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                                                                                                                                           Date : 20020625

                                                                                                                             Dossier : IMM-2821-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 JUIN 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                              JOSE RICARDO SANDOVAL ALEMAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

[1]         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                                « P. Rouleau »      

                                                                                                                                                                 Juge                

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                                                                                                           Date : 20020625

                                                                                                                             Dossier : IMM-2821-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 710

ENTRE :

                                              JOSE RICARDO SANDOVAL ALEMAN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 La Cour est saisie d'une demande présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision en date du 11 mai 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a annulé la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention qui avait été accordée au demandeur. Le demandeur sollicite un bref de certiorari annulant la décision par laquelle la SSR a fait droit à une demande présentée par le ministre en vue de faire annuler la décision par laquelle le statut de réfugié au sens de la Convention avait été reconnu au demandeur et renvoyant la demande à une autre formation du tribunal. À titre subsidiaire, il demande à la Cour de déclarer qu'il est toujours un réfugié au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi.

LES FAITS

[2]                 Le demandeur, un citoyen du Salvador, est né le 15 novembre 1967 et a grandi dans un petit village du Salvador. Sa famille était pauvre, et il n'a pu fréquenter l'école que pendant six ans.

[3]                 En décembre 1987, le demandeur s'est enrôlé dans l'armée salvadorienne alors que la guerre civile faisait rage au Salvador. Dans l'affidavit qu'il a souscrit, il déclare qu'il a reçu un entraînement de base extrêmement brutal et traumatisant comme soldat. Il affirme avoir ensuite reçu une formation d'opérateur radio et précise que ses fonctions consistaient à transmettre des renseignements entre les bases militaires. En novembre 1988, le demandeur a déserté l'armée salvadorienne après avoir fait défaut de rentrer à la base à temps. Il affirme avoir déserté parce qu'il craignait d'être sévèrement puni s'il regagnait sa base en retard.

[4]                 Le demandeur affirme qu'après sa désertion, il craignait pour sa vie au Salvador. Il savait que s'il était capturé par les guérilleros, il risquait d'être tué pour avoir servi dans l'armée, et que si l'armée le retrouvait, il serait soupçonné de s'être associé aux guérilleros et qu'il risquait d'être torturé et d'être tué. Il a alors décidé de quitter le Salvador pour sa propre sécurité.

[5]                 Le demandeur s'est rendu au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié le 2 mai 1989. Le 18 mai 1989, il a déposé un formulaire de renseignements personnels (FRP) auprès de la SSR. À son audience devant la SSR, il a déclaré qu'au cours de son service militaire, il avait été envoyé [Traduction] « battre et importuner des gens » . Il a aussi fourni des détails au sujet de deux incidents au cours desquels il avait battu et blessé des civils. Ces éléments d'information ne lui ont cependant pas vraiment nui lors de son audience sur le statut de réfugié, car le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu dans une décision datée du 16 août 1989.

[6]                 En avril 1992, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente. En réponse à la question de savoir s'il avait été impliqué dans des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, il a répondu : [Traduction] « Comme j'étais soldat dans l'armée salvadorienne, j'ai dû tuer des civils. Je ne l'ai pas fait de bon gré. Je le regrettais. »


[7]                 Le 16 octobre 1995, le demandeur a été convoqué à une entrevue au cours de laquelle un agent de l'immigration devait l'interroger au sujet de la déclaration qu'il avait faite dans sa demande au sujet des meurtres de civils. Lors de cette entrevue, le demandeur a confirmé que cette déclaration qui se trouvait dans sa demande de résidence permanente était véridique. Il a également affirmé que les incidents suivants s'étaient produits alors qu'il servait au sein de l'armée salvadorienne : il avait participé à un attentat en faisant exploser une bombe dans la voiture d'un homme; il avait participé à une fusillade en tirant des coups de feu en direction des pneus d'une voiture conduite par un autre homme, entraînant une chute de 100 à 150 mètres de cette voiture dans un ravin et son explosion; il avait participé à un attentant contre un troisième homme au domicile de ce dernier; il avait participé à la raclée infligée à un homme, qui s'en était tiré avec des contusions; finalement, il avait participé à la correction qui avait été infligée à un autre homme, qui s'en était sorti avec un bras fracturé et le visage en sang.

[8]                 En novembre 1998, le demandeur a reçu l'ordre de se présenter à une enquête devant un arbitre de l'immigration en vue de déterminer s'il était une personne non admissible au Canada en tant que personne visée à l'alinéa 19(1)j) de la Loi, c'est-à-dire en tant que personne dont on peut penser, pour des motifs raisonnables, qu'elle a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Lors de cette enquête, le demandeur a affirmé qu'il n'avait jamais tué ou blessé qui que ce soit et que les renseignements qu'il avait fournis dans sa demande de résidence permanente et au cours de son entrevue avec l'agent d'immigration n'étaient que des mensonges. Aucun élément de preuve n'a été avancé pour justifier ces affirmations et le demandeur n'a pas été en mesure d'expliquer à l'arbitre pourquoi il avait menti. Le 11 janvier 1999, l'arbitre a jugé que le demandeur n'était pas admissible au Canada en tant que personne visée à l'alinéa 19(1)j) de la Loi. Dans ses motifs, il a déclaré qu'il n'avait pas cru le témoignage que le demandeur avait donné lors de l'enquête, mais qu'il croyait les éléments de preuve qu'il avait fournis dans sa demande de résidence permanente ainsi que lors de ses deux entrevues avec le fonctionnaire de l'immigration.


