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Date : 20190730


Dossier : T-853-18

Référence : 2019 CF 1023

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ROBERT GRANDJAMBE FILS, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE MIKISEW

demandeur

Et

L’AGENCE PARCS CANADA, LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET LE DIRECTEUR DU PARC NATIONAL DU CANADA WOOD BUFFALO

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 6 avril 2018 par laquelle le directeur du parc national du Canada Wood Buffalo [le directeur] a refusé la demande du demandeur en vue d’obtenir un permis pour construire une cabane de récolte des ressources à l’emplacement proposé par le demandeur, dans le parc national du Canada Wood Buffalo. Cette demande est présentée au nom du demandeur, Robert Grandjambe fils, et des membres de la Première Nation crie Mikisew.

Contexte

[2]  Le demandeur est un membre de la Première Nation crie Mikisew [Mikisew], qui est une bande d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, paragraphe 2(1). Mikisew est signataire du Traité no 8.

[3]  L’Agence Parcs Canada [Parcs Canada ou l’Agence] est une personne morale constituée en vertu de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, LC 1998, c 31. Conformément aux dispositions énoncées, elle exerce, au nom du ministre de l’Environnement et du Changement climatique [le ministre], les attributions qui se rapportent aux parcs nationaux, aux lieux historiques nationaux, aux aires marines nationales de conservation et aux lieux et programmes patrimoniaux nationaux. Elle est également responsable de la mise en œuvre des politiques du gouvernement du Canada relatives aux parcs nationaux (art. 3, al. 4(1)a), art. 5 et 6). Le directeur est nommé en vertu de la Loi sur l’Agence Parcs Canada. Il est responsable de la gestion du parc national du Canada Wood Buffalo.

[4]  Le parc national du Canada Wood Buffalo [le PNWB ou le parc] est le plus vaste parc national du Canada. Des Autochtones de nombreuses collectivités de Premières Nations et de collectivités métisses mènent des activités de récolte des ressources, comme la chasse, le piégeage et la pêche, dans le parc. Quatre Premières Nations ont des réserves dans le PNWB : la Première Nation de Salt River [Salt River], la Première Nation de Smith’s Landing [Smith’s Landing] et Mikisew. Salt River et Smith’s Landing ont des réserves adjacentes au lac Pine. La réserve de Mikisew est située à environ 100 km au sud du lac Pine.

[5]  Le défendeur reconnaît que Mikisew et les autres signataires du Traité no 8 ont le droit constitutionnel en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [la Loi constitutionnelle de 1982] et du Traité no 8, tel que modifié par la Convention sur le transfert des ressources naturelles (Loi des ressources naturelles de l’Alberta, LC 1930, c 3), de chasser, de piéger et de pêcher pour se nourrir dans le PNWB, sous réserve des dispositions réglementaires et de la capacité de la Couronne de prendre possession des terres à des fins spécifiques. Ces droits comprennent la construction et l’entretien de cabanes de récolte des ressources, également appelées cabanes de piégeage, qui sont nécessairement accessoires à l’exercice des droits issus de traités. En tant que membre de Mikisew, le demandeur exerce individuellement ce droit collectif. Environ 11 groupes autochtones sont situés à l’intérieur et aux environs du parc.

[6]  Il est incontestable que le demandeur exerce ses droits de chasse, de pêche et de piégeage issus du Traité depuis sa jeunesse et qu’il continue de le faire. Il déclare qu’il utilise les peaux des animaux qu’il piège pour fabriquer des mitaines, des chapeaux, des mocassins, des pantoufles et d’autres objets d’artisanat : certains de ces biens sont destinés au commerce, d’autres aux membres de sa famille et de sa collectivité. De plus, il consomme la viande des animaux piégés et la partage avec les membres de sa famille et de sa communauté. Le piégeage permet également au demandeur de transmettre ses connaissances et compétences traditionnelles à d’autres membres de Mikisew. Pour les trappeurs de Mikisew, une cabane de récolte des ressources peut se révéler nécessaire aux fins de l’exercice de leurs droits issus du Traité, car elle leur fournit un abri en hiver, leur permet de rester à proximité des lignes de piégeage, qui doivent être entretenues, en plus de constituer un lieu de préparation des appâts et des collets ainsi que pour le dégel et le séchage des fourrures.

[7]  À l’été 2014, le demandeur s’est rendu au bureau de Parcs Canada et a demandé une trousse de demande relative à une cabane de récolte. Il a indiqué qu’il prévoyait de construire la cabane sur les rives du lac Pine. À ce moment-là, on lui avait dit que les cabanes de récolte n’étaient pas autorisées à moins de 800 mètres de la rive du lac Pine pour des raisons liées à la sécurité du public et parce que c’était la principale aire de loisirs du PNWB. En octobre 2014, Parcs Canada a découvert un chemin de traverse non autorisé allant de la route de la Pointe-Kettle jusqu’au lac Pine, le long d’un sentier de randonnée officiel, et le début de construction d’une cabane à environ 34 mètres de la rive du lac Pine. Parcs Canada a communiqué avec le demandeur, qui a confirmé qu’il s’agissait bien de sa construction et qu’il avait l’intention de la poursuivre. En novembre 2014, Parcs Canada a rencontré les chefs des Premières Nations cries de Salt River, de Smith’s Landing et de Mikisew pour discuter de la construction de la cabane de récolte par le demandeur. Les chefs de Salt River et de Smith’s Landing ont exprimé leur appui à la restriction imposée aux cabanes de récolte situées à moins de 800 mètres du lac Pine et ils étaient d’avis que Parcs Canada devrait appliquer cette restriction. De nombreuses communications avec le demandeur ont suivi, notamment pour lui expliquer les raisons pour lesquelles l’emplacement qu’il avait choisi pour la cabane n’était pas approprié et que la construction devait cesser. Le demandeur a refusé de mettre fin à sa construction, et, finalement, Parcs Canada a retiré la cabane partiellement construite et a tenté de restaurer le site. Parcs Canada a informé le demandeur que ses matériaux de construction étaient disponibles pour le ramassage.

[8]  Le 11 juillet 2017, le demandeur a soumis à Parcs Canada une demande relative à une cabane de récolte traditionnelle [la demande de permis], y compris un addenda détaillé dans lequel il décrivait ses antécédents de trappeur et de personne visée par un traité, en expliquant pourquoi il souhaitait construire une cabane, pourquoi il a choisi l’emplacement qu’il occupait — c’était le même emplacement que celui où il avait déjà commencé des travaux de construction — et d’autres facteurs qui, selon lui, étayaient sa demande. La demande de permis comprenait également des lettres d’appui de membres individuels de Salt River, Mikisew et Smith’s Landing.

[9]  Le 28 juillet 2017, le demandeur a demandé des nouvelles au sujet de la demande et a offert son aide dans le processus de demande en répondant à des questions, en apportant des éclaircissements ou en consultant des groupes autochtones potentiellement concernés. Dans un courriel du 15 août 2017, le directeur a confirmé la réception de la demande de permis. Il a souligné que la demande, dans les faits, visait à obtenir une dispense de la politique de Parcs Canada interdisant les cabanes de récolte traditionnelle à moins de 800 mètres du lac Pine. Le directeur a déclaré que Parcs Canada avait commencé à examiner le dossier, ainsi que la correspondance et les renseignements recueillis entre 2014 et 2016 concernant l’emplacement proposé pour la cabane, et informerait le demandeur si d’autres renseignements étaient nécessaires. Le 30 août 2017, le demandeur a écrit une fois de plus au directeur, lui disant qu’il avait droit à un processus équitable et que, s’il ne devait pas participer aux consultations avec d’autres groupes ou personnes autochtones, il s’attendait alors à ce que le directeur communique les détails de ces consultations et donne au demandeur la possibilité de répondre. De plus, sa demande de permis devait être évaluée en temps opportun, d’une manière qui tient compte de ses droits issus du Traité. Dans un courriel daté du 21 septembre 2017, le directeur a répondu en s’attachant aux délais en cause, précisant que Parcs Canada était en train de recueillir de l’information sur les positions des trois groupes autochtones concernés dans le dossier. Dès réception des réponses de ces groupes, Parcs Canada ferait part de leurs positions au demandeur, qui aurait alors la possibilité de réagir aux points de vue exprimés. Le demandeur a envoyé des lettres de suivi le 21 décembre 2017 et le 26 février 2018.

[10]  Le 6 avril 2018, le directeur a écrit au demandeur pour l’informer que sa demande de permis avait été rejetée. Il s’agit de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Dans sa lettre, le directeur a déclaré que, comme il est indiqué dans une correspondance antérieure, Parcs Canada reconnaissait que le demandeur a des droits de récolte dans le PNWB, en vertu du Traité no 8. Cependant, il était d’avis que l’emplacement proposé pour la cabane de récolte n’était pas approprié pour un certain nombre de raisons, notamment les cinq qui étaient ensuite énumérées.

[12]  Premièrement, Salt River et Smith’s Landing ont des terres de réserve sur le lac Pine. Les ententes sur les droits fonciers issus de traités [les EDFIT] qu’elles ont conclues avec le Canada les engagent, ainsi que Parcs Canada, à coopérer dans le cadre de consultations continues sur les questions d’utilisation et de gestion des terres autour du lac Pine, tant sur les terres de réserve que sur les terres adjacentes de Parcs Canada. Comme la récolte et les cabanes de récolte étaient auparavant interdites à moins de 800 mètres du lac Pine, toute modification de la politique d’utilisation des terres serait assujettie au respect des engagements pris en vertu des EDFIT et nécessiterait des consultations et des discussions avec Salt River et Smith’s Landing.

[13]  Deuxièmement, Salt River avait manifesté son opposition à la construction d’une cabane de récolte à l’emplacement proposé par le demandeur.

[14]  Troisièmement, l’emplacement proposé se situe à l’intersection de deux sentiers publics et à proximité d’un terrain de stationnement au début du sentier. Les sentiers et les aires de stationnement au début des sentiers font partie des installations accessibles aux visiteurs de l’aire de loisirs du lac Pine. Bien que le PNWB soit le plus grand parc national du Canada, Parcs Canada ne possède qu’un très petit nombre d’installations pour les visiteurs destinées au public. Les infrastructures de récolte des ressources sur ces installations ou adjacentes à celles-ci sont incompatibles avec la fréquentation et la jouissance de l’aire par tous les visiteurs du parc.

[15]  Quatrièmement, pour des raisons de sécurité publique, la récolte n’est pas autorisée à moins de 800 mètres du lac Pine entre le 1er avril et le 31 octobre de chaque année, car il s’agit d’une période de forte fréquentation. Un autre emplacement, éloigné des installations pour visiteurs et situé à plus de 800 mètres du lac, serait plus approprié pour la cabane, car la cabane pourrait être utilisée pour la récolte tout au long de l’année et présenter moins de problèmes de sécurité et moins d’incidences potentielles sur les terres de réserve d’autres groupes autochtones et d’autres utilisateurs du parc.

[16]  Enfin, le plan directeur de 2010 du parc (le plan directeur de 2010 du PNWB [le plan directeur]) met en évidence la zone du lac Pine et indique le rôle important joué par Salt River et Smith’s Landing dans cette région : « L’approche de gestion par zone du lac Pine vise à fournir au parc national Wood Buffalo, à la Première nation de Smith’s Landing et à la Première nation de Salt River un plan qui fait la promotion d’activités compatibles d’exploitation et d’aménagement des terres appartenant à la réserve et au parc, dans le secteur du lac Pine. »

[17]  Comme cela a déjà été mentionné, le directeur a déclaré que la plupart des terres du PNWB sont disponibles pour la construction, avec un permis, d’une cabane de récolte des ressources accessoire à l’exercice des droits de récolte garantis par le Traité no 8, que Parcs Canada avait offert de travailler avec le demandeur pour trouver un autre emplacement qui serait mutuellement acceptable et lui avait expliqué les raisons de ses réserves quant à l’emplacement proposé actuel. Parcs Canada a réitéré son désir de travailler avec le demandeur à cet égard et a précisé que l’Agence soutenait pleinement les droits de récolte et accessoires du demandeur, droits issus du Traité no 8, tout en s’efforçant d’être également respectueuse des droits des autres bénéficiaires du Traité no 8 et de fournir des installations de loisirs de base aux visiteurs du parc dans quelques endroits limités.

[18]  Je remarque que le dossier certifié du tribunal [le DCT] contient également un document de 12 pages avec pièces jointes, intitulé « Record of Decision – Robert Grandjambe Jr’s request for an exemption to build a harvesting cabin at Pine Lake Wood Buffalo National Park » [compte rendu de décision — demande d’exemption de Robert Grandjambe fils visant la construction d’une cabane de récolte au lac Pine, dans le parc national du Canada Wood Buffalo] [le compte rendu de décision], qui expose la justification de la décision. Le compte rendu de décision doit être considéré comme faisant partie de la décision et peut être pris en considération au moment d’évaluer le caractère adéquat des motifs (Mitchell c Canada, 2015 CF 1117, au par. 28 à 31). De même, il est loisible à un tribunal, s’il y a lieu, de consulter le dossier pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision. Le tribunal peut aussi utiliser le dossier pour compléter l’analyse de la cour de révision, sans pour autant la remplacer (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 15); Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au par. 23–24; Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, au par. 116).

La législation et les lignes directrices pertinentes

Règlement sur le gibier du parc de Wood Buffalo, DORS/78-830

[19]  Le piégeage dans le PNWB est régi par le Règlement sur le gibier du parc de Wood Buffalo, DORS/78-830 [le Règlement sur le gibier du PNWB], pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada (LC 2000, c 32). Les dispositions pertinentes pour la présente demande sont les articles 7, 13 et 14, ainsi que les paragraphes 50(1) à (4) :

7 Il est interdit, entre le 1er avril et le 31 octobre de chaque année, de chasser, piéger ou décharger une arme à feu dans un rayon de 800 m de la rive du lac Pine.

7 No person shall hunt, trap or discharge a firearm within eight hundred metres of the shoreline of Pine Lake from April 1 to October 31 in any year.

[...]

...

13 Le directeur du parc peut délivrer un permis de piégeage autorisant la chasse d’animaux à fourrure au détenteur d’un permis général de chasse dont le nom paraît sur un certificat d’enregistrement applicable à un secteur de piégeage, qu’il en soit le détenteur ou non.

13 A trapping permit authorizing the holder thereof to hunt fur bearing animals may be issued by the superintendent to any person who

(a) is the holder of a general hunting permit; and

(b) is named in a certificate of registration for the trapping area, whether or not he is the holder of the certificate.

14 (1) Le directeur du parc peut délivrer un certificat d’enregistrement applicable à un secteur de piégeage au nom d’une ou de plusieurs personnes à condition que chacune détienne un permis général de chasse.

14 (1) A certificate of registration for a trapping area may be issued by the superintendent to a person either on his own behalf or on behalf of two or more persons, if each person is the holder of a general hunting permit.

(2) Au certificat d’enregistrement visé au paragraphe (1), le directeur du parc peut ajouter le nom d’une autre personne, à condition d’en obtenir l’autorisation écrite

(2) Where a certificate of registration is issued pursuant to subsection (1), the superintendent may add the name of a person to the certificate if written permission is obtained from

a) du détenteur du certificat, lorsqu’il a été délivré au nom d’une seule personne;

(a) the holder of the certificate, where the certificate is issued on behalf of one person;

b) du détenteur du certificat et de la seconde personne, lorsque le certificat a été délivré au nom de deux personnes; ou

(b) the holder of the certificate and the second group member, where the certificate is issued on behalf of two persons; or

c) du détenteur du certificat et de la majorité des membres du groupe, lorsque le certificat a été délivré au nom de trois personnes ou plus.

(c) the holder of the certificate and the majority of the other group members, where the certificate is issued on behalf of three or more persons.

[...]

...

