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                                                                                                                      Date: 20010322

                                                                                                               Dossier : T-1955-00

                                                                                        Référence neutre: 2001 CFPI 226

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2001

EN PRÉSENCE DU JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                           OAKLEY INC.

                                                                       et

                                                  OAKLEY CANADA INC.

                                                                                                                      demanderesses

                                                                    - et -

                                            SHOPPERS DRUG MART INC.

                                                                                                                          défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

[1]         Le 23 octobre 2000, Oakley Inc. et Oakley Canada Inc. (les demanderesses) ont intenté une action pour violation de marques de commerce et de droits d'auteur et pour imitation frauduleuse, dans laquelle elles sollicitent une injonction permanente et des dommages-intérêts par suite de l'utilisation de marques de commerce et d'oeuvres protégées par droits d'auteur leur appartenant.


[2]         Le 9 janvier 2001, Shoppers Drug Mart Inc. (la défenderesse) a présenté une requête en radiation visant certains passages de la déclaration modifiée dans laquelle, elle demande, subsidiairement, des précisions sur divers éléments de ladite déclaration. Elle demande en outre à la Cour de proroger le délai applicable au dépôt de sa défense.

ANALYSE

A) La règle 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998)

[3]         En matière de radiation, la disposition applicable est la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, laquelle est ainsi conçue :


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant; c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur; f) qu'il constitue autrement un abus de procédure. Elle peut aussi ordonner que l'action soit

rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it    

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the processof the Court, and may order the action be dismissed

or judgment entered accordingly.


[4]         L'arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Canada a établi les principes à suivre dans l'examen des requêtes en radiation d'actes de procédure :


Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas « au-delà de tout doute » ...[1]

[5]         De toute évidence, c'est à la partie requérante qu'il incombe d'établir l'existence de motifs de radiation suffisants.

[6]         Par contre, la partie intimée n'a qu'à démontrer l'existence d'une cause d'action raisonnable. C'est un critère peu exigeant. Le juge Joyal, dans la décision Chez FM, s'est exprimé ainsi :

Il est fort possible que le lien entre les deux défenderesses aux fins de l'action intentée par la demanderesse soit ténu, voire même inexistant. Néanmoins, on prétend qu'il existe un rapport et il serait présomptueux de la part de la Cour de conclure le contraire. Ainsi que la jurisprudence l'indique, une ordonnance de radiation ne devrait être accordée que dans les cas évidents[2].

B) La règle 181(2) des Règles de la Cour fédérale

[7]         La règle 181(2) prévoit qu'une partie peut obtenir des précisions au sujet d'actes de procédure de la partie adverse. Elle est ainsi libellée :


2) La Cour peut, sur requête, ordonner à une partie de signifier et de déposer des précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans l'un de ses actes de procédure.

2) On motion, the Court may order a party to serve and file further and better particulars of any allegation in its pleading.



[8]         Pour déterminer s'il convient de rendre une telle ordonnance, la Cour doit examiner si les actes de procédure renferment suffisamment de renseignements pour que la partie défenderesse comprenne ce qui est demandé et qu'elle soit, par conséquent, en mesure d'opposer une défense.

[9]         Le juge Heald, de la Cour d'appel fédérale, a énuméré, dans l'arrêt Gulf Canada Limited, les facteurs à prendre en considération dans l'audition des requêtes pour précisions :

Les fonctions des détails sont énumérées dans l'ouvrage anglais The Supreme Court Practice : (1) informer l'autre partie des arguments auxquels elle devra faire face; (2) empêcher les surprises à l'instruction; (3) permettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait être prévue et de se préparer pour l'instruction; (4) limiter la généralité des plaidoiries; (5) déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis; (6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les questions qui ne font pas partie des plaidoiries[3].