[9]                 Le 11 janvier 2000, le défendeur a demandé à la SSR de réexaminer et d'annuler la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention qui avait été accordée au demandeur, au motif que celui-ci avait fait de fausses déclarations au sujet des faits en cachant son implication dans les raclées et les meurtres de civils dont il avait parlé aux fonctionnaires de l'immigration. Le défendeur soutenait également que, si le tribunal avait été dès le départ au courant de ces faits, il aurait conclu que le demandeur ne répondait pas à la définition du réfugié au sens de la Convention par application de la section Fa) de l'article premier de la Convention.

[10]            Avant l'instruction de la demande du défendeur, l'avocate du demandeur a dirigé son client vers Mme Mary de Krasinska pour une évaluation et un rapport psychologiques. Le curriculum vitae et le rapport de Mme Mary de Krasinska ont tous les deux été soumis au tribunal avant l'ouverture de l'audience et ont été déposés en preuve le 3 avril 2001.


[11]            Lors de l'instruction de la demande en annulation de la reconnaissance du statut de réfugié (l'audience sur l'annulation), le demandeur a nié avoir été impliqué dans quelque meurtre que ce soit. Il a témoigné qu'il avait menti lors de l'entrevue de 1995 en raison du conseil que lui avait donné une personne qu'il avait rencontrée dans les corridors des bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada où il s'était rendu pour présenter sa première revendication du statut de réfugié au sens de la Convention en 1989. Cette personne lui aurait dit que, pour obtenir gain de cause, il devait dire qu'il avait commis des actes répréhensibles alors qu'il était soldat car sinon personne ne croirait qu'il avait réellement été dans l'armée. Le demandeur a également témoigné qu'il avait menti en 1992 et 1995 parce qu'il essayait de raconter une histoire semblable à celle qu'il avait relatée lors de son audience concernant le statut de réfugié, mais qu'il ne pouvait se rappeler ce qu'il avait dit antérieurement parce que six années s'étaient écoulées depuis sa première audience sur le statut de réfugié et trois autres années depuis qu'il avait rempli sa demande de résidence permanente.

[12]            Le demandeur a confirmé dans le témoignage qu'il a donné lors de l'audience sur l'annulation que les renseignements suivants qu'il avait fournis lors de la première audience étaient véridiques : le fait qu'il était membre de l'armée salvadorienne, qu'il avait déserté l'armée en 1988 et qu'à la suite de sa désertion, il craignait d'être persécuté au Salvador tant par l'armée que par les guérilleros. Cependant, bien qu'il ait déclaré lors de sa première audience sur le statut de réfugié qu'il avait été sommé de descendre d'un autobus et qu'il avait été enrôlé de force dans l'armée, il a déclaré lors de l'audience sur l'annulation que c'était de son plein gré qu'il s'était engagé dans l'armée.

[13]            Le 11 mai 2001, le tribunal de la SSR saisi de la demande d'annulation a décidé de faire droit à la demande présentée par le défendeur en vue de faire annuler la reconnaissance du statut de réfugié qui avait été accordée au demandeur. Le tribunal a conclu que le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité et qu'il ne croyait pas son témoignage suivant lequel il avait menti lorsqu'il avait relaté ces faits.

[14]            Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SSR au motif qu'elle a commis une erreur de droit, qu'elle a manqué aux principes de justice fondamentale et qu'elle a outrepassé sa compétence en tirant ses conclusions.


DÉCISION DE LA SSR

[15]            Le tribunal de la SSR a tiré les conclusions suivantes pour faire droit à la demande présentée par le défendeur en vue de faire annuler la reconnaissance du statut de réfugié du demandeur. En premier lieu, il a estimé qu'il était peu plausible que le demandeur ait suivi le conseil donné par un étranger qu'il venait à peine de rencontrer. Le tribunal a conclu que le détail du récit que le demandeur avait exposé au fonctionnaire de l'immigration ne pouvait être connu que par une personne qui avait effectivement pris part à ces activités et qu'en conséquence, le demandeur avait été impliqué dans la perpétration de crimes contre l'humanité. Le tribunal a également conclu que le demandeur s'était enrôlé de son plein gré dans l'armée et qu'il n'avait déserté celle-ci qu'après avoir commencé à craindre pour sa vie à cause de sa participation à des activités dangereuses. Le demandeur a eu de nombreuses occasions de déserter et il aurait pu le faire s'il s'était opposé aux actes commis par l'armée contre des civils innocents. Finalement, le tribunal saisi de la demande d'annulation a conclu que, s'il avait été au courant des activités du demandeur, le premier tribunal qui avait présidé l'audience concernant le statut de réfugié aurait conclu qu'il ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention par application de la section Fa) de l'article premier de la Convention.


[16]            Le tribunal a tenu compte du témoignage de Mme de Krasinska mais a décidé de ne lui accorder aucun poids. Il a conclu que Mme de Krasinska n'était pas un expert en matière de syndrome de stress post-traumatique, étant donné qu'elle n'avait pas reçu de formation professionnelle et qu'elle ne possédait pas une vaste expérience de travail dans ce domaine et qu'elle n'avait jamais publié d'ouvrages sur le sujet. Il a écarté son rapport en déclarant que [Traduction] « le tribunal estime que ce rapport n'est pas particulièrement éclairant en ce qui concerne les questions en litige dans la présente audience » . La décision du tribunal en question est celle qui est contestée en l'espèce.

