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Date : 20190725

Dossier : T‑1998‑17

Référence : 2019 CF 1001

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ERIC ADEY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ET LES DOSSIERS : T‑2001‑17, T‑2002‑17, T‑2003‑17, T‑2011‑17, T‑2012‑17, T‑2013‑17, T‑2014‑17, T‑2015‑17, T‑2016‑17, T‑2017‑17, T‑2018‑17, T‑2019‑17, T‑2020‑17, T‑2022‑17, T‑2023‑17, T‑2024‑17, T‑2025‑17, T‑2026‑17, T‑2027‑17, T‑2028‑17, T‑2029‑17, T‑2030‑17, T‑2031‑17, T‑2032‑17, T‑2033‑17, T‑2034‑17, T‑2035‑17, T‑2036‑17, T‑2037‑17, T‑2038‑17, T‑2039‑17, T‑2040‑17, T‑2041‑17, T‑2042‑17, T‑2043‑17, T‑2044‑17, T‑2045‑17, T‑2047‑17, T‑2048‑17, T‑2050‑17, T‑2051‑17, T‑2052‑17, T‑2053‑17, T‑2054‑17, T‑2056‑17, T‑2057‑17, T‑2058‑17, T‑2059‑17, T‑2061‑17, T‑2062‑17, T‑2063‑17, T‑2064‑17, T‑2065‑17, T‑2066‑17, T‑2067‑17, T‑2068‑17, T‑2069‑17, T‑2070‑17, T‑2071‑17, T‑2072‑17, T‑2073‑17, T‑2074‑17, T‑2075‑17, T‑2076‑17, T‑2107‑17 T‑2108‑17, T‑2109‑17, T‑154‑18, T‑238‑18

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente décision porte sur 70 demandes de contrôle judiciaire présentées par les demandeurs dans les dossiers de la Cour susmentionnés. Conformément à l’ordonnance de la protonotaire Tabib en date du 26 septembre 2018, agissant à titre de juge chargée de la gestion de l’instance, ces demandes ont été regroupées aux fins de la gestion de l’instance et les dossiers des parties dans toutes les demandes déposées dans l’instance désignée dans l’intitulé ci‑dessus, soit T‑1998‑17. Les 70 demandes ont été plaidées en même temps à Halifax le 9 juillet 2019.

[2]  Les demandeurs (voir l’annexe « A » pour une liste complète) demandent le contrôle judiciaire des décisions du ministre du Revenu national [le ministre] portant sur des demandes de rajustement relatives à diverses années d’imposition afin de se prévaloir du crédit d’impôt pour emploi à l’étranger [CIEE]. Dans ces décisions, un délégué du ministre a refusé d’accorder le CIEE pour une ou plusieurs années d’imposition pour chacun des demandeurs [les décisions].

[3]  Comme il est expliqué plus en détail ci‑dessous, les demandes sont rejetées puisque les décisions sont raisonnables.

II.  Contexte

[4]  Les demandeurs sont ou étaient des employés du College of the North Atlantic [le Collège], un collège communautaire de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et ont travaillé à son campus du Qatar [CNA‑Q] dans les années 2000. Le campus du Qatar, à Doha, offrait des programmes de technologie du génie aux Qataris.

[5]  Le Collège considérait que ses employés du CNA‑Q pourraient potentiellement être admissibles au CIEE en vertu de l’art. 122.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) [la Loi], dont l’admissibilité dépendait de savoir si le CNA‑Q offrait une activité admissible, notamment « l’exploration pour la découverte ou l’exploitation de pétrole, de gaz naturel, de minéraux ou d’autres ressources semblables » et un « projet [...] d’ingénierie ». Le Collège et un certain nombre de ses employés ont discuté de la question de l’admissibilité avec l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. L’ARC a continuellement répondu que le CNA‑Q était un établissement d’enseignement et que, par conséquent, il ne participait pas à une activité admissible qui lui permettait d’invoquer l’art. 122.3 de la Loi. Par la suite, le Collège a demandé une décision à la Direction des décisions de l’impôt sur le revenu de l’ARC, qui a réaffirmé la position de l’ARC à plusieurs reprises.

[6]  À la suite de ces réponses, le Collège n’a pas remis à ses employés du CNA‑Q de formulaires de demande pour le CIEE [T626] de 2002 jusqu’à la fin de 2008. Selon les demandeurs, le Collège a avisé les employés du CNA‑Q en décembre 2008 qu’il signerait les formulaires T626 si les employés acceptaient de signer une renonciation selon laquelle ils réclamaient le crédit [traduction« à leurs propres risques ». L’avocat général du Collège a prévenu les employés du CNA‑Q que faire une demande de CIEE était [traduction« très risqué » puisque, compte tenu de la position de l’ARC (c.‑à‑d. que le CNA‑Q ne participait pas à une activité admissible), même si le CIEE était accordé au départ, il pourrait être repris par l’ARC après une vérification ou un autre examen interne. Certains demandeurs ont envoyé un formulaire T626, et certains CIEE ont été acceptés, puis ont été récupérés avec intérêt.

[7]  En octobre 2009, un employé du CNA‑Q a interjeté appel après s’être vu refuser le CIEE, mais cet appel a été rejeté par la Cour canadienne de l’impôt (la Cour de l’impôt) en mai 2010 dans la décision Humber c La Reine, 2010 CCI 253, en partie parce que la Cour a conclu que l’appelant n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer un lien entre la formation donnée par le CNA‑Q et l’industrie du pétrole et du gaz au Qatar. En 2010, un autre employé du CNA‑Q a interjeté appel après s’être vu refuser le CIEE et la Cour de l’impôt a tranché en sa faveur dans la décision Legge c La Reine, 2011 CCI 413, [Legge]. Dans la décision Legge, la Cour de l’impôt a conclu que le CNA‑Q participait à une activité admissible au sens de l’art. 122.3 de la Loi et que M. Legge pouvait réclamer un CIEE relativement à l’année d’imposition 2007.