50 (1) Le directeur du parc est autorisé à délivrer un permis de cabane de trappeur aux personnes inscrites sur un certificat d’enregistrement.

50 (1) The superintendent is authorized to issue a trapper’s cabin permit to any person named in a certificate of registration.

(2) Pour obtenir un permis de cabane de trappeur il faut remplir le formulaire distribué à cette fin par le directeur du parc et fournir, le cas échéant, les renseignements complémentaires qu’il peut exiger.

(2) An application for a trapper’s cabin permit shall

(a) be made on a form supplied by the superintendent; and

(b) contain the information required by the form and any additional information requested by the superintendent.

(3) Il est interdit de construire ou de transformer un bâtiment ou une construction dans le parc, en contravention aux conditions d’un permis de cabane de trappeur.

(3) No person shall erect or alter any building, cabin or structure in the Park unless he does so under and in accordance with a trapper’s cabin permit.

(4) Le directeur du parc peut refuser de délivrer le permis de cabane de trappeur si la forme ou les dimensions de la cabane prévue sont incompatibles avec l’emplacement proposé.

(4) The superintendent may refuse to issue a trapper’s cabin permit if the proposed trapper’s cabin is not compatible in design or size with the proposed location.

Wood Buffalo National Park Application for Traditional Harvesting Cabin [Demande relative à une cabane de récolte traditionnelle des ressources dans le parc national du Canada Wood Buffalo]

[20]  Parcs Canada a élaboré le document intitulé « Wood Buffalo National Park Application for Traditional Harvesting Cabin [Demande relative à une cabane de récolte traditionnelle des ressources dans le parc national du Canada Wood Buffalo] », conformément au paragraphe 50(2) du Règlement sur le gibier du PNWB, qui prévoit, que pour obtenir un permis de cabane de trappeur, il faut remplir le formulaire distribué à cette fin par le directeur du parc et fournir, le cas échéant, les renseignements complémentaires qu’il peut exiger.

[21]  Cette demande vise à obtenir des renseignements sur un demandeur ainsi que sur la cabane prévue et comprend également les « WBNP Generic Environmental Assessment Screening Guidelines for Traditional Harvesting Cabin Applications » [PNWB – Évaluation environnementale générale – Lignes directrices sur l’examen préalable des demandes relatives à une cabane de récolte traditionnelle] [les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte]. Celles-ci sont censées s’appliquer aux membres visés par le Traité no 8 et aux Métis qui sont des trappeurs enregistrés dans le parc. Elles décrivent également le processus de demande, notamment : qu’un minimum de six semaines sera alloué au traitement des demandes; que, dans la mesure du possible, le personnel du parc et le demandeur effectueront une visite sur place au cours de laquelle les répercussions potentielles sur les ressources naturelles et culturelles, les dangers pour la sécurité du public et toute autre préoccupation seront cernés, et leur importance, évaluée; qu’une analyse d’impact environnemental sera réalisée pour évaluer les impacts et déterminer tout changement touchant la construction de la cabane susceptible de les atténuer; et que le PNWB consultera les organisations autochtones concernées autour du parc et que les demandeurs sont encouragés à participer à ces consultations de leur propre initiative dans le but d’obtenir le soutien des personnes s’adonnant à la récolte dans le secteur. Les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte prévoient également que certaines restrictions s’appliquent à la construction de cabanes à usage traditionnel afin de garantir la sécurité des visiteurs et la conservation, en précisant ce qui suit :

[traduction

Les cabanes ne seront pas approuvées aux emplacements suivants; il ne s’agit pas d’une liste exhaustive :

Tous les secteurs désignés de la zone 1, y compris les aires de nidification de la grue blanche et les plaines salées.

À moins de 800 m du lac Pine, aires de fréquentation diurne, sentiers récréatifs, campings collectifs, terrains de camping dans l’arrière-pays (exemple : lac Rainbow).

Sweetgrass Landing et poste Sweetgrass.

[22]  Les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte traitent aussi des questions relatives à l’emplacement des cabanes; à titre d’exemple, elles prévoient que la cabane et tous les bâtiments connexes (p. ex. toilette extérieure et remise de stockage de combustible) doivent être à au moins 31 mètres (100 pieds) du plan d’eau le plus proche.

Question préliminaire – L’admissibilité en preuve des affidavits

[23]  À l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a déposé un affidavit de 89 paragraphes, souscrit le 9 juillet 2018 [l’affidavit de M. Grandjambe], ainsi qu’un affidavit du chef Archie Waquan, de la Première Nation crie Mikisew, souscrit le 9 juillet 2018 [l’affidavit de M. Waquan].

[24]  Les défendeurs notent qu’une grande partie de cette preuve par affidavit fait double emploi avec le contenu du dossier dont disposait le directeur ou n’est pas contestée. Toutefois, une partie du contenu des affidavits n’avait pas été portée à la connaissance du directeur lorsqu’il a pris la décision faisant l’objet du contrôle. Les défendeurs ont signalé ce contenu dans l’annexe B de leurs observations écrites et soutiennent que cet élément de preuve devrait se voir accorder peu de poids, voire aucun.

[25]  En règle générale, le dossier de la preuve qui est soumis à la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de la preuve dont disposait le décideur. Autrement dit, les éléments de preuve qui auraient pu être portés à la connaissance du décideur ne sont pas admissibles devant la cour de révision. En effet, le législateur a attribué aux décideurs administratifs et aux cours de justice des rôles différents. Ce sont les décideurs administratifs, et non les cours de justice, qui ont compétence pour trancher certaines questions sur le fond. Une cour de justice ne saurait se permettre de tirer des conclusions de fait sur le fond de l’affaire. Toutefois, il existe des exceptions reconnues à cette règle générale, notamment l’admission en preuve d’un affidavit qui contient des informations générales susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, qui porte à l’attention de la Cour des vices de procédure qui ne peuvent être décelées dans le dossier de preuve, ou qui fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux par. 19 et 20; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux par. 13 à 28).

[26]  Bien que le demandeur reconnaisse la règle générale, il soutient que la preuve par affidavit contestée devrait être admise, car elle contient des renseignements qui auraient été portés à la connaissance du directeur si ce dernier avait tenu sa promesse de donner au demandeur l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées concernant la demande de permis. En outre, il fait valoir que cela est nécessaire, compte tenu de la nature constitutionnelle des questions soulevées par les demandes. C’est-à-dire, que la décision du directeur portait atteinte de manière injustifiée aux droits issus du Traité du demandeur et était déraisonnable, entre autres, parce qu’elle ne respectait pas l’honneur de la Couronne.

[27]  À mon avis, dans la mesure où le demandeur fait valoir qu’il aurait porté les renseignements contenus dans les affidavits à la connaissance du directeur s’il avait su que le directeur n’allait pas l’informer des résultats de ses consultations menées auprès de Salt River et de Smith’s Landing, cela ne rend pas le contenu admissible en preuve. En effet, le contenu contesté des affidavits concerne principalement ses antécédents de piégeage et ceux de sa famille. Il ne se rapporte pas directement à l’allégation de manquement à l’équité procédurale découlant de l’incapacité du directeur de communiquer au demandeur les résultats de ses consultations auprès de Salt River et de Smith’s Landing, ainsi que des préoccupations de ces Premières Nations quant à l’emplacement proposé de la cabane de récolte. Les défendeurs reconnaissent que les paragraphes 59, 62, 68, 87 et 89 de l’affidavit de M. Grandjambe portent bel et bien sur le manquement allégué à l’équité procédurale et relèvent donc de l’exception relative à l’équité procédurale; ils ne contestent pas l’admissibilité en preuve de ces paragraphes. Je remarque également que le demandeur connaissait le contenu contesté avant la décision du directeur et que rien ne permet non plus d’expliquer pourquoi il n’aurait pas pu être porté à la connaissance du directeur dans la demande de permis. D’autres paragraphes contestés de l’affidavit de M. Grandjambe répondent directement à la décision du directeur ou expriment le point de vue du demandeur relativement à l’incidence de cette décision sur sa capacité de piéger sur son territoire de piégeage.

[28]  Dans la mesure où les éléments de preuve contestés portent sur le fond de l’affaire et auraient pu être fournis auparavant, mais ne l’ont pas été, ils ne sont pas admissibles en preuve. Les éléments de preuve directement liés au manquement allégué à l’équité procédurale sont admissibles en preuve. En ce qui concerne les éléments de preuve qui, selon le demandeur, traiteraient de l’atteinte à ses droits issus du Traité, ils ne sont pas pertinents, compte tenu de ma conclusion ci-dessous selon laquelle cette question ne peut pas être réglée au moyen de la présente demande de contrôle judiciaire.

[29]  Par conséquent, les paragraphes 5, 7, 9, 13 à 15, 18, 20 à 24, 26 à 44, 50 à 53, 56 et 69 à 77 de l’affidavit de M. Grandjambe sont inadmissibles en preuve, car ils traitent d’éléments de preuve dont le directeur ne disposait pas et qu’ils ne relèvent d’aucune des exceptions à cette règle générale. Les pièces D à H visées dans ces paragraphes sont donc elles aussi inadmissibles en preuve.

[30]  En ce qui concerne l’affidavit de M. Waquan, les défendeurs soulignent qu’il contient de nouveaux renseignements et points de vue, qui ne se trouvent pas dans le dossier, au sujet de la chasse dans le PNWB, de Mikisew et du Règlement sur le gibier du PNWB. Les défendeurs soutiennent que, bien que la plupart des éléments contenus dans cet affidavit ne soient pas contestés, celui-ci n’était pas non plus à la disposition du directeur. À mon avis, pour les mêmes motifs que ceux exposés relativement à l’affidavit de M. Grandjambe, les paragraphes 2 à 20 et le paragraphe 22, en partie (la troisième phrase, le témoignage d’opinion), de l’affidavit de M. Waquan sont également inadmissibles en preuve.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[31]  À mon avis, les questions à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire peuvent être formulées comme suit :

  1. La décision de refuser la demande de permis était-elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

  3. Est-ce l’instance appropriée pour examiner si la décision a porté atteinte aux droits issus du Traité du demandeur? Dans l’affirmative, ces droits ont-ils été violés?

[32]  Les parties soutiennent, et je conviens, qu’une norme de la décision raisonnable s’applique à la décision elle-même. La Cour a déjà jugé qu’une décision discrétionnaire prise par le directeur d’un parc national, conformément aux pouvoirs qui lui conférés par la loi, pouvait être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Société pour la nature et les parcs du Canada c Maligne Tours Ltd, 2016 CF 148, au par. 27; Sunshine Village Corporation c Agence Parcs Canada, 2014 CF 604, au par. 30; Burley c Canada (Procureur général), 2008 CF 588, au par. 9). Les parties conviennent également que la décision doit être conforme à la Constitution (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, aux par. 205, 224, 226 [Tsleil-Waututh]) et que la prise en considération des questions constitutionnelles dans la décision peut être considérée comme un aspect du caractère raisonnable (Ktunaxa Nation c Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resources Operations), 2017 CSC 54, aux par. 77 et 82).

[33]  En ce qui concerne la deuxième question en litige, la norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43). Cela dit, le juge Rennie de la Cour d’appel fédérale a récemment déclaré qu’un tribunal qui évaluait un argument relatif à l’équité procédurale était tenu de se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]. Et, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux par. 54 à 56).

La première question en litige : La décision de refuser la demande de permis était-elle raisonnable?

La position du demandeur

[34]  Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, car elle n’appartient pas aux issues possibles et raisonnables et qu’elle n’est pas expliquée de manière adéquate par les raisons. Il soutient en outre que le directeur a exercé de façon déraisonnable le pouvoir discrétionnaire restreint conféré par le paragraphe 50(4) du Règlement sur le gibier du PNWB d’une manière incompatible avec l’honneur de la Couronne. Le demandeur explique ensuite pourquoi, à son avis, chacune des cinq raisons invoquées par le directeur est déraisonnable.

[35]  Premièrement, le demandeur soutient que le directeur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en invoquant la politique interdisant la construction de cabanes de récolte à moins de 800 mètres du lac Pine. Il s’agit d’une politique non écrite, et la décision n’explique pas pourquoi les cabanes de récolte diffèrent en principe des autres cabanes qui sont actuellement en place dans la zone tampon de 800 mètres, et aucune des circonstances propres à l’affaire n’a été prise en compte. Au lieu de cela, le directeur s’en est remis, de façon inadmissible, à la politique. De plus, le directeur a expliqué qu’un changement de la politique visant à autoriser les cabanes de récolte à moins de 800 mètres du lac Pine exigerait des consultations auprès de Salt River et de Smith’s Landing, sans toutefois expliquer en quoi une obligation de tenir des consultations rend l’emplacement proposé déraisonnable.

[36]  Deuxièmement, le demandeur soutient qu’il était également déraisonnable que le directeur s’appuie, sans explication, sur l’opposition de Salt River à la construction de la cabane de récolte à l’emplacement proposé. Selon le demandeur, le dossier ne contient aucun fondement pour l’opposition de Salt River et fait fi des éléments de preuve qu’il a produits à l’appui de la construction. Le dossier ne contient pas non plus d’éléments de preuve selon lesquels la cabane prévue aurait une incidence défavorable sur les droits ou les intérêts de Salt River. En s’en remettant à l’opposition de Salt River, le directeur a de nouveau entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[37]  En ce qui concerne le troisième motif du directeur, le demandeur soutient que le directeur n’a pas expliqué en quoi la cabane proposée était incompatible avec la fréquentation du parc par les visiteurs. Alors que le directeur souligne la présence d’un stationnement, de sentiers de randonnée et d’une route, il n’explique pas pourquoi ces caractéristiques sont incompatibles avec la présence d’une cabane de récolte des ressources. L’utilisation proposée ne sera incompatible que si elle est contraire à l’objectif qui sous-tend l’occupation du parc par la Couronne et empêche la réalisation de cet objectif (R c Sundown, [1999] 1 RCS 393, aux par. 9 et 41 [Sundown]). Les éléments de preuve et les motifs de la décision n’indiquent pas que la cabane de récolte prévue empêcherait les visiteurs du parc de se livrer à des activités de loisirs. Au contraire, les éléments de preuve non contestés du demandeur montrent que la cabane prévue est parfaitement compatible avec cet objectif et que le directeur ne pouvait tirer une conclusion à l’effet contraire sans donner de motifs. Qui plus est, le caractère déraisonnable de la décision est accentué par son contexte constitutionnel. Pour être conforme à l’honneur de la Couronne, le refus devait être raisonnable et s’accompagner d’une explication valable pour refuser de permettre au demandeur de jouir de son droit issu du Traité. Cependant, les motifs fournis par le directeur ne satisfont pas à cette norme.

[38]  Quatrièmement, le demandeur soutient que le directeur a conclu de manière déraisonnable que l’emplacement proposé de la cabane de récolte soulevait des problèmes de sécurité. Cette conclusion fait fi des éléments de preuve produits par le demandeur selon lesquels il ne mènerait pas d’activités de récolte à moins de 800 mètres du lac Pine. De plus, le directeur a omis d’expliquer en quoi la cabane prévue aurait un impact sur les terres de la réserve et les autres utilisateurs du parc, de manière à rendre la cabane incompatible avec l’emplacement choisi.

[39]  Enfin, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part du directeur de s’appuyer sur le plan directeur. L’approche de gestion par zone du lac Pine n’a pas encore été élaborée, et la décision n’indique pas pourquoi le directeur estime que la cabane prévue est incompatible avec le plan directeur.

[40]  Le demandeur soutient que, dans l’ensemble, les motifs ne constituent pas un fondement juridique, constitutionnel ou administratif permettant de rejeter sa demande de permis et n’admettent qu’un résultat raisonnable : la compatibilité de la cabane et de ses utilisations projetées avec l’emplacement proposé.