QUESTIONS EN LITIGE

[17]            L'avocate du demandeur a formulé de la façon suivante les questions en litige dans la présente demande :

1) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit, manqué aux principes de justice fondamentale et outrepassé sa compétence en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pas été portés à la connaissance du premier tribunal de la SSR pour justifier sa décision d'annuler la reconnaissance du statut de réfugié du demandeur?

2) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en n'accordant aucun poids au témoignage d'un témoin expert qui avait été régulièrement porté à sa connaissance et en ne motivant pas son rejet en bloc du témoignage de cet expert?


3) La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant mal des éléments de preuve qui lui avaient été régulièrement soumis?

[18]            Le demandeur affirme que le tribunal n'était pas compétent pour tenir compte de faits qui n'avaient pas été portés à la connaissance de la formation qui avait présidé l'audience concernant le statut de réfugié dans le cadre d'une demande présentée en vertu du paragraphe 69.2(2) de la Loi. Il soutient qu'en l'espèce, le tribunal a commis une erreur en concluant que le demandeur ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur des éléments de preuve qu'il aurait omis de produire lors de la première audience.

[19]            Le demandeur explique que le tribunal saisi d'une demande fondée sur le paragraphe 69.2(2) n'a pas compétence pour « interpoler » des faits qui n'ont pas été portés à la connaissance du tribunal qui présidait la première audience concernant le statut de réfugié. Le tribunal peut seulement décider s'il y a eu fausse indication sur un fait important et, dans l'affirmative, préciser la partie de la preuve soumise au premier tribunal qui a fait l'objet d'une fausse indication. Une fois que le tribunal s'est prononcé sur cette question, la partie de la preuve en question est retranchée du dossier. Le paragraphe 69.3(5) de la Loi entre alors en jeu et le tribunal doit tenir compte des éléments de preuve soumis au premier tribunal qui restent pour décider si le demandeur répond toujours à la définition de réfugié au sens de la Convention.

[20]            Le demandeur affirme que, pour pouvoir conclure qu'il ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention au motif qu'il avait commis des crimes contre l'humanité, le tribunal devait tenir compte d'éléments de preuve qui n'avaient pas été portés à la connaissance du premier tribunal lors de l'audience concernant le statut de réfugié tenue en 1989, c'est-à-dire des éléments de preuve que le demandeur a divulgués lors des entrevues de 1992 et de 1995. Le demandeur ajoute que, ce faisant, le tribunal a outrepassé sa compétence et a commis une erreur qui justifie la révision de sa décision.

[21]            Le demandeur affirme que la seule chose que le tribunal pouvait légitimement faire dans le cas qui nous occupe, c'était de retrancher du dossier les éléments d'information au sujet desquels il avait donné de fausses indications, pour décider ensuite s'il restait suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur précise que, dans son cas, les éléments de preuve non contestés qui restaient étaient les suivants : il avait été membre de l'armée salvadorienne, il avait déserté l'armée lors de la guerre civile salvadorienne et il craignait d'être tué ou torturé par suite de sa désertion. Le demandeur affirme qu'à eux seuls, ces faits suffisaient pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié qui lui a été accordée.

[22]            À titre subsidiaire, le demandeur allègue que le tribunal a commis une erreur en n'accordant pas de poids au témoignage d'un témoin expert, en l'occurrence Mme de Krasinska, au sujet des raisons pour lesquelles il avait inventé avoir commis des crimes contre l'humanité qu'il n'avait en réalité pas commis.


[23]            Finalement, le demandeur soutient qu'en ce qui concerne les faits qu'il a relatés au bureau de l'immigration en 1992 et en 1995, le tribunal a déclaré ce qui suit à la page 9 du dossier du demandeur :

[Traduction] IL A EXPLIQUÉ QU'IL AVAIT INVENTÉ CETTE HISTOIRE LORS DE SON ENTREVUE DE 1995, À SAVOIR QU'IL AVAIT TIRÉ DES COUPS DE FEU EN DIRECTION DES PNEUS D'UNE VOITURE, QU'IL AVAIT PARTICIPÉ À UN ATTENTAT À LA BOMBE ET QU'IL AVAIT ABATTU UNE PERSONNE. LORSQU'ON LUI A DEMANDÉ POURQUOI IL AVAIT AGI AINSI, M. SANDOVAL ALEMAN A RÉPONDU QUE C'ÉTAIT SUR LE CONSEIL D'UNE PERSONNE QU'IL AVAIT RENCONTRÉE DANS LES CORRIDORS DES BUREAUX DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION LORSQU'IL S'Y ÉTAIT PRÉSENTÉ POUR REVENDIQUER LE STATUT DE RÉFUGIÉ AU SENS DE LA CONVENTION EN 1989 [...] LE TRIBUNAL ESTIME PEU PLAUSIBLE QUE M. SANDOVAL AIT PU AINSI METTRE SA CONFIANCE EN UN ÉTRANGER QU'IL VENAIT À PEINE DE RENCONTRER DANS UN CORRIDOR.

[24]            Suivant le demandeur, en tirant cette conclusion, le tribunal de la SSR a mal interprété certains des éléments de preuve portés à sa connaissance, commettant ainsi une erreur de droit pour plusieurs raisons.