[10]       Voici, en outre, la conclusion que le juge Rouleau a tirée, dans la décision Glaxo Canada Inc., au sujet des conditions qui doivent exister pour que la Cour ordonne à une partie de fournir des précisions :

Des plaidoiries adéquates définissent avec précision et clarté la question en litige entre les parties. Les deux parties ont droit à un avis juste de la preuve qu'elles doivent faire pour pouvoir produire des éléments de preuve pertinents aux questions révélées par les plaidoiries[4].


[11]       Selon moi, la communication, dans une instance, se fait en deux étapes. La première concerne les actes de procédure et, la seconde, ce qui devra être mis en preuve à l'instruction. À l'étape des actes de procédure, il suffit d'exposer les faits d'une manière qui permette au défendeur de saisir ce qui est en cause et de présenter sa version. Relativement à la seconde étape - la preuve à faire à l'instruction, la norme est plus exigeante, car le défendeur (ou le demandeur) a le droit de connaître exactement et avec précision la nature des allégations le visant. C'est à cela que sert la communication de la preuve. Il s'ensuit qu'à l'étape des actes de procédure, il s'agit de déterminer s'il est possible de présenter une défense efficace même en ne connaissant pas les détails des allégations.

[12]       Maintenant que les principes juridiques applicables en matière de requête en radiation et de requête pour précisions ont été exposés, il faut examiner les faits pertinents en l'espèce.

C) LES QUESTIONS EN LITIGE

Première question : la réparation recherchée

[13]       Deux points sont soulevés relativement à la réparation. La défenderesse soutient que les mots [TRADUCTION] « de tous les revenus tirés et » des alinéas 1(i) et (k) de la déclaration devraient être radiés.


[14]       L'avocat des demanderesses a consenti à supprimer l'alinéa 1(k) de la déclaration modifiée puisque des modifications apportées à la Loi sur le droit d'auteur[5] ont éliminé le droit à des dommages-intérêts par suite d'usurpation.

[15]       Quant à l'alinéa 1(i) de la déclaration modifiée, il est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

1.              Les demanderesses demandent :

(...)

(i)             des dommages-intérêts pour le préjudice qu'elles ont subi, la restitution de tous les revenus tirés et des profits réalisés par la défenderesse par suite ou en raison de la violation du droit d'auteur sur l'ouvrage[6].

[16]       Pour plus de commodité, voici le texte des paragraphes 34(1) et 35(1) de la Loi sur le droit d'auteur :



34. (1) En cas de violation d'un droit d'auteur, le titulaire du droit est admis, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, à exercer tous les recours - en vue notamment d'une injonction, de dommages-intérêts, d'une reddition de compte ou d'une remise - que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit.

35. (1) Quiconque viole le droit d'auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages-intérêts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu'il a réalisés en commettant cette violation et qui n'ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérêts

2) Dans la détermination des profits, le demandeur n'est tenu d'établir que ceux provenant de la violation et le défendeur doit prouver chaque élément du coût qu'il allègue.

34. (1) Where copyright has been infringed, the owner of the copyright is, subject to this Act, entitled to all remedies by way of injunction, damages, accounts, delivery up and otherwise that are or may be conferred by law for the infringement of a right.

35. (1) Where a person infringes copyright, the person is liable to pay such damages to the owner of the copyright as the owner has suffered due to the infringement and, in addition to those damages, such part of the profits that the infringer has made from the infringement and that were not taken into account in calculating the damages as the court considers just.

(2) In proving profits, (a) the plaintiff shall be required to prove only receipts or revenues derived from the infringement; and (b) the defendant shall be required to prove every element of cost that the defendant claims.


[17]       Ainsi, la restitution des profits est une réparation prévue par la Loi sur le droit d'auteur, mais non celle des revenus. Le paragraphe 35(2) de la Loi expose clairement le processus la régissant.

[18]       De plus, la Cour d'appel fédérale a effectué, dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet-Dominion Inc., une analyse exhaustive des mesures de réparation existant en cas de violation de droits d'auteur, de marques de commerce et de brevets. Dans une décision unanime, la Cour a statué, relativement à la restitution des bénéfices :

... à l'article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce et aux paragraphes 34(1) et 35(1) de la Loi sur le droit d'auteur, où la restitution des « bénéfices » est expressément prévue.