[8]  Après que la décision Legge eut été rendue, de nombreux employés actuels et anciens du CNA‑Q ont commencé à envoyer des formulaires T626 et à demander des rajustements pour leurs années d’imposition en cause. Ces demandeurs réclamaient un allègement pour les contribuables en vertu des par. 152(4) et 152(4.2) de la Loi, dont les libellés seront énoncés plus loin dans les présents motifs, afin d’obtenir des rajustements pour leur permettre de demander un CIEE pour des années d’imposition allant de 2003 à 2010. Un délégué du ministre a examiné les demandes et a envoyé des lettres de décision à chaque demandeur. Par la suite, 153 demandeurs ont déposé des demandes de contrôle judiciaire relativement à des décisions du délégué du ministre de refuser certaines des demandes de rajustement. Par consentement, ces questions ont été renvoyées au ministre pour un deuxième examen des demandes.

[9]  Le 30 novembre 2017, à la suite des réexamens convenus, un autre délégué du ministre [le délégué] a envoyé des lettres de décision aux demandeurs où il leur permettait, en vertu du par. 152(4) de la Loi, de présenter des demandes de rajustement pour des années d’imposition qui se situaient dans la période normale de nouvelle cotisation de trois ans (comme l’exige l’al. 152(3.1)b) de la Loi) au moment de la demande. Dans le cas des demandes de rajustement qui concernaient des années d’imposition se trouvant en dehors de la période de nouvelle cotisation de trois ans au moment de la demande (que le délégué a désignées et que les parties désignent ici comme des années [traduction« frappées de prescription »), le délégué a envoyé des lettres de décision où il acceptait, par application du par. 152(4.2) de la Loi, des demandes de rajustement lorsque le demandeur n’avait pas été informé par l’ARC de certains recours auxquels il avait droit, ce qui constituait des circonstances extraordinaires, mais où il a rejeté les autres demandes. Les décisions rendues en vertu du par. 152(4.2) de la Loi qui rejetaient certaines demandes de rajustement présentées par les demandeurs font l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[10]  Les demandeurs font valoir que les questions soulevées par leurs demandes de contrôle judiciaire renvoient à la décision du ministre de ne pas établir de nouvelles cotisations pour les années frappées de prescription et, par conséquent, de ne pas accorder le CIEE pour chaque année.

[11]  Le défendeur soutient que les demandes de contrôle judiciaire soulèvent les deux questions suivantes :

  1. s’il y a motif de réviser les décisions discrétionnaires de refuser les demandes de rajustement;

  2. le cas échéant, s’il y a lieu d’intervenir à l’égard de ces décisions.

[12]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues en vertu du par. 152(4.2) de la Loi est celle de la décision raisonnable (voir l’arrêt Abraham c Canada (Procureur général), 2012 CAF 266, [Abraham], au par. 36). Je conclus que la seule question à trancher par la Cour consiste à déterminer si, compte tenu des arguments des parties, les décisions sont raisonnables.

IV.  Analyse

[13]  Les deux parties renvoient la Cour à la décision dans l’affaire Barron c Ministre du Revenu national (1997), 209 NR 392 (CAF), [Barron], au paragraphe 5, où la Cour d’appel fédérale explique comme suit le fondement sur lequel la Cour peut intervenir dans une décision rendue en vertu du par. 152(4.2) de la Loi :

5  Avant d’exposer les motifs pour lesquels nous estimons que ces conclusions sont erronées, il est peut‑être utile de rappeler que le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu confère un pouvoir discrétionnaire au ministre et que, à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise en vertu d’un tel pouvoir, le rôle de la cour de révision ne consiste pas à exercer ce pouvoir à la place de son titulaire. La cour pourra intervenir et annuler la décision visée seulement si celle‑ci a été prise de mauvaise foi, si l’instance décisionnelle a manifestement omis de tenir compte de faits pertinents ou tenu compte de faits non pertinents, ou si la décision est erronée en droit.

[14]  Dans leurs observations orales, les demandeurs ont avancé deux principaux arguments au soutien de leur position selon laquelle les décisions devraient être annulées par la Cour. Ils soutiennent que les décisions sont erronées en droit puisqu’elles n’appliquent pas les enseignements de la décision Legge et que le délégué a fait fi de faits pertinents en omettant de tenir compte ce que les demandeurs décrivent comme étant des circonstances particulières à titre d’employés du Collège. Les demandeurs font référence au fait que le Collège, tout comme ses employés, discutait déjà de la question de l’admissibilité au CIEE avec l’ARC depuis bien des années, avant la décision dans Legge, qui porte sur un des employés du Collège. Les demandeurs reconnaissent qu’il existe un lien très étroit entre leurs deux principaux arguments, suffisant à mon avis pour qu’ils soient considérés ensemble.

[15]  En faisant valoir leurs arguments, les demandeurs font également remarquer qu’il y avait deux principaux motifs de politique générale sous‑jacents aux décisions : a) la crainte que la décision Legge soit la raison pour laquelle les demandeurs ont présenté des demandes de rajustement; b) la crainte que la décision Legge soit appliquée rétroactivement. Les demandeurs font remarquer que ces motifs de politique générale sont fondés sur des documents de politique publiés par l’ARC, mais soutiennent que les craintes qui sous‑tendent ces motifs de politique générale ne s’appliquent pas à leur situation et que le délégué a donc commis une erreur en appliquant ces politiques de façon servile ou machinale sans tenir compte de leur situation particulière.