[25]            Pour sa part, le défendeur affirme tout d'abord que le tribunal de la SSR avait de toute évidence compétence pour examiner les nouveaux éléments de preuve qui se rapportaient aux présumés crimes contre l'humanité commis par le demandeur et qui n'avaient pas été portés à la connaissance du premier tribunal. Il est tout à fait logique que de nouveaux éléments de preuve puissent être présentés dans le cadre d'une demande présentée en vertu du paragraphe 69.2(2) de la Loi. Sinon, le ministre défendeur ne pourrait jamais établir que la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important.

[26]            En réponse à cet argument, le demandeur affirme que la seule chose que le tribunal pouvait légitimement faire en l'espèce, c'était d'écarter les éléments de preuve frauduleux et décider ensuite s'il restait par ailleurs suffisamment d'éléments pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention accordée au demandeur. Le défendeur rétorque que le paragraphe 69.2(2) de la Loi permet à la SSR non seulement d'annuler une décision mais aussi de la réexaminer en vue de la modifier (Bayat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 343 (C.A.F.) au paragraphe 22). Le défendeur explique qu'eu égard aux circonstances de la présente espèce, le tribunal n'était pas tenu de se livrer à une analyse des éléments de preuve restants, car les éléments de preuve au sujet desquels le demandeur avait fait des déclarations inexactes ou qu'il avait supprimés ou dissimulés démontraient que le demandeur n'aurait dès le départ pas répondu à la définition de réfugié au sens de la Convention. Le défendeur affirme que de toute façon les éléments de preuve qui restent sont insuffisants pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.


[27]            En ce qui concerne la deuxième question en litige, le défendeur affirme que c'est à la SSR qu'il appartient de se prononcer sur le poids à accorder à la preuve et qu'il n'y pas de fondement juridique ou factuel propre à justifier la modification de la décision de la SSR. Le défendeur soutient qu'il était loisible au tribunal de n'accorder aucun poids au témoignage de Mme de Krasinska parce que son analyse reposait sur les éléments d'information que le demandeur avait portés à sa connaissance et qu'elle ne possédait pas de formation professionnelle ou de vaste expérience en matière de syndrome de stress post-traumatique. Le défendeur ajoute que le témoignage de Mme de Krasinska portait uniquement sur la crédibilité du demandeur au sujet de sa revendication du statut de réfugié. Suivant la jurisprudence applicable de notre Cour, il s'agissait là d'une question qu'il revenait au tribunal de trancher. Qui plus est, contrairement à ce que le demandeur prétend, il n'y a aucun élément de preuve qui permette de penser que le tribunal avait auparavant reconnu Mme de Krasinska comme un expert en matière de syndrome de stress post-traumatique. La preuve ne permet pas non plus de penser qu'elle a déjà participé à des procès où il était question de crimes contre l'humanité.

[28]            Le défendeur affirme que le témoignage que le demandeur a donné au sujet des raisons pour lesquelles il aurait menti à la suite de son audience concernant le statut de réfugié était loin d'être complexe et que la SSR l'a parfaitement compris. Le demandeur a simplement déclaré qu'il n'arrivait pas à se rappeler ce qu'il avait dit lors de la première audience et qu'il essayait de donner une version des faits similaire. L'affirmation du demandeur, suivant laquelle il a [Traduction] « emprunté la voie ouverte par le fonctionnaire de l'immigration » et qu'il a dit ce qu'il croyait qu'il devait dire, n'est appuyée par aucun autre élément de preuve. En fait, le demandeur a fait allusion pour la première fois aux meurtres lorsqu'il a rempli de son plein gré une demande de résidence permanente en 1992. Lors de l'entrevue de 1995, le fonctionnaire de l'immigration l'a interrogé au sujet des renseignements qu'il avait fournis.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[29]            Les dispositions législatives qui s'appliquent directement à la question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les paragraphes 69.2(2) et 69.3(5) de la Loi. En voici le texte :


69.2(2) Avec l'autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important, même si ces agissements sont le fait d'un tiers.

                                                  

69.3(5) La section du statut peut rejeter toute demande bien fondée au regard de l'un des motifs visés au paragraphe 69.2(2) si elle estime par ailleurs qu'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut.

69.2(2) The Minister may, with leave of the Chairperson, make an application to the Refugee Division to reconsider and vacate any determination made under this Act or the regulations that a person is a Convention refugee on the ground that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, whether exercised or made by that person or any other person.

69.3(5) The Refugee Division may reject an application under paragraphe 69.2(2) that is otherwise established if it is of the opinion that, notwithstanding that the determination was obtained by fraudulent means or misrepresentation, suppression or concealment of any material fact, there was other sufficient evidence on which the determination was or could have been based.


[30]            Après avoir attentivement examiné les observations écrites des parties, le dossier certifié du tribunal qui a été déposé devant la Cour ainsi que l'affidavit du demandeur et le rapport de Mme de Krasinska, je suis d'avis que le tribunal de la SSR saisi de la demande d'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié n'a commis aucune erreur qui justifierait l'intervention de la Cour.


[31]            L'avocate du demandeur exhorte la Cour à suivre la décision rendue par le juge Rothstein (ex officio) dans l'affaire Maheswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 195 F.T.R. 254 (C.F. 1re inst.). Elle affirme qu'en raison de cette décision, le tribunal saisi de la demande d'annulation n'avait pas le droit d'examiner les nouveaux éléments de preuve relatifs aux présumés crimes contre l'humanité commis par le demandeur dont ne disposait pas le premier tribunal pour décider s'il pouvait ou non annuler la reconnaissance du statut de réfugié du demandeur. Il s'agit là d'une interprétation totalement fausse de la jurisprudence.