(...)

Dans le cadre de l'equity, la restitution était accordée à l'encontre de la personne qui avait violé un brevet, un droit d'auteur ou une marque de commerce au motif que celle-ci avait agi à titre de mandataire du titulaire du droit auquel il avait été porté atteinte, et qu'elle était donc tenue de rendre compte des bénéfices réalisés par suite de cette atteinte[7].

[19] Je suis d'avis que, dans son libellé actuel, l'alinéa 1(i) demandant la restitution des « revenus » ne correspond pas à une mesure de réparation prévue par la Loi sur le droit d'auteur. Par conséquent, les mots [TRADUCTION] « de tous les revenus tirés et » sont radiés de l'alinéa 1(i) de la déclaration, dont le texte sera maintenant le suivant :

[TRADUCTION]

1.              Les demanderesses demandent :


(...)

(i)             des dommages-intérêts pour le préjudice qu'elles ont subi, la restitution des profits réalisés par la défenderesse par suite ou en raison de la violation du droit d'auteur sur l'ouvrage.

Deuxième question : les expressions indéfinies

[20]       La deuxième question est soulevée par les paragraphes 15 et 21 de la déclaration, dont voici le texte :

[TRADUCTION]

15.            La contrefaçon du dessin d'ellipse est affichée bien en évidence dans les établissements de vente au détail de la défenderesse, dans lesquels sont notamment vendus des lunettes ainsi que des pièces et accessoires pour lunettes, des vêtements, des chapeaux, des livres et revues, des sacs, des montres et des bijoux.

(...)

21.            L'utilisation non autorisée que la défenderesse a faite des marques de commerce OAKLEY et de l'ouvrage protégé par droit d'auteur en se servant du dessin d'ellipse contrefait aura vraisemblablement pour effet de causer de la confusion au sein du public canadien en lui faisant croire que les demanderesses fournissent les services offerts par la défenderesse ou qu'elles l'ont autorisée à les fournir ou lui ont octroyé une licence à cet égard. De plus, l'utilisation par la défenderesse du dessin d'ellipse contrefait dans la même région que les demanderesses pourrait faire penser que certains produits vendus dans les établissements de la défenderesse sont fabriqués par les demanderesses, sont fabriqués en vertu d'une licence accordée par elles ou émanent d'elles ou que les demanderesses participent au programme.

[21]       La défenderesse soutient que les actes de procédure ne doivent pas avoir de portée indéterminée. Elle s'en prend à deux formulations :

1.          au paragraphe 15, [TRADUCTION] « notamment » ,

2.          au paragraphe 21, [TRADUCTION] « certains produits » .

Il convient d'examiner de façon plus approfondie ces formulations, compte tenu des passages suivants du contre-interrogatoire de M. Richard Alderson, représentant de la défenderesse :


[TRADUCTION]

164.          Q.             Donc, vous pourriez déterminer facilement, à la lecture du paragraphe 15 de la déclaration, mentionné au paragraphe 7 de votre affidavit, tous les produits que vous vendez, que la défenderesse vend dans ses établissements?

R.             Pas facilement.

Q.             Cela vous serait possible?

R.             Oui.

(...)

180.          Q.             Êtes-vous en train de dire que vous n'avez aucune idée de ce que l'expression « certains produits » employée au paragraphe 21 de la déclaration veut dire, après lecture des paragraphes 6 et 7, de l'enregistrement joint et du paragraphe 15?

R.             Nous avons une idée de ce que sont ces produits, car ils sont énoncés dans la demande[8].

[22]       À ce stade de l'instance, j'estime, compte tenu du contre-interrogatoire de M. Alderson, que la défenderesse a une bonne idée des produits dont il est question aux paragraphes 15 et 21 de la déclaration. Dans la décision Embee Electronic Agencies, le juge Marceau a examiné l'étendue du droit d'un défendeur à obtenir des précisions au sujet de la preuve du demandeur :

À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d'obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l'action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s'appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n'a pas le droit d'aller plus loin et d'en demander plus[9].


