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Date : 20040917

Dossier : IMM-8046-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1260

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :                    

                                                JASVINDER SINGH MUNDI

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                En mars 2000, le demandeur, un citoyen canadien père de deux jeunes garçons a adopté Gurdeep Kaur Mundi, une jeune fille de l'Inde qui était âgée de treize ans au moment de l'adoption. Gurdeep est également la cousine du demandeur. Gurdeep a présenté une demande de résidence permanente au Canada.


[2]         Dans une décision datée du 31 mai 2002, un agent des visas a refusé la demande d'établissement de Gurdeep au motif qu'elle n'était pas une « parent[e] » au sens du paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement). L'agent des visas a tiré les conclusions suivantes :

·            l'adoption n'était pas valide sous le régime de la Hindu Adoptions and Maintenance Act, 1956 (la Loi sur l'adoption) parce les parents biologiques de Gurdeep n'avaient pas l'intention de donner celle-ci en adoption; et

·            la demande a été faite dans le seul but de faciliter l'admission de Gurdeep au Canada.

[1]         Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SAI). Après avoir entendu l'appel, la SAI a rejeté celui-ci pour défaut de compétence dans une décision rendue le 29 septembre 2003. Autrement dit, la SAI a conclu que Gurdeep n'était pas une « parent[e] » , affirmant ce qui suit :


[traduction] Le tribunal conclut suivant la prépondérance des probabilités que l'adoption n'est pas valide sous le régime de [la Loi sur l'adoption] parce que les parents biologiques de Gurdeep n'avaient pas l'intention de donner celle-ci en adoption. Les réserves exprimées par l'agent des visas concernent des problèmes de crédibilité ayant trait au caractère véritable de l'adoption. La preuve établit que Gurdeep a été adoptée dans le but d'obtenir son admission au Canada.

[2]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

Questions en litige

[3]         La présente demande soulève les questions suivantes :

1.          La SAI a-t-elle tiré une conclusion abusive ou arbitraire sans tenir compte de l'ensemble de la preuve?

2.          La SAI a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle?

Analyse

Question #1 : La SAI a-t-elle tiré une conclusion abusive ou arbitraire sans tenir compte de l'ensemble de la preuve?


[4]         Pour réussir à parrainer la demande d'établissement de Gurdeep, le demandeur devait prouver que l'adoption satisfaisait aux exigences du paragraphe 2(1) du Règlement et que Gurdeep était donc une parente. Le paragraphe 2(1) exige non seulement que l'adoption soit légale, mais également que celle-ci crée « avec l'adoptant un véritable lien de filiation » . Cette disposition exclut de son application la personne adoptée dans le but de faciliter son admission au Canada ou celle d'une personne apparentée.

[5]         Le demandeur soutient que la SAI n'a pas tenu compte de la preuve documentaire abondante dont elle était saisie, preuve montrant l'existence d'un lien de filiation entre l'adoptant et l'adoptée. Cette preuve consistait notamment en des lettres, des factures téléphoniques, des données financières et des billets d'avion.

[6]         Le demandeur affirme à bon droit que la SAI a traité sommairement de cette preuve. Toutefois, cela n'est pas suffisant en soi pour justifier l'annulation de la décision de la SAI. La question sur laquelle doit se pencher la Cour est de savoir si la SAI a omis de prendre en considération des éléments de preuve pertinents ou importants pour tirer une conclusion de fait et a par la suite fondé sa décision sur cette conclusion de fait erronée (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),[1989] A.C.F. no 442 (C.A.F.) (QL). À mon avis, ce n'est pas ce qu'a fait la SAI.


[7]         Il est clair à la lecture de l'ensemble de la transcription d'audience et de la décision elle-même que ce qui a suscité le plus de doutes chez la SAI c'est l'absence d'explication plausible fournie relativement à l'adoption. Plus particulièrement, la SAI avait des doutes quant à deux aspects de l'explication fournie par le demandeur : a) pourquoi adopterait-il sa cousine de 13 ans?; et b) pourquoi son oncle et sa tante lui donneraient-ils l'une de leurs trois filles en adoption? Cette absence d'explications a conduit la SAI à conclure que l'adoption, aussi véritable qu'elle puisse paraître sur papier, n'était pas une véritable adoption et visait en fait à obtenir l'admission de Gurdeep au Canada. Durant l'entrevue avec l'agent des visas et le témoignage devant la SAI, ni le demandeur ni son épouse n'ont pu fournir d'explication plausible relativement à l'adoption.