[16]  En considérant ces arguments, il est utile d’abord d’examiner les articles de la Loi qui confèrent au ministre le pouvoir en vertu duquel les décisions ont été prises, ainsi que les documents de politique qui s’appliquent à l’exercice de ce pouvoir. Le paragraphe 152(4) de la Loi confère au ministre le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation d’impôt pour une année d’imposition, mais, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, limite ce pouvoir à la période normale de nouvelle cotisation du contribuable. Comme il a été mentionné précédemment, la période normale de nouvelle cotisation pour un contribuable est prévue à l’al. 152(3.1)b) de la Loi comme étant la période se terminant trois ans après l’émission de l’avis de cotisation initial. Le document de politique 75‑7R3, intitulé « Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenu », a été publié par l’ARC pour guider ses fonctionnaires dans l’établissement de ces cotisations. Comme l’ont fait observer les demandeurs, le paragraphe 4 du document 75‑7R3 est ainsi rédigé :

4.  Sur réception d’une demande écrite du contribuable, le Ministère établit ordinairement une nouvelle cotisation pour donner un remboursement, même si un avis d’opposition n’a pas été produit dans le délai prescrit, pourvu : [...] b) que le Ministère soit convaincu que la cotisation ou nouvelle cotisation précédente était inexacte; [...] e) que la demande de remboursement ne se fonde pas uniquement sur un appel devant les tribunaux d’un autre contribuable ayant eu gain de cause.

[17]  Lorsqu’une demande de rajustement porte sur une période en dehors de la période normale de nouvelle cotisation du contribuable, c’est le par. 152(4.2) de la Loi qui confère au ministre le pouvoir d’examiner la demande :

Nouvelle cotisation et nouvelle détermination

Reassessment with taxpayer’s consent

(4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier (sauf une fiducie) ou succession assujettie à l’imposition à taux progressifs — pour une année d’imposition, le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois :

(4.2) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining — at any time after the end of the normal reassessment period, of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a graduated rate estate, in respect of a taxation year — the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is 10 calendar years after the end of that taxation year,

a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie;

(a) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year; and

b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 122.8(4), 122.9(2), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année.

(b) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 122.8(4), 122.9(2), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer’s liability under this Part for the year.

[18]  En vertu de cet article, le ministre a le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation d’impôt applicable à une année d’imposition en dehors de la période normale de nouvelle cotisation, pourvu que le contribuable ait demandé cette nouvelle cotisation moins de 10 années civiles après la fin de l’année d’imposition en question. Comme il a été mentionné précédemment, ces années d’imposition en dehors de la période normale de nouvelle cotisation sont désignées dans les décisions et par les parties dans leurs observations comme des années « frappées de prescription ». La politique publiée par l’ARC qui s’applique aux décisions rendues en vertu du par. 152(4.2) de la Loi est la partie IV du document CI07‑1, intitulé « Dispositions d’allègement pour les contribuables ». Les parties du document IC07‑1 auxquelles les demandeurs font référence dans leurs observations sont les paragraphes 71 et 87, dont voici le texte :

71. L’ARC peut émettre un remboursement ou réduire le montant dû si elle est convaincue qu’un tel remboursement ou une telle réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps et à condition que la cotisation à établir soit conforme à la Loi et qu’elle n’ait pas déjà été accordée.

87. La politique de l’ARC ne permet pas l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription si la demande est motivée par une décision judiciaire (pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter la circulaire d’information IC75‑7R3, Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenus). Les demandes visant l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription fondée uniquement sur le fait qu’un autre contribuable a obtenu gain de cause dans le cadre d’un appel ne seront pas acceptées en vertu du paragraphe 152(4.2).

[19]  Comme le montrent les citations ci‑dessus, les documents 75‑7R3 et IC07‑1 reflètent la politique de l’ARC de ne pas établir de nouvelles cotisations ni d’émettre des remboursements dans les cas où la demande du contribuable est fondée uniquement sur un appel interjeté par un autre contribuable qui a eu gain de cause. L’ARC a adopté cette politique tant pour les demandes faites pendant la période normale de nouvelle cotisation du contribuable que pour les demandes applicables aux années frappées de prescription.

[20]  Les demandeurs font remarquer que les décisions et les fiches d’information sur les allègements pour les contribuables figurant dans le dossier et servant de contexte aux décisions démontrent que, pour la plupart des demandeurs, le délégué a conclu que la décision Legge n’était pas le seul facteur sous‑jacent aux demandes de rajustement, bien qu’il s’agisse d’un facteur important ou même du principal facteur. Le délégué a donc accordé les demandes de ces demandeurs pour les années qui se situaient dans la période normale de nouvelle cotisation de trois ans, puisque la condition figurant à l’alinéa 4e) du document 75‑7R3 ne s’appliquait pas.

[21]  Le défendeur indique qu’il existe deux exceptions à ces conclusions. En ce qui concerne le contribuable Derek Ballard [1] , le délégué a seulement conclu que la décision Legge n’était pas la seule raison pour laquelle M. Ballard avait fait la demande de rajustement, parce que M. Ballard avait exprimé son désaccord avec la cotisation établie par l’ARC. Comme pour d’autres contribuables, le délégué a accordé les demandes de CIEE de M. Ballard en vertu du par. 152(4) pour les années qui se situaient dans la période normale de nouvelle cotisation de trois ans. En ce qui concerne un contribuable du nom de Christopher Barrington, le délégué a conclu que les demandes de rajustement étaient fondées uniquement sur la décision Legge, puisqu’aucune mesure n’avait été prise par M. Barrington pour réclamer le crédit ou modifier ses déclarations avant cette décision. Il semble que les demandes de M. Barrington ne concernaient que des années en dehors de la période de nouvelle cotisation de trois ans, demandes qui ont toutes été rejetées.