[23]       À mon avis, la défenderesse dispose d'assez de précisions pour comprendre sur quoi se fonde l'action intentée contre elle et pour répondre intelligemment à la déclaration. Sa demande de précisions relativement aux paragraphes 15 et 21 est donc rejetée.

Troisième question : le manque d'uniformité

[24]       L'avocat de la défenderesse soutient que les demanderesses ont fait référence aux produits en termes ambigus dans leur déclaration. De fait, il appert à l'analyse de la déclaration qu'elles ont employé de façon apparemment interchangeable les termes [TRADUCTION] « Marchandises » , « marchandises » , « produits » et « articles » , sans bien définir ou décrire les objets dont il était question dans les différents paragraphes de l'acte de procédure. La lecture des paragraphes suivants fait apparaître des sources possibles de confusion :

1.          Au paragraphe 6, les demanderesses ont employé et défini le mot [TRADUCTION] « Marchandises » .

2.          Au paragraphe 7, il n'est pas certain que le mot [TRADUCTION] « marchandises » s'entend du terme défini au paragraphe 6.

3.          Au paragraphe 9, les demanderesses emploient les mots [TRADUCTION] « produits et articles » .

4.          Au paragraphe 12, les demanderesses emploient le mot [TRADUCTION] « marchandises » .


5.          Au paragraphe 21, les demanderesses emploient le mot [TRADUCTION] « produits » .

[25]       Suivant le principe établi dans la décision Embee Electronic Agencies, précitée, la Cour ordonne la fourniture de précisions pour que le défendeur puisse « répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense » [10]. Après analyse des paragraphes susmentionnés, je suis d'avis que pour répondre correctement à la déclaration, la défenderesse a droit d'obtenir des précisions sur l'emploi des termes « marchandises » , « produits » et « articles » et que les demanderesses doivent les lui fournir.

Quatrième question : la non-pertinence

[26]       Relativement à cette question, la défenderesse expose essentiellement que les paragraphes 7 et 18 de la déclaration modifiée devraient être radiés, et soutient que la demande d'enregistrement de marque de commerce qu'elle a déposée est sans rapport avec la présente action pour imitation frauduleuse ou pour violation d'une marque de commerce déposée. Elle ajoute, citant la décision Rothmans[11] à l'appui de son argument, que ces demandes relèvent de la compétence du registraire des marques de commerce et qu'il serait préjudiciable que la Cour examine la question.


[27]       Dans l'affaire Rothmans, les demanderesses cherchaient notamment à obtenir une injonction interdisant à la défenderesse de poursuivre ses démarches visant l'enregistrement de quatre marques de commerce. La Cour a jugé qu'elle n'avait pas compétence pour accorder ce recours et que le registraire des marques de commerce devait d'abord se prononcer sur la question.

[28]       L'injonction demandée en l'espèce, toutefois, vise une marque de commerce déposée, savoir la marque composée du dessin d'ellipse. Le registraire a déjà enregistré la marque de commerce.

[29]       Compte tenu des principes juridiques applicables aux requêtes en radiation, j'estime que l'avocat de la défenderesse ne s'est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Selon moi, les paragraphes 7 et 18 énoncent des faits substantiels fondant la demande. Les renseignements contenus dans ces paragraphes sont pertinents, au présent stade de l'instance, et les paragraphes, pris dans leur ensemble, peuvent fort bien exposer des questions qui seront examinées lors de l'instruction.

[30]       Selon moi, la prétention de la défenderesse voulant que les faits plaidés aux paragraphes 7 et 18 seront préjudiciables à la demande d'enregistrement déposée devant le registraire n'est pas fondée.


