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Date : 20060224

Dossier : IMM-2680-05

Référence : 2006 CF 239

Ottawa (Ontario), le 24 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NOËL

ENTRE :

MOHAMMAD ILYAS CHOUDRY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant la décision rendue par Dulce Neto, une agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente d'ERAR Neto), qui rejetait la demande de Mohammad Ilyas Choudry (le demandeur). Dans sa décision datée du 7 mars 2005, l'agente d'ERAR Neto a jugé que le demandeur ne se trouverait pas en danger s'il retournait au Pakistan.

QUESTIONS

[2]                Les questions en litige peuvent se résumer ainsi :

-                      L'agente d'ERAR Neto a-t-elle commis une erreur en décrivant les faits de la présente affaire?

-                      L'agente d'ERAR Neto a-t-elle commis une erreur en exprimant des réserves au sujet de l'authenticité du Premier rapport d'information (PRI) produit par le demandeur?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs qui suivent, je réponds à ces deux questions par la négative et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

FAITS ET HISTORIQUE DE L'AFFAIRE

[4]                Le demandeur est originaire du Panjab, au Pakistan. À titre de sympathisant du Parti du peuple pakistanais (PPP), le demandeur aurait été menacé et persécuté dans son pays par des membres de la Ligue musulmane (LM). Il prétend également avoir été faussement accusé de diverses infractions criminelles en raison de son engagement politique au sein du PPP Il a revendiqué le statut de réfugié le 11 février 2000.

[5]                Le 25 janvier 2002, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée le 12 juin 2002.

[6]                Le 26 mars 2004, Sylvie Duval (l'agente d'ERAR Duval) a rendu une décision défavorable à la suite d'un premier ERAR (l'ERAR du 26 mars 2004). Le 30 juin 2004, une ordonnance sur consentement a annulé cette décision parce que l'agente d'ERAR Duval avait commis une erreur de fait manifeste. Le demandeur a soumis à la CISR un mandat d'arrestation daté du 10 février 2000 (page 463 du dossier du tribunal). Le demandeur n'a produit aucun PRI correspondant à ce mandat d'arrestation, mais l'agente d'ERAR Neto a présumé, dans la présente affaire, que ce PRI existait (le premier PRI). Un PRI daté du 26 décembre 1999 a ensuite été fourni à l'agente d'ERAR Duval (ce second PRI n'a pas été présenté à la CISR; voir pages 465 et 466 du dossier du tribunal). L'agente d'ERAR Duval a cru, à tort, que ce second PRI correspondait au mandat d'arrestation soumis à la CISR et que ce second PRI avait été présenté à la CISR.

[7]                L'affaire a été renvoyée à un agent d'ERAR différent pour qu'il rende une nouvelle décision. Le 7 mars 2005, l'agente d'ERAR Neto a rendu une décision à la suite d'un second ERAR : c'est cette décision que la Cour est appelée à examiner en l'espèce.

ANALYSE

[8]                La norme de contrôle applicable à une décision d'ERAR examinée dans sa totalité est la décision raisonnable simpliciter (Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] A.C.F. no 458, au paragraphe 51). Une décision déraisonnable est une décision qui ne peut pas résister à une analyse assez poussée (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, [2003] A.C.S. no 17, au paragraphe 25; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. no 116). Cependant, lorsque l'agent d'ERAR tire une conclusion de fait, la Cour ne devrait pas substituer sa décision à celle de l'agent d'ERAR, sauf si le demandeur a établi que l'agent a tiré la conclusion de fait d'une manière abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments de preuve dont il a été saisi. (Figurado c. Canada (Solliciteur général), précitée, au paragraphe 51.

[9]                Le demandeur soutient que l'agente d'ERAR Neto n'a pas compris que le second PRI ne correspondait pas au mandat d'arrestation soumis à la CISR. En d'autres mots, le demandeur est d'avis que l'agente d'ERAR Neto a commis dans la présente affaire la même erreur que l'agente d'ERAR Duval dans l'ERAR du 26 mars 2004. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d'accord avec le demandeur.

[10]            Les passages suivants de la décision, examinée dans son ensemble, montrent que l'agente d'ERAR Neto a bien compris les faits :

[...]

Audience CISR

[...]

(page 5) Le demandeur souligne que la police est corrompue au Pakistan et que c'est pour cette raison : [traduction] « [qu']elle n'a pas confirmé le PRI » et qu'elle avait fabriqué [traduction] « un faux dossier de nature politique » contre lui.

[...]

Nature du risque

[...]

(page 10) De plus, le demandeur expliquait ne pas avoir de FIR [PRI] pour le mandat soumis car la police refusait d'en donner une copie. D'ailleurs, le premier avocat (C. Carfraz Ahmed) mentionnait dans sa lettre (2000) : [traduction] « Je suis entré en contact avec le poste de police de Saddar afin d'obtenir des renseignements au sujet du dossier constitué contre Ilyas, mais je n'ai pu obtenir de réponse satisfaisante du bureau principal de Saddar. »

(page 11) Pour son ERAR, le demandeur soumet en preuve un FIR daté du 26 décembre 1999 dans lequel on mentionne que monsieur aurait contrevenu aux articles 149 du PPC ainsi qu'au 452/147. Ce FIR fut obtenu directement de la station de police Sadar Sargodha par le deuxième avocat M. Afzal Cheema en décembre 2003. Le FIR soumis ici a donc été obtenu auprès du même poste de police qui aurait refusé de remettre un FIR se rapportant au mandat présenté à la CISR.

Il ressort que :

1)                     Ce FIR était déjà émis en date des audiences à la CISR. Ce document aurait donc dû être présenté lors de la revendication comme le fut le mandat d'arrestation.