[22]  Je ne crois pas les demandeurs soutiennent que l’une ou l’autre de ces conclusions sont déraisonnables, en ce sens qu’elles ne sont pas appuyées par la preuve dont disposait le délégué, pas plus qu’ils ne soutiennent que la politique sous‑jacente soit déraisonnable. En effet, l’avocat des demandeurs a reconnu qu’il était compréhensible que l’ARC s’inquiète du fait qu’à la suite d’un changement dans la loi découlant d’un appel fructueux d’un contribuable, elle serait submergée de demandes de nouvelle cotisation présentées par d’autres contribuables. Comme le soulignent les demandeurs, la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153 [Lanno], au par. 15, que les motifs de politique qui sous‑tendent la condition figurant à l’alinéa 4e) du document 75‑7R3 étaient valables :

15  La juge a considéré que l’exception prévue à l’alinéa 4e) de la Circulaire d’information 75‑7R3 constituait une politique valable. Je suis d’accord et je souscrirais à l’explication qu’elle donne au paragraphe 10 de ses motifs :

L’ADRC doit pouvoir éviter une situation où elle ferait face à un nombre considérable de demandes de nouvelles cotisations chaque fois qu’un tribunal rend une décision portant sur les obligations des contribuables. Donc, lorsqu’un contribuable a gain de cause devant les tribunaux au sujet de son assujettissement à l’impôt, on ne versera aucun remboursement aux contribuables qui ne sont pas partie à l’action si leur demande de remboursement se fonde uniquement sur le résultat positif de l’appel.

[23]  Toutefois, les demandeurs font valoir que la préoccupation liée à l’avalanche de demandes ne s’applique pas à leur situation particulière, étant donné qu’ils forment un groupe restreint de contribuables et qu’ils ne sont pas étrangers à la question du crédit d’impôt qui a été tranchée dans la l’affaire Legge, puisqu’ils sont des employés du Collège, comme M. Legge, et qu’eux et le Collège collaborent avec l’ARC sur cette question depuis de nombreuses années. Ils font donc valoir que, en l’absence de la préoccupation liée à l’avalanche de demandes, le délégué a commis une erreur en menant une analyse visant à déterminer si les demandes des demandeurs découlaient de la décision Legge.

[24]  Je ne trouve aucune erreur susceptible de révision de la part du délégué pour ce qui est de cet aspect des décisions. Comme il a été mentionné précédemment, le motif de politique générale sous‑jacent à cet aspect de l’analyse du délégué a été approuvé en appel dans l’affaire Lanno. Les décisions démontrent également que le délégué était au courant de la situation particulière des demandeurs, puisque chacune des décisions fait référence à l’historique des démarches entreprises par le Collège, l’employeur des demandeurs, sur la question du CIEE. Bien que les demandeurs soutiennent que les décisions ne se penchent pas sur l’importance de toutes ces démarches, je ne crois pas que l’absence d’une analyse explicite puisse appuyer une conclusion selon laquelle le délégué a clairement ignoré ces faits de façon à miner le caractère raisonnable des décisions. Je comprends l’argument selon lequel la préoccupation liée à l’avalanche de demandes pourrait être considérée comme moins importante dans un contexte où il y a un nombre limité de contribuables qui pourraient vouloir se prévaloir d’une décision judiciaire. Toutefois, à mon avis, cet argument demande à la Cour de ne pas être d’accord avec la conclusion du délégué sur l’application d’un motif de politique générale pertinente, ce qui dépasse le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Le traitement de ce motif de la part du délégué appartient aux issues possibles acceptables et est donc raisonnable.

[25]  Je remarque que les demandeurs n’ont pas invoqué cet argument dans leurs observations orales, mais qu’ils allèguent dans leurs observations écrites que le délégué a commis une erreur en n’appliquant pas correctement ce motif de politique générale, en ce sens que les documents de politique parlent de rejeter les demandes de rajustement présentées uniquement à la suite d’une décision du tribunal et que, selon la conclusion du délégué, la décision Legge n’était pas le seul motif de la demande. Je ne vois aucune erreur susceptible de révision selon cet argument. À mon avis, les documents de politique applicables n’empêchent pas le délégué d’examiner la mesure dans laquelle une demande de rajustement découle de la décision d’un tribunal, même si la décision n’est pas la seule cause de la demande.

[26]  De plus, j’estime que les décisions sont surtout fondées sur le fait que, comme la décision Legge n’avait pas force de loi lorsque des demandes de rajustement de l’année frappée de prescription auraient pu être présentées dans les délais prescrits, ces demandes n’auraient pas été acceptées. Cette interprétation est appuyée par la décision du délégué dans l’affaire Ballard (T‑2000‑17). Le délégué a conclu que la décision Legge n’était pas la seule raison pour laquelle M. Ballard a fait la demande de rajustement, puisque M. Ballard avait exprimé son désaccord avec la cotisation établie par l’ARC; le délégué n’a donc pas conclu que cette décision constituait un facteur important à l’origine de la demande. Le délégué a néanmoins rejeté les demandes de M. Ballard pour les années frappées de prescription, parce que le CIEE n’aurait pas été accordé pour ces années en raison de l’interprétation de la loi par l’ARC à ce moment‑là.

