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Date : 20190813


Dossier : IMM‑3368‑18

Référence : 2019 CF 1071

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 août 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ABDULLAHI MAKARAN MOHAMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Abdullahi Makaran Mohamed, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Dans cette décision, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[2]  Avec le consentement des parties, l’intitulé de la cause est par les présentes modifié pour identifier le défendeur comme étant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.  Contexte

[4]  Le demandeur est un citoyen de Mogadiscio, en Somalie. Il affirme être membre du sous‑clan minoritaire Haskul, qui fait partie du clan Hawiye en Somalie. Le 29 mai 2016, il est entré au Canada à partir des États‑Unis et a présenté une demande d’asile.

[5]  La question déterminante que devait trancher la SAR concernait la crédibilité de certains aspects importants de la demande d’asile du demandeur. Dans ce contexte, le récit des événements ayant incité le demandeur à fuir la Somalie est présenté dans les paragraphes suivants.

[6]  En décembre 2014, le demandeur travaillait dans le magasin de son père et a vu des membres du clan Habargadir, un autre sous‑clan du clan Hawiye, tuer son père à la suite d’une dispute au sujet du paiement de leurs biens. Après cet incident, il a commencé à travailler au magasin de vêtements de son oncle.

[7]  Le 8 février 2015, le demandeur et son collègue Ibrahim ont été témoins du meurtre d’un agent de police perpétré par deux membres d’Al‑Shabaab devant le magasin de son oncle. Le demandeur a reconnu l’un des assaillants, qui était un ancien camarade de classe, et a donné le nom (Madey) et l’adresse de ce dernier à la police. Plus tard dans l’après‑midi, le demandeur a reçu un appel de Madey lui disant savoir qu’il avait parlé à la police et qu’il serait tué pour avoir soutenu le gouvernement et s’être opposé à Al‑Shabaab. Le demandeur affirme être allé directement chez un ami pour se cacher tout de suite après avoir reçu cet appel.

[8]  Le lendemain, le demandeur a été informé qu’Ibrahim avait été abattu par Al‑Shabaab. Ce soir‑là, le demandeur s’est rendu chez lui pour prendre ses affaires avant de quitter Mogadiscio. Il prétend que trois membres d’Al‑Shabaab sont venus chez lui pendant qu’il y était. Lorsque sa sœur a répondu à la porte et leur a refusé l’entrée, ils l’ont abattue. Le témoignage du demandeur quant au fait qu’il aurait vu ces hommes est toutefois mis en doute, car il est sorti par la porte arrière de la maison pour retourner chez son ami.

[9]  Par la suite, le demandeur a reçu de son oncle de l’argent pour fuir la Somalie. Le 10 février 2015, le demandeur a quitté Mogadiscio et s’est rendu en voiture à Addis‑Ababa, en Éthiopie. Le 20 février 2015, il s’est envolé pour São Paolo, au Brésil. De là, il s’est rendu en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Le 3 mai 2015, il est arrivé aux États‑Unis à Brownsville, au Texas, et a présenté une demande d’asile. Il a aussitôt été mis en détention. Sa demande d’asile a été rejetée le 2 novembre 2015 et son renvoi en Somalie a été ordonné.

[10]  Après avoir été libéré, le demandeur s’est rendu à St. Cloud, au Minnesota, où on lui a dit qu’il devrait aller au Canada pour y demander l’asile. Le demandeur est arrivé au Canada le 29 mai 2016 à Emerson, au Manitoba, et a présenté une demande d’asile.

[11]  Le demandeur soutient qu’il risque d’être victime d’Al‑Shabaab en Somalie parce qu’il a dénoncé l’un de ses membres à la police. Il soutient également qu’il sera perçu comme un espion et comme une personne qui appuie la communauté internationale parce qu’il a vécu dans des pays catholiques (en Occident) et qu’il sera la cible du recrutement forcé d’Al‑Shabaab.

