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Date : 20050831

Dossier : T-328-05

Référence : 2005 CF 1184

OTTAWA (Ontario), ce 31ième jour d'août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

THIERRY MOREAU

Demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA

Défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]    Dans ce dossier, M. Thierry Moreau (le « demandeur » ) intente une action contre sa Majesté la Reine du Canada. Il recherche une « déclaration de cette Cour à l'effet que, relativement à la technologie de la sécurité de l'information, ne figure sur la Liste des marchandises d'exportation contrôlées (la « LMEC » ), adoptée par Son Excellence la Gouverneure générale en conseil le 6 février 2003 sous l'enregistrement DORS/2003-52 dans la Gazette du Canada Partie II, aucune marchandise, y compris tout document ou logiciel en forme de code source, protégée par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ).

[2]    Le demandeur allègue que son droit à la liberté d'expression est brimé par l'action gouvernementale, plus précisément par la portée de la LMEC, contrairement à l'alinéa 2b) de la Charte. Néanmoins, il ne remet pas en question la validité constitutionnelle de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, ni celle de la LMEC elle-même. Conséquemment, aucun avis de question constitutionnelle n'a été produit en vertu de l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

[3]    Quoique la déclaration initiale et les requêtes subséquentes présentées par le demandeur soient verbeuses au point d'être parfois difficiles à suivre, la violation du droit à la liberté d'expression du demandeur par une quelconque action gouvernementale n'est en aucun cas précisée.

[4]    Dans sa défense produite le 23 mars 2005, la défenderesse a indiqué au dernier paragraphe « [soumettre] que si la Cour en venait à la conclusion que la liberté d'expression du demandeur protégée par l'alinéa 2b) de la Charte des droits et libertés était effectivement brimée, que la Loi sur les licences d'exportation et d'importation de même que la LMEC sont des mesures raisonnables dans une société libre et démocratique » .


[5]    Le demandeur a alors déposé une requête en radiation de ce paragraphe en vertu de la Règle 221 des Règles de la Cour fédérale, 1998, que le Protonotaire Morneau a rejeté en date du 29 avril 2005. Je dois aujourd'hui disposer de l'appel de cette ordonnance.

REQUÊTE EN RADIATION

[6]    Je m'attarderai tout d'abord à la requête en radiation présentée par la défenderesse, que j'accorderais pour les motifs énoncés ci-après.

[7]    Le défendeur s'appuie sur les alinéas a) et c) de la Règle 221(1) des Règles de la Cour fédérale, 1998, pour demander le rejet de l'action du demandeur. Cette règle, traitant de la radiation d'actes de procédure en Cour fédérale, est libellée comme suit :



221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans

autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

221.(1) On motion, the Court may, at any time order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or(f) is otherwise an abuse of the process of the Court.

And may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

[8]    Les principes jurisprudentiels applicables au rejet d'action sont bien connus et ont été répétés à maintes reprises. Pour la première fois en 1980, la Cour Suprême du Canada s'est penchée sur cette question, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735. À cette occasion, le Juge Estey a énoncé le critère à appliquer à ce type de requête : « Un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents ( « plain and obvious cases » ) et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas "au-delà de tout doute" » .


[9]    Subséquemment, les tribunaux ont reformulé le même principe à plusieurs reprises. Notamment, la Juge Wilson l'a caractérisé comme suit dans l'arrêt Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441: « Alors, la question est de savoir s'ils révèlent une cause raisonnable d'action, c.-à-d. une cause d'action "qui a quelques chances de succès" (Drummond-Jackson v. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou, comme dit le juge Le Dain dans l'arrêt Dowson c. Gouvernement du Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138, est-il "évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir"? » .

[10]                        Après une étude attentive du dossier et avoir écouté les soumissions des parties je suis d'avis que l'action du demandeur correspond au critère énoncé dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, précité, et devrait être radiée, entre autres pour les raisons suivantes :

a. L'intérêt du demandeur dans cette action est obscur;

b. Le demandeur n'a pas établi l'ombre d'un préjudice subi en raison de l'inclusion de marchandises reliées à la sécurité de l'information sur la LMEC. En effet, bien que la marchandise qu'il désire exporter vers les États-Unis figure sur cette liste, il n'a pas à se soumettre à quelque formalité que ce soit, pouvant exporter sa marchandise vers les États-Unis sans licence en raison d'une entente bilatérale entre le Canada et ce pays;

c. Bien que le demandeur répète à multiples reprises que sa liberté d'expression est brimée, contrairement à l'article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, il ne précise jamais en quoi la LMEC et par extension, l'action gouvernementale, violent cette liberté;

d. Du propre aveu du demandeur, « rien n'est contesté » et « aucun produit particulier n'est l'objet de la présente demande » (voir lettre du 22 mars 2005);

e. La déclaration initiale ainsi que les diverses requêtes présentées par le demandeur font surtout état d'opinions, et ne contiennent pas d'énoncés de faits substantiels tendant à prouver la cause d'action;

f. Les allégations de fait relatives à la cryptographie exposées dans les multiples requêtes présentées par le demandeur sont certes fort intéressantes, mais néanmoins impertinentes d'un point de vue légal;

g. La conclusion recherchée est générale et imprécise;


h. Le demandeur recherche une déclaration de principe, ce que cette Cour n'est pas justifiée d'énoncer en rapport avec un acte de l'exécutif.