[31]       C'est devant le registraire des marques de commerce que le différend relatif aux marques sera examiné et c'est ce dernier qui statuera sur la question. Je ne vois rien dans les faits plaidés aux paragraphes 7 et 18 qui pourrait empiéter sur la compétence du registraire. À mon avis, ces faits sont pertinents et se rapportent à la demande. Par conséquent, la décision Rothmans ne s'applique pas en l'espèce.

Cinquième question : la propriété du droit d'auteur

[32]       Relativement à cette question, l'avocat de la défenderesse prétend que la Cour devrait ordonner aux demanderesses de fournir des précisions sur la passation du titre de propriété de l'auteur aux demanderesses, déposer les documents constatant la cession du droit d'auteur et fournir des précisions sur la date à laquelle l'oeuvre artistique aurait été créée.

[33]       La production du certificat d'enregistrement du droit d'auteur[12] établit une présomption réfutable de la propriété. Ainsi, en l'absence d'élément de preuve contredisant la présomption, la chaîne de titres pourrait fort bien être inutile. Comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans l'arrêt Circle Film Enterprises Inc. :

[TRADUCTION]

Selon moi, il s'ensuit qu'en produisant ce certificat et en l'absence de preuve contraire, la demanderesse dans la présente affaire s'est acquittée de la charge de la preuve, dans ses deux aspects: la charge primaire, celle qui incombe au demandeur en vertu du droit positif et que l'on désigne parfois par l'expression risque de non-persuasion, et la charge secondaire, celle qui consiste à apporter des preuves[13].


[34]       Je conclus donc qu'au présent stade de l'instance les actes de procédure sont suffisants, et je n'ordonnerai pas la fourniture de précisions supplémentaires au sujet de la propriété du droit d'auteur.

Sixième question : les renseignements non pertinents

[35]       Concernant cette sixième question, l'avocat de la défenderesse affirme que les paragraphes 12, 20 et 21 de l'acte de procédure renferment des allégations qui conviennent en matière de marques de commerce mais non en matière de droit d'auteur. Il soutient donc que les allégations relatives à la confusion, à la reconnaissance générale et à l'achalandage n'ont pas de raison d'être en matière de droit d'auteur et devraient être radiées.

[36]       Concernant, plus particulièrement, l'allégation énoncée au paragraphe 12 de la déclaration modifiée, selon laquelle les oeuvres protégées par droit d'auteur des demanderesses se sont acquis une vaste reconnaissance et un important achalandage au Canada, l'avocat de la défenderesse prétend que les notions de reconnaissance et d'achalandage, si elles sont pertinentes en matière de marques de commerce, n'ont aucune application en matière de droit d'auteur.


[37]       Il avance également que l'allégation contenue au paragraphe 20 de la déclaration modifiée, voulant que l'utilisation faite par la défenderesse du dessin d'ellipse aurait vraisemblablement pour effet d'engendrer de la confusion avec [TRADUCTION] « l'oeuvre protégée par droit d'auteur d'Oakley décrite à l'annexe B » , peut être pertinente en matière de marques de commerce mais n'a pas de raison d'être dans une demande relative à un droit d'auteur.

[38]       Il prétend enfin, encore une fois, relativement au paragraphe 21 de la déclaration modifiée alléguant que l'utilisation par la défenderesse de l'oeuvre protégée par droit d'auteur des demanderesses aurait vraisemblablement pour effet de créer de la confusion, que la confusion peut être invoquée dans une affaire de marque de commerce mais non dans une affaire de droit d'auteur.

[39]       Je le répète, la Cour ne radiera des actes de procédure que s'il appert clairement qu'ils sont voués à l'échec, et c'est à la défenderesse qu'il incombe de démontrer qu'il y a lieu d'ordonner la radiation pour ce motif. En l'espèce, les faits mettent en cause un logo combinant, de façon inextricable, des éléments se rapportant à des droits d'auteur et à des marques de commerce. Encore une fois, il faut, pour bien comprendre l'essence d'une demande, interpréter les paragraphes contestés dans leur ensemble en les replaçant dans leur contexte.