[12]  Le 13 juin 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur pour le motif qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. Les questions déterminantes dont était saisie la SPR concernaient l’identité du demandeur et sa crédibilité et étaient, selon le tribunal, inextricablement liées dans cette affaire. La SPR a longuement examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur pour établir son identité et a conclu qu’il n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir son identité personnelle ou nationale. Pendant qu’il examinait ces éléments de preuve, le tribunal de la SPR a relevé des omissions et des incohérences importantes dans la demande d’asile du demandeur aux États‑Unis, son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) présenté au Canada et son témoignage.

[13]  Après avoir conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité, la SPR a reconnu qu’une analyse exhaustive de la preuve relative à d’autres aspects de la demande d’asile du demandeur n’était pas nécessaire. Cependant, le tribunal a déclaré que les conclusions défavorables qui ont été tirées quant à la crédibilité d’autres éléments de preuve confirment ses conclusions relatives à la crédibilité des éléments de preuve présentés pour établir l’identité du demandeur. La SPR a ensuite exposé ses conclusions défavorables quant à l’appel qu’aurait reçu le demandeur d’un membre d’Al‑Shabaab, qui aurait menacé de le tuer parce qu’il a été témoin du meurtre de l’agent de police, et elle a déclaré que le témoignage du demandeur n’était ni clair, ni cohérent. Le tribunal a conclu que [traduction] « les nombreuses incohérences et modifications successives » dans les éléments de preuve présentés à ce sujet par le demandeur renforçaient sa conclusion selon laquelle il n’était pas crédible. La SPR s’est également penchée sur les incohérences dans le témoignage du demandeur sur le présumé meurtre par balle de sa sœur et s’est demandé si le demandeur avait effectivement vu les assaillants.

[14]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. La SAR a rejeté son appel et confirmé la décision de la SPR. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[15]  La décision est datée du 25 juin 2018. La SAR a déterminé que la SPR a commis une erreur dans ses conclusions relatives à l’identité du demandeur et a conclu que l’identité du demandeur avait été établie. Toutefois, la SAR a déterminé que la SPR n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions relatives à la crédibilité du demandeur et a conclu que ce dernier n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles concernant le préjudice qu’il subirait en tant que membre d’un clan minoritaire et les mauvais traitements qu’il subirait de la part d’Al‑Shabaab s’il retournait en Somalie.

[16]  Devant la SAR, le demandeur a fait valoir que la SPR a violé son droit à l’équité procédurale, a commis une erreur dans ses conclusions relatives à son identité et à sa crédibilité, et a commis une erreur en rejetant le danger que représente pour lui Al‑Shabaab en Somalie.

[17]  En appel, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve documentaire qui consistaient en des documents sur son identité et sur la situation du pays, dont la majorité a été admise par la SAR. Après avoir examiné le dossier, y compris l’enregistrement audio des audiences de la SPR ainsi que les nouveaux éléments de preuve, le tribunal de la SAR a conclu que le demandeur a fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir son identité personnelle, nationale et de clan selon la prépondérance des probabilités. En raison de cette conclusion, l’argument du demandeur concernant l’équité procédurale revêtait un caractère théorique étant donné qu’il était lié à l’évaluation de son identité effectuée par la SPR.

[18]  La SAR a ensuite examiné les conclusions de la SPR quant à la crédibilité ainsi que l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur en doutant de sa crédibilité en raison de divergences et omissions mineures dans ses éléments de preuve et les menus détails de son témoignage, qui provenaient de trois séances devant la SPR. La SAR a rejeté ces arguments. Le tribunal a déclaré que les arguments du demandeur étaient vagues et que ce dernier n’a fait aucune référence aux faits de l’espèce ni aux conclusions particulières de la SPR en matière de crédibilité. Néanmoins, la SAR a analysé de façon approfondie la crédibilité du demandeur, en mettant l’accent sur trois aspects principaux de sa demande d’asile :

[25] Néanmoins, il semble que l’appelant conteste les conclusions de la SPR relatives à sa crédibilité au sujet de l’omission dans sa demande d’asile aux États‑Unis concernant le meurtre de son père par le clan Habargidir, de son témoignage selon lequel des membres d’Al‑Shabaab ont tué sa sœur par balle et du prétendu appel de menaces d’Al‑Shabaab. L’appelant ne s’étant pas conformé aux sous‑alinéas 3(3)g)(i) et (ii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés et n’ayant pas présenté d’observations décrivant en détail en quoi les conclusions de la SPR sur sa crédibilité sont excessivement minutieux en regard des faits en l’espèce, j’ai procédé à une évaluation indépendante du dossier. À la suite de cette évaluation, je conclus que la SPR n’a pas procédé à un examen excessivement minutieux et que les principales allégations de l’appelant ne sont pas crédibles.

