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Date : 20060329

Dossier : IMM-3580-05

Référence : 2006 CF 408

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

ENTRE :

YONGCUN ZHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Le demandeur, Yongcun Zhen, a déposé une demande de visa de résident permanent pour entrer au Canada à titre d'entrepreneur, en vertu de l'article 98 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'ensemble du traitement de sa demande de visa laisse beaucoup à désirer; cependant, la question en litige en l'espèce se limite à l'équité du processus qui a conduit à son entrevue à Beijing le 16 mai 2005 et qui s'est terminé par le rejet de sa demande de visa par lettre datée du 18 mai 2005.

L'historique des procédures

[2]                La demande de visa du demandeur a été présentée au Consulat général du Canada à Buffalo, dans l'État de New York, en octobre 2001. Il demandait l'admission au Canada en vue d'ouvrir un restaurant à Vancouver, pour lequel il voulait investir 200 000 $ en capital. La demande était accompagnée de documents financiers devant satisfaire aux critères d'admissibilité.   

[3]                Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministère) a pris un an au complet avant d'accuser réception de la demande de visa. Le ministère a averti l'avocat du demandeur qu'une entrevue aurait lieu à Seattle environ six (6) mois plus tard. Le demandeur n'a pas eu d'autres nouvelles du ministère avant le 18 mars 2003, lorsque l'avocat du demandeur a reçu une lettre du Consulat général du Canada à Buffalo confirmant que le dossier avait été transféré à Seattle. Un peu plus tard au cours de l'année, en vérifiant sur Internet l'état de la demande de visa, l'avocat du demandeur a été consterné de voir que le ministère avait inscrit que la demande avait été « retirée » . À peu près au même moment, l'ambassade canadienne à Beijing (l'ambassade) a envoyé une lettre au demandeur l'avisant que sa demande venait d'être transférée à Beijing.

[4]                Le ministère, par l'entremise de l'ambassade à Beijing, a par la suite envoyé une lettre type au demandeur, datée du 17 décembre 2004, qui lui demandait de fournir un grand nombre de documents additionnels, dont ses états financiers, ses états des résultats et ses bilans pour les années 2001 à 2004, accompagnés de leur traduction en anglais. Le ministère a aussi demandé une mise à jour de l'état de la valeur personnelle, des copies des permis d'exploitation de commerce, des copies des certificats d'enregistrement de l'entreprise auprès des autorités fiscales et l'historique des relevés bancaires. Il semblerait que l'avocat du demandeur a recueilli une bonne partie des renseignements demandés et l'a envoyée à l'ambassade par lettre le 14 mars 2005.

[5]                Le ministère a alors envoyé une autre lettre type au demandeur le 18 avril 2005 lui annonçant qu'il devrait se présenter à une entrevue à l'ambassade le lundi 16 mai 2005. Cette lettre comprenait la demande d'un grand nombre de preuves documentaires additionnelles, dont certaines avaient apparemment déjà été envoyées à l'ambassade. La lettre mentionnait que les documents supplémentaires devaient être présentés au moment de l'entrevue. Essentiellement, le ministère cherchait à connaître les antécédents financiers complets du demandeur démontrant l'accumulation de son avoir net personnel depuis 1987. Aussi, il ressort clairement de cette demande que le ministère avait réalisé qu'au moins une partie de la documentation demandée se trouvait chez des tiers ou qu'elle nécessiterait une vérification par des tiers. La demande de documents comprenait aussi des dossiers fiscaux mensuels depuis 1987, tous les originaux des contrats de vente, certificats de propriété et factures d'achat de biens immeubles, des copies de tous les permis d'exploitation de commerce depuis 1987, de ses déclarations annuelles du revenu et des rapports de vérification du capital, ainsi que les contrôles fiscaux de toutes les compagnies que le demandeur avait gérées ou possédées depuis 1987. Tous ces documents devaient être traduits vers l'anglais ou vers le français.