[32]            La décision la plus récente sur la question de savoir si un demandeur peut présenter de nouveaux éléments de preuve pour l'application du paragraphe 69.3(5) de la Loi est l'arrêt Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 603 (QL) (C.A.F.). Dans cet arrêt, le juge Evans a répondu de façon définitive à la question qui avait été certifiée par certains juges de la Section de première instance[1] en déclarant que, pour décider « s'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut » au sens du paragraphe 69.3(5), la Section du statut de réfugié peut tenir compte des éléments de preuve soumis par le ministre dans le cadre d'une demande de réexamen et d'annulation présentée en vertu du paragraphe 69.2(2) dans le but de dégager et d'écarter les éléments de preuve viciés par les fausses déclarations. L'intéressé ne peut toutefois soumettre lors d'une audience sur l'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié des éléments de preuve dont ne disposait pas la Commission lors de l'audience sur la reconnaissance du statut de réfugié pour décider « s'il reste suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut » au sens du paragraphe 69.3(5).

[33]            Dans la décision Coomaraswamy, précitée, et dans toutes les autres décisions, le juge Rothstein a annulé la décision rendue par la Section du statut de réfugié en vertu du paragraphe 69.3(5) de la Loi parce qu'elle s'était fondée sur les éléments de preuve soumis par le ministre pour démontrer que la reconnaissance du statut de réfugié qui avait été accordée avait été obtenue par des moyens illégaux en vue de faire évaluer de nouveau la crédibilité des éléments de preuve qui restaient et qui avaient été portés à la connaissance du premier tribunal. La Cour n'a pas abordé la question qui se situe au coeur du débat en l'espèce, en l'occurrence celle de savoir si le paragraphe 69.2(2) de la Loi permet au tribunal saisi de la demande d'annulation de tenir compte d'éléments de preuve dont ne disposait pas le tribunal saisi de la revendication du statut de réfugié en vue de décider si le demandeur pouvait bénéficier de la protection des dispositions d'exclusion de la Convention. En conséquence, la décision rendue par notre Cour dans l'affaire Maheswaran n'est d'aucune utilité pour le demandeur.


[34]            L'avocate du demandeur affirme que le tribunal saisi en l'espèce de la demande d'annulation a tenu compte d'éléments d'information qui n'avaient pas été portés à la connaissance du premier tribunal et qui ne sont pas admissibles dans le cadre d'une décision visée au paragraphe 69.3(5). J'estime, en toute déférence, que l'avocate fait fausse route. Ainsi que je l'ai déjà déclaré, il semble que la principale question en litige soit celle de savoir s'il était loisible au tribunal saisi de la demande d'annulation de conclure d'après les éléments de preuve dont il disposait que, pour l'application de la section Fa) de l'article premier, le demandeur avait commis des crimes contre l'humanité et qu'il ne répondait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention.

[35]            Dans ses motifs, le tribunal a effectivement mentionné les éléments de preuve soumis par le ministre pour l'application du paragraphe 69.2(2) et ce, dans le but d'établir que les éléments de preuve soumis par le demandeur lors de sa première audience étaient viciés par de fausses indications ou par la dissimulation de faits importants. Cependant, à cause de la façon inexacte dont il a parlé du rôle qu'il avait joué au sein de l'armée du Salvador, le premier tribunal n'a pas pu examiner à fond la question de savoir si le demandeur tombait sous le coup des dispositions d'exclusion de la section Fa) de l'article premier. À mon avis, le tribunal saisi de la demande d'annulation avait manifestement le droit de tenir compte des nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pas été portés à la connaissance du premier tribunal au sujet des présumés crimes contre l'humanité commis par le demandeur. Il ne pouvait pas autrement établir si le demandeur aurait perdu le statut de réfugié au sens de la Convention par application de la section Fa) de l'article premier de la Convention s'il n'avait pas omis de révéler ces éléments de preuve à la première audience.


[36]            Les faits de la présente espèce ressemblent beaucoup à ceux de l'affaire Thambipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1166 (QL) (C.F. 1re inst.), qui portait sur l'interaction entre le paragraphe 69.3(5) de la Loi et la section Fa) de l'article premier de la Convention. Le juge McKeown a déclaré ce qui suit :

¶ 15       La Commission ne peut pas accueillir une demande fondée sur le paragraphe 69.2(2) de la Loi sans d'abord examiner le paragraphe 69.3(5) et déterminer si elle doit, eu égard aux circonstances, exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par cette disposition.

¶ 16       En concluant que le demandeur avait fondé sa revendication initiale sur une fausse indication sur un fait important, la Commission a conclu qu'à l'audience initiale, le demandeur n'avait pas dit la vérité au sujet de sa participation aux actes de torture commis dans les camps de l'IPKF. Le demandeur a fait une fausse indication au sujet de son rôle de simple interprète au service de l'IPKF étant donné qu'il avait pris part aux actes de torture commis contre les prisonniers.

¶ 17       La Commission a donc eu raison de conclure que la preuve établissait qu'il y avait eu fausse indication au sens de la Loi.

¶ 18       À cause de la fausse indication qui avait été faite au sujet du rôle que le demandeur avait eu dans les camps de l'IPKF, la formation initiale de la Commission ne pouvait pas déterminer avec exactitude si le demandeur était visé par les dispositions d'exclusion.

