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Date : 19980211


T-1722-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 FÉVRIER 1998

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE LUTFY



         AFFAIRE INTÉRESSANT une requête visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

ENTRE :

     ABBOTT LABORATORIES, LIMITED

     et

     ABBOTT LABORATORIES,

     requérantes,


     - et -


     NU-PHARM INC.

     et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ DU CANADA,

     intimés.

     ORDONNANCE

     VU la requête présentée par les requérantes afin d'obtenir conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, une ordonnance interdisant au ministre de la Santé du Canada de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm Inc. pour la drogue connue sous le nom de divalproex de sodium jusqu'à l'expiration des lettres patentes canadiennes no 1,136,151;

     APRÈS avoir lu les documents déposés;

     APRÈS avoir entendu les avocats des requérantes et de la société intimée à Montréal (Québec), les 15 et 16 décembre 1997;

     LA COUR STATUE CE QUI SUIT :

     1.      La requête est accueillie sans dépens;

     2.      Il est interdit au ministre de la Santé nationale de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm Inc. pour les comprimés de 125 mg, de 250 mg et de 500 mg de la drogue connue sous le nom de divalproex de sodium jusqu'à l'expiration des lettres patentes canadiennes no 1,136,151.

                                     " Allan Lutfy "
                            
                                         Juge

Traduction certifiée conforme


Suzanne Bolduc, LL. B.






Date : 19980211


T-1722-95



         AFFAIRE INTÉRESSANT une requête visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en vertu du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et de l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

ENTRE :

    

     ABBOTT LABORATORIES, LIMITED

     et

     ABBOTT LABORATORIES,

     requérantes,


     - et -



     NU-PHARM INC.

     et



     LE MINISTRE DE LA SANTÉ CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LUTFY :


[1]      Les requérantes Abbott Laboratories, Limited et Abbott Laboratories sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à l'intimée Nu-Pharm Inc. pour la drogue connue sous le nom de divalproex de sodium jusqu'à l'expiration des lettres patentes canadiennes no 1,136,151 (brevet 151), le 23 novembre 1999. Ce composé est vendu par Abbott au Canada sous la marque de commerce " Epival ", en comprimés de 125 mg, de 250 mg et de 500 mg, pour le traitement des crises épileptiques. La demande d'ordonnance est fondée sur l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)1.

[2]      Le 5 juillet 1995, l'intimée Nu-Pharm a transmis à Abbott l'avis d'allégation suivant concernant son intention d'obtenir une approbation conformément au Règlement pour le divalproex de sodium; elle soutient dans cet avis que son procédé ne contrefait pas le brevet 151 :

         [TRADUCTION]
         Objet : Comprimés de divalproex de sodium
         La présente constitue un avis d'allégation aux termes de l'alinéa 5(3)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).
         Relativement au brevet no 1136151, nous alléguons qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant la fabrication, la construction, l'utilisation ou la vente par nous de comprimés contenant du divalproex de sodium.
         L'allégation qui précède est fondée en fait et en droit sur ce qui suit.

         Le présent brevet contient des revendications à l'égard du divalproex de sodium préparé au moyen des procédés revendiqués. Nous avons accès à du divalproex de sodium fabriqué au moyen d'un procédé qui n'entre pas dans les revendications du brevet no 1136151. Jusqu'à l'expiration du brevet no 1136151, nous utiliserons uniquement la matière qui ne constitue pas une contrefaçon.

Apotex Inc. a accepté de fournir du divalproex de sodium à Nu-Pharm. Le procédé auquel se reporte Nu-Pharm dans son avis d'allégation est celui utilisé par son fournisseur Apotex pour la fabrication du divalproex de sodium. Dans leurs observations, les parties parlent indifféremment du procédé d'Apotex et du procédé de Nu-Pharm. Dans les présent motifs, ce procédé sera désigné comme le procédé de Nu-Pharm.