La position des défendeurs

[41]  Les défendeurs soutiennent que, dans son ensemble et à la lumière du dossier, la décision était raisonnable. Il convient de faire preuve de déférence envers le point de vue des responsables du parc selon lequel une mesure donnée est cohérente avec le respect des devoirs généraux imposés par la loi (Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2003 CAF 197, aux par. 45, 68 et 69, 99). Le directeur était obligé de pondérer des intérêts divergents et, dans une certaine mesure, inconciliables. Ce faisant, il a fait état de considérations stratégiques clés, notamment les droits issus du Traité du demandeur, les droits et intérêts des Premières Nations à proximité, l’intégrité écologique, l’expérience du visiteur, y compris des préoccupations liées à la sécurité, la disponibilité d’autres emplacements appropriés et le plan directeur. Il a ensuite mis en balance les avantages et les inconvénients de l’emplacement proposé de la cabane par le demandeur et les préoccupations stratégiques pertinentes.

[42]  En ce qui concerne les droits issus du Traité du demandeur, le fait que les droits issus du Traité du demandeur et de Mikisew constituaient une question d’importance fondamentale pour les besoins de l’examen de la demande de permis était dûment reconnu dans la décision. Le droit issu du Traité d’avoir une cabane de récolte dans le PNWB est mentionné à plusieurs reprises, et le directeur a indiqué que la présence d’une cabane de récolte à l’extérieur de la zone de loisirs de 800 mètres autour du lac Pine ne soulèverait aucun problème. En outre, une carte de 2013 montre des dizaines de cabanes de récolte de Mikisew dans le PNWB. En l’espèce, le directeur était préoccupé par l’emplacement précis de la cabane prévue et son impact sur d’autres droits et intérêts.

[43]  Le directeur a également consulté comme il se doit les deux Premières Nations situées le plus près de la cabane de récolte prévue, ainsi que Mikisew. Ce faisant, il a respecté les droits issus du Traité de Salt River et de Smith’s Landing et s’est acquitté des obligations énoncées dans les EDFIT. Cela reflétait également la politique de Parcs Canada concernant le travail en collaboration en matière d’utilisation et de gestion des terres, comme en témoigne le plan directeur.

[44]  Le directeur a également tenu compte de la préservation de l’environnement et des répercussions sur la fréquentation du parc. Les pouvoirs étendus du directeur pour gérer le parc et les activités de récolte vont au-delà de la compatibilité des emplacements, de la conception et la taille des cabanes de récolte. Quoi qu’il en soit, une cabane de récolte, peu importe sa forme ou ses dimensions, serait incompatible avec l’emplacement proposé par le demandeur à l’intérieur de la zone de 800 mètres. Les motifs expliquent l’importance du lac Pine; il s’agit en effet du site le plus visité du PNWB et de l’un des rares endroits accessibles au public par véhicule. De plus, la cabane prévue est située à la jonction de deux sentiers et à proximité d’un terrain de stationnement au début du sentier. Les activités de récolte sont incompatibles avec la fréquentation et la jouissance de ces zones par tous les visiteurs du parc. La restriction de 800 mètres imposée à la récolte ou aux cabanes de récolte protège la qualité de l’expérience des visiteurs et la sécurité du public.

[45]  Dans la décision, la possibilité de trouver d’autres emplacements pour la cabane du demandeur est analysée, et il est raisonnablement conclu qu’une cabane de récolte pourrait être située ailleurs et tout de même répondre aux besoins du demandeur. Le directeur connaît très bien le PNWB, et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire commande la retenue. Par ailleurs, bien que le demandeur soulève à ce stade-ci, par l’entremise de l’affidavit de M. Grandjambe, de nouvelles raisons pour lesquelles d’autres emplacements sont inadéquats, celles-ci n’avaient pas été portées à l’attention du directeur et ne peuvent servir à contester le caractère raisonnable de la décision.

[46]  En résumé, la décision conclut raisonnablement que l’emplacement choisi par le demandeur n’est pas le seul endroit du PNWB qui répondrait à ses besoins ou lui permettrait d’exercer ses droits issus du Traité sans contrainte excessive.

Analyse

[47]  À mon avis, il est utile de commencer par exposer certaines dispositions législatives et certains autres renseignements de fond afin de fournir un contexte à cette question.

[48]  À cet égard, il convient de souligner que le paragraphe 2(2) de la Loi sur les parcs nationaux du Canada prévoit que cette loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon le paragraphe 4(1), les parcs sont créés à l’intention du peuple canadien pour son bienfait, son agrément et l’enrichissement de ses connaissances, sous réserve de la loi et des règlements; ils doivent être entretenus et utilisés de façon à rester intacts pour les générations futures. Les parcs sont placés sous l’autorité du ministre (par. 8(1)). La préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques sont la première priorité du ministre pour tous les aspects de la gestion des parcs (par. 8(2)). Quant aux plans de gestion, dans les cinq ans suivant la création d’un parc, le ministre est tenu d’établir un plan directeur de celui-ci qui présente des vues à long terme sur l’écologie du parc et prévoit un ensemble d’objectifs et d’indicateurs relatifs à l’intégrité écologique, et des dispositions visant la protection et le rétablissement des ressources, les modalités d’utilisation du parc par les visiteurs, le zonage, la sensibilisation du public et l’évaluation du rendement; il le fait déposer devant chaque chambre du Parlement. En l’occurrence, ce plan est le plan directeur.

[49]  Le plan directeur indique que le PNWB, d’une superficie de 44 807 km², est le plus grand parc national au Canada, un site du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (l’UNESCO) et le deuxième parc national au monde pour sa superficie. Il énonce également trois stratégies clés, la première étant « Vers une vision commune », qui est axée sur la création de liens avec les groupes autochtones et les collectivités locales. Parcs Canada travaillera à l’établissement d’une structure de gestion avec les groupes autochtones locaux, reconnaissant que l’intégrité écologique et les ressources culturelles seront améliorées grâce au soutien de ces groupes. Les collectivités seront informées des décisions de gestion du parc et auront l’occasion d’y participer de façon active et significative; aussi, les groupes autochtones et les collectivités locales seront mobilisés pour l’expérience du visiteur et les efforts d’éducation du public. Quant aux approches de gestion par zone, le plan directeur souligne qu’il en existe deux, dont celle visant le lac Pine, et que les approches de gestion par zone permettent d’assurer une gestion plus efficace de certains emplacements géographiques précis du parc, pour lesquels une planification plus détaillée s’impose. L’approche de gestion par zone du lac Pine a pour objet de promouvoir l’utilisation et l’aménagement compatible des terres des réserves et du parc qui s’y trouvent. Le plan directeur précise que les stratégies clés et approches de gestion par zone amélioreront la conservation de l’écosystème et favoriseront les initiatives en matière d’expérience du visiteur.

[50]  La section 6.2 du plan directeur porte sur l’approche de gestion par zone du lac Pine. Il y est mentionné que les eaux turquoise du lac Pine sont un incontournable du PNWB. Le lac est formé par plusieurs dolines qui se sont fusionnées et est également alimenté par des sources souterraines. Le lac Pine est entouré d’une forêt boréale mixte et c’est « un bien communautaire hautement valorisé pour ses possibilités récréatives ». Les terres qui entourent le lac Pine sont partagées par trois groupes : Parcs Canada, Salt River et Smith’s Landing. Des EDFIT octroient à ces Premières Nations une parcelle de terre du côté est du lac Pine. Ces terres, qui se touchent à l’extrémité du lac, sont accessibles à pied, en faisant le tour du lac, ou par bateau, en traversant le lac. Il n’y a encore aucun aménagement. Du côté ouest du lac Pine, les terres de Parcs Canada contiennent le seul camping doté de services du parc. La fréquentation y est modérée pendant l’été. On y trouve également un amphithéâtre, et, non loin du camping, se trouve une aire de fréquentation diurne, qui peut accueillir dix groupes. À l’extrémité sud du lac, il y a un camping collectif accessible par une route peu nivelée; celui-ci peut recevoir 50 personnes. Sur la rive nord-ouest du lac, il y a des chalets du parc de même qu’une aire de stationnement public et une rampe de mise à l’eau. En outre, 16 chalets privés sont situés sur la rive ouest du lac, sur des terres de la Couronne.

[51]  Le plan directeur contient le passage suivant :

L’approche de gestion par zone du lac Pine vise à fournir au parc national Wood Buffalo, à la Première nation de Smith’s Landing et à la Première nation de Salt River un plan qui fait la promotion d’activités compatibles d’exploitation et d’aménagement des terres appartenant à la réserve et au parc, dans le secteur du lac Pine. Cette approche donnera des possibilités d’exploitation durable des terres qui sont conformes aux besoins et exigences de la Première nation de Smith’s Landing et de la Première nation de Salt River, comme le stipule leur entente sur les droits issus de traités, et à ceux de Parcs Canada, comme le stipule la Loi sur les parcs nationaux du Canada.

L’approche de gestion par zone du lac Pine est liée aux stratégies clés Vers une vision commune et La magie irrésistible des plaines boréales.

[52]  Le plan directeur mentionne également la gestion participative des parcs nationaux avec les groupes autochtones environnants. La section 8.0 du plan directeur est intitulée « Zonage et constitution de réserves intégrales ». Il y est indiqué que Parcs Canada a adopté un système de zonage pour lui permettre de tenir compte des principes de l’intégrité écologique en protégeant les terres et les ressources des parcs et en limitant les changements produits par les humains. Ce système classe les secteurs des parcs nationaux en fonction du niveau de protection à leur accorder et il établit des limites quant aux utilisations qui peuvent être faites dans un parc, par exemple en évaluant dans quelle mesure les secteurs se prêtent à des activités. Le PNWB compte cinq zones :

Zone I – Préservation spéciale (10 p. 100 de la superficie du parc)

Zone II – Milieu sauvage (86 p. 100 de la superficie du parc)

Zone III – Milieu naturel (3 p. 100 de la superficie du parc)

Zone IV – Loisirs de plein air (1 p. 100 de la superficie du parc)

Zone V – Services du parc (0 p. 100 de la superficie du parc)

[53]  Le plan directeur indique que les secteurs classés zone IV offrent aux visiteurs diverses possibilités récréatives qui les aident à mieux comprendre le patrimoine du parc, à l’apprécier à sa juste valeur et à en profiter pleinement. Les installations et services essentiels sont fournis de façon à avoir un impact minimal sur l’intégrité écologique du parc. Le lac Pine est désigné comme centre de villégiature selon l’annexe II du Règlement sur les baux et les permis d’occupation dans les parcs nationaux dans les parcs nationaux du Canada, et il est désigné zone IV. Des chalets y sont loués depuis 1961, et le lotissement de chalets déjà arpenté contient actuellement 16 chalets.

[54]  La section 9.0, « Administration et exploitation du parc », traite de l’administration des droits fonciers issus de traités, en soulignant que de récentes négociations avec Mikisew, Smith’s Landing et Salt River ont permis la conclusion d’EDFIT, lesquelles ont mené à la création de réserves indiennes à l’intérieur des limites du parc. Des négociations se poursuivent avec d’autres groupes; l’issue de chacune de ces négociations aura des conséquences sur la gestion du parc et, si on se fie aux expériences précédentes, de nouvelles occasions de collaboration naîtront en ce qui a trait à la gestion des ressources écologiques et culturelles du parc, ainsi qu’à l’amélioration de l’expérience du visiteur.

[55]  Le dossier contient également les EDFIT que Salt River et Smith’s Landing ont conclues avec Parcs Canada. Selon l’annexe I de l’EDFIT de Salt River, Parcs Canada et Salt River cherchent à établir leurs objectifs communs et un cadre de consultation concernant les terres de réserve situées dans le parc et à travailler en collaboration avec Smith’s Landing pour aborder les problèmes liés à l’utilisation et à la gestion des terres qui touchent la réserve de Salt River, laquelle est adjacente à la réserve de Smith’s Landing; en outre, Parcs Canada et Salt River se sont engagés à mener entre elles des consultations continues relativement à l’aménagement du territoire en ce qui concerne les terres de réserve et les terres adjacentes du parc. La section 8.1 prévoit que chacune de ces entités nommera des membres au comité consultatif sur l’utilisation des terres du lac Pine, qui s’efforcera de parvenir à un consensus et donnera son avis aux chefs et aux conseils respectifs ainsi qu’au directeur du parc sur des questions spécifiques, notamment les politiques et procédures relatives aux exigences en matière d’aménagement du territoire, de chasse et de sécurité du public. Des dispositions similaires figurent dans l’EDFIT de Smith’s Landing.

[56]  Il est également important de noter d’emblée que, dans la présente affaire, nul ne conteste l’existence des droits de récolte issus du Traité no 8 du demandeur, comme le démontre le dossier. Par exemple, dans sa lettre du 30 novembre 2014 adressée au demandeur à titre de mesure de suivi à une discussion téléphonique entre ce dernier et le directeur de l’époque et en raison des préoccupations de Parcs Canada au sujet de la construction d’une cabane de récolte sur un sentier public au lac Pine, le directeur de l’époque a déclaré qu’il tenait à préciser que Parcs Canada avait reconnu que le demandeur bénéficiait de droits de récolte garantis par le Traité no 8 dans le PNWB, en plus d’énoncer que Parcs Canada avait adopté une approche globale en matière de construction de cabanes, dans la mesure où ces cabanes sont raisonnablement accessoires à la récolte traditionnelle dans le parc. La lettre décrit le processus mis au point par Parcs Canada pour approuver la construction de cabanes de récolte traditionnelle dans le PNWB et explique pourquoi l’emplacement de la cabane choisi par le demandeur était inadéquat. Cela a été répété dans la lettre de Parcs Canada du 6 août 2015, dans laquelle le directeur a déclaré que Parcs Canada reconnaissait que le demandeur avait des droits de récolte dans le PNWB, qui comprenaient le droit accessoire de construire une cabane pour l’exercice de ces droits, mais avait conclu que l’emplacement particulier où le demandeur avait commencé la construction (sans permis) n’était pas approprié pour une cabane de récolte et a expliqué les motifs donnés par Parcs Canada à l’appui de cette conclusion. Dans la première phrase de la lettre de décision du 6 avril 2018, le directeur a de nouveau admis que Parcs Canada reconnaissait que le demandeur avait des droits de récolte garantis par le Traité no 8 dans le PNWB, mais que Parcs Canada était d’avis que l’emplacement proposé de la cabane de récolte n’était pas approprié.

La portée du pouvoir discrétionnaire du directeur

[57]  Les parties ne sont pas d’accord en en qui concerne la portée du pouvoir discrétionnaire du directeur de refuser ou d’approuver la demande d’un permis de cabane de récolte.

[58]  Le demandeur et les défendeurs conviennent que le paragraphe 50(1) du Règlement sur le gibier du PNWB est discrétionnaire. Il permet au directeur de délivrer un permis de cabane de trappeur aux personnes inscrites sur un certificat d’enregistrement.

[59]  Là où les parties ne sont plus du même avis, c’est lorsque le demandeur interprète le paragraphe 50(4) comme limitant considérablement le pouvoir discrétionnaire du directeur de refuser un permis au motif que la cabane prévue n’est ni de forme ni de dimensions compatibles avec l’emplacement proposé. De plus, selon lui, cette compatibilité est une norme élevée qui n’a pas été correctement abordée et qui n’est pas respectée dans la présente affaire. Plus particulièrement, le demandeur soutient que le pouvoir discrétionnaire du directeur est prescrit au paragraphe 50(4) du Règlement sur le gibier du PNWB. La demande de permis ne peut être refusée que « si la forme ou les dimensions de la cabane prévue sont incompatibles avec l’emplacement proposé », et le directeur était tenu d’exercer ce pouvoir discrétionnaire limité d’une manière qui préserve l’honneur de la Couronne. En l’espèce, le nom du demandeur était ajouté à un certificat d’enregistrement applicable au secteur de piégeage 1204; il avait le droit de piéger et, par conséquent, le droit d’obtenir un permis de cabane de trappeur, sauf si la forme ou les dimensions cette cabane étaient incompatibles avec l’emplacement proposé (Règlement sur le gibier du PNWB, par. 2(1), 14(2) et 50(4)). Le demandeur soutient que l’existence de ce pouvoir discrétionnaire limité est expliquée dans l’arrêt R c Adams, [1996] 3 RCS 101, au par. 54 [Adams], lequel montre également qu’un pouvoir discrétionnaire non structuré n’est pas autorisé. Il ajoute que le paragraphe 50(4) du Règlement sur le gibier du PNWB ne traite pas d’emplacements de rechange et que la délivrance de permis ne relève pas de l’aménagement et du zonage du territoire, comme le font valoir les défendeurs.