[40]       J'estime que je ne suis pas en mesure, vu la difficulté et la complexité des questions soulevées par les deux avocats, de régler le litige à ce stade de l'instance sans instruction et sans communication de la preuve en bonne et due forme. Un logo est-il plus qu'une marque de commerce? L'expression artistique d'un logo peut-elle également être protégée par droit d'auteur? Quant à l'emploi du terme « confusion » , il doit également être mis en contexte. Je suis d'avis qu'en l'espèce cet emploi est pertinent. En outre, la radiation constitue une mesure radicale, et j'estime que l'avocat de la défenderesse ne s'est pas acquitté de son lourd fardeau de preuve; les passages contestés ne seront donc pas radiés, et la requête de la défenderesse, quant à la sixième question décrite ci-haut, est rejetée.

Septième question : les allégations non étayées

[41]       Premièrement, l'avocat de la défenderesse soutient que les demanderesses ont simplement allégué que la défenderesse avait « de façon négligente » compromis la réputation de leur marque de commerce constituée du dessin d'ellipse, mais n'ont pas fourni de faits substantiels pour appuyer leur allégation de négligence; c'est pourquoi la défenderesse demande à la Cour d'ordonner la fourniture de précisions supplémentaires.

[42]       L'avocat prétend de plus que les demanderesses font état d'une [TRADUCTION] « confusion réelle » dans le marché, au paragraphe 22, et affirment s'être fait poser des questions par des distributeurs, des employés et des consommateurs, mais sans donner de fondement factuel suffisant à leurs allégations. La défenderesse sollicite encore une fois la fourniture de précisions supplémentaires.


[43]       L'avocat des demanderesses a opposé qu'au paragraphe 20, la mention de la négligence est liée au fait substantiel de la connaissance et n'est pas une allégation non étayée.

[44]       En fait, l'analyse du contre-interrogatoire de Richard Alderson, représentant de la défenderesse, révèle que cette dernière avait une certaine connaissance de l'existence de la marque de commerce des demanderesses avant d'accomplir les gestes qui lui sont reprochés :

[TRADUCTION]

51.            Q.             Qu'avez-vous découvert par suite de cette enquête sur les marques Oakley?

R.             Que la marque Oakley était l'une des marques au registre que l'avocat dont nous avons retenu les services nous a signalées au cours de l'examen de l'utilisation potentielle de notre marque, il y avait aussi d'autres marques.

Q.             Ainsi vous avez eu connaissance des droits d'Oakley au moment où vous adoptiez votre marque ou après? Pouvez-vous le dire?

R.             Puisqu'elles étaient au registre, ce devait être avant[14].

[45]       Le fait que la défenderesse connaissait l'existence des marques de commerce d'Oakley avant d'adopter sa marque est pertinent pour ce qui est du paragraphe 20. Il est certainement raisonnable de penser, vu cet aveu de la défenderesse, qu'elle comprend l'allégation de « négligence » à laquelle elle doit répondre. À ce stade de l'instance, je suis d'avis qu'on ne peut qualifier le paragraphe 20 d'allégation non étayée; il est donc maintenu.


[46]       Concernant la « confusion réelle » , il faut dire que les actes de procédure sont un exposé des faits substantiels à l'appui des conclusions recherchées. Ils ne sont pas un répertoire des éléments de preuve qui serviront à démontrer ces faits. Les actes de procédure doivent être aussi concis que possible, et il ne doivent pas comprendre de détails relevant de la preuve. Comme le juge Walsh l'a affirmé dans la décision Cercast Inc. :

Les conclusions des parties doivent être les plus concises possibles et il n'y a pas lieu d'obliger un demandeur à exposer dans sa conclusion des détails qu'il serait plus indiqué de mettre en preuve à l'audience. Il n'y a pas lieu, non plus, d'ordonner au demandeur de communiquer aux défendeurs des détails bien connus de ceux-ci, lorsqu'il savent très bien ce qu'on leur reproche[15].