[19]  Premièrement, la SAR s’est penchée sur le fait que le demandeur n’a pas mentionné le décès de son père dans ses documents liés à sa demande d’asile aux États‑Unis, mais qu’il en a fait mention dans son formulaire FDA. Le tribunal a déclaré que cette omission était importante, car le meurtre de son père par des membres du clan Habargadir était l’une des raisons pour lesquelles le demandeur craignait de retourner en Somalie. En effet, le demandeur avait affirmé que le clan Hawiye ne le protégerait pas contre le clan Habargadir parce qu’il est membre du clan minoritaire Haskul. La SAR se serait attendue à ce que le demandeur parle de sa crainte du clan Habargadir dans l’explication qu’il a donnée aux autorités américaines pour expliquer pourquoi il demandait l’asile.

[20]  Deuxièmement, la SAR a conclu que la SPR n’a pas procédé à une analyse excessivement minutieuse du témoignage du demandeur concernant le meurtre de sa sœur qui aurait été commis par Al‑Shabaab. Le tribunal a mentionné que le fait que le demandeur a dit dans son formulaire FDA avoir vu les membres d’Al‑Shabaab à la porte de chez lui, mais qu’il a ensuite déclaré dans le cadre de son témoignage ne pas avoir vu les hommes à la porte de chez lui, ne constitue pas une incohérence mineure. En effet, sa capacité de reconnaître les meurtriers était d’une importance capitale pour corroborer ses affirmations selon lesquelles Al‑Shabaab était responsable du meurtre de sa sœur.

[21]  Troisièmement, la SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que l’incapacité du demandeur de se souvenir avec cohérence du moment et de l’endroit où Al‑Shabaab l’aurait appelé dans l’après‑midi suivant le meurtre de l’agent de police minait la crédibilité de son affirmation selon laquelle il était menacé par le groupe. Le tribunal a décrit en détail les différentes incohérences entre le formulaire FDA du demandeur et les réponses que ce dernier a fournies aux questions que lui a posées la SPR et a tiré la conclusion suivante :

[37] Étant donné que l’appelant ne conteste pas le fond des incohérences relevées, j’estime que la conclusion de la SPR sur sa crédibilité est correcte et fondée sur les éléments de preuve au dossier. Le témoignage de l’appelant au sujet du moment et de l’endroit où il se trouvait lorsqu’il a reçu l’appel de menaces, ainsi que le fait qu’il n’est [sic] pas dit dans le formulaire FDA qu’il s’est adressé à la police après cet appel, minent sa crédibilité quant à la possibilité que l’incident se soit produit comme il le prétend. Compte tenu des doutes en ce qui concerne la crédibilité de l’appel téléphonique et le meurtre par balle de sa sœur par Al‑Shabaab, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’a pas été menacé et recherché par Al‑Shabaab, comme il le prétend.

[22]  Enfin, la SAR a conclu qu’Al‑Shabaab ne représente pas un danger pour le demandeur si celui‑ci retourne en Somalie. La SAR a également conclu que l’affirmation du demandeur selon laquelle Al‑Shabaab aurait menacé de le tuer n’était pas crédible et que le demandeur n’avait pas le profil d’un Somalien qui a vécu pendant longtemps dans un pays occidental. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que le fait qu’il a habité aux États‑Unis et au Canada depuis 2015 l’avait changé ou lui avait fait acquérir des habitudes, des comportements ou des usages culturels qui pourraient donner à penser qu’il vient d’un pays occidental ou qu’il est bien nanti. Par conséquent, à la suite d’une évaluation prospective, la SAR a conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté pour l’un des motifs de l’article 96 de la LIPR prévu par la Convention et que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

III.  Questions en litige

[23]  Je dois déterminer si la décision contestée est raisonnable. Le demandeur soulève deux questions précises :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’examiner l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur de droit en continuant d’évaluer le bien‑fondé de sa demande d’asile après avoir conclu qu’il n’avait pas établi son identité?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne donnant pas des exemples précis de l’analyse excessivement minutieuse qu’aurait faite la SPR de sa crédibilité?