[60]  Les défendeurs considèrent que le pouvoir discrétionnaire du directeur est vaste et qu’il découle de son mandat général et de ses obligations en matière de gestion et d’administration du parc; il est guidé de façon générale par la Loi sur les parcs nationaux du Canada, le plan directeur et les obligations de Parcs Canada en vertu des EDFIT. En outre, le paragraphe 50(4) n’énonce qu’une situation dans laquelle le directeur « peut refuser » de délivrer un permis de cabane de trappeur. Conformément au paragraphe 50(1), le directeur peut raisonnablement exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser un permis en fonction d’autres facteurs ainsi que de ses connaissances et de son expertise, ce qu’il a fait en l’espèce. Les défendeurs soutiennent qu’il était raisonnable que le directeur tienne compte de considérations stratégiques clés, notamment les droits issus du Traité du demandeur, les droits et intérêts issus du Traité des Premières Nations dans les environs, l’intégrité écologique, l’expérience du visiteur, y compris des préoccupations relatives à la sécurité, la disponibilité de sites de rechange, ainsi que le plan directeur et les stratégies clés qu’il contient, notamment l’offre d’expérience aux visiteurs, la sensibilisation du public, l’éducation, ainsi que la création et l’amélioration des relations avec les partenaires et les parties intéressées.

[61]  Je ne suis pas convaincue que l’arrêt Adams aide le demandeur. Dans cet arrêt, la Cour suprême examinait la question de savoir s’il y avait eu violation d’un droit ancestral et a déclaré ce qui suit :

54  Je suis d’avis que la même analyse ne devrait pas être adoptée pour déterminer s’il y a atteinte aux droits visés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Compte tenu des obligations uniques de fiduciaire qu’a la Couronne envers les peuples autochtones, le Parlement ne peut pas se contenter d’établir un régime administratif fondé sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l’absence d’indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas. Si une loi confère un pouvoir discrétionnaire administratif susceptible d’entraîner d’importantes conséquences pour l’exercice d’un droit ancestral, cette loi ou son règlement d’application doit énoncer des critères précis, balisant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accueillir ou de refuser les demandes et tenant compte de l’existence des droits ancestraux. En l’absence de telles indications précises, la loi ne donne pas aux représentants de l’État des directives suffisantes pour leur permettre de s’acquitter de leurs obligations de fiduciaire, et, suivant le critère établi dans Sparrow, on jugera que la loi porte atteinte aux droits ancestraux.

[62]  La Cour suprême a conclu que le régime était indûment rigoureux envers l’appelant et qu’il lui refusait le recours à son moyen préféré d’exercer ses droits.

[63]  L’argument du demandeur donne à penser que, d’après l’arrêt Adams, l’intention du législateur en mettant en œuvre le paragraphe 50(4) du Règlement sur le gibier du PNWB était de limiter le pouvoir discrétionnaire du directeur dans une situation bien précise, soit lorsque la forme et les dimensions de la cabane prévue n’étaient pas compatibles avec l’emplacement proposé. Toutefois, le demandeur n’a mis de l’avant aucun élément de preuve, autorité ou autre source à l’appui de cette intention implicite du législateur ou de son observation selon laquelle l’arrêt Adams explique le pouvoir discrétionnaire limité que le paragraphe 50(4) confère au directeur.

[64]  Je note également que, par la suite, dans l’arrêt Nation Haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, la Cour suprême semble avoir reconnu qu’une politique et d’autres initiatives pouvaient servir à prévenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et à guider les décideurs :

51  Il est loisible aux gouvernements de mettre en place des régimes de réglementation fixant les exigences procédurales applicables aux différents problèmes survenant à différentes étapes, et ainsi de renforcer le processus de conciliation et réduire le recours aux tribunaux. Comme il a été mentionné dans R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101, par. 54, le gouvernement « ne peut pas se contenter d’établir un régime administratif fondé sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l’absence d’indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas ». Il convient de souligner que, depuis octobre 2002, la Colombie-Britannique dispose d’une politique provinciale de consultation des Premières nations établissant les modalités d’application des lignes directrices opérationnelles des ministères et organismes provinciaux. Même si elle ne constitue pas un régime de réglementation, une telle politique peut néanmoins prévenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et servir de guide aux décideurs.

[65]  En l’espèce, les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte, décrites ci-dessus, font partie de la demande de permis et définissent le processus de demande et les considérations qui entrent en jeu lors de l’évaluation d’une demande. À mon avis, cela sert à atténuer l’allégation de processus décisionnel non structuré formulée par le demandeur, à l’instar du régime général de la Loi sur les parcs nationaux du Canada décrit précédemment.

[66]  Le demandeur pense également que le pouvoir discrétionnaire limité qui, selon lui, est accordé au directeur, est étayé par la maxime expressio unius est exclusio alterius (« la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre »), invoquant les motifs dissidents de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32, au par. 282 [Trinity College].

[67]  Je tiens tout d’abord à souligner que la Cour suprême du Canada a également déclaré qu’il convient de faire preuve de prudence lorsque l’on invoque le principe expressio unius est exclusio alterius à titre d’outil d’interprétation. Dans l’arrêt Turgeon c Dominion Bank, [1930] SCR 67, à la page 70, la Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction

La maxime expressio unius est exclusio alterius énonce un principe qui est appliqué dans l’interprétation des lois et des instruments écrits, et elle a sans aucun doute son utilité lorsqu’elle permet de déceler l’intention; mais, comme on l’a dit, même si ce principe est souvent un précieux serviteur, c’est aussi un maître qu’il est dangereux de suivre. Cela dépendra largement du contexte. Il faut comprendre qu’une règle générale d’interprétation n’est pas toujours présente dans l’esprit du rédacteur, que des accidents surviennent, qu’un manque d’attention peut survenir, que parfois des expressions inutiles sont employées, par excès de prudence, par moindre résistance, pour répondre à un besoin pressant, sans que l’on veuille le moindrement limiter la disposition générale; et l’on considère donc que l’axiome n’est pas d’application universelle.

[68]  Et, dans l’arrêt AYSA Amateur Youth Soccer Association c Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42 :

15  Le texte des dispositions de la LIR concernant les ACESA n’indique pas d’intention expresse du législateur de faire en sorte que le régime applicable aux ACESA occupe le champ de compétence relatif aux associations sportives. En effet, on ne peut lire nulle part dans la LIR que la seule façon pour les organismes sportifs d’obtenir le même traitement fiscal que les organismes de bienfaisance est d’avoir les qualités d’ACESA. En conséquence, pour conclure que le champ de compétence est occupé, il faut interpréter l’établissement explicite du statut d’ACESA pour les associations nationales de sport amateur comme excluant implicitement du statut d’œuvre de bienfaisance toutes les autres organisations sportives. Il convient toutefois de faire preuve de prudence à l’égard d’arguments fondés sur le sens implicite. Comme l’indique le professeur Sullivan :

[traduction]

Le recours à l’exclusion implicite pour cela [déterminer si une disposition est exhaustive] peut être utile, mais il peut aussi induire en erreur. Il faut aux tribunaux la preuve qu’une disposition législative donnée a vocation d’énoncé exhaustif du droit concernant un point. Il n’est pas suffisant de démontrer qu’elle porte expressément ou particulièrement sur ce point. [Note en bas de page omise; p. 266.]

[69]  Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, en l’espèce, le demandeur souligne que rien n’indique que le paragraphe 50(4) du Règlement sur le gibier du PNWB était censé être une disposition d’exclusion exhaustive.

[70]  Quoi qu’il en soit, et à mon avis, l’arrêt Trinity College n’aide pas le demandeur. Dans cette affaire, les juges Côté et Brown discutaient des limites de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un décideur administratif et, dans ce contexte, ont conclu que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à une fin illégitime ou fondé sur des considérations non pertinentes serait déraisonnable. Ils étaient d’avis que l’objet d’une règle invoquée par la Law Society of British Columbia [LSBC] se limitait à l’évaluation de l’aptitude des candidats pour la délivrance d’un permis et que tout exercice du pouvoir discrétionnaire de la LSBC à une fin allant au-delà des limites expresses établies par ses pouvoirs de réglementation serait ultra vires et :

[282]  Plus particulièrement, la Règle ne confère pas à la LSBC le pouvoir de réglementer les facultés de droit. Appliquant la maxime d’interprétation des lois expressio unius est exclusio alterius (« la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre »), nous pouvons présumer que le législateur n’a pas voulu inclure la régie des facultés de droit dans le pouvoir d’établir des règles conféré à la LSBC par l’art. 11. La portée de son mandat se limite à la régie [traduction] « de la [LSBC], des avocats, des cabinets d’avocats, des stagiaires et des demandeurs ». Si le législateur avait eu l’intention d’investir la LSBC d’un pouvoir de surveillance à l’égard des facultés de droit, il aurait expressément prévu un pouvoir d’une telle importance.

[71]  Les juges Côté et Brown ont ensuite affirmé que leur interprétation était compatible avec l’objet du Legal Profession Act de la Colombie-Britannique, SBC 1998, c 9, dans son ensemble, et qu’une lecture attentive du Legal Profession Act révélait que la portée du mandat de la LSBC se limite à la régie de la pratique du droit. Les dispositions du Legal Profession Act ne concernaient que des questions relatives à la régie de la profession d’avocat et de ses éléments constitutifs (la LSBC, les avocats, les cabinets d’avocats, les stagiaires et les personnes présentant une demande).

[72]  En l’espèce, le demandeur n’a pas fait valoir que le directeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire à une fin illégitime ou en se fondant sur des considérations non pertinentes. De plus, il est important de souligner que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Trinity College a conclu, à la majorité, que le Legal Profession Act exigeait que les conseillers tiennent compte de l’objectif primordial de protéger l’intérêt public dans l’administration de la justice lorsqu’ils déterminent les conditions d’admission dans la profession, et notamment lorsqu’ils décident s’il y a lieu d’agréer une faculté de droit en particulier.

[73]  Dans le même ordre d’idées, le mandat du directeur est primordial. À mon avis, comme il ressort de ce qui précède, le mandat du directeur est vaste et ne se limite pas à la prise en considération du paragraphe 50(4) du Règlement sur le gibier du PNWB. Ce mandat s’exerce, en partie, par l’application et le respect du Règlement sur le gibier du PNWB, notamment l’article 50. Aussi, il exige incontestablement de prendre en considération l’exercice de droits collectifs issus du Traité par des particuliers, comme le demandeur. Toutefois, dans le cadre de son mandat, le directeur doit également prendre en considération les droits issus du Traité et les intérêts des diverses Premières Nations dont les réserves sont situées dans le parc, comme en témoignent les EDFIT, ainsi que la préservation de l’écologie du parc pour le plus grand plaisir des visiteurs et des générations futures de tous les Canadiens, comme le démontrent la Loi sur les parcs nationaux du Canada et le plan directeur mis en œuvre en vertu de cette loi.

[74]  En d’autres termes, je ne suis pas d’accord avec la prétention du demandeur selon laquelle le paragraphe 50(4) doit être interprété et appliqué indépendamment du reste de cet article ainsi que du mandat plus général du directeur.

[75]  Selon le paragraphe 50(1), le directeur « peut » délivrer un permis de cabane de trappeur aux personnes inscrites sur un certificat d’enregistrement. Ainsi, conformément à cette disposition, le pouvoir discrétionnaire du directeur de délivrer ou de ne pas délivrer un permis est limité par l’exigence selon laquelle le demandeur doit être inscrit sur un certificat. Si le nom du demandeur n’est pas inscrit, le directeur ne peut donc pas délivrer de permis. Ce n’est pas non plus une situation où la délivrance du permis est obligatoire lorsque certaines conditions stipulées sont remplies. Le paragraphe 50(2) exige toutefois que la demande soit présentée sur le formulaire distribué à cette fin par le directeur et contienne l’information requise dans le formulaire ainsi que les renseignements complémentaires exigés par le directeur. Comme il s’agit d’une exigence obligatoire imposée au demandeur, le directeur n’a pas le pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis si le paragraphe 50(2) n’a pas été respecté. En application du paragraphe 50(4), le directeur « peut refuser » de délivrer un permis si « la forme ou les dimensions de la cabane prévue ne sont pas compatibles avec l’emplacement proposé ». Je ne partage pas le point de vue du demandeur selon lequel le paragraphe 50(4), qui utilise lui-même un libellé discrétionnaire, doit être interprété comme restreignant le pouvoir discrétionnaire conféré au directeur par le paragraphe 50(1), de sorte que la seule situation dans laquelle un permis pourrait être refusé serait si la forme ou les dimensions de la cabane prévue ne sont pas compatibles avec l’emplacement proposé.

[76]  Si telle était l’intention du législateur, la disposition serait libellée ainsi : « le directeur ne peut refuser » de délivrer un permis « que » si la forme ou les dimensions sont incompatibles avec l’emplacement proposé. Cependant, le paragraphe 50(2) exige la présentation d’une demande de permis, et le paragraphe 50(3) interdit la construction sans permis. D’après un examen selon le contexte de l’article dans son ensemble et du régime législatif global, cela ne peut pas signifier que la construction d’une cabane doit tout de même être approuvée, à moins que sa forme ou ses dimensions ne soient incompatibles avec l’emplacement proposé, si une demande présente une ou des lacunes, ou si un permis délivré dans le cadre d’une demande causerait un dommage environnemental ou écologique qui ne pourrait pas être atténué de manière satisfaisante, comme la destruction d’un habitat rare, de sites de nidification ou d’une autre zone sensible. De plus, dans cet exemple, la forme et/ou les dimensions ne sont pas les facteurs qui empêcheraient la délivrance d’un permis; une cabane, peu importe sa forme ou ses dimensions, donnerait lieu à des préoccupations écologiques. En fait, comme ce fut le cas en l’espèce, le directeur exercerait son pouvoir discrétionnaire en fonction de l’emplacement proposé de la cabane.

[77]  À mon avis, le paragraphe 50(4) s’applique dans les cas où une cabane prévue est par ailleurs acceptable, mais que ses dimensions ou sa forme ne sont pas compatibles avec l’emplacement proposé. Par exemple, selon les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte, l’objectif principal d’une cabane est de fournir un abri aux personnes qui se livrent à des activités de récolte dans le PNWB. Dans le Règlement sur le gibier du PNWB, le terme « cabane de trappeur » désigne une cabane construite dans un secteur de piégeage et utilisée comme demeure temporaire par des personnes pratiquant le piégeage de façon régulière. Ainsi, la construction d’une grande installation ressemblant davantage à une maison permanente qu’à une habitation temporaire pour les trappeurs peut ne pas être compatible, pour ce qui est de la forme ou des dimensions, avec l’emplacement proposé, lequel est lié aux activités de piégeage.