¶ 19       La Commission a examiné la preuve et a conclu, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire qu'à son avis, il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime contre l'humanité au sens de la section Fa) de l'article premier. Étant donné que l'application de la section Fa) de l'article premier avait pour effet d'enlever au demandeur la possibilité de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention, le paragraphe 69.3(5) ne s'appliquait pas dans son cas; indépendamment de la fausse indication sur un fait important qu'il a faite, il aurait été exclu. Par conséquent, la formation chargée d'annuler la décision n'était pas tenue d'apprécier la preuve telle qu'elle s'appliquait aux aspects inclusifs de la définition de « réfugié au sens de la Convention » . Par conséquent, il n'était pas nécessaire que la Commission ait à sa disposition tout le dossier relatif à l'audience initiale, et il est fort douteux qu'il soit de toute façon nécessaire d'avoir tout le dossier.

¶ 20       Dans l'arrêt Mahdi c. Canada, (1995), 191 N.R. 170 (C.A.F), la Commission n'avait pas effectué l'analyse prévue au paragraphe 69.3(5) parce que la formation était convaincue que le demandeur était exclu, compte tenu de la section E de l'article premier. Les juges de la Section de première instance et de la Cour d'appel ont conclu que la formation avait commis une erreur parce qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve montrant que le demandeur était désigné dans la section E de l'article premier. Les tribunaux ne se sont pas opposés à ce que la formation analyse la clause d'exclusion en tant que telle. Comme je l'ai déjà dit, une analyse de l'application des dispositions d'exclusion est inhérente à la demande d'annulation du statut de réfugié au sens de la Convention. Il n'y a pas eu déni de justice naturelle envers le demandeur dans la façon dont la question de l'exclusion a été examinée à l'audition de la présente affaire. Compte tenu du dossier, il était raisonnablement loisible à la Commission de faire les inférences qu'elle a faites et de tirer les conclusions qu'elle a tirées et, par conséquent, quel que soit mon avis, il ne m'appartient pas de modifier les inférences qu'elle a faites : voir See Miranda c. M.E.I. (92-A-6660, 6 mai 1993, C.F. 1re inst.)

[Non souligné dans l'original.]


  

[37]            Je souscris au raisonnement du juge McKeown lorsqu'il affirme qu'une analyse de l'application des dispositions d'exclusion est inhérente à la demande d'annulation du statut de réfugié au sens de la Convention. En l'espèce, le tribunal saisi de la demande d'annulation a fait porter son analyse exclusivement sur l'exclusion du demandeur de la définition de réfugié au sens de la Convention et il ne s'est jamais penché sur la question de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 69.3(5) de la Loi. Comme l'application de la section Fa) de l'article premier empêchait le demandeur d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention, le paragraphe 69.3(5) ne s'appliquait pas dans son cas. Ainsi, le tribunal saisi de la demande d'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié n'était pas tenu d'apprécier la preuve telle qu'elle s'appliquait aux aspects inclusifs de la définition de réfugié au sens de la Convention.

[38]            Ayant conclu que le tribunal saisi de la demande d'annulation avait de toute évidence le droit de tenir compte des nouveaux éléments de preuve qui n'avaient pas été soumis au premier tribunal au sujet des présumés crimes contre l'humanité commis par le demandeur pour décider s'il y avait lieu d'annuler la reconnaissance du statut de réfugié qui avait été accordée au demandeur, je passe au deuxième point litigieux soulevé par l'avocate du demandeur.


[39]            Le demandeur soutient que le tribunal saisi de la demande d'annulation a commis une erreur de droit en n'accordant aucun poids au témoignage d'un témoin expert qui avait été régulièrement porté à sa connaissance et en ne motivant pas son rejet en bloc du témoignage de cet expert. Mon examen du dossier certifié du tribunal n'appuie cependant pas l'argument de l'avocate du demandeur.

[40]            Lors de l'audience sur l'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié, le tribunal a examiné le rapport psychologique produit par l'avocate du demandeur dans lequel l'auteur du rapport, Mme de Krasinska, tente d'expliquer l'état d'esprit de son client et les raisons pour lesquelles il aurait inventé l'histoire de sa participation au meurtre de civils. Mme de Krasinska, a également longuement témoigné à l'audience au cours de laquelle elle a exposé dans le détail les renseignements contenus dans son rapport. Elle a témoigné qu'après 14 heures d'entrevue avec le demandeur, elle avait jugé celui-ci digne de foi lorsqu'il a affirmé qu'il n'avait jamais tué ou blessé personne et lorsqu'il a dit qu'il avait menti lorsqu'il avait affirmé avoir commis de tels actes. Elle a aussi déclaré dans son témoignage qu'elle possédait une vaste expérience qui lui permettait de savoir si une personne dit ou non la vérité en observant ses réactions physiques et émotives en réponse à ses questions. Elle a affirmé qu'à son avis, si le demandeur lui avait menti, elle aurait pu le déceler à certains signes, mais que ce n'était pas le cas. Elle a également déclaré qu'à la lumière des mêmes critères d'évaluation, elle avait cru le demandeur lorsqu'il avait affirmé qu'il avait dit la vérité lorsqu'il avait été dans l'armée salvadorienne, qu'il avait déserté et qu'il avait par la suite craint pour sa vie.