IV.  Norme de contrôle

[24]  La norme de contrôle applicable aux décisions de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica), 2016 CAF 93, au par. 35 (Huruglica); Gebremichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 646, au par. 8). Concrètement, cela signifie que je dois déterminer si les conclusions de la SAR quant à la crédibilité du demandeur et à son profil sont raisonnables (Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, au par. 23).

[25]  La norme de la décision raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit en l’espèce (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 (Dunsmuir)). En d’autres termes, la cour de révision doit examiner à la fois les motifs et le résultat du processus décisionnel (Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, au par. 27). Les critères établis dans l’arrêt Dunsmuir sont respectés si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »  (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16).

V.  Analyse

[26]  J’aborderai les questions précises soulevées par le demandeur dans les paragraphes suivants du présent jugement. Cependant, je tiens d’abord à mentionner que j’estime que la décision est raisonnable. La SAR a examiné en détail chacun des motifs d’appel invoqués par le demandeur et a manifestement effectué une analyse indépendante de la preuve et du témoignage de ce dernier. Le tribunal a non seulement tiré des conclusions précises, mais il a aussi expliqué pourquoi ces conclusions avaient une incidence importante sur le récit du demandeur et, au bout du compte, sur sa crédibilité et sur sa crainte alléguée d’Al‑Shabaab. À mon avis, la décision de la SAR doit être respectée pour que la norme de contrôle de la décision raisonnable et le principe de retenue judiciaire soient appliqués de manière pertinente.

1.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’examiner l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur de droit en continuant d’évaluer le bien‑fondé de sa demande d’asile après avoir conclu qu’il n’avait pas établi son identité?

Observations des parties

[27]  Le demandeur reconnaît que la SPR n’a pas commis d’erreur de droit en tirant des conclusions défavorables quant à sa crédibilité après avoir conclu qu’il n’avait pas établi son identité personnelle ou nationale. Dans la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 681, la juge Snider a seulement déclaré au paragraphe 6 que cela n’était pas nécessaire. Le demandeur soutient qu’en l’espèce la SPR n’aurait pas dû agir ainsi compte tenu des conclusions très défavorables qu’elle a tirées en ce qui concerne son identité. Il affirme que les questions posées par la SPR et l’analyse que cette dernière a faite de sa crédibilité ont indûment faussé l’analyse de la SAR en appel.

[28]  Le défendeur souligne que, dans la décision Yang, la juge n’a pas laissé entendre que la SPR ne doit jamais examiner au fond le récit d’un demandeur après avoir conclu que ce dernier n’a pas établi son identité. Le défendeur soutient qu’en l’espèce le tribunal de la SPR devait examiner certains aspects du bien‑fondé de la demande d’asile du demandeur, puisque les questions de l’identité et de la crédibilité étaient inextricablement liées. Le défendeur soutient également que l’argument selon lequel la SAR a commis une erreur en n’abordant pas cette question dans la décision est un argument théorique.

Analyse

[29]  Je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en omettant d’examiner l’argument du demandeur selon lequel la SPR a commis une erreur en évaluant sa crédibilité après avoir tiré des conclusions défavorables quant à son identité. Comme le reconnaît maintenant le demandeur, la décision rendue par la juge Snider dans l’affaire Yang ne permet pas d’affirmer que la SPR ne peut pas évaluer la crédibilité après avoir tiré des conclusions défavorables quant à l’identité. En l’espèce, la SPR a expliqué qu’elle a tiré certaines conclusions quant à la crédibilité parce que les questions de l’identité et de la crédibilité du demandeur étaient inextricablement liées. La SPR a déclaré ce qui suit à cet égard :