[78]  Enfin, je ferais remarquer que, lorsque l’avocat du demandeur a comparu devant moi à l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire, il a admis que le directeur pouvait tenir compte de facteurs autres que la « forme ou les dimensions » de la cabane prévue. Plus précisément, la Cour a demandé à l’avocat du demandeur s’il se fondait sur le postulat selon lequel le seul facteur que le directeur était en droit de prendre en considération en ce qui concerne la demande de permis était de savoir si la « forme ou les dimensions » de la cabane prévue étaient compatibles avec l’emplacement proposé et, dans l’affirmative, cela signifiait-il que le directeur n’avait pas le droit, par exemple, de tenir compte du Traité et des autres intérêts de Salt River et de Smith’s Landing? L’avocat a répondu que le directeur pourrait prendre en considération d’autres facteurs, comme les droits et les intérêts des autres Premières Nations et l’emplacement. À son avis, la question est alors de savoir si le directeur a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en tirant une conclusion d’incompatibilité, conformément à la norme élevée qui s’applique en l’espèce.

[79]  À mon avis, pour les motifs susmentionnés, l’affirmation du demandeur selon laquelle le directeur pouvait refuser sa demande de permis pour les motifs visés au paragraphe 50(4) refuser ne saurait être retenue.

[80]  En vertu de l’article 50(1) du Règlement sur le gibier du PNWB, le directeur avait le pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis de cabane de trappeur si le nom du demandeur paraissait sur un certificat d’enregistrement, ce qui n’est pas contesté en l’espèce, et si le demandeur a présenté une demande conformément au paragraphe 50(2). Le directeur avait le droit d’évaluer la demande de permis et d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans le contexte des lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte et de son mandat général. Le directeur avait également le pouvoir discrétionnaire de refuser une demande par ailleurs conforme au motif que la forme ou les dimensions de la cabane prévue n’étaient pas compatibles avec l’emplacement proposé.

L’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[81]  Le demandeur soutient également que le directeur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Selon le demandeur, ce fait est établi par la déclaration du directeur selon laquelle la récolte et les cabanes de récolte étaient historiquement interdites à moins de 800 mètres du lac Pine et que tout changement de politique en matière d’utilisation des terres serait assujetti aux engagements pris en vertu des EDFIT de Salt River et de Smith’s Landing de travailler en coopération, dans le cadre de consultations continues, sur les questions d’utilisation et de gestion des terres autour du lac Pine.

[82]  Je constate que le juge Stratas a abordé l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299. Voici ce qu’il a déclaré :

[24]  L’arrêt Dunsmuir réaffirme un principe primordial bien établi : « tout exercice de l’autorité publique procède de la loi » (paragraphes 27 et 28). Toute décision qui repose sur une autre source que la loi, par exemple une décision qui se fonde uniquement sur un énoncé de politique informel sans égard à la loi, ne peut pas appartenir aux issues acceptables pouvant se justifier et donc être raisonnables selon la définition formulée dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est être en soi déraisonnable.

[...]

[60]  Cependant, comme cela a été expliqué aux paragraphes 20 à 25 ci-dessus, les décideurs auxquels une loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire ne peuvent en entraver l’exercice en s’appuyant exclusivement sur une politique administrative (Thamotharem, précité, au paragraphe 59; Maple Lodge Farms, précité, à la page 6; Dunsmuir, précité (tel qu’expliqué au paragraphe 24)). Une politique administrative n’est pas une loi. Elle ne peut restreindre le pouvoir discrétionnaire que la loi confère à un décideur. Elle ne peut pas modifier la loi du législateur. Une politique peut aider ou guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu d’une loi, mais elle ne peut dicter de façon obligatoire comment ce pouvoir discrétionnaire s’exerce.

Et, comme l’a déclaré la juge McTavish dans la décision Gordon c Canada (Procureur général), 2016 CF 643 :

[29]  Même si un décideur peut prendre en compte des lignes directrices administratives et, en effet, fonder ses décisions sur celles-ci, il entravera l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’il considère qu’une ligne directrice est contraignante : Première Nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 191, au paragraphe 28, 421 N.R. 193. Les lignes directrices administratives n’ont pas force de loi. En conséquence, on ne peut s’appuyer sur celles-ci d’une manière telle qu’elles limitent le pouvoir discrétionnaire d’un décideur qui lui est conféré par la loi : Stemijon Investments, précité, au paragraphe 60.

(Voir également l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, par. 32).

[83]  En ce qui concerne la « politique » de ne pas autoriser de cabanes de récolte à moins de 800 mètres du lac Pine, il est vrai que ce n’est pas une politique officielle. Le directeur dit qu’il s’agit d’une application historique. Toutefois, cette politique est mentionnée dans les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte; celles-ci précisent que les cabanes ne seront pas autorisées à moins de 800 mètres du lac Pine, des aires de fréquentation diurne, des sentiers récréatifs, des campings collectifs et des terrains de camping dans l’arrière-pays.

[84]  À mon avis, le directeur n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le directeur a jugé qu’une politique ou une ligne directrice le contraignait et a exclu d’autres considérations valables ou pertinentes dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il ressort plutôt clairement de la décision et du compte rendu de décision que le directeur a pris en considération un certain nombre de facteurs pour parvenir à sa décision, notamment la cohérence avec l’aménagement du territoire, l’intégrité écologique, l’expérience du visiteur, le plan directeur, les droits issus du Traité no 8, les EDFIT, l’opposition de Salt Lake à l’emplacement proposé de la cabane et qu’il l’a fait dans le contexte des circonstances particulières de la demande de permis.

[85]  En ce qui concerne l’argument du demandeur, rien n’indique pourquoi la nécessité de consulter les Premières Nations au sujet des exceptions possibles à l’application de la politique des 800 mètres rend la cabane incompatible avec l’emplacement proposé. À mon avis, cela confond une obligation reconnue de consulter avec une conclusion quant à l’incompatibilité de l’emplacement proposé, telles qu’elles sont décrites dans la décision.

[86]  Plus précisément, dans sa décision, le directeur s’est tout d’abord penché sur la politique d’exclusion des 800 mètres et a conclu que tout changement apporté à cette règle serait assujetti aux engagements en matière de consultation pris dans le cadre des EDFIT de Salt River et de Smith’s Landing. Dans le troisième motif de refus, le directeur a abordé l’emplacement proposé de la cabane par rapport aux sentiers et autres installations faisant partie des installations pour les visiteurs de l’aire de loisirs du lac Pine. Le directeur a déclaré que [traduction« les infrastructures de récolte des ressources sur ces installations ou adjacentes à celles-ci sont incompatibles avec la fréquentation et la jouissance de l’aire par tous les visiteurs du parc ».

[87]  Le compte rendu de décision contient également des informations sur l’utilisation incompatible et sur le problème de la consultation, notamment :

[traduction

  • Un pour cent du parc est destiné à un usage récréatif, afin de permettre l’aménagement d’infrastructures pour les visiteurs et l’offre d’expérience au visiteur qui encouragent notamment le tourisme dans le parc tout en réduisant les conflits potentiels avec d’autres utilisations, comme l’exercice des droits issus du Traité et des droits revendiqués des Métis. La plupart des secteurs classés zone IV permettent des activités traditionnelles de récolte et de construction; il y a toutefois trois secteurs restreints, dont le lac Pine, en raison de la circulation accrue des visiteurs, des chalets de location pour les visiteurs, des baux privés, de la présence du seul camping du parc, d’un camping collectif et d’un réseau de sentiers; le lac Pine est le principal lieu de loisirs du PNWB. Bien que le PNWB soit vaste, la zone réservée aux visiteurs est très petite. Dans la zone de 1 % réservée aux loisirs, moins de 0,001 % de cette superficie est soumise à des restrictions sur la récolte et ses infrastructures. À l’origine, le lac Pine était exclu de la construction de cabanes et de la récolte en raison de la densité de l’activité humaine, de la présence de lots sous bail privés et, surtout, de la présence de réserves appartenant à deux Premières Nations.
  • Le plan directeur établit que l’amélioration des relations avec les 11 groupes autochtones du PNWB d’une importance cruciale pour son succès futur et sa gestion. Le plan directeur ne fait aucune déclaration directe au sujet des cabanes de récolte au lac Pine, mais il établit toutefois la nécessité du travail conjoint et du respect mutuel dans la prise de décision; il y est précisé que le lac Pine est un domaine de préoccupation et d’intérêt particuliers. Le compte rendu de décision indique que le parc se retrouve dans une situation difficile lorsque des partenaires autochtones ne s’entendent pas sur une ligne de conduite et qu’il n’existe pas de processus convenu pour parvenir à un consensus ou à la réconciliation entre les différents points de vue et opinions des divers partenaires en tant que particuliers et organisations.
  • En ce qui concerne le Traité no 8, le droit issu d’un traité d’une Première Nation de s’adonner à ses expéditions de chasse traditionnelles emporte, en tant que droit accessoire raisonnable, le droit de construire des abris (R c Sundown). Un certain nombre de cabanes de récolte ont été construites dans le PNWB au cours des dix dernières années pour que les utilisations traditionnelles du parc puissent être perpétuées. Le compte rendu de décision indique qu’il s’agit de la première demande relative à une cabane de récolte dans un secteur à l’égard duquel les Premières nations voisines s’opposent et où l’utilisation préexistante des terres par la Couronne (infrastructure principale d’utilisation par les visiteurs) est incompatible avec l’exercice d’un droit issu de traités. Diverses considérations sont énoncées, notamment le droit du demandeur de mener des activités de récolte traditionnelles dans le parc et le droit accessoire de construire une cabane; les EDFIT, par lesquels Parcs Canada s’engage à travailler à l’élaboration d’objectifs communs et d’un cadre de consultation avec Salt River et Smith’s Landing dans la gestion du secteur du lac Pine, le compte rendu indiquant que, même si les progrès sont au point mort, l’engagement existe toujours; le plan d’aménagement de Salt River prévoyant la construction d’un certain nombre de cabanes et de campements à la lisière du lac Pine et tenant compte de la gestion des déchets humains de manière à ne pas nuire au lac. Le compte rendu de décision indique que la proposition de cabane du demandeur est plus près de la réserve de Salt River. Elle a pour effet de couper l’accès à cette grande doline et d’isoler ses eaux du reste du lac; le problème tient à l’emplacement choisi en ce qui concerne les réserves de Salt River et de Smith’s Landing et l’infrastructure existante pour les visiteurs du parc ainsi qu’à l’absence de consensus entre les partenaires autochtones de Parcs Canada quant à une solution qu’ils peuvent tous appuyer. Les demandeurs antérieurs de cabanes de récolte traditionnelle autour du lac Pine ont accepté la politique du parc et ont procédé à la construction à l’écart du lac pour réduire au minimum les conflits. La demande présentée par le demandeur plaçait le parc dans une situation dans laquelle il ne pouvait envisager de modifier unilatéralement la restriction touchant les infrastructures de récolte situées à moins de 800 m du lac Pine, tout en respectant les exigences des EDFIT en matière de consultation et de planification concernant le développement du lac Pine, ainsi que les exigences administratives en matière de consultation publique en raison de l’approche de gestion par zone du lac Pine énoncée dans le plan de gestion. Parcs Canada était donc exposé à une éventuelle contestation judiciaire de ses partenaires autochtones et du grand public ou, s’il refuse la demande, à une contestation judiciaire du demandeur fondée sur ses droits issus du Traité et leur application dans le parc.

  • On a demandé à trois communautés autochtones de formuler des commentaires. Salt River n’était pas en faveur, Mikisew appuyait la proposition du demandeur, et Smith’s Landing n’a pas donné de précisions quant à sa position.
  • Le compte rendu de décision indique que, au vu de ce qui précède, Parcs Canada a ensuite effectué son analyse, en définissant les facteurs clés à prendre en considération. Les différents facteurs sont ensuite soupesés. Sous la rubrique [traduction« Portée », il a été noté que la proposition englobait une cabane de récolte, une remise et des toilettes extérieures. De plus, la cabane prévue se trouverait directement sur un réseau existant de sentiers du parc et serait sur le passage des visiteurs qui, pendant les mois d’été, arpentent les sentiers et profitent du milieu sauvage. Le compte rendu souligne ensuite les avantages de l’emplacement, notamment que la rive du lac est un endroit spectaculaire pour une cabane; que le parc a offert de collaborer avec le demandeur pour élaborer des programmes d’interprétation et d’éducation au lac Pine en utilisant l’infrastructure existante de Parcs Canada; la cabane contribuerait aux activités économiques du demandeur grâce au piégeage et à l’enseignement, mais la réalisation de ces activités dans un autre endroit du parc procurerait des avantages similaires; que les EDFIT conclues avec Salt River et Smith’s Landing interdisent l’utilisation d’une arme à feu ainsi que la chasse ou le piégeage à moins de 800 mètres du lac Pine entre le 1er avril et le 31 octobre de chaque année, et le demandeur avait indiqué qu’il respecterait cette règle. En ce qui concerne les préoccupations, celles-ci sont énumérées et incluent ce qui suit:

« Cette cabane unique, prise isolément sur la rive du lac, peut ne pas sembler grande. Toutefois, avec les plans et la mise en valeur proposés du lac Pine faisant partie de la réserve de Salt River et les améliorations localisées de l’infrastructure pour visiteurs de Parcs Canada, dans ce très petit secteur réservé à l’expansion touristique, cela porterait atteinte aux valeurs exceptionnelles du secteur et serait en contradiction avec la nature et l’utilisation du secteur et pourrait nuire au plaisir de nombreux visiteurs du parc. »

[88]  Selon la décision, une cabane de récolte à l’emplacement proposé est incompatible avec la fréquentation et la jouissance du secteur par tous les visiteurs du parc. Contrairement à ce que prétend le demandeur dans ses observations, le décideur n’a pas conclu que la nécessité de consulter d’autres Premières Nations rend la cabane incompatible avec l’emplacement proposé. L’obligation de consulter était un élément distinct, même si elle pouvait être à l’origine de préoccupations quant à l’emplacement proposé de la cabane de piégeage, et qu’elle l’a été.

Le caractère suffisant des motifs

[89]  Le demandeur soutient que les motifs du directeur étaient insuffisants de diverses manières, notamment lorsqu’il a conclu que l’emplacement de la cabane de récolte prévue était incompatible avec la fréquentation du parc par les visiteurs.

[90]  Je ferais remarquer, à ce stade-ci et à titre préliminaire, que, comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tsleil-Waututh, aux paragraphes 293 et 295 :

[293]  [...] l’insuffisance des motifs ne permet pas « à elle seule de casser une décision ». Les motifs sont pertinents lorsqu’il s’agit de décider si une décision est raisonnable dans son ensemble. En outre, les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, paragraphe 14).

[...]

[295]  Les motifs n’ont pas besoin de mentionner la totalité des arguments pertinents, des dispositions législatives ou de la jurisprudence. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement qui a mené à sa conclusion finale. Les motifs sont suffisants s’ils permettent à la cour de révision de déterminer pourquoi le décideur a tranché comme il l’a fait et si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[91]  En outre, à mon avis, le dossier explique de manière adéquate pourquoi la cabane de récolte située à l’emplacement proposé est incompatible avec la fréquentation et la jouissance du secteur par tous les visiteurs du parc.

[92]  À cet égard, je ferais également remarquer que, dans la lettre du 30 novembre 2014 du directeur de l’époque, il était expliqué que le lac Pine était un secteur unique, constituant la principale aire de loisirs du parc. En outre, le rôle du plan directeur et de l’approche de gestion par zone pour assurer une utilisation et un aménagement compatibles des terres a été expliqué, et la lettre précisait que la restriction de récolte à moins de 800 mètres du lac reflétait le statut spécial des terres du parc que Smith’s Landing et Salt River avaient accepté de respecter dans leur EDFIT. De plus, Parcs Canada a mis au point un processus d’approbation de la construction de cabanes de récolte traditionnelle dans le PNWB, processus qui a reçu l’appui des groupes autochtones du parc : [traduction« Ce processus est utilisé pour que l’on puisse veiller à ce que la construction d’une cabane n’ait pas d’incidence sur les caractéristiques culturelles ou écologiques du parc, ne soit pas en contradiction avec les droits ancestraux ou issus de traités d’autres détenteurs de droits et soit compatible avec les autres utilisations et activités du parc liées à l’emplacement. » En ce qui concerne les détails de la cabane prévue, la lettre indiquait qu’elle se trouvait à côté du Sentier du Lac-Lane, un sentier de randonnée bien établi menant du lac Pine au lac Lane, ainsi que sur le Sentier du Bord-du-Lac, qui mène aux aires de fréquentation diurne. Elle est également située à proximité d’une populaire plage publique pour la baignade, ce qui signifie que la cabane est très susceptible d’avoir une incidence sur la fréquentation et la jouissance du secteur immédiat pour les autres utilisateurs du parc. Ainsi, l’emplacement choisi de la cabane était inapproprié.