[11]                        En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère la Règle 221(1) a) des Règles de la Cour fédérale, 1998, j'accorde la requête en radiation d'action présentée par la défenderesse compte tenu du fait que l'action du demandeur ne présente aucune cause d'action valable. Il m'apparaît évident et manifeste que l'action du demandeur est vouée à l'échec (voir Nourhaghighi c. Canada, [1998] A.C.F. no 1727; Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), [2004] A.C.F. no 1955; Pellikaan c. Canada (1re inst.), [2002] 4 C.F. 169).

[12]                        Au surplus, la décision Détenus de la Prison Mountain c. Canada, [1998] A.C.F. no 573 nous enseigne qu'une action sera radiée parce qu'elle est « scandaleuse, frivole ou vexatoire » lorsque la requête fait défaut de présenter un exposé précis des faits substantiels sur lesquels la partie demanderesse se fonde, en contravention avec la Règle 174 des Règles de la Cour fédérale, 1998. C'est le cas en l'espèce.


[13]                        Le demandeur revendique le droit d'exprimer ses opinions sur le domaine de la sécurité de l'information. Personne ne l'en empêche. Toutefois, il existe une marge entre la liberté d'expression et le recours abusif aux tribunaux, comme c'est le cas en l'espèce. Pour reprendre les propos du Juge Blais au paragraphe 42 de la décision Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), [2004] A.C.F. no 1955,

C'est une chose de permettre à tout justiciable d'avoir recours aux tribunaux, il en est une autre de permettre à quelqu'un de multiplier les recours [¼] supportés par des allégations et des accusations extrêmement graves à l'endroit de ministères et d'agences qui ont une responsabilité particulière à l'égard de la santé publique à travers le Canada. Lorsqu'un demandeur ne réussit pas au minimum à présenter une trame factuelle au moins minimale quant à ses allégations, les tribunaux sont en droit de déclarer l'action frivole et vexatoire. C'est manifestement le cas ici.

(mes soulignés)

APPEL DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE

[14]                        Par la force des choses, cette requête est caduque. J'explique néanmoins les raisons pour lesquelles je rejetterais l'appel, nonobstant le rejet de l'action.


[15]                        Le refus d'un protonotaire de radier un paragraphe d'un acte de procédure, comme Me Morneau l'a fait en l'espèce, constitue une décision discrétionnaire qui ne doit être cassée que si elle « est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou [si] le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond » (voir Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450; Cardinal c. Canada, [1998] A.C.F. no 30).

[16]                        La décision d'accorder ou de refuser d'accorder une requête en radiation d'un paragraphe d'un acte de procédure, en l'occurrence une défense, n'est pas déterminante sur l'issue finale de la cause. Conséquemment, cette Cour ne devrait intervenir en l'espèce et exercer sa compétence de novo que si le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire contrairement aux principes reconnus par la jurisprudence en cette matière.

[17]                        À la lumière des principes régissant la radiation totale ou partielle d'actes de procédure évalués dans la première partie de ces motifs, je suis d'avis que le protonotaire Morneau a judicieusement exercé son pouvoir discrétionnaire et qu'il n'y a pas lieu d'intervenir.

REQUÊTE EN REJET DE QUESTIONS SOUMISES EN INTERROGATOIRE ÉCRIT

[18]                        Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement à la requête en rejet d'action, il n'y a pas lieu d'examiner ce troisième point en litige.

ORDONNANCE


La requête en appel du demandeur d'une décision interlocutoire du protonotaire Morneau en date du 29 avril est rejetée avec dépens. La requête en radiation d'action est accordée avec dépens.

« Max M. Teitelbaum »

JUGE


COUR FIDIRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-328-05

INTITULI:                                        Thierry Moreau c. Sa Majest la Reine du Canada

LIEU DE L UDIENCE :                     Montr l (Qu ec)

DATE DE L UDIENCE :                   17 ao 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                       31 ao 2005

COMPARUTIONS:

Thierry MOREAU                                                         POUR LE DEMANDEUR

Me Antoine LIPPI                                                        POUR LA DIFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Thierry Moreau

Agissant pour lui-m e

9130, Place de Montgolfier

Montr l (Qu ec)

H2M 2A1                                                                     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur g al du Canada

Montr l (Qu ec)                                                             POUR LA DIFENDERESSE

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