[traduction]

[37] Compte tenu des observations susmentionnées de la Cour, et ayant conclu que le demandeur n’a pas établi son identité, le tribunal conclut qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse exhaustive de la preuve relative à d’autres aspects de sa demande d’asile. Cependant, le tribunal a conclu que sa conclusion quant à la crédibilité des éléments de preuve présentés relativement à la question de l’identité a été confirmée par les conclusions défavorables qui ont été tirées quant à la crédibilité d’autres éléments de preuve, dont quelques exemples seulement sont présentés ci‑après.

[30]  Je partage en outre l’opinion du défendeur lorsqu’il affirme que cet argument est théorique. La SAR a étudié de façon exhaustive la question de l’identité en tenant compte de la preuve dont disposait la SPR et des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Le tribunal de la SAR a conclu que la SPR a commis une erreur et que l’identité personnelle et nationale du demandeur avait été établie. La SAR a ensuite procédé à une analyse indépendante de sa crédibilité. L’argument du demandeur selon lequel l’évaluation de la SAR a été indûment faussée par la nature des questions posées par la SPR et les conclusions que celle‑ci a tirées quant à sa crédibilité n’est pas convaincant.

2.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne donnant pas des exemples précis de l’analyse excessivement minutieuse qu’aurait faite la SPR de sa crédibilité?

Observations des parties

[31]  Bien que le demandeur soutienne que la SAR a commis une erreur en déclarant qu’il n’avait pas fourni des exemples précis de l’analyse excessivement minutieuse qu’aurait effectuée la SPR, ses observations sont axées sur le fond des conclusions de la SAR quant à sa crédibilité. Il affirme que la SAR aurait dû accorder plus de crédibilité à ses explications quant à l’omission du meurtre de son père dans les documents de sa demande d’asile aux États‑Unis et quant au traumatisme qu’il aurait subi et qui l’empêcherait de se souvenir des détails du meurtre par balle de sa sœur.

[32]  Le défendeur soutient que la SAR n’a commis aucune erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité. Il souligne que la Cour doit centrer son analyse sur la décision de la SAR et non la décision de la SPR. Il insiste également sur le fait que le demandeur n’a pas contesté certains des éléments principaux de la décision, dont les conclusions de la SAR selon lesquelles Al‑Shabaab n’a probablement pas tué l’agent de police ni la sœur du demandeur et n’a probablement pas appelé le demandeur pour le menacer. Or, ces incidents sont un élément central du récit de la fuite du demandeur et de sa crainte d’être tué par Al‑Shabaab. Enfin, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SAR selon laquelle Al‑Shabaab ne représentait pas une menace objective pour le demandeur. Le défendeur soutient également que la décision ne doit pas être considérée comme déraisonnable, car aucune preuve n’a été présentée concernant la menace continue que représente Al‑Shabaab ou le risque objectif auquel sera exposé le demandeur.

Analyse

[33]  Je suis d’accord avec le défendeur et je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur dans ses conclusions défavorables quant à la crédibilité ou dans sa conclusion finale selon laquelle Al‑Shabaab ne représente pas un danger pour le demandeur si celui‑ci retourne en Somalie. De plus, l’argument du demandeur selon lequel la SAR aurait dû accorder plus de crédibilité à ses explications donne effectivement à penser qu’il demande à la Cour de réévaluer la preuve.

[34]  La SAR a déclaré que le formulaire utilisé par le demandeur pour demander l’asile aux États‑Unis ressemble au formulaire FDA, mais qu’il ne correspond pas aux notes prises au point d’entrée. Le tribunal a conclu que l’omission dans le formulaire des États‑Unis concernant le meurtre du père du demandeur par des membres du clan Habargadir n’est pas une omission mineure. De plus, la SAR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle il n’a mentionné dans son formulaire de demande d’asile aux États‑Unis que les incidents qui l’ont directement poussé à fuir la Somalie.