[47]       Selon moi, la défenderesse est en mesure de répondre intelligemment aux allégations du paragraphe 22. Il y est fait mention de communications de distributeurs, d'employés et de consommateurs, et cela suffit, à mon avis, pour donner un fondement factuel suffisant aux conclusions recherchées, dans le contexte actuel. Je conclus donc que le paragraphe 22 est suffisamment précis, à ce stade de l'instance, pour permettre à la défenderesse de préparer sa défense.

Prorogation de délai


[48]       Enfin, pour assurer le prompt déroulement de l'instance, il est enjoint à la défenderesse, puisqu'elle a eu la déclaration en sa possession depuis le 23 octobre 2000, de signifier et de déposer sa défense dans les dix jours suivant la date de réception des précisions qu'il sera ordonné aux demanderesses de fournir relativement à la troisième question examinée dans les présents motifs.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Que, du consentement des parties, les demanderesses suppriment le paragraphe 1(k) de la déclaration modifiée.

2.          Que les mots [TRADUCTION] « de tous les revenus tirés et » soient radiés du paragraphe 1(i), lequel sera dorénavant libellé ainsi :

[TRADUCTION]

1.              Les demanderesses demandent :

(...)

(i)             des dommages-intérêts pour le préjudice qu'elles ont subi, la restitution des profits réalisés par la défenderesse par suite ou en raison de la violation du droit d'auteur sur l'ouvrage.

3.          Que les demanderesses fournissent des précisions et clarifient leur position au sujet de l'emploi des mots [TRADUCTION] « Marchandises » , « marchandises » , « produits » et « articles » aux paragraphes 6, 7, 9, 12 et 21 de la déclaration modifiée, dans les cinq jours de la présente ordonnance.


4.          Que la défenderesse signifie et dépose sa défense dans les dix jours suivants la date où elle aura reçu les précisions ordonnées en l'espèce.

5.          Que soient rejetées toutes les demandes de radiation et demandes de précisions autres que celles que la Cour a accueillies.

6.          La Cour n'adjuge pas de dépens.

      « Edmond P. Blanchard »           

Juge

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                                                 T-1955-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                OAKLEY INC. ET AL. c. SHOPPERS DRUG MART INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 6 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLANCHARD EN DATE DU 22 MARS 2001

ONT COMPARU :

Gillian M. Smith                                                     pour les demanderesses

Jeremy E. Want                                                    pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & McKay                        pour les demanderesses

Toronto (Ontario)

Smart & Biggar                                                      pour la défenderesse

Ottawa (Ontario)



[1]            Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

[2]            Chez FM, Inc. c. Telemedia Communications Inc., [1991] J.C.F. no 948.

[3]            Gulf Canada Limited c. Le remorqueur Mary Mackin et Sea-West Holdings Ltd., [1984] 1 C.F. 884.

[4]            Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social du Gouvernement du Canada et autres(1987), 15 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1re inst.).

[5]            Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, par. 38(2), modifié par L.C. 1997, ch. 24, par. 20(1).

[6]            Déclaration des demanderesses, paragraphe 1.

[7]            Beloit Canada Ltée c. Valmet-Dominion Inc., [1997] 3 C.F. 497, par. 92 et 100.

[8]            Contre-interrogatoire de Richard Alderson, 26 janvier 2001, aux p. 30 et 32.

[9]            Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. (1979), 43 C.P.R. (2d) 285 (C.F. 1re inst.), à la p. 287.

[10]           Ibid.

[11]           Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., [1997] J.C.F. no 840.

[12]           Dossier des demanderesses, annexe B de la déclaration modifiée.

[13]           Circle Film Enterprises Inc. c. Canadian Broadcasting Corp., [1959] R.C.S. 602.

[14]           Contre-interrogatoire de Richard Alderson, précité, note 8, à la p. 11.

[15]           Cercast Inc. c. Shellcast Foundries Inc.(1973) 9 C.P.R. (2d) 18, à la p. 27.

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