[27]  C’est ce qui m’amène au deuxième motif de politique générale que les demandeurs considèrent comme sous‑jacent aux décisions, c’est‑à‑dire la préoccupation liée à l’application rétroactive de la décision Legge. Les demandeurs soutiennent que les décisions sont erronées en droit, car elles n’appliquent pas les règles de droit énoncées dans la décision Legge. Plus précisément, ces décisions appliquent la décision Legge aux années d’imposition qui se situaient dans la période de nouvelle cotisation applicable de trois ans, mais ne l’appliquent pas aux années frappées de prescription. Les demandeurs soutiennent que le délégué a mis un [traduction] « frein net » à l’effet rétroactif de la décision Legge à la jonction de la période de nouvelle cotisation et de la période frappée de prescription. Ils font valoir qu’il n’y a aucun fondement législatif à cette approche d’après le libellé des par. 152(4) et (4.2), ni tout autre fondement défendable.

[28]  Le défendeur justifie l’approche du délégué par les différences dans les droits prévus par la loi qui étaient accordés au contribuable avant et après la fin de la période de nouvelle cotisation. Le défendeur soutient que, pour les années d’imposition comprises dans la période de nouvelle cotisation, le contribuable aurait eu le droit de s’adresser à la Cour de l’impôt pour faire appliquer les règles de droit à ces années suivant la décision Legge. Par conséquent, la politique applicable, soit le document 75‑7R3, prévoit au paragraphe 4 l’exercice positif du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du par. 152(4) si, entre autres considérations, la cotisation précédente était erronée. En revanche, pour les années frappées de prescription qui se situent en dehors de la période de nouvelle cotisation, le paragraphe 71 du document CI07‑1 prévoit que le ministre doit vérifier si la nouvelle cotisation demandée est conforme à la Loi et qu’il doit être convaincu qu’un remboursement aurait été accordé si la demande avait été présentée à temps. L’application de cette dernière condition, à savoir d’être convaincu que le CIEE aurait été accordé si la demande de remboursement avait été présentée à temps, a entraîné le rejet de la demande par le délégué pour les années frappées de prescription, parce qu’une demande présentée dans les délais prescrits aurait été refusée en vertu du droit antérieur à la décision Legge qui s’appliquait alors.

[29]  En réponse à ces observations du défendeur, les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable pour le délégué de refuser d’appliquer aux années frappées de prescription, la souplesse qui a été appliquée aux années qui se situaient dans la période de nouvelle cotisation, c’est‑à‑dire la volonté d’appliquer la décision Legge rétroactivement. Toutefois, à mon avis, la jurisprudence sur laquelle s’appuie le défendeur appuie le caractère raisonnable de l’approche du délégué à l’égard des années frappées de prescription. Aux par. 26 et 27 de l’arrêt Abraham, la Cour d’appel fédérale a expliqué le rôle que joue le par. 152(4.2), y compris le fait qu’en dehors de la période normale de nouvelle cotisation, un contribuable n’a pas le droit de faire corriger une erreur dans une cotisation :

26  Le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne confère pas aux intimés le droit à un allègement. Il leur accorde uniquement le droit de demander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation.

27  Il faut se rappeler que, selon le paragraphe 152(8) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la cotisation est définitive et exécutoire en l’absence d’une nouvelle cotisation établie par suite d’une opposition formulée en temps opportun ou d’un appel tranché en faveur du contribuable. Le contribuable pourrait ultérieurement découvrir que la cotisation est erronée, mais il sera trop tard – il n’a aucunement le droit d’exiger que l’erreur soit corrigée. Il dispose plutôt du recours offert au paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, lequel prévoit non pas un droit à une nouvelle cotisation, mais bien la possibilité de présenter une demande visant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le paragraphe 152(4.2) n’oblige en rien le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable dans les cas où ce dernier aurait droit à un avantage fiscal s’il le revendiquait au cours de la période normale de nouvelle cotisation. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, au paragraphe 6, « [l]’octroi d’une dispense est une mesure discrétionnaire et ne peut être revendiqué de droit ».

[30]  Dans l’arrêt Abraham, la Cour d’appel fédérale s’est également penchée sur le rôle du document de politique IC07‑1 dans les décisions ministérielles prises en vertu du paragraphe 152(4.2). Cette approche a été suivie par le juge Manson dans Lambert c Canada (Procureur général), 2015 CF 1236, [Lambert], aux par. 50 à 57 :

50  On a porté à l’attention de la Cour la décision dans Abraham, aux paragraphes 31, 52, 57 à 61 et 66. Je conclus que l’interprétation par la Cour d’appel fédérale des dispositions et des politiques applicables dans la présente instance :

[31]  Envisagé ainsi, le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’apparente à n’importe quelle autre disposition qui confère un vaste pouvoir discrétionnaire à un décideur, c’est‑à‑dire un pouvoir discrétionnaire fondé sur des éléments juridiques et factuels. Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre (ou la représentante en l’espèce) doit, selon les termes employés au paragraphe 71 de la circulaire d’information IC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, « être convainc[u] qu’un tel remboursement ou une telle réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps » – il s’agit de l’aspect du pouvoir discrétionnaire ayant un certain caractère juridique – et il peut tenir compte de certains autres facteurs, dont bon nombre sont également énumérés dans la circulaire d’information.

[52]  Lorsqu’elle a pris sa décision, la représentante a étroitement suivi la circulaire d’information pertinente IC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, et elle a choisi une issue qui était compatible avec ce document. Il est bien connu que les circulaires d’information comme celle en cause sont considérées, sur le plan juridique, comme des politiques ou des lignes directrices, et non comme des lois.

[54]  Le fait qu’un décideur administratif se conforme à des énoncés de politique ou à des lignes directrices non contestés a été considéré comme une indication, quoique non concluante, du caractère raisonnable : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 72 (« une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l’article »); Herman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 629; Khoja c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 142. De même, à l’occasion, le fait qu’une décision s’écarte sans raison d’énoncés de politique et de lignes directrices peut soulever des doutes quant au caractère raisonnable : Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, aux paragraphes 44 à 56.