[41]            Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il aurait menti à l'audience concernant le statut de réfugié, le demandeur a expliqué qu'il avait suivi le mauvais conseil que lui avait donné une personne qu'il avait rencontrée aux bureaux des services de l'immigration avant de revendiquer le statut de réfugié. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il aurait continué à mentir après l'audience concernant son statut de réfugié, le demandeur a répondu qu'il ne se rappelait plus ce qu'il avait dit lors de la première audience et qu'il essayait de donner un récit des faits semblable. Le tribunal a fait remarquer que le demandeur se rappelait nettement qu'il avait servi dans l'armée salvadorienne et qu'il avait reçu une formation d'opérateur radio, mais qu'il avait des trous de mémoire lorsqu'il s'agissait d'expliquer aux fonctionnaires de l'immigration son rôle et ses activités précises au sein de l'armée. Le tribunal a estimé peu plausible que le demandeur mette ainsi sa confiance en un étranger qu'il venait à peine de rencontrer. Il a également conclu que le détail du récit du demandeur ne pouvait être connu que par une personne qui avait effectivement participé à ces activités et qu'en conséquence, le demandeur avait été impliqué dans des crimes contre l'humanité. Finalement, le tribunal a conclu, en se fondant sur les déclarations faites par le demandeur à l'audience sur l'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié, que le demandeur s'était enrôlé de son plein gré et qu'il n'avait déserté l'armée qu'après avoir commencé à craindre pour sa vie en raison de sa participation à des activités dangereuses.

[42]            À mon avis, il était entièrement raisonnable de la part du tribunal saisi de la demande d'annulation de tirer de telles conclusions en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. Ces conclusions ne peuvent être annulées que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire, ce qui n'est de toute évidence pas le cas en l'espèce.

[43]            Mme de Krasinska a également témoigné au sujet des raisons pour lesquelles elle croyait que le demandeur avait inventé les faits qu'il avait relatés dans sa demande de résidence permanente et qu'il avait exposés au fonctionnaire de l'immigration. Elle a parlé des antécédents modestes et du faible niveau de scolarité du demandeur, de son enfance au sein d'un foyer autoritaire, de sa personnalité, de ses antécédents culturels en tant que Latino-Américain en général et de Salvadorien en particulier, de sa peur de l'autorité, de la façon dont il avait été interrogé par le fonctionnaire de l'immigration et du fait qu'il semblait avoir souffert du syndrome de stress post-traumatique par suite de son entraînement et de son service militaires.

[44]            La conclusion du tribunal saisi de la demande d'annulation suivant laquelle le témoignage donné par le demandeur lors de l'audience sur l'annulation n'était pas crédible a joué un rôle déterminant sur sa décision. S'il avait cru le témoignage du demandeur suivant lequel il avait menti lors de la première audience et par la suite, en 1992 et 1995, et qu'il n'avait jamais tué ou blessé qui que ce soit, le tribunal n'aurait pas pu le reconnaître coupable de fausse déclaration ou de dissimulation.

[45]            Les conclusions relatives à la crédibilité se trouvent évidemment au coeur de la compétence spécialisée de constatation des faits de la SSR, et ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que le tribunal qui les révise pourra les infirmer. Il est par ailleurs de jurisprudence constante que le fait que la totalité des éléments de preuve soumis au tribunal ne soient pas mentionnés dans les motifs écrits ne constitue pas en soi une erreur de droit justifiant la révision de la décision.


[46]            En l'espèce, je suis convaincu qu'avant de décider de ne pas accorder de poids au rapport d'expert de Mme Krasinska, le tribunal saisi de la demande d'annulation s'est effectivement attaqué dans ses motifs au contenu de ce rapport et qu'il a expliqué les raisons pour lesquelles il l'écartait. Le tribunal a conclu que Mme de Krasinska était titulaire d'un baccalauréat ès arts en psychologie et d'une maîtrise en travail social et que ces diplômes ne lui conféraient pas la qualité d'expert en syndrome de stress post-traumatique. Elle n'avait pas reçu de formation professionnelle, ne possédait pas d'expérience de travail poussée dans ce domaine et n'avait jamais publié d'ouvrages sur le syndrome de stress post-traumatique. À mon avis, il n'y a aucune raison de modifier les conclusions que le tribunal a tirées au sujet de la crédibilité.

[47]            Le demandeur reproche également au tribunal saisi de la demande d'annulation de ne pas avoir pris acte du fait que le même tribunal avait déjà reconnu Mme de Krasinska comme témoin expert et qu'il l'avait invitée à donner un exposé sur la question des conséquences des traumatismes. Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que le dossier ne renferme aucun élément de preuve qui permette de penser que Mme de Krasinska avait déjà été reconnue comme expert en matière de syndrome de stress post-traumatique. Le fait qu'elle a été invitée à donner un exposé sur les conséquences des traumatismes ne faisait pas nécessairement d'elle un témoin expert sur le sujet dans le cadre d'une audience sur la reconnaissance du statut de réfugié.

[48]            À mon avis, les antécédents modestes et le faible niveau de scolarité du demandeur, son enfance au sein d'un foyer autoritaire, sa personnalité fragile, ses antécédents culturels en tant que Latino-Américain et sa peur de l'autorité n'ont rien à voir avec la question de savoir s'il dit la vérité au sujet de ses agissements alors qu'il servait dans l'armée salvadorienne et ce, d'autant plus que la preuve ne permet pas d'imputer le fait que le demandeur aurait témoigné de manière évasive, vague, confuse ou incohérente, à l'écoulement du temps, à son faible niveau de scolarité ni au syndrome de stress post-traumatique dont il aurait pu souffrir en raison de son entraînement ou de son service militaire.