[8]         Tout au long de l'audience devant la SAI et l'agent de visas, l'explication fournie relativement à l'adoption est demeurée la même. Le demandeur et son épouse ont dit qu'ils aimaient bien Gurdeep. Ils voulaient une fille, mais ils avaient eu deux garçons. Les parents biologiques de Gurdeep avaient deux filles, de sorte que cela ne leur faisait rien de donner l'une d'elles au demandeur et à son épouse. Qu'importe que Gurdeep ait vécu dans un foyer aimant ou qu'il n'ait pas été de coutume en Inde d'adopter un enfant autre qu'un nouveau-né.

[9]         La SAI, un tribunal qui jouit d'une expertise considérable pour tirer des conclusions de fait, a eu l'occasion d'entendre les témoignages de vive voix. Elle était autorisée à conclure que l'explication fournie par le demandeur et son épouse relativement à l'adoption n'était pas plausible. La preuve documentaire ne pouvait dissiper les doutes évidents et compréhensibles qu'avait la SAI relativement à l'explication fournie par le demandeur quant à l'adoption.


[10]       Après avoir jugé que le témoignage produit par le demandeur et son épouse à l'audience mettait en doute l'existence d'un lien de filiation, la SAI a conclu que la preuve documentaire avait été fabriquée pour établir que l'adoption était véritable. Il ne s'agissait pas d'une preuve importante ou pertinente compte tenu de la réserve fondamentale de la SAI; il n'était donc pas nécessaire de l'examiner en détail dans la décision (Owusu-Ansah, précité).


[11]       Bien que la SAI ne soit pas tenue de faire mention de chaque élément de preuve dont elle est saisie (Piel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 859 (C.F. 1 re inst.) (QL)), le fait pour un tribunal de ne pas tenir compte de la preuve directement contradictoire au dossier constitue une erreur susceptible de contrôle (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 140 (C.F. 1re inst.) (QL)); Owusu-Ansah, précité;Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[2001] A.C.F. no 957 (C.F. 1 re inst.) (QL)). Cependant, je ne suis pas d'accord avec le demandeur pour dire que la preuve documentaire contredisait directement les conclusions cruciales de la Commission suivant lesquelles aucune explication plausible n'avait été fournie relativement à l'adoption. La preuve documentaire n'était pas pertinente quant aux conclusions cruciales de la Commission (Piel, précitée). Par conséquent, contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Orgona c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 574 (C.F. 1re inst.) (QL), la SAI, en l'espèce, ne s'est pas fondée de façon sélective sur la preuve pertinente. De la même façon qu'un décideur est autorisé à s'appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur (Polgari, précitée), la SAI, compte tenu des faits l'espèce, est autorisée à s'appuyer sur le témoignage de vive voix du demandeur et de son épouse, de préférence à la preuve documentaire. Cette dernière n'était pas pertinente quant à ses réserves relatives à la plausibilité.


[12]       Le demandeur prétend que la SAI n'a pas tenu compte de l'explication qu'il avait fournie quant aux raisons pour lesquelles il avait inscrit Gurdeep dans une école penjabie. Je ne crois que c'est ce qu'a fait la SAI. Le demandeur a fourni des explications semblables à l'agent des visas et à la SAI. Ils ont tous deux rejeté ces explications, et ce, à bon droit. Même si la SAI n'a pas tenu compte d'une explication plus nuancée qui aurait été fournie à cet égard, la conclusion de la SAI sur ce point avait peu d'importance. Il s'agissait de l'un des nombreux facteurs sur lesquels elle s'était penchée. Comme nous l'avons vu précédemment, la réserve principale de la SAI avait trait à l'absence d'explication adéquate fournie relativement à l'adoption. Dans la présente affaire, contrairement à l'affaire Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 275 (C.F. 1re inst.) (QL), il y avait suffisamment d'éléments de preuve à l'appui des conclusions de non-plausibilité tirées par la SAI. Lorsqu'une décision repose régulièrement sur la preuve, ne méconnaît pas des éléments de preuve importants et est étayée par la preuve, la Cour ne devrait pas intervenir (Zheng, précitée).