[57]  Les paragraphes 73, 87 et 88 de la circulaire d’information sont également pertinents. De façon générale, ces dispositions empêchent les personnes qui demandent l’établissement d’une nouvelle cotisation après l’expiration des délais normaux de se prévaloir de modifications ultérieures de la loi ou de son application. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

73. [...] La capacité de l’ARC de permettre un rajustement de montants pour une année d’imposition frappée de prescription ne devrait pas être utilisée pour effectuer un nouvel examen des points en cause [...] lorsque le particulier [...] a choisi de ne pas contester les points en cause au moyen des processus d’opposition et d’appel normaux [...].

87. La politique de l’ARC ne permet pas l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription si la demande est motivée par une décision judiciaire (pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter la circulaire d’information IC75‑7R3,Nouvelle cotisation relative à une déclaration de revenus). Les demandes visant l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une déclaration frappée de prescription fondée uniquement sur le fait qu’un autre contribuable a obtenu gain de cause dans le cadre d’un appel ne seront pas acceptées en vertu du paragraphe 152(4.2) [...].

[58]  La représentante a suivi ces dispositions de la circulaire d’information. Dans les motifs de sa décision, elle a déclaré :

[traduction] En outre, la politique de l’ARC précise que les dispositions d’allègement pour les contribuables ne constituent pas un remplacement acceptable à l’application rétroactive d’une décision judiciaire défavorable lorsque le contribuable a omis de protéger son droit de produire une opposition ou d’interjeter appel.

[59]  Pour plus de précision, j’ajouterais que rien ne donne à penser que la représentante a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en utilisant la circulaire d’information comme elle l’a fait. Dans les circonstances en l’espèce, son observation de la circulaire d’information tend à montrer que sa décision était raisonnable.

[60]  La représentante s’est ensuite demandé, dans les termes employés au paragraphe 71 de la circulaire d’information, si elle était « convaincue qu’un [...] remboursement ou une [...] réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps ». La réponse à cette question nécessitait un examen de la jurisprudence concernant l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Elle s’est penchée sur chacune des années d’imposition, elle a évalué l’état du droit à ce moment au regard de l’article 87 et elle s’est demandé si les intimés avaient droit à une réduction d’impôt pour l’année en cause à la lumière de l’état du droit au cours de cette période.

[61]  Le libellé du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu étaye cette méthodologie qui consiste à examiner l’état du droit pour chacune des années en cause. Si la représentante avait adopté une méthodologie contraire au paragraphe 152(4.2), la décision qu’elle a rendue par suite de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire n’appartiendrait pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard du droit, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

[66]  Au contraire, ce raisonnement me paraît inattaquable. Il étaye le point de vue selon lequel, pour chaque année d’imposition 1985 à 1991, le ministre n’aurait pas été « convainc[u] qu’un [...] remboursement ou une [...] réduction aurait été accordé si la déclaration ou la demande avait été produite ou présentée à temps ».

51  La conclusion dans Abraham – que la décision du ministre était raisonnable – est fondée sur le fait que la représentante avait procédé à un examen minutieux, pour chaque année, de l’état du droit applicable aux années d’imposition en question pour déterminer si elle jugeait qu’un remboursement ou une réduction aurait ou non été consenti si la déclaration ou la demande avait été soumise à temps. Tel n’est pas le cas aux présentes; le représentant n’a pas examiné les années d’imposition 2003 à 2011 conformément aux dispositions législatives en vigueur à ce moment et, en fait, il n’a pas fondé sa décision sur des observations à ce sujet.

52  Il a été établi que les responsabilités des contribuables sous le régime d’autocotisation avaient déjà influé sur la décision définitive. Sous le régime d’autocotisation en vigueur au Canada, il incombe aux demandeurs de soumettre leurs déclarations de revenus correctement [Sivadharshan c. Canada (Revenu national), 2013 CF 47, au paragraphe 14]. Le ministre n’est nullement tenu d’établir de nouvelles cotisations pour des années d’imposition pour lesquelles la cotisation était telle qu’elle avait été soumise. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153, au paragraphe 6, » [l]’octroi d’une dispense est une mesure discrétionnaire et ne peut être revendiqué de droit. »

53  Pour ce qui est de la décision Abraham, le défendeur n’a pas référé la Cour au paragraphe 53, où la Cour d’appel fédérale déclare :

[53]  Il serait loisible à une partie de soutenir que la représentante a mal interprété le paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ou que la circulaire d’information est incompatible avec cette disposition, de telle sorte que la représentante, en s’appuyant sur ce document, a agi contrairement à la loi. Mais les intimés n’invoquent aucun de ces arguments en l’espèce.

54  L’interprétation du paragraphe 154(4.2) et la congruence possible entre les circulaires d’information et cette interprétation sont précisément ce que les demandeurs contestent dans la présente instance. À leur avis, la politique de l’ARC voulant que les demandes fondées uniquement sur une décision judiciaire soient rejetées est subjective, mène à l’absurdité et est déraisonnable.

55  Je ne suis pas d’accord avec cette opinion. La conclusion du représentant à l’effet que la demande est fondée sur une décision judiciaire est le fruit d’un examen objectif de la preuve offerte. En outre, un élément subjectif du processus décisionnel n’a pas pour effet de conférer un caractère particulier à une décision et ne constitue pas une source d’incertitude ou d’incohérence.

56  Comme le souligne le défendeur, les politiques ne sont pas incompatibles avec les dispositions visant l’équité de la LIR. Les paragraphes applicables de la circulaire d’information IC07‑1 (71 et 87) correspondent à l’objectif du paragraphe 152(4.2), à savoir que les personnes qui demandent une nouvelle cotisation après l’expiration des délais normaux ne doivent pas pouvoir tirer avantage des modifications ultérieures de la loi ou de son application (Abraham, au paragraphe 82). La communication ATR‑2014‑02 insiste sur ce point. Il risquerait davantage d’y avoir un manque de constance et des décisions absurdes si l’ARC devait autoriser les contribuables à se prévaloir rétroactivement de modifications ultérieures de la loi au moyen de demandes de nouvelles cotisations chaque fois qu’une décision judiciaire se traduit par une modification.