2)                     Le FIR comporte des accusations totalement différentes de celles contenues dans le mandat.

3)                     La police ne semblait pas refuser de collaborer avec le second avocat puisqu'elle lui fournit copie du FIR.

4)                     Le FIR se rapportant au mandat d'arrestation et qui n'a jamais été fourni par le demandeur, aurait pu être obtenu en même temps par le second avocat, soit en décembre 2003.

5)                     Sur la copie du FIR fournie on note des marques qui semblent être laissées par des feuilles placées sur le document lors de sa photocopie et des sceaux illisibles. De plus, s'agissant d'une photocopie, il est impossible de se prononcer sur son authenticité.

Le point 3) n'est pas suffisant en soi pour se prononcer sur la légitimité du document. Cependant, combiné à tous les autres points, il ajoute du poids aux conclusions tirées dans la présente analyse.

Ainsi, considérant que le demandeur a déjà soumis une première fois un document considéré frauduleux, que rien ne permet d'infirmer le résultat obtenu de la vérification faite par la CISR, que le FIR soumis ici aurait pu l'être lors de la revendication, qu'il s'agit d'une simple photocopie dont les sceaux sont illisibles et la qualité peu satisfaisante, je n'accorde aucune valeur probante au mandat soumis, au FIR ainsi qu'aux lettres des avocats accompagnant ces documents. [Non souligné dans l'original.]

[11]            J'en conclus que l'agente d'ERAR Neto a bien compris que le second PRI ne correspondait pas au mandat d'arrestation soumis à la CISR. Le simple fait que l'agente d'ERAR ait noté que les accusations sur les deux documents différaient représente une observation correcte et ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Cette affirmation ne doit pas être isolée de son contexte.

[12]            L'agente d'ERAR Neto n'a accordé aucune valeur probante au PRI, pas plus qu'au mandat d'arrestation, pour plusieurs motifs. Ces motifs sont résumés dans le paragraphe suivant de la décision (page 11) :

Ainsi, considérant que le demandeur a déjà soumis une première fois un document considéré frauduleux, que rien ne permet d'infirmer le résultat obtenu de la vérification faite par la CISR, que le FIR soumis ici aurait pu l'être lors de la revendication, qu'il s'agit d'une simple photocopie dont les sceaux sont illisibles et la qualité peu satisfaisante, je n'accorde aucune valeur probante au mandat soumis, au FIR ainsi qu'aux lettres des avocats accompagnant ces documents. [Non souligné dans l'original.]

[13]            Je ne considère pas que le raisonnement de l'agente d'ERAR Neto ou sa description des faits constituent des erreurs susceptibles de contrôle.

[14]            Également, le demandeur souligne ce passage de la décision :

De plus, le demandeur expliquait ne pas avoir de FIR pour le mandat soumis car la police refusait d'en donner une copie.

[15]            Le demandeur prétend qu'il n'a jamais affirmé que la police avait refusé de lui remettre une copie du premier PRI. Cette imprécision dans la décision d'ERAR ne devrait pas entraîner l'intervention de la Cour, non seulement parce qu'elle n'est pas pertinente (voir Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1662, [2005] A.C.F. no 2036), mais également en raison des explications fournies par le demandeur pour justifier son incapacité à obtenir les documents. D'abord, l'extrait suivant du récit du demandeur permet de comprendre pourquoi l'agente d'ERAR a dit que la police avait refusé de remettre au demandeur le premier PRI (voir page 604 du dossier du tribunal) :

[traduction]

Ces risques s'appliquent aussi à moi parce que la police possède un faux dossier de nature politique contre moi. La police pakistanaise est très corrompue. C'est pourquoi elle n'a pas confirmé le PRI.

En outre, l'avocat pakistanais du demandeur, Sarfaz Ahmed, a demandé le premier PRI en 2000 (voir la lettre de l'avocat datée du 14 septembre 2000, page 461 du dossier du tribunal) et a parlé ainsi de la réponse que lui a faite la police :

[traduction]

Je suis entré en contact avec le poste de police de Saddar afin d'obtenir des renseignements au sujet du dossier constitué contre Ilyas, mais je n'ai pu obtenir de réponse satisfaisante du bureau principal de Saddar.

[16]            À mon avis, l'agente d'ERAR pouvait raisonnablement juger que l'avocat du demandeur s'était vu refuser une copie du premier PRI quand il l'avait demandée, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus. Il était également raisonnable de trouver étrange que le second avocat pakistanais du demandeur, en décembre 2003, ait facilement obtenu du même poste de police le second PRI. De plus, il était également compréhensible que l'agente ait conclu que cette information ne constituait pas nécessairement un nouvel élément de preuve au sens de l'article 113 de la LIPR. En considérant dans leur ensemble les motifs exposés pour rejeter le PRI et le mandat d'arrestation, je suis d'avis que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[17]            Finalement, le demandeur soutient que l'agente d'ERAR Neto a eu tort d'exprimer des réserves au sujet du PRI sans avoir fait évaluer les documents par un expert. À mon avis, un agent d'ERAR n'a pas l'obligation de faire évaluer l'authenticité de documents par un expert avant de les rejeter et les observations que l'agente d'ERAR Neto a faites n'étaient pas erronées. Il faut également noter que le PRI et le mandat d'arrestation daté du 10 février 2000 ont été examinés par un expert et ce dernier a conclu qu'ils n'étaient pas authentiques (voir page 639 du dossier du tribunal).

[18]            Les parties ont été invitées à formuler des questions à certifier, mais elles ne l'ont pas fait.

[19]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

-           La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n'est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2680-05

INTITULÉ :                                                    MOHAMMAD ILYAS CHOUDRY

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 FÉVRIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Michael Dorey

POUR LE DEMANDEUR

Diane Lemery

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Dorey

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Justice Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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