[6]                Le demandeur a présenté un affidavit à l'appui de sa demande confirmant qu'à la suggestion de son avocat, il s'était efforcé d'obtenir le plus grand nombre possible des documents exigés avant l'entrevue et qu'il souhaitait demander qu'on lui accorde plus de temps afin de faire légaliser, traduire et vérifier les documents par des tiers comme on le lui demandait. L'affidavit du demandeur faisait aussi remarquer que la fête du Travail avait eu lieu entre le moment où il avait reçu la demande d'information et la date prévue de l'entrevue. Il affirme dans son affidavit que cette fête légale avait compromis encore plus sa capacité de se procurer les documents nécessaires auprès des tiers.

[7]                L'affidavit du demandeur énonce que lorsqu'il a rencontré l'agent des visas, Brad Sapp, le 16 mai 2005, il lui a présenté tous les documents qu'il avait réussi à se procurer à ce moment et a expliqué à l'agent que certains documents n'étaient plus disponibles, entre autres, certains relevés bancaires qui avaient été retournés à sa banque. L'affidavit note aussi qu'il y avait eu certaines difficultés de traduction au cours de l'entrevue qui avaient causé une certaine confusion au sujet de la nature des documents dont avait besoin l'agent des visas.

[8]                Le demandeur témoigne très clairement dans son affidavit qu'il a demandé à M. Sapp de lui accorder trente (30) jours de plus pour qu'il puisse se procurer les renseignements financiers additionnels requis et qu'il puisse les faire traduire et légaliser. Il explique qu'il n'avait pas eu suffisamment de temps pour faire vérifier tous les documents et que le cabinet de comptables local lui avait expliqué qu'il était impossible de commencer ce travail avant le 20 mai 2005. Comme les entreprises du demandeur étaient des entreprises individuelles, il ajoute que la loi n'exigeait pas la vérification des états financiers et que, par conséquent, ceux-ci n'étaient pas disponibles au moment où l'ambassade en a fait la demande.

[9]                Comme le défendeur a choisi de ne pas déposer d'affidavit et n'a pas contre-interrogé le demandeur au sujet de son affidavit, la seule preuve qui est à ma disposition est le témoignage non contredit du demandeur selon lequel il avait demandé, au cours de l'entrevue du 16 mai 2005, qu'on lui accorde plus de temps afin d'obtenir les documents requis, et selon lequel le demandeur croyait qu'on lui accorderait ce temps supplémentaire. En l'absence de toute contestation de la part du défendeur, je n'ai d'autre choix que d'accepter le contenu de l'affidavit du demandeur tel quel.

[10]            Dans les deux (2) jours suivant l'entrevue, M. Sapp à écrit au demandeur pour l'aviser que sa demande de visa était rejetée parce qu'il n'avait pas présenté tous les documents requis afin de prouver que son avoir net personnel avait été acquis de façon légale et légitime. Par conséquent, M. Sapp n'était pas convaincu que le demandeur ne faisait pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles.

La question en litige

La façon dont on a traité la demande de visa du demandeur constitue-t-elle un manquement au principe de justice naturelle?

Analyse

[11]            Il s'agit d'une affaire touchant l'équité procédurale. Comme la question en litige porte sur le contenu de l'obligation d'équité procédurale, la norme de contrôle qui s'applique est la décision correcte et il n'est pas nécessaire de faire une analyse pragmatique et fonctionnelle : voir Ha c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195, [2004] A.C.F. no 174 (C.A.F.).

[12]            Le demandeur a témoigné dans son affidavit qu'on ne lui avait pas donné une chance raisonnable de répondre aux demandes du ministère en ce qui a trait aux documents financiers à l'appui de sa demande de visa. Il fait remarquer avec justesse que de l'agent des visas avait demandé un grand volume de documents et qu'il devait faire légaliser, traduire, et dans certains cas, vérifier, dont certains portaient sur une période de vingt (20) ans ou se trouvaient chez des tiers. Le demandeur n'a eu que trois semaines pour répondre à ces exigences et sa demande visant à obtenir trente (30) jours supplémentaires a été effectivement refusée par le rejet immédiat de sa demande de visa.