57  À mon avis, la politique n’est ni illégale ni déraisonnable, et le fait que le représentant s’y appuie ne l’est pas non plus.

[31]  Le raisonnement dans Lambert, qui s’appuie sur le jugement rendu dans l’arrêt Abraham, établit le caractère raisonnable des motifs de politique générale sous‑jacents au paragraphe 71 du document de politique CI07‑1 et la légalité de cette politique. Les décisions ne peuvent être considérées comme erronées en droit, ou autrement déraisonnables, si le délégué a refusé d’appliquer aux années frappées de prescription la modification de la loi apportée à la suite de la décision Legge.

[32]  Les demandeurs font également valoir, en se fondant sur l’arrêt Hislop c Canada (Procureur général), 2007 CSC 10, aux par. 81 à 108, que la décision d’appliquer ou non une décision judiciaire rétroactivement exige un examen des faits et des circonstances propres à chaque cas. Les demandeurs signalent encore une fois qu’il s’agit d’un groupe distinct et restreint de contribuables qui se trouvent dans la même situation et qui discutent de la question de l’admissibilité au CIEE avec l’ARC depuis de nombreuses années. Ils font par ailleurs remarquer que le Collège les a découragés de réclamer le CIEE. Ils font aussi valoir que la préoccupation liée à l’application rétroactive d’une décision judiciaire n’est pas justifiée en l’espèce.

[33]  À mon avis, ces arguments ne minent pas le caractère raisonnable des décisions. Comme je l’ai déjà conclu, la décision du délégué de ne pas appliquer la loi rétroactivement est conforme à la politique de l’ARC, cette politique a été jugée conforme au par. 152(4.2) (voir Lambert, au par. 56) et les décisions démontrent que le délégué était au courant de la situation des demandeurs. Même s’il était loisible au délégué de déroger à la politique en fonction de la situation des demandeurs, je ne vois aucun motif me permettant de conclure que la décision du délégué de ne pas le faire n’appartient pas aux issues possibles et acceptables au regard des faits et du droit applicable.

[34]  Enfin, en ce qui concerne l’observation des demandeurs selon laquelle le délégué a appliqué servilement les motifs de politique générale mentionnés précédemment, je retiens l’argument du défendeur selon lequel le délégué a autorisé les demandes de rajustement applicables aux années frappées de prescription pour six des demandeurs, parce que ces demandeurs n’avaient pas été informés par l’ARC de certains recours auxquels ils avaient droit. Le délégué a considéré qu’il s’agissait là de circonstances extraordinaires qui justifiaient un redressement pour ces années frappées de prescription, malgré le fait que le CIEE n’aurait tout de même pas été accordé pour ces années si la demande de crédit avait été présentée à temps. Je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel cette analyse, bien qu’elle ne s’applique qu’à un petit nombre de décisions, ne peut équivaloir à une conclusion selon laquelle le délégué a traité les demandes de rajustement de façon servile ou machinale.

[35]  En conclusion, compte tenu des arguments des parties, je suis d’avis que les décisions sont raisonnables et que les présentes demandes de contrôle judiciaire doivent par conséquent être rejetées.

V.  Dépens

[36]  Les parties conviennent que, peu importe l’issue de la cause, la Cour ne devrait pas adjuger de dépens dans les présentes affaires; jugement sera rendu en conséquence.


JUGEMENT dans le dossier T‑1998‑17

ET LES DOSSIERS : T‑2001‑17, T‑2002‑17, T‑2003‑17, T‑2011‑17, T‑2012‑17, T‑2013‑17, T‑2014‑17, T‑2015‑17, T‑2016‑17, T‑2017‑17, T‑2018‑17, T‑2019‑17, T‑2020‑17, T‑2022‑17, T‑2023‑17, T‑2024‑17, T‑2025‑17, T‑2026‑17, T‑2027‑17, T‑2028‑17, T‑2029‑17, T‑2030‑17, T‑2031‑17, T‑2032‑17, T‑2033‑17, T‑2034‑17, T‑2035‑17, T‑2036‑17, T‑2037‑17, T‑2038‑17, T‑2039‑17, T‑2040‑17, T‑2041‑17, T‑2042‑17, T‑2043‑17, T‑2044‑17, T‑2045‑17, T‑2047‑17, T‑2048‑17, T‑2050‑17, T‑2051‑17, T‑2052‑17, T‑2053‑17, T‑2054‑17, T‑2056‑17, T‑2057‑17, T‑2058‑17, T‑2059‑17, T‑2061‑17, T‑2062‑17, T‑2063‑17, T‑2064‑17, T‑2065‑17, T‑2066‑17, T‑2067‑17, T‑2068‑17, T‑2069‑17, T‑2070‑17, T‑2071‑17, T‑2072‑17, T‑2073‑17, T‑2074‑17, T‑2075‑17, T‑2076‑17, T‑2107‑17 T‑2108‑17, T‑2109‑17, T‑154‑18, T‑238‑18

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs sont rejetées sans adjudication de dépens.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19ejour de septembre 2019.