[13]       Enfin, l'objection du demandeur suivant laquelle la SAI n'avait pas examiné la question du caractère véritable de l'adoption en tenant compte de sa culture n'est pas convaincante. Comme l'a noté l'agent des visas, il est rare dans les coutumes et traditions indiennes qu'un couple capable d'avoir des enfants adopte un enfant autre qu'un nouveau-né. La SAI a examiné et a fait sien ce raisonnement, ce qui démontre une sensibilisation aux normes culturelles indiennes.

Question #2 : La SAI a-t-elle manqué aux principes de justice naturelle?

[14]       Le demandeur soutient qu'il y a eu déni d'équité procédurale à son endroit, et ce, pour les motifs suivants :

1.          la SAI n'a pas exprimé ses motifs en termes clairs et explicites (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1724) (C.F. 1re inst.) (QL); et


2.          la SAI n'a pas tenu une audience de novo (Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1751 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[15]       Je ne suis pas d'accord avec le demandeur. Sur ce point, je suis d'avis de reprendre les propos du juge Martineau dans la décision Singh, précitée, au paragraphe 26 :

Il ne fait pas de doute que l'analyse de la Commission aurait gagné à être plus étoffée et ses motifs à être exprimés plus clairement. Les éléments essentiels pour confirmer son raisonnement sont toutefois présents. Lorsque la Commission a des motifs de douter de la vraisemblance d'éléments centraux d'une revendication, en outre, elle peut ne prêter aucune foi au reste du témoignage du demandeur [...]

[16]       Les motifs de la SAI étaient suffisamment intelligibles pour permettre au demandeur de comprendre pourquoi sa demande avait été rejetée. La Commission a fourni des motifs clairs à l'appui de ses conclusions de non-plausibilité et de non-crédibilité (Alam, précitée).


[17]       Quant à savoir si le demandeur a été privé d'une audience de novo, les choses sont moins claires. D'une part, les motifs de la SAI traitent abondamment des conclusions de l'agent des visas et font peu de cas de la preuve soumise à l'audience devant la SAI. D'autre part, la décision de l'agent des visas a dûment été produite en preuve devant la SAI, et un examen attentif de la transcription d'audience de la SAI montre que le témoignage comportait très peu de renseignements, sinon aucun, n'ayant pas également été soumis à l'agent des visas. Après avoir lu la décision de la SAI et fait ressortir les commentaires de la décision Singh, précitée, s'appliquant en l'espèce, je suis convaincue que la SAI n'a pas privé le demandeur d'une audience de novo.

[18]       Dans sa décision, la SAI a fait sienne un grand nombre des conclusions de l'agent des visas, mais elle a également tiré ses propres conclusions de fait. L'une de ces conclusions avait trait au testament du demandeur, qui avait été produit en preuve devant la SAI, mais non pas devant l'agent des visas. La SAI a également mentionné dans sa décision que le témoignage de vive voix du demandeur et de son épouse avait été entendu et évalué.

[19]       Encore une fois, une bonne partie du témoignage produit à l'audience tenue devant la SAI portait sur des questions n'ayant pas une importance cruciale quant à la réserve principale de la SAI. Vu que la SAI a expliqué en termes clairs pourquoi le témoignage sur cette question cruciale n'avait pas été accepté, il n'était pas nécessaire d'aller plus loin et de traiter de chaque aspect du reste du témoignage (Piel, précitée).

Conclusion

[20]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée. Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier. Aucune question ne sera certifiée.


                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8046-03

INTITULÉ :                                                    JASVINDER SINGH MUNDI

c.         

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Mendel Green                                                   POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                     

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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