[93]  Dans une lettre du 6 août 2015, le directeur de l’époque a énuméré cinq motifs pour lesquels l’emplacement proposé n’était pas approprié, lesquels sont inclus dans les motifs mentionnés ci-dessus. Il a également souligné que le Règlement sur le gibier du PNWB interdisait la récolte à moins de 800 mètres du lac Pine entre le 1er avril et le 31 octobre de chaque année. L’utilisation de la cabane à des fins récréatives ne serait pas autorisée pendant cette période. Un autre emplacement pour la cabane, à 800 mètres du lac, serait plus approprié, car cela n’aurait aucune incidence sur d’autres utilisateurs du parc ou d’autres groupes autochtones, et pourrait être utilisé pour la récolte à d’autres moments de l’année. En outre, les EDFIT engagent toutes les parties à créer un comité consultatif du lac Pine pour discuter, entre autres, de l’harmonisation des politiques, des plans, des dispositions réglementaires et des règlements administratifs. Comme, par le passé, les cabanes de récolte des ressources n’ont pas été autorisées à moins de 800 mètres du lac Pine, un changement de politique visant à autoriser les cabanes de récolte dans cette zone a nécessité une consultation et une discussion avec Salt River et Smith’s Landing. La construction de la cabane n’était pas conforme à cette approche. Dans une lettre du 5 novembre 2015, l’Agence Parcs Canada a de nouveau souligné qu’elle avait expliqué au demandeur que les demandes relatives à une cabane ne sont pas prévues pour le secteur du lac Pine en raison de sa forte utilisation à des fins récréatives.

[94]  La compatibilité n’est pas définie dans le Règlement sur le gibier du PNWB et n’est mentionnée que dans le contexte du paragraphe 50(4). La compatibilité n’est pas définie non plus dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada ou d’autres lois pertinentes. Le directeur aurait peut-être pu fournir des exemples explicites et concrets de la façon dont la cabane de récolte prévue est incompatible avec l’utilisation à des fins récréatives du secteur, mais, à mon avis, le compte rendu permet de comprendre la raison pour laquelle il en est ainsi. De plus, le directeur possède une expertise en ce qui concerne l’utilisation du parc et les attentes des visiteurs, et il faut faire preuve de retenue à l’égard de son évaluation de la compatibilité.

[95]  Le demandeur soutient que, bien que l’incompatibilité ne soit pas définie dans le Règlement sur le gibier du PNWB, la façon avec laquelle ce concept a été traité dans l’arrêt Sundown est instructive. M. Sundown, membre d’une Première Nation, a chassé et pêché dans un parc provincial. Pour mener à bien ces activités, il a construit une cabane en bois rond dans le parc. Il a été déclaré coupable d’avoir construit une habitation permanente dans le parc sans autorisation, déclaration qui a par la suite été annulée. Lors du pourvoi devant la Cour suprême du Canada, celle-ci devait décider si la cabane était raisonnablement accessoire aux droits de chasse et de pêche de la Première Nation et, dans l’affirmative, si la réglementation du parc portait atteinte aux droits de chasse de la Première Nation énoncés dans le Traité no 6 et modifiés par la Convention sur le transfert des ressources naturelles. La Cour a conclu qu’une cabane de chasse était raisonnablement accessoire au droit de la Première Nation de s’adonner à ses expéditions de chasse traditionnelles. Pour cette Première Nation, le droit de chasse issu du traité emportait, en tant qu’accessoire raisonnable, le droit de construire des abris, et la petite cabane en bois rond était, dans la société d’aujourd’hui, un abri approprié pour les expéditions de chasse.

[96]  La Cour a également conclu que, en construisant une structure permanente telle une cabane en bois rond, l’intimé ne faisait pas valoir un droit de propriété sur les terres du parc. Tout comme les droits ancestraux, les droits issus de traités ne doivent pas être interprétés comme s’il s’agissait de droits de propriété de common law. Tout droit sur la cabane de chasse était un droit collectif découlant du traité et de la méthode de chasse utilisée, en l’occurrence celle des expéditions de chasse. Ce droit appartenait à l’ensemble de la bande et non à l’intimé ou à quelque autre membre particulier de la bande. Premièrement, une mesure législative provinciale en matière de conservation qui respecterait la norme de justification énoncée dans l’arrêt R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, pourrait validement restreindre la construction de cabanes de chasse et restreindre des droits de chasse issus de traités. La Cour a fait remarquer que, bien souvent, sinon dans la plupart des cas, la conservation du poisson et du gibier exige que l’on préserve leur habitat (par. 38). La deuxième limite à la permanence est celle imposée par l’obligation de compatibilité entre l’utilisation que fait Sa Majesté des terres en cause et le droit issu de traité qui est revendiqué. En examinant cela, la Cour suprême a fait référence à l’arrêt R c Sioui, [1990] 1 RCS 1025, aux paragraphes 39–41 [Sioui]. La troisième limite au droit de chasse issu du traité réside dans la clause qui restreint l’exercice du droit de chasse aux terrains non « requis ou pris pour des fins d’établissement ». La Cour a conclu qu’il s’agissait essentiellement d’un sous-ensemble de la deuxième limite puisque, par définition, la prise de terres pour des fins d’établissement est une utilisation de terres par Sa Majesté tout à fait incompatible avec l’exercice du droit de chasse.

[97]  Les arrêts Sundown et Sioui sont des affaires dans lesquelles les tribunaux se sont penchés sur l’incompatibilité dans le contexte de l’exercice des droits issus de traités dans un parc, pour déterminer s’il s’agit d’une atteinte injustifiable à ces droits, et sur le concept de permanence. En l’espèce, le directeur a reconnu l’existence du droit du demandeur — garanti par le Traité no 8 — de chasser dans le PNWB et de construire une cabane de trappeur accessoire à ce droit. La question en litige tient au caractère raisonnable de la décision du directeur selon laquelle l’emplacement choisi par le demandeur pour sa cabane de piégeage est incompatible avec la fréquentation et l’agrément du parc par tous les visiteurs du parc. Tandis que le demandeur affirme, dans la présente demande de contrôle judiciaire, que la décision du directeur porte atteinte à ses droits issus du Traité, le directeur, en prenant sa décision, examinait la compatibilité dans le contexte du régime des dispositions réglementaires du parc. Je ne suis pas certaine que la norme élevée de compatibilité que le demandeur assimile à une décision injustifiée portant atteinte à ses droits, selon l’arrêt Sundown, s’appliquerait de la même manière dans ces circonstances.

[98]  À mon avis, compte tenu du contexte réglementaire susmentionné et en l’absence d’une définition de la compatibilité dans le règlement, le directeur était en droit de recourir à son expertise afin d’établir si la demande de permis devait être acceptée, y compris en ce qui a trait à la compatibilité de l’usage, sur la foi de l’existence des droits issus du Traité no 8 du demandeur, ainsi que d’autres facteurs, comme les considérations stratégiques, scientifiques et de planification.

[99]  Par ailleurs, bien que le demandeur soutienne que la décision était également déraisonnable, le directeur n’ayant pas expliqué pourquoi la taille relative du parc et des installations pour les visiteurs avait une incidence sur la compatibilité de l’emplacement de la cabane, pourquoi son emplacement avait une incidence sur les sentiers, en quoi le stationnement ou la route au début du sentier sont pertinents, en quoi la cabane fait obstruction à la fréquentation et à la jouissance du secteur et d’autres questions, à mon avis et comme je l’ai constaté ici, les motifs pour lesquels le directeur estimait que l’emplacement proposé par le demandeur pour la cabane de récolte était incompatible avec d’autres activités exercées dans le parc ressortent clairement de la décision, du compte rendu de décision et du contenu du DCT.

[100]  De même, s’il est vrai qu’il existe 16 propriétés à bail privées, elles sont toutes destinées à un usage récréatif. Aucune n’est une cabane de récolte. Je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel la décision ne contient aucune explication quant aux raisons pour lesquelles les cabanes de récolte diffèrent en principe des autres cabanes construites à moins de 800 mètres du lac. Il est clair que la différence réside dans l’usage auquel elles sont destinées.

[101]  Le demandeur soutient également que la décision ne fait pas référence au contenu de la demande de permis ou, de façon plus précise, à l’addenda dans lequel le demandeur a expliqué pourquoi il avait besoin d’une cabane de récolte. C’est vrai. Cependant, le compte rendu de décision indique que le demandeur avait fait une proposition conceptuelle de la cabane axée sur les liens historiques et familiaux avec le secteur du lac Pine; un accès hors pair à la cabane et à son territoire de piégeage; une proximité inégalée d’une source d’eau douce fiable; une proximité de ressources plus stables, et une offre de possibilités d’enseignement dans la communauté. Qui plus est, il a également abordé d’autres facteurs qui, à son avis, appuyaient sa proposition, notamment le fait que la cabane ne pose aucun problème lié à la sécurité ou à la conservation; elle n’aura aucune incidence sur les Autochtones s’adonnant à la récolte dans le secteur ou sur les terres de réserve; elle est compatible avec d’autres utilisations des terres dans le secteur; et, c’est une occasion, pas un obstacle.

[102]  Le demandeur soutient que, compte tenu des [traduction« éléments de preuve non contestés » qu’il a produits, soit l’addenda dont disposait le directeur, le directeur ne pouvait pas conclure que la cabane était incompatible avec l’emplacement proposé sans motiver cette conclusion. Je ne suis pas d’accord pour dire que le directeur était tenu d’accepter d’emblée les observations du demandeur. Le rôle du directeur consistait à examiner les observations dans le contexte de ses connaissances et de son expertise et compte tenu de tous les autres facteurs stratégiques qui entraient en jeu. En outre, comme il est expliqué ci-dessus, le dossier fait état des motifs pour lesquels la cabane était incompatible, c’est-à-dire, qu’elle se trouvait à moins de 800 mètres des rives du lac Pine et dans une zone destinée à un usage récréatif.

[103]  Une partie de ce contexte réside dans le fait qu’il est interdit, par règlement, entre le 1er avril et le 31 octobre de chaque année, de chasser, piéger ou décharger une arme à feu dans un rayon de 800 m de la rive du lac Pine (article 7 du Règlement sur le gibier du PNWB). Cette règle est la conséquence de la fréquentation élevée à des fins récréatives du secteur pendant cette période et des préoccupations en matière de sécurité qui en découle. Le besoin de cabanes de chasse ou de piégeage traditionnels est bien sûr lié aux activités de chasse et de piégeage. Étant donné que la chasse et le piégeage sont interdits dans le secteur où le demandeur cherche à construire sa cabane utilisée pendant sept mois de chaque année, il n’était pas déraisonnable de la part du directeur de faire valoir qu’un autre emplacement, situé à l’écart des installations pour les visiteurs et à plus de 800 mètres du lac Pine, serait plus approprié, car la cabane pourrait être alors être utilisée tout au long de l’année et soulever moins de problèmes liés à la sécurité, tout en réduisant les répercussions potentielles sur les terres de réserve des Premières Nations et les autres utilisateurs du parc. En d’autres termes, la suggestion selon laquelle un autre emplacement serait mieux adapté et plus compatible avec un tel usage n’était pas déraisonnable ni une considération dénuée de pertinence.

[104]  En outre, comme il est indiqué dans le compte rendu de décision, le secteur exclu comprend 0,0001 % du PNWB et est la seule aire de loisirs du parc accessible en voiture pour les visiteurs. Si une exemption au zonage à des fins récréatives était accordée au demandeur, d’autres trappeurs pourraient s’attendre à la même exemption. Comme il est reconnu dans les motifs, cet effet cumulatif aurait également une incidence sur l’utilisation récréative du secteur et potentiellement sur la planification conjointe future.

[105]  En outre, le directeur connaissait et reconnaissait les droits de récolte issus du Traité no 8 du demandeur, et il en a tenu compte. Il a déclaré qu’une demande de permis visant un emplacement situé à l’extérieur de la zone d’exclusion de 800 mètres serait probablement approuvée. Parcs Canada a offert au demandeur de travailler avec lui en vue de trouver un autre emplacement pour la cabane qui répondrait à ses besoins et qui sera situé à l’extérieur de la zone d’exclusion de 800 mètres, et lui a aussi offert d’utiliser l’infrastructure et les installations existantes du parc pour concrétiser son souhait de fournir des expériences et des services éducatifs. À mon avis, il est important de rappeler à nouveau qu’il ne s’agit pas d’un refus général d’autoriser la construction d’une cabane de récolte dans le PNWB dans le secteur de chasse 1204. Il s’agit plutôt du refus de délivrer un permis de construction d’une cabane à l’emplacement précis choisi par le demandeur, emplacement situé dans une très petite zone réservée aux loisirs dans le parc, dans laquelle la chasse et le piégeage sont interdits par règlement pendant sept mois de chaque année et dans laquelle, conformément à la politique (les lignes directrices sur les demandes relatives à une cabane de récolte), les cabanes de récolte des ressources ne sont pas autorisées à moins de 800 mètres des rives du lac Pine.

[106]  Dans son addenda, le demandeur soutient que les cabanes, en tant que telles, sont clairement compatibles avec la nature du lac Pine, car un certain nombre de cabanes s’y trouvent déjà. Cependant, comme il est souligné ci-dessus, cela ne tient pas compte de l’utilisation différente de ces cabanes. Les cabanes existantes sont destinées à un usage récréatif; la cabane prévue est une cabane de récolte que le demandeur dit être un lieu de rassemblement, d’entreposage et de préparation pour ses appâts, ses pièges, son bois de chauffage, ses outils de tannage et autres équipements nécessaires pour la rotation de ses pièges ainsi qu’un abri pendant les mois d’hiver; et elle est également nécessaire pendant et entre la rotation des pièges pour le dégel et le traitement des bêtes, le tannage des peaux et la préparation des aliments et des vêtements traditionnels. Dans l’addenda, le demandeur affirme également qu’il ne mènera aucune activité susceptible de faire obstruction à la fréquentation du lac Pine pour des activités de loisirs comme la baignade, la navigation de plaisance, le camping, la randonnée, le pique-nique ou l’observation des oiseaux. Il affirme que la cabane ne gênera pas les visiteurs ou ne nuira pas aux activités dans le secteur. Elle est située à trois kilomètres de l’aire de baignade de la plage Kettle-Point et, en ce qui concerne la petite plage en face de la cabane prévue, il n’a pas encore vu d’utilisateur de la plage sur le site. La cabane se trouverait également à au moins un kilomètre de la cabane et du camping les plus proches. Pour ce qui est des sentiers et des routes du parc, bien que la cabane soit située près du Sentier du Lac-Lane, l’entrée principale du sentier se trouve à environ 500 mètres de la cabane, et le sentier fait face au sud, tandis que la cabane sera située directement au nord du sentier, afin de ne pas gêner les utilisateurs du sentier. Pour accéder à la route du lac Kettle par un sentier de randonnée, il déclare emprunter un sentier qui était autrefois une piste de bisons. À un endroit, il a élargi le sentier afin d’apporter des matériaux de construction, mais il ne sera pas obligé de l’élargir ou de le dégager chaque année. Il considère que son accès par le sentier ne modifie pas la nature du sentier ou n’interfère pas avec elle. De plus, il estime que l’idée selon laquelle une cabane de piégeage sur le lac Pine choquerait les visiteurs est fondée sur des points de vue dépassés et discriminatoires qui n’ont pas leur place dans un parc national ou dans la société canadienne et qui vont à l’encontre de la priorité de Parcs Canada de renforcer les liens des Autochtones avec les territoires ancestraux. Sa cabane améliorerait l’expérience des visiteurs et l’utilisation des terres autour du lac Pine.