[49]            En l'espèce, le demandeur a choisi de ne pas fournir au premier tribunal de renseignements exacts au sujet des crimes contre l'humanité qu'il était accusé d'avoir commis. Il a néanmoins déclaré qu'au cours de son service militaire, il avait été envoyé [Traduction] « battre et importuner des gens » . Il a aussi fourni des détails au sujet de deux incidents au cours desquels il avait battu et blessé des civils. Ces éléments d'information ne lui ont cependant pas nui lors de son audience sur le statut de réfugié et le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été reconnu. Il ne s'agit pas pour le demandeur d'avoir maintenant la possibilité de faire réexaminer la demande d'annulation du défendeur en présentant un rapport d'expert et en affirmant avoir menti lorsqu'il a d'abord déclaré avoir maltraité des gens alors qu'il était soldat et que ce mensonge s'expliquait uniquement par les « mauvais conseils » qu'il affirmait avoir reçus d'un parfait étranger avant de revendiquer le statut de réfugié. De toute évidence, l'esprit de la loi ne consiste pas à accorder plus de droits à celui qui a donné de fausses indications sur un fait important pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention.

[50]            Il ressort du dossier certifié du tribunal que les entrevues visaient en l'espèce à recueillir des éléments d'information pour confirmer ou infirmer les déclarations faites par le demandeur dans sa demande de résidence permanente. Le caractère informel de la procédure ne dispensait cependant pas le demandeur de l'obligation de dire la vérité lors de ses entrevues. Si les allégations d'avoir tué et blessé des gens étaient en fait des mensonges, le demandeur devait expliquer au fonctionnaire de l'immigration pourquoi il avait menti. Le demandeur n'a finalement pas obtenu gain de cause lors de l'audience sur l'annulation, mais ainsi que je l'ai déjà dit, cette situation s'explique par l'obstination du demandeur à donner de fausses indications sur des faits cruciaux et à tromper les fonctionnaires de l'immigration qui l'ont reçu en entrevue.

[51]            Finalement, en ce qui concerne la présentation erronée des éléments de preuve, j'abonde dans le sens du défendeur lorsqu'il affirme que l'argument de l'avocate du demandeur est mal fondé.

[52]            Je conclus donc que, vu l'ensemble de la preuve dont il disposait, le tribunal saisi de la demande d'annulation pouvait raisonnablement décider de ne pas ajouter foi au témoignage du demandeur qui affirmait avoir menti lorsqu'il avait soutenu avoir tué et blessé des civils et conclure qu'il avait effectivement commis des crimes contre l'humanité.

[53]            Compte tenu de la décision à laquelle j'en viens, le tribunal saisi de la demande d'annulation n'était pas tenu de décider s'il devait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 69.3(5) de la Loi. En conséquence, il n'est pas nécessaire que je décide si, après avoir retranché du dossier les éléments d'information qui sont viciés, il reste par ailleurs suffisamment d'éléments pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention.

[54]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[55]            À la clôture de l'audience, on a laissé entendre qu'il y avait peut-être lieu de faire soumettre certaines questions de portée générale que je présume être les suivantes :

1) Une fois qu'un tribunal saisi d'une demande d'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié a jugé qu'une personne est exclue en vertu de la section Fa) de l'article premier, doit-on se référer aux éléments de preuve du premier tribunal pour vérifier s'il reste suffisamment d'éléments pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention?

2) Le tribunal saisi d'une demande d'annulation de la reconnaissance du statut de réfugié peut-il admettre de nouveaux éléments de preuve présentés par la Couronne pour faire la preuve des fausses indications qui ont été données à la SSR?

[56]            À mon sens, le juge McKeown a analysé la première question et y a répondu dans le jugement Thambipillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1166 (QL) (C.F. 1re inst.).

[57]            Pour ce qui est de la seconde question, il n'y a aucun doute que le juge Evans y a répondu dans l'arrêt Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 603 (QL) (C.A.F).

[58]            Il n'est donc pas nécessaire selon moi d'examiner ces questions.

                                                                                                                                                « P. Rouleau »      

                                                                                                                                                                 Juge             

OTTAWA (Ontario)

Le 25 juin 2002

   

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                               IMM-2821-01

INTITULÉ :                              Jose Ricardo Sandoval Aleman c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :      Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :    20 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :           25 juin 2002

   

COMPARUTIONS :

Lorna K. Gladman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Brad Hardstaff                                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorna K. Gladman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR



[1] Voir les jugements Guruge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998), 160 F.T.R. 297 (C.F. 1 re inst.); Sayed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 195 F.T.R. 121 (C.F. 1re inst.); Osei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 410 (QL) (C.F. 1re inst.); Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 183 (QL) (C.F. 1re inst.). Dans les affaires Guruge et Sayed, l'appelant s'est désisté de l'appel qu'il avait interjeté devant la Cour d'appel fédérale. L'arrêt Coomaraswamy de la Cour d'appel fédérale a été rendu un mois après le prononcé du jugement de la Section de permière instance de la Cour fédérale dans l'affaire Osei. L'audition de l'appel interjeté dans cette dernière affaire n'a pas encore eu lieu.

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