[13]            Le défendeur n'a pas déposé d'affidavit pour contredire la description du demandeur de l'entrevue ni, en particulier, de sa demande d'un délai supplémentaire de trente (30) jours. Les notes du STIDI de l'agent des visas au sujet de l'entrevue se trouvent dans le dossier officiel et ne mentionnent pas la demande d'un délai supplémentaire du demandeur; cependant, elles montrent que la question de la disponibilité des documents a longuement été discutée.

[14]            Le défendeur fait valoir qu'il revenait au demandeur d'établir son droit à un visa et qu'il était au courant qu'il devait présenter une preuve documentaire claire à l'appui de sa demande. Le défendeur se fonde en partie sur les termes utilisés dans le formulaire de demande de visa qui informent le demandeur de la nécessité de présenter tous les dossiers financiers nécessaires afin de démontrer qu'il a acquis ses biens de façon légale. Ce formulaire avertit aussi les demandeurs qu'il est possible qu'on leur demande de présenter des documents financiers additionnels. Le défendeur se fonde aussi sur la jurisprudence pour affirmer qu'un agent des visas n'est pas tenu de solliciter du demandeur la présentation de documents supplémentaires à l'appui de sa demande de visa et qu'il revient au demandeur de présenter tous les documents nécessaires à la première entrevue : voir Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. 1091; Wohlmayer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 155, [2002] A.C.F. no 196; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 275.

[15]            La principale faiblesse de l'argument du défendeur est que personne, dans la situation du demandeur, ne s'attendrait dès le dépôt de sa demande à devoir présenter une aussi grande quantité de documents couvrant une aussi longue période que ce qu'a demandé le ministère. Ceci ne signifie pas que le ministère n'avait pas le droit de demander la présentation de ces antécédents financiers, mais seulement qu'il n'était pas raisonnable de croire que le demandeur aurait dû anticiper cette exigence.

[16]            La demande par l'agent des visas des antécédents financiers pour une période de vingt (20) ans appuyés, en partie, par des vérifications de tiers dépassait largement ce que le ministère demande normalement. Cela est corroboré par le Guide de traitement des demandes à l'étranger no 8 du ministère, dans lequel il est prévu qu'il est généralement requis de présenter des états financiers pour une période de cinq (5) ans et qu'il est rare de demander une vérification par des tiers parce que « [l]a plupart des petites entreprises sont très peu susceptibles d'avoir fait l'objet d'une vérification » .

[17]            Je suis d'accord avec le raisonnement de la jurisprudence présentée par le défendeur, mais il s'agit d'affaires dont les faits sont différents des faits en l'espèce. Il s'agit ici d'un agent des visas qui a demandé des antécédents mais qui n'a pas donné au demandeur une chance raisonnable de répondre à cette demande. Le traitement de la demande n'était pas conforme à l'obligation énoncée dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39, au paragraphe 28, selon lequel les personnes sérieusement affectées par une décision administrative « doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position » .

[18]            Quand bien même la décision de rejeter la demande de visa du demandeur pouvait être raisonnable au vu de la preuve présentée, le résultat n'aurait peut-être pas été le même si l'on avait accordé au demandeur le temps qu'il avait demandé. Je suis convaincu que la demande de visa du demandeur n'a pas été traitée avec le degré d'équité nécessaire et je vais ordonner la tenue d'un nouvel examen de la demande par un agent des visas différent. Compte tenu de tous les contretemps subis par le demandeur dans le traitement de sa demande, il serait souhaitable que le ministère traite cette affaire avec une certaine urgence.

[19]            Je ne suis pas convaincu que les faits en l'espèce justifient l'adjudication des dépens. Il n'y a aucune preuve de mauvaise foi et la position qu'a prise le ministère n'était pas déraisonnable.

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE : la décision de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée pour un nouvel examen par un agent des visas différent.

                                                                                                « R. L. Barnes »

                                                                                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3580-05

INTITULÉ :                                       YONGCUN ZHEN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 23 MARS 2006

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :                       LE 29 MARS 2006

COMPARUTIONS:

JOSEPH R.YOUNG

POUR LE DEMANDEUR

VANITA GOELA

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOSEPH R.YOUNG LL.B.

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR

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