[107]  À mon avis, cela montre que le demandeur est en désaccord avec l’exclusion de 800 mètres à l’intérieur de la zone de loisirs et, au bout du compte, avec le point de vue du directeur selon lequel l’emplacement précis que le demandeur a choisi pour sa cabane de récolte n’est pas compatible ou ne constitue pas une utilisation appropriée dans ce secteur. L’existence d’un désaccord ne rend toutefois pas une décision déraisonnable.

[108]  En l’espèce, le directeur s’est trouvé dans la position peu enviable de devoir trouver un équilibre entre une grande diversité de facteurs et d’intérêts divergents, dont beaucoup étaient difficiles à concilier. La Cour n’a pas pour rôle de soupeser à son tour les facteurs particuliers que le directeur a dûment pris en considération (Suresh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CSC 1, au par. 37). La Cour doit plutôt établir si la décision était raisonnable. À cet égard, il ne faut pas oublier que la norme de la décision raisonnable commande la retenue. Certaines questions dont sont saisis les tribunaux administratifs ne se prêtent pas à un résultat bien précis en particulier. Au lieu de cela, elles peuvent donner lieu à un certain nombre de conclusions possibles et raisonnables. Dans un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Dans l’affaire qui nous occupe, la décision du directeur était raisonnable et n’a pas été prise d’une manière incompatible avec l’honneur de la Couronne.

L’opposition de Salt River

[109]  Le demandeur soutient que le directeur, sans motif raisonnable ni explication suffisante, s’est fondé sur l’opposition de Salt River à la cabane de récolte prévue. Il fait valoir que le dossier ne révèle aucun motif pour l’opposition de Salt Lake et, même s’il le faisait, cela ne lie pas le directeur qui, en s’en remettant à Salt River, a de nouveau entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[110]  Le dossier comprend une chronologie des événements : le chef de Smith’s Landing a communiqué avec Parcs Canada le 6 octobre 2014, et a exprimé sa crainte que le demandeur construise une cabane près du lac Pine, le long du territoire de piégeage initial du père du chef. Le 12 novembre 2014, Parcs Canada a rencontré Salt River, Smith’s Landing et Mikisew afin de discuter de la construction de la cabane de récolte des ressources que le demandeur avait commencé à construire sans permis. Le dossier contient également des notes de la réunion. La chef de Salt River a déclaré qu’elle estimait que Parcs Canada ne devrait pas recourir au leadership autochtone pour faire appliquer des règles du parc, qu’elle ne devrait pas rencontrer les dirigeants autochtones à ce sujet, que la cabane devait être démantelée et que, à l’avenir, Parcs Canada devait astreindre tout le monde à la même norme. Le chef de Mikisew a déclaré que les droits issus du Traité ont préséance sur les règles et dispositions réglementaires du parc, mais que la cabane doit être enlevée, car le secteur appartient à un Aîné et que le demandeur s’y est installé sans aucune considération pour celui-ci. Le chef de Smith’s Landing a déclaré que la cabane ne pouvait pas être autorisée, car elle se trouvait à moins de 800 mètres du lac Pine et qu’il incombait à Parcs Canada d’imposer le retrait de la cabane. Le directeur de l’époque a déclaré que tout le monde avait été invité à la réunion par respect pour leurs opinions et que, même si la décision revenait à Parcs Canada, Parcs Canada souhaitait parler aux dirigeants autochtones et obtenir leur avis avant de prendre cette décision.

[111]  Dans la chronologie, il est indiqué que, le 1er juin 2015, Parcs Canada a de nouveau parlé au chef de Smith’s Landing, qui a déclaré que cette Première Nation s’opposait toujours fermement à la cabane prévue. Le 30 juin 2015, Parcs Canada s’est de nouveau entretenu avec la chef de Salt River, qui a affirmé que Salt River s’opposait toujours à l’emplacement de la cabane. Le 17 septembre 2015, le directeur s’est entretenu avec le chef de Mikisew et ses conseillers, qui ont réitéré leur soutien à l’enlèvement de la cabane, car celle-ci se trouvait à un emplacement inapproprié. Le 28 septembre 2015, le chef de Smith’s Landing a convoqué Parcs Canada et les deux autres chefs à une réunion pour discuter de la cabane non autorisée et de la façon de gérer ce problème. Les deux autres chefs n’étaient pas présents. Le chef de Smith’s Landing a fait part de l’opposition de sa Première Nation au sujet de l’emplacement et s’inquiétait du fait que, si cette cabane n’était pas contestée, d’autres personnes construiraient également sur le lac sans permis ni autre limitation. Son objectif était de faire enlever la cabane et qu’elle soit construite plus loin du lac. Il a également souligné que le demandeur était personnellement entré en contact avec le chef, lequel avait manifesté son opposition à l’emplacement de la cabane. Le dossier contient également une lettre de Salt River adressée à Parcs Canada en date du 25 octobre 2015, laquelle confirme officiellement la position de Salt River selon laquelle elle n’appuyait pas la construction de cabanes de récolte traditionnelle qui contrevenaient aux règles et aux critères de Parcs Canada pour de tels projets. La lettre indique que Salt River ne soutiendrait pas un projet de construction de l’un de ses propres membres en violation des politiques, et les trois Premières Nations s’étaient entendues à ce sujet lors de la réunion de novembre 2014. Salt River a encouragé Parcs Canada à appliquer sa politique et à retirer le plus tôt possible la structure non autorisée.

[112]  Le 7 décembre 2015, le demandeur a communiqué avec Parcs Canada et a demandé la tenue d’une réunion avec les deux Premières Nations qui s’étaient dites préoccupées. Parcs Canada a répondu qu’il était peu utile d’organiser une réunion puisque Salt River et Smith’s Landing avaient clairement exprimé leurs points de vue, et très peu de gens avaient été présents à la réunion convoquée par Smith’s Landing.

[113]  En ce qui concerne ce qui a été communiqué au demandeur, la lettre de Parcs Canada datée du 30 novembre 2014 expliquait que les responsables de Salt River, Smith’s Landing et Mikisew avaient été consultés au sujet de la cabane prévue et avaient tous exprimé leur inquiétude selon laquelle l’absence de prise de mesures pourrait entraîner la construction d’autres cabanes de récolte sur le lac Pine par d’autres personnes s’adonnant à la récolte traditionnelle, et tous s’accordaient pour dire que l’emplacement choisi n’était pas approprié et que la meilleure solution serait que Parcs Canada collabore avec le demandeur afin de trouver un autre emplacement. Dans une lettre du 6 août 2017, le directeur de l’époque a de nouveau souligné que, en novembre 2014, les chefs des trois Premières Nations intéressées par les questions en litige avaient convenu que l’emplacement était inapproprié. En outre, plus récemment, les chefs de Salt River et de Smith’s Landing ont confirmé qu’ils maintenaient ce point de vue.

[114]  Après que le demandeur eut présenté la demande de permis, le directeur a envoyé un courriel à la chef de Salt River pour l’informer de la demande de construction au même endroit. Le courriel indiquait que Parcs Canada était en train d’examiner la demande, mais qu’en tant que propriétaire foncier au lac Pine, l’Agence souhaitait confirmer l’appui ou l’absence d’appui de Salt River à la proposition. Le courriel indiquait que Salt River avait déjà envoyé une lettre indiquant clairement qu’elle ne soutenait pas les cabanes de récolte traditionnelle situées à moins de 800 mètres du lac, comme l’indique la politique actuelle de Parcs Canada concernant les cabanes de récolte, et demandait à Salt River de l’informer si cette position avait changé ou si elle souhaitait discuter de la question plus avant. Dans une réponse datée du même jour, Salt River a fait savoir que [traduction« la position de la Première Nation de Salt River au sujet des cabanes de récolte traditionnelle situées sur les rives du lac Pine, à moins de 800 m du lac, n’a pas changé. Le Conseil continue d’appuyer la politique exposée ci-dessous ».

[115]  Le dossier indique clairement que Salt River a maintenu son opposition à la construction de la cabane prévue. Au départ, c’était parce qu’elle avait été construite sans autorisation, ce qui risquait d’avoir un effet d’entraînement, et en raison de son emplacement, qui n’était pas conforme à la politique d’exclusion de 800 mètres de Parcs Canada. Après que le demandeur eut présenté sa demande de permis, Salt River a maintenu son opposition à la construction à moins de 800 mètres des rives du lac.

[116]  À mon avis, il était loisible au directeur de prendre en considération l’opposition de Salt River en tant que facteur au moment de décider s’il convenait d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accepter la demande de permis. Contrairement à ce que prétend le demandeur, le directeur n’a pas considéré la position de Salt River comme un veto concernant le permis. Il y a plutôt accordé beaucoup de poids, expliquant que la réserve de Salt River est située sur le lac Pine, qu’elle dispose également de droits issus du Traité no 8 et que des consultations sont envisagées dans le cadre des EDFIT. Il est vrai, comme le soutient le demandeur, que la décision et le compte rendu de décision ne mentionnent pas les 25 lettres types de membres individuels de Mikisew, Smith’s Landing et Salt River appuyant et accompagnant sa demande de permis. Cependant, le directeur n’était pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dont il disposait (Florea c Canada (Emploi et Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL); Laframboise c Canada (Procureur général), 2017 CF 832, aux par. 40-41), et, quoi qu’il en soit, bien que certains membres individuels de Salt River aient indiqué leur soutien à l’emplacement proposé de la cabane, cela n’a pas modifié la position déclarée de la Première Nation de Salt River. Dans sa décision, le directeur n’a pas non plus fait valoir qu’une autre Première Nation s’opposait à la demande de permis; à cet égard, il a uniquement mentionné Salt River.

[117]  En résumé, après avoir examiné la décision, le compte rendu de décision et le dossier dans son ensemble, je conclus que le directeur n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le directeur ne s’est pas exclusivement fondé sur la politique d’exclusion des 800 mètres pour prendre sa décision. Il a examiné un certain nombre de facteurs pertinents eu égard à son mandat général d’administration et de gestion du parc. Je ne suis pas non plus convaincue que le directeur a fait fi des éléments de preuve du demandeur ou n’a pas fourni de motifs suffisants. Sa décision, fondée sur tous les facteurs pertinents, n’était pas déraisonnable.

La deuxième question en litige : Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[118]  Le demandeur soutient qu’un degré élevé d’équité procédurale lui était dû étant donné que la nature de la décision porte sur des droits ancestraux et des droits issus de traités protégés par la Constitution. Plus précisément, la décision a des répercussions potentielles sur les activités accessoires à l’exercice des droits garantis par le Traité no 8 dans le PNWB. La décision est également importante, car elle touche à la capacité du demandeur d’exercer son droit de piéger garanti par le Traité no 8, son lien avec le territoire ancestral, sa culture et ses moyens de subsistance traditionnels, ainsi que sa capacité de transmettre le savoir traditionnel à d’autres membres de la communauté. De plus, il s’attendait légitimement à ce que le directeur communique des détails sur les consultations menées auprès d’autres Premières Nations et à pouvoir donner suite aux renseignements examinés par le directeur. Le demandeur soutient que le directeur a manqué à l’obligation d’équité procédurale en omettant de lui fournir ces renseignements. À tout le moins, le demandeur avait le droit de recevoir un avis concernant la preuve à réfuter et de pouvoir y répondre. En particulier, on aurait dû lui donner le droit de répondre à l’opposition de Salt River concernant l’approbation de sa demande de permis. La conduite du directeur à cet égard se situait en deçà de la norme minimale d’équité procédurale applicable et qui avait été promise.

[119]  Les défendeurs reconnaissent que le demandeur avait des attentes légitimes qui n’ont pas été satisfaites, mais ils soutiennent qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Bien que les attentes légitimes puissent influer sur le contenu et la portée de l’obligation d’équité procédurale envers un particulier, elles ne s’appliquent qu’à des droits procéduraux et ne garantissent pas un résultat particulier. En l’espèce, le demandeur s’attendait légitimement à être tenu au courant des positions de Salt River, Smith’s Landing et Mikisew. Il a toutefois été satisfait aux exigences relatives à l’équité procédurale, parce que la divulgation de réponses de Salt River, Smith’s Landing ou Mikisew n’auraient pas fourni au demandeur des renseignements qu’il ne connaissait pas déjà et au sujet desquels il avait déjà eu la possibilité de présenter des observations au moyen de la demande de permis. En effet, Salt River a maintenu son opposition pour les raisons précédemment communiquées au demandeur et n’a fourni aucun renseignement supplémentaire sur sa position; Smith’s Landing n’a pas répondu à la demande de Parcs Canada de lui transmettre sa position; et, dans sa demande de permis, le demandeur a fourni une lettre de Mikisew indiquant qu’elle appuyait maintenant sa position. Le demandeur n’a pas non plus subi de préjudice, puisqu’il avait été informé de l’opposition de Salt River au moment de la présente demande de permis et avait eu la possibilité d’y répondre. Il n’a pas signalé de nouveaux renseignements ou de nouvelles observations qu’il aurait fournis en réponse à la communication de l’opposition persistante de Salt River à sa cabane prévue qui aurait eu une incidence sur le caractère raisonnable de la décision. Quoi qu’il en soit, même si le processus était entaché d’un vice de procédure, cela ne signifie pas pour autant qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, car un vice de procédure non substantiel ne justifie pas l’annulation d’une décision (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Farwaha, 2014 CAF 56).

[120]  Je constate que le demandeur s’appuie sur trois des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker pour affirmer qu’un degré élevé d’équité procédurale lui était dû dans le processus décisionnel ayant mené au rejet de sa demande de permis, et il fait valoir que la prise en considération de droits ancestraux et de droits issus de traités enchâssés dans la Constitution peut exiger une plus grande équité procédurale (Métis Nation of Alberta Association Fort McMurray Local Council 1935 c Alberta, 2016 ABQB 712, au par. 164–165).

[121]  Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a renvoyé à sa décision antérieure dans l’arrêt Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 682, où elle a déclaré que « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » et qu’il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances au moment de statuer sur la nature de l’obligation d’équité procédurale (Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, p. 654; Assoc. des résidents du vieux St-Boniface inc. c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170). Dans l’arrêt Baker, il a été conclu que l’obligation d’équité procédurale est souple et variable et repose sur une appréciation du contexte de la loi et des droits visés. Les droits de participation qui en font partie visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées de présenter leur point de vue et des éléments de preuve qui seront dûment pris en considération par le décideur. Plusieurs facteurs sont pertinents pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive.

[122]  À mon avis, compte tenu des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker et du fait que la question en litige en l’espèce est l’emplacement précis de la cabane de récolte prévue, le demandeur devait bénéficier d’un degré moyen à élevé d’équité procédurale. Toutefois, étant donné que les défendeurs admettent que le demandeur avait une attente légitime que les réponses des autres Premières Nations en cause lui soient communiquées, le degré exact de l’obligation qui lui était due à cet égard n’est pas déterminant.