Les deux procédés

[3]      La revendication 1a) du brevet 151 décrit un procédé de préparation du divalproex de sodium consistant à dissoudre des quantités sensiblement équimolaires d'acide valproïque et de valproate de sodium dans de l'acétone chauffée à environ 50 oC, puis à récupérer le produit. La revendication 16 vise le divalproex de sodium, qu'il soit préparé au moyen du procédé décrit dans la revendication 1 ou d'un équivalent chimique manifeste. Dans l'exemple donné dans la description détaillée de l'invention figurant dans le brevet 151, 166 g de valproate de sodium (un solide) et 144 g d'acide valproïque (un liquide) sont dissous dans 1 000 ml d'acétone chauffée à environ 50 oC. Le nouveau composé serait une poudre cristalline, blanche et stable, dont le point de fusion se situe à 98 o-100 oC.

[4]      Le procédé utilisé par Nu-Pharm pour la fabrication du divalproex de sodium consiste à chauffer 4,65 kg d'acide valproïque à une température de 120 oC et à y ajouter graduellement 5,25 kg de valproate de sodium en maintenant la température à 120 oC. On laisse refroidir le liquide ainsi produit et le mélange solide est récupéré à 100 p. 100.

[5]      Les revendications 1 et 16 du brevet 151, avec l'exemple qui sert uniquement d'illustration, et le procédé de Nu-Pharm peuvent se comparer comme suit :

[TRADUCTION]

Le procédé breveté 151

Revendication 1 : Un procédé de préparation du divalproex de sodium consistant : (a) à dissoudre des quantités sensiblement équimolaires d"acide valproïque et de valproate de sodium dans de l"acétone chauffée à environ 50 o C puis à récupérer le produit ; ou (b) à former l'acide valproïque in situ par l'ajout d'une quantité d'hydroxyde de sodium correspondant à la moitié de la masse moléculaire de l"acide valproïque contenu dans l'acétone, puis à récupérer le produit.

Exemple 1. Dissoudre 166 g de valproate de sodium et 144 g d"acide valproïque dans 1000 ml d"acétone chauffée à environ 50 o C. Refroidir la solution jusqu"à une température d"environ 0 o C, la filtrer et laver le précipité cristallin avec de l"acétone qui a d"abord été refroidie à environ 0 o C.

Revendication 16 : Le divalproex de sodium, qu"il ait été préparé au moyen du procédé décrit dans la revendication 1 ou d'un équivalent chimique manifeste.

Le procédé de Nu-Pharm

1- Déposer 4,65 kg d"acide valproïque dans un récipient en acier inoxydable.

2- Placer le récipient sur une plaque chauffante et commencer à chauffer tout en mélangeant.

3- Tout en continuant à mélanger, surveiller la température. Poursuivre jusqu"à ce que la température atteigne 120 o C.

4- Aussitôt que la température atteint 120 oC, augmenter la vitesse du mélangeur de façon à créer un vortex, puis ajouter graduellement 5,35 kg de valproate de sodium tout en continuant à mélanger.

5- Vu que l"ajout de valproate de sodium entraînera une diminution de la température, continuer à chauffer et à mélanger jusqu"à ce que la température remonte à nouveau à 120 o C.

6- Lorsque la température atteint 120 oC, éteindre la plaque chauffante puis arrêter et retirer le mélangeur.

7- Verser le liquide dans des plateaux en acier inoxydable et déposer les plateaux sur un support.

8- Le lendemain matin, enlever la matière durcie des plateaux en acier inoxydable en utilisant si nécessaire un grattoir en acier inoxydable. Transférer la matière dans des fûts doublés intérieurement de sacs de PE.

Les arguments d'Abbott

[6]      Selon les prétentions d'Abbott, le procédé de Nu-Pharm est visé par la revendication 1 et, quoi qu'il en soit, constitue un équivalent chimique manifeste du procédé breveté 151. Dans les deux procédés : a) les mêmes réactifs, l'acide valproïque et le valproate de sodium, sont utilisés pour produire le composé de divalproex de sodium; b) ces mêmes réactifs sont utilisés exactement dans les mêmes proportions; c) la réaction chimique provoquée par la combinaison des mêmes réactifs est identique; d) le produit final est le même. Selon Abbott, le divalproex de sodium se forme au contact de l'acide valproïque avec le valproate de sodium et, en conséquence, l'utilisation de l'acétone comme solvant n'est pas une caractéristique essentielle du brevet 151. L'acétone est utilisée comme milieu pour obtenir une réaction à une température peu élevée. On s'attendrait à ce que l'acétone ne soit pas utilisée dans un contexte industriel où l'échelle de production nécessiterait une quantité inacceptable de solvant. Il aurait été évident pour Abbott qu'un liquide comme l'acide valproïque pourrait remplir la double fonction de réactif et de solvant, si le procédé utilisé se déroulait à une température plus élevée.

