nowoselski et Salvatore Tringali

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :    14 mai 2001

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE EDMOND P. BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :           3 juillet 2001

   

COMPARUTIONS :

Sui M. Lai                                                             POUR SON PROPRE COMPTE

Me J. Sanderson Graham                                     POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]           Transcription, 2 février 1998, dossier de la demande du défendeur, volume I, onglet 1, aux pages 74 à 77.

[2]       Transcription, 21 mai 1998, dossier de la demande du défendeur, volume III, onglet 8, aux pages 774 et 780, 783, 789 à 792.

[3]            Idem, aux pages 776 à 780, 781, 782, 784,785, 787, 788, 793, 795 et 796.

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