[35]  Lors de l’audience de la SPR, le demandeur a déclaré qu’il était membre du sous‑clan Haskul du clan Hawiye et qu’il craignait le clan Habargadir. Il a également déclaré qu’il ne serait pas protégé par le clan Hawiye et que le meurtre de son père avait beaucoup contribué à alimenter ses craintes. La SAR a raisonnablement conclu que la divergence entre le formulaire de demande d’asile présenté par le demandeur aux États‑Unis, son formulaire FDA et son témoignage devant la SPR n’est pas une divergence mineure, car elle pousse la SAR à remettre en doute sa crainte du clan Habargadir :

[29] […] Si l’appelant craignait vraiment le clan Habargidir parce que celui‑ci a tué son père en raison de son appartenance à un clan minoritaire, il y aurait lieu de s’attendre à ce qu’il en soit question dans son explication aux autorités américaines des raisons pour lesquelles il demandait l’asile et craignait de retourner en Somalie. Ces renseignements devraient donc être les mêmes dans le cas de sa demande d’asile aux États‑Unis et de sa demande d’asile au Canada, si sa crainte est réelle. […]

[36]  La SAR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle une autre personne en détention avait rempli pour lui le formulaire aux États‑Unis. Le demandeur a signé le formulaire, attestant ainsi qu’on le lui avait lu dans sa langue maternelle et qu’il était véridique et exact.

[37]  La SAR a conclu que la SPR n’a pas procédé à une analyse excessivement minutieuse du meurtre de la sœur du demandeur et que le fait que la SPR se soit concentrée sur ce qu’a véritablement vu le demandeur à la porte de son domicile était d’une importance capitale pour corroborer son allégation selon laquelle Al‑Shabaab aurait commis le meurtre de sa sœur. Le tribunal a examiné en détail le témoignage du demandeur devant la SPR et a conclu que les divergences entre son témoignage et son formulaire FDA, ainsi que l’évolution de son témoignage, ont miné sa crédibilité. La SAR s’est penchée sur les arguments du demandeur concernant sa mauvaise mémoire et son prétendu traumatisme, mais a constaté que le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve à cet égard. À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur en affirmant qu’il y avait lieu de s’attendre à ce que le témoignage du demandeur soit conforme aux renseignements figurant dans son formulaire FDA.

[38]  Enfin, l’analyse effectuée par la SAR sur les questions relatives au prétendu appel de menaces d’Al‑Shabaab après le meurtre de l’agent de police était détaillée et raisonnable. Le tribunal a souligné que les souvenirs du demandeur concernant cet appel étaient incohérents et évolutifs et que le demandeur ne se souvenait pas avec cohérence du moment de cet appel et de l’endroit où il se trouvait lorsqu’il l’a reçu. La SAR a examiné l’exposé circonstancié de son formulaire FDA en tenant compte des questions que la SPR lui avait posées. Je ne vois aucune erreur dans l’analyse de la preuve effectuée par la SAR.

[39]  En résumé, la SAR a procédé à sa propre analyse de la crédibilité du demandeur et a tiré des conclusions détaillées et raisonnables. La SAR a expliqué pourquoi chacune des conclusions que la SPR a tirées à la suite d’un examen qui serait excessivement minutieux est raisonnable et a expliqué l’importance des différentes conclusions quant à la crédibilité pour corroborer ou non la crainte alléguée d’Al‑Shabaab et le risque auquel le demandeur serait exposé en Somalie. Comme l’a mentionné le défendeur, le demandeur n’a pas contesté certaines des conclusions principales de la SAR en ce qui a trait aux risques que représente Al‑Shabaab et au fait que son profil ne le mettrait pas en danger s’il retournait en Somalie. Je conclus que les conclusions défavorables de la SAR quant à la crédibilité et son rejet de l’appel appartiennent aux issues acceptables en l’espèce.

VI.  Conclusion

[40]  La demande sera rejetée.

[41]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3368‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de septembre 2019.

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3368‑18

 

INTITULÉ :

ABDULLAHI MAKARAN MOHAMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA juge WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 13 août 2019

 

COMPARUTIONS :

Paul Dineen

 

pour le demandeur

Stephen Jarvis

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chapnick & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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