Semra Denise Omer, traductrice


ANNEXE « A »

No de dossier de la Cour

Demandeurs

No de dossier de la Cour

Demandeurs

T‑2001‑17

TRUDY BARNES

T‑2044‑17

NEIL MERCURIUS

T‑2002‑17

DON BARNES

T‑2045‑17

BRENDA MOONEY

T‑2003‑17

RONALD BENNETT

T‑2047‑17

ROSE MARIE McCABE

T‑2011‑17

MARGARET BLACKMORE

T‑2048‑17

MARY C. MOORE

T‑2012‑17

SHARON ROBARTS

T‑2050‑17

THOMAS MOORE

T‑2013‑17

RUTH BENSON

T‑2051‑17

LYNN MYLER

T‑2014‑17

RON CHISHOLM

T‑2052‑17

BRENDA NEWHOOK

T‑2015‑17

GREG CHAYTOR

T‑2053‑17

GORDON PARSONS

T‑2016‑17

CAROL BOLDING

T‑2054‑17

DARYLE NIEDMAYER

T‑2017‑17

EILEEN BRAGG

T‑2056‑17

REX A. ROBERTS

T‑2018‑17

PAULA CORBETT

T‑2057‑17

BLANCHE ROGERS

T‑2019‑17

RALPH CANN

T‑2058‑17

PATRICIA RALPH

T‑2020‑17

SUSAN CURTIS

T‑2059‑17

ROBERT H. ROSE

T‑2022‑17

NORMA ELLIOTT

T‑2061‑17

SHIRLEY RYAN

T‑2023‑17

KEVIN DEVEAU

T‑2062‑17

CECIL R. SMITH

T‑2024‑17

BILL GOSSE

T‑2063‑17

EDITH SMITH

T‑2025‑17

LINDA DOODY

T‑2064‑17

DONALD H. SQUIBB

T‑2026‑17

BRENDA DOYLE

T‑2065‑17

ENID STRICKLAND

T‑2027‑17

THOMAS GREENE

T‑2066‑17

CECIL G. STURGE

T‑2028‑17

MICHAEL GREENE

T‑2067‑17

SCOTT TULK

T‑2029‑17

HARRY ELLIOTT

T‑2068‑17

JOYCE STURGE

T‑2030‑17

REGINA HAWCO

T‑2069‑17

DENNIS VAUGHAN

T‑2031‑17

COLLEEN HICKEY

T‑2070‑17

BRUCE WHITE

T‑2032‑17

GARY HUNT

T‑2071‑17

CYNHIA WELSH

T‑2033‑17

ANDREW HOWSE

T‑2072‑17

MARY VAUGHAN

T‑2034‑17

ANTHONY HUSSEY

T‑2073‑17

ELIZABETH WHITE

T‑2035‑17

CHARLES JANES

T‑2074‑17

GARY WHITE

T‑2036‑17

AUDREY JANES

T‑2075‑17

LINDA WOODMAN

T‑2037‑17

PAUL JANES

T‑2076‑17

ROBERT WOODMAN

T‑2038‑17

PEGGY JANES

T‑2107‑17

ROBERT BONNELL

T‑2039‑17

MAXWELL KEATS

T‑2108‑17

DALE TEMPLE

T‑2040‑17

MAY M. KEATS

T‑2109‑17

FOZIA JAMAL

T‑2041‑17

MONICA KENNEDY

T‑154‑18

GAIL MARIE ENGLISH

T‑2042‑17

TONYA LOPEZ

T‑238‑18

CHRISTOPHER BARRINGTON

T‑2043‑17

MARY ELEANOR KENNY

[EN BLANC]

[EN BLANC]

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1998‑17

ET LES DOSSIERS : T‑2001‑17, T‑2002‑17, T‑2003‑17, T‑2011‑17, T‑2012‑17, T‑2013‑17, T‑2014‑17, T‑2015‑17, T‑2016‑17, T‑2017‑17, T‑2018‑17, T‑2019‑17, T‑2020‑17, T‑2022‑17, T‑2023‑17, T‑2024‑17, T‑2025‑17, T‑2026‑17, T‑2027‑17, T‑2028‑17, T‑2029‑17, T‑2030‑17, T‑2031‑17, T‑2032‑17, T‑2033‑17, T‑2034‑17, T‑2035‑17, T‑2036‑17, T‑2037‑17, T‑2038‑17, T‑2039‑17, T‑2040‑17, T‑2041‑17, T‑2042‑17, T‑2043‑17, T‑2044‑17, T‑2045‑17, T‑2047‑17, T‑2048‑17, T‑2050‑17, T‑2051‑17, T‑2052‑17, T‑2053‑17, T‑2054‑17, T‑2056‑17, T‑2057‑17, T‑2058‑17, T‑2059‑17, T‑2061‑17, T‑2062‑17, T‑2063‑17, T‑2064‑17, T‑2065‑17, T‑2066‑17, T‑2067‑17, T‑2068‑17, T‑2069‑17, T‑2070‑17, T‑2071‑17, T‑2072‑17, T‑2073‑17, T‑2074‑17, T‑2075‑17, T‑2076‑17, T‑2107‑17 T‑2108‑17, T‑2109‑17, T‑154‑18, T‑238‑18

INTITULÉ :

ERIC ADEY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

HAlifax (nouvelle‑écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUILLET 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

le 25 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Brian K. Awad

Elizabeth McIsaac

POUR LES DEMANDEURS

Caitlin A. Ward

Maeve Baird

POUR LE DEÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

pour le défendeur

 



[1] La demande de contrôle judiciaire de Derek Ballard, dans le dossier de la Cour T‑2000‑17, a été ajournée sans délai en vertu d’une ordonnance datée du 24 juin 2019, et ne fait pas partie des demandes faisant l’objet du présent jugement et des présents motifs. Toutefois, la décision du délégué dans cette affaire est incluse dans le dossier dont la Cour est saisie, puisque la demande de M. Ballard devait initialement être entendue en même temps que les demandes des demandeurs.

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