[123]  Le dossier indique que, le 28 juillet 2017, le demandeur a demandé une mise à jour sur l’état de sa demande de permis du 10 juillet 2017 et a fait part de sa volonté d’aider ou de participer au processus de demande, notamment en consultant les groupes autochtones concernés. Dans un courriel du 15 août 2017, le directeur a confirmé la réception de la demande de permis. Il a souligné que la demande, dans les faits, visait l’obtention d’une exemption à la politique de Parcs Canada interdisant les cabanes de récolte traditionnelle à moins de 800 mètres du lac Pine. Le directeur a déclaré que Parcs Canada avait commencé à examiner le dossier, ainsi que la correspondance et les renseignements recueillis entre 2014 et 2016 concernant l’emplacement proposé pour la cabane, et informerait le demandeur s’il avait besoin de renseignements supplémentaires. Le 30 août 2017, le demandeur a de nouveau écrit au directeur, affirmant qu’il avait droit à un processus équitable et que, s’il devait être exclu des consultations avec d’autres groupes ou personnes autochtones, il s’attendait à ce que le directeur communique les détails de ces consultations et donne au demandeur la possibilité de produire une réponse relativement aux renseignements qui ont été recueillis et qui pourraient orienter la décision du directeur. En particulier, il souhaitait avoir la confirmation que les dossiers de consultations étaient conservés, que ceux-ci lui seraient communiqués en temps opportun s’il ne participait pas aux consultations et qu’il aurait la possibilité de répondre aux renseignements ou points de vue recueillis qui seraient susceptibles d’éclairer la décision de Parcs Canada. Dans un courriel daté du 21 septembre 2017, le directeur a répondu en traitant des délais en cause, tout en précisant que Parcs Canada était en train de recueillir de l’information sur les positions des trois groupes autochtones concernés dans le dossier, et a déclaré ceci : [traduction« Une fois que nous aurons reçu les réponses de ces groupes, nous vous ferons part de leurs positions, et vous aurez alors la possibilité de réagir aux points de vue exprimés. » Le demandeur a envoyé des lettres de suivi le 21 décembre 2017 et le 26 février 2018.

[124]  Comme il a été déclaré dans l’arrêt Baker :

26  Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l’attente légitime fait partie de la doctrine de l’équité ou de la justice naturelle, et qu’elle ne crée pas de droits matériels: Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure: Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 98 F.T.R. 36; Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés: D. J. Mullan, Administrative Law (3e éd. 1996), aux pp. 214 et 215; D. Shapiro, «Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law» (1992), 8 J.L. & Social Pol’y 282, à la p. 297; Canada (Procureur général) c. Comité du tribunal des droits de la personne (Canada) (1994), 76 F.T.R. 1. Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les «circonstances» touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

[125]  En l’espèce, il est incontestable que, dans son courriel du 21 septembre 2017, le directeur a informé le demandeur que, lorsque les groupes autochtones concernés répondraient, leurs positions seraient alors communiquées au demandeur et qu’il aurait ensuite la possibilité de réagir aux points de vue exprimés. Par conséquent, le demandeur était en droit de s’attendre à ce qu’une procédure donnée soit suivie et, de ce fait, l’obligation d’équité exigeait que la procédure en question soit respectée. Comme ce n’était pas le cas, il y a eu manquement à l’obligation d’équité.

[126]  Cela dit, les défendeurs ne se trompent pas lorsqu’ils affirment que le demandeur était au courant de la position de Mikisew. Dans sa demande de permis, le demandeur a inclus la lettre de Mikisew datée du 29 juillet 2016 par laquelle cette dernière affirmait que l’enlèvement des matériaux de la cabane constituait une atteinte injustifiée aux droits issus du Traité du demandeur et indiquait que, si Parcs Canada ne s’abstenait pas de prendre d’autres mesures qui portaient atteinte à ces droits ou qui étaient injustes sur le plan de la procédure, Mikisew prendrait des mesures juridiques appropriées pour défendre les droits du demandeur, droits que partagent tous les membres de Mikisew.

[127]  Le dossier indique également que, avant la demande de permis, Smith’s Landing s’opposait à l’emplacement de la cabane de récolte prévue. C’était à la fois en raison de sa construction initiale sans autorisation et parce qu’elle se trouvait à moins de 800 mètres du lac Pine, en violation de la politique de Parcs Canada. En outre, le demandeur avait été en contact avec le chef de Smith’s Landing, qui s’était opposé à l’emplacement proposé. Dans une lettre du 29 octobre 2015, le chef de Smith’s Landing a informé Parcs Canada qu’il tenait fermement à ce que Parcs Canada interrompe la construction de la cabane et que Salt River était également d’accord avec les motifs énoncés dans la lettre de Parcs Canada adressée au demandeur en date du 6 août 2015, quant aux motifs pour lesquels l’emplacement choisi sur la rive du lac Pine n’était pas approprié. Cependant, Smith’s Landing n’a pas répondu à la demande de renseignements subséquente de Parcs Canada à la suite de la présentation de la demande de permis, et la décision elle-même indique uniquement que Salt River s’est opposée à la construction d’une cabane de récolte des ressources à l’emplacement proposé. Le compte rendu de décision indique que Smith’s Landing a un nouveau chef et un nouveau conseil, et, bien qu’ils soient préoccupés par l’emplacement proposé et par une modification de la politique ayant pour effet d’autoriser les cabanes de récolte des ressources le long des rives du lac, ils n’avaient pas encore fourni de directives claires à Parcs Canada concernant leur opposition ou leur appui à la cabane. En conséquence, et à la lumière du dossier, la position de Smith’s Landing eu égard à la demande de permis ne semblerait pas avoir été une considération importante dans la décision du directeur.

[128]  Comme il est indiqué ci-dessus, avant la présentation de la demande de permis, Salt River avait aussi officiellement informé Parcs Canada qu’elle n’appuyait pas la construction de cabanes de récolte qui contrevenaient aux règles et aux critères de Parcs Canada pour de tels projets. En réponse à la demande de renseignements formulée par le directeur après le dépôt de la demande de permis, Salt River a envoyé un courriel précisant que sa position en défaveur des cabanes de récolte traditionnelle situées à moins de 800 mètres des rives du lac Pine n’avait pas changé; la Première Nation soutenait toujours la politique de Parcs Canada à cet égard. Toutefois, cette réponse n’a pas été transmise au demandeur, et il s’agit d’un facteur que le directeur a pris en considération dans sa décision.

[129]  Cela dit, le demandeur était au courant des préoccupations entourant la zone d’exclusion de 800 mètres. Dans sa lettre du 30 novembre 2014, Parcs Canada a déclaré que, lorsque le demandeur s’était renseigné au sujet du processus de demande, il lui avait été expliqué que Parcs Canada ne prévoit pas de demandes pour le secteur du lac Pine en raison de son utilisation prioritaire à des fins récréatives, de l’approche de gestion par zone avec Salt River et Smith’s Landing et de la restriction touchant la récolte saisonnière sous le régime du Règlement sur le gibier du PNWB. Après avoir expliqué pourquoi l’emplacement proposé n’était pas convenable pour une cabane de récolte, Parcs Canada a ajouté que les trois Premières Nations avaient été consultées et s’étaient toutes inquiétées du fait que, si la construction non autorisée n’était pas interrompue, cela pourrait donner lieu à la construction d’autres cabanes de récolte sur le lac Pine par d’autres personnes s’adonnant à la récolte traditionnelle, et toutes ont convenu que l’emplacement choisi n’était pas approprié et que la meilleure solution serait que Parcs Canada collabore avec le demandeur afin de trouver un autre emplacement. La lettre de Parcs Canada datée du 6 août 2015 informait également le demandeur que, à ce moment-là, les trois Premières Nations s’accordaient pour dire que l’emplacement choisi était inapproprié et que, dans la mesure où les cabanes de récolte n’avaient jamais été autorisées à moins de 800 mètres du lac Pine, l’existence d’EDFIT signifiait qu’une modification de la politique exigerait la tenue de consultations et de discussions avec Salt River et Smith’s Landing.

[130]  Cependant, aucune des communications susmentionnées n’indiquait, avec la clarté du courriel de Salt River daté du 30 août 2017, en réponse à la demande du directeur à la suite de la réception de la demande de permis, que l’opposition continue de Salt River tenait à son soutien de la zone d’exclusion de 800 mètres. De même, il ressort clairement de la décision que l’opposition de Salt River à la construction de la cabane de récolte des ressources à l’emplacement proposé a été un facteur important qui a amené le directeur à penser que l’emplacement proposé n’était pas approprié. Par conséquent, il est difficile de conclure que le vice de procédure en l’espèce n’a aucune incidence sur l’issue. Bien que la réception de renseignements à jour sur la réponse de Salt River n’ait peut-être pas révélé d’information que le demandeur ne pouvait généralement pas discerner dans la correspondance et les communications précédentes, ces renseignements ont clarifié la nature de l’opposition persistante de Salt River, et le demandeur n’a pas eu la possibilité d’y réagir. Dans ces circonstances, même s’il semble improbable que cette possibilité ait modifié la décision finale, on ne peut pas non plus dire avec certitude que la réponse aurait été vaine. Par exemple, étant donné le fondement de l’opposition de Salt River, des consultations supplémentaires avec cette dernière et avec Smith’s Landing auraient peut-être été nécessaires pour établir si elles étaient ou non disposées à revoir la politique relative à l’exclusion.

La troisième question en litige : Est-ce l’instance appropriée pour examiner si la décision a porté atteinte aux droits issus du Traité du demandeur? Dans l’affirmative, ces droits ont-ils été violés?

[131]  Les instances en contrôle judiciaire ne constituent généralement pas le meilleur cadre pour statuer sur les questions relatives à une atteinte aux droits. Comme il est déclaré dans l’arrêt Première Nation de Prophet c Canada (Procureur général), 2017 CAF 15, autorisation d’appel rejetée, [2017] CSCR no 115 (QL) :

[78]  Une demande de contrôle judiciaire est une procédure sommaire. Généralement, les seuls documents qu’examine la Cour sont ceux dont disposait le décideur. En l’espèce, pour se prononcer sur la question de savoir si le projet du site C porte atteinte aux droits issus de traités des appelantes, il faudrait la communication intégrale des documents, l’examen de la preuve d’expert, ainsi que la preuve testimoniale et documentaire historique, ce que ne permet pas la demande de contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire ne permet pas de décider s’il y a eu atteinte injustifiable aux droits des appelantes. Mais aussi, et c’est plus important, soutenir le contraire revient à faire abstraction de la compétence de la province de la Colombie-Britannique et de son rôle dans le processus d’évaluation environnementale. Étant donné que c’est elle qui entend prendre des terres visées par le Traité no 8, elle devrait nécessairement être partie à l’instance (Grassy Narrows).

[79]  Les appelantes ont également invoqué l’arrêt Beckman, mais cette décision n’étaye pas non plus leur thèse. Plus particulièrement, l’affaire Beckman soulevait des questions au sujet de l’interprétation et de la mise en œuvre des traités modernes sur les revendications territoriales globales intervenus entre la Couronne et les Premières Nations, en l’occurrence l’Entente définitive de la Première nation de Little Salmon/Carmacks (l’Entente définitive). Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que le contrôle judiciaire est souple et, il est donc « parfaitement possible de prendre en compte la dimension constitutionnelle des droits invoqués par la première nation » (par. 47). Cependant, il ne faudrait pas comprendre de cet énoncé qu’il est possible de se prononcer sur les droits issus de traités et sur l’existence d’une atteinte à ces droits dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[80]  Beckman portait sur les dispositions relatives à la consultation de l’Entente définitive et sur la question de savoir s’il y avait eu infraction au principe de l’honneur de la Couronne et à l’obligation de consulter. Or, les questions relatives aux droits ancestraux et issus de traités et celle de savoir s’il y a eu atteinte à ces droits exigent la communication intégrale de documents, l’examen d’une volumineuse preuve d’expert dans les domaines de l’ethnographie, de la généalogie, de la linguistique, de l’anthropologie, de la géographie, ainsi que de l’histoire orale et des éléments de preuve documentaire historique (Nation Tshilqot’in; Delgamuukw). Il n’est pas rare que l’exposé de la preuve et les plaidoiries dans le cadre d’un procès concernant les droits visés à l’article 35 exigent plus de 300 jours d’audience (ibid.). Manifestement, une demande de contrôle judiciaire ne constitue généralement pas le meilleur moyen de régler ce genre de litige.

(Voir également Kitkatla Band c Canada (Ministre des pêches et des océans) (2000), 181 FTR 172 (1re inst.), par. 19).

[132]  En l’espèce, la question en litige est beaucoup plus étroite, à savoir si le refus de délivrer un permis de construction d’une cabane de récolte de ressources à l’emplacement particulier choisi par le demandeur porte atteinte aux droits issus du Traité du demandeur. Quoi qu’il en soit, pour me permettre de trancher cette question, il faudrait des éléments de preuve allant au-delà de ceux versés au dossier dont je dispose.

[133]  La décision et le DCT indiquent que le directeur a, à plusieurs reprises, cherché à collaborer avec le demandeur afin de trouver d’autres emplacements de cabane de récolte potentiellement appropriés, en dehors de la zone d’exclusion de 800 mètres, lesquels ne seraient donc pas incompatibles avec la fréquentation et la jouissance de cette partie de la zone de loisirs du PNWB par les autres utilisateurs du parc. Le demandeur ne s’est pas engagé dans ce processus. Et, à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, il a inclus dans son affidavit des renseignements expliquant pourquoi il estimait que la cabane prévue ne pouvait être construite que sur son emplacement proposé, mais le directeur ne disposait pas de ces renseignements lorsque la décision a été prise et il ne pouvait donc pas en traiter dans ce processus.

[134]  Je ferais également observer que, dans l’arrêt Adams, la Cour suprême du Canada a déclaré que les gouvernements « [ne peuvent] pas se contenter d’établir un régime administratif fondé sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire non structuré et qui, en l’absence d’indications explicites, risque de porter atteinte aux droits ancestraux dans un nombre considérable de cas ». En l’espèce, on peut se demander si, dans ces circonstances, le choix particulier de l’emplacement d’une cabane de piégeage par un membre de la Première Nation risque de porter atteinte aux droits ancestraux collectifs dans un nombre considérable de cas. Encore une fois, toutefois, les renseignements dont je dispose pour trancher cette question sont insuffisants.

[135]  Par conséquent, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du directeur ne constitue pas une instance appropriée pour qu’une décision soit rendue au sujet des droits conférés par l’article 35.

[136]  Et, quoi qu’il en soit, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie au motif du manquement à l’équité procédurale. En raison de ce manquement, la décision doit être infirmée. Elle sera renvoyée au directeur, afin que le demandeur puisse être informé de la position de Salt River quant à la construction de la cabane de récolte des ressources à l’emplacement proposé et avoir la possibilité d’y réagir.

[137]  Ainsi, le demandeur se voit également offrir une possibilité de collaborer avec Parcs Canada, comme l’ont soutenu précédemment Salt River et Smith’s Landing, afin de trouver d’autres emplacements de cabane de récolte à l’extérieur de la zone d’exclusion de 800 mètres. Cet autre emplacement ne sera peut-être pas aussi idyllique que l’emplacement proposé, mais il peut quand même être approprié et ne pas causer de contrainte excessive au demandeur. L’utilisation précédemment proposée des installations existantes de Parcs Canada afin que le demandeur puisse transmettre son savoir pourrait également être explorée pendant cette période.


JUGEMENT dans T-853-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du directeur était injuste sur le plan procédural et est annulée pour ce motif. L’affaire est renvoyée au directeur, de sorte que le manquement à l’équité procédurale puisse être corrigé et l’affaire être ensuite réexaminée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour d’octobre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-853-18

INTITULÉ :

ROBERT GRANDJAMBE FILS POUR SON PROPRE COMPTE ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION CRIE MIKISEW c AGENCE PARCS CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET DIRECTEUR DU PARC NATIONAL DU CANADA WOOD BUFFALO

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 9 avril 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

le 30 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Jeff Langlois

Robin Dean

POUR LE DEMANDEUR

Kathleen Kohlman

Eve Coppinger

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER :

JFK Law Corporation

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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