[7]      Les documents produits par les requérantes comprennent les dépositions de trois experts. Leurs affidavits mettent l'accent sur la prétention d'Abbott portant que la mention de l'acétone dans la revendication 1 du brevet 151 n'en constitue pas une caractéristique essentielle. De l'avis de l'un de ces experts, l'interaction chimique entre le valproate de sodium et l'acide valproïque est strictement identique qu'on utilise on non un solvant comme l'acétone. Plus précisément, l'acide valproïque étant lui-même un liquide, [traduction] " ... il est assez évident qu'une autre possibilité consisterait à utiliser plutôt de l'acide valproïque liquide comme milieu de réaction en mélangeant ensemble les deux réactifs et en maintenant la température au-dessus du point de fusion du produit jusqu'à la fin, puis en laissant le produit obtenu se solidifier. "

[8]      Les deux autres experts d'Abbott partagent ce point de vue, bien qu'ils l'expriment de façon quelque peu différente. Selon les auteurs des affidavits déposés par Abbott, l'omission de l'acétone est une variante mineure qui, de 1979 à nos jours, aurait été considérée comme évidente et logique pour la fabrication à grande échelle de valproex de sodium.

Les arguments de Nu-Pharm

[9]      La principale différence entre les deux procédés réside dans le fait que le procédé de Nu-Pharm ne comporte pas l'utilisation d'acétone. De ce fait, les procédés sont appliqués à des températures différentes. Nu-Pharm reconnaît qu'elle utilise et mélange les mêmes constituants, soit l'acide valproïque et le valproate de sodium, exactement dans les mêmes proportions que celles indiquées dans le brevet 151. Toutefois, Nu-Pharm allègue l'absence de contrefaçon en s'appuyant sur trois arguments principaux qui soulèvent des questions mixtes de fait et de droit. Premièrement, Nu-Pharm qualifie l'utilisation d'acétone de caractéristique essentielle de la revendication 1(a). Deuxièmement, Nu-Pharm dénonce le caractère superficiel de la prétention d'Abbott portant que la réaction chimique est identique si les deux procédés utilisent les mêmes réactifs exactement dans les mêmes proportions et s'ils donnent le même produit. De l'avis de Nu-Pharm, aucune preuve n'établit " ce qui se produit " au cours du procédé de dissolution. Enfin, Nu-Pharm s'appuie fortement sur les procédés divulgués dans deux autres brevets d'Abbott pour la fabrication du divalproex de sodium afin d'établir que, selon les connaissances existantes à l'époque du brevet 151, il n'était pas possible de fabriquer le composé en cause sans utiliser d'acétone.

[10]      Nu-Pharm prétend en outre que, grâce à l'absence d'acétone, il n'est pas nécessaire de " récupérer " le divalproex de sodium contenu dans le solvant comme il faut le faire dans le procédé breveté 151. Nu-Pharm s'appuie aussi sur les différences découlant d'un procédé sans acétone, sur le plan des coûts, de l'efficacité, de la sécurité et de l'environnement. Ces différences peuvent être pertinentes dans un contexte industriel. Selon moi, toutefois, ces différences, concernant notamment la récupération du produit, ne sont pas substantielles et ne permettent pas de distinguer le procédé de Nu-Pharm comme équivalent chimique manifeste du procédé breveté 151.

[11]      La question le plus importante est, à mon avis, celle de savoir si le procédé de Nu-Pharm, qui consiste simplement à mélanger l'acide valproïque au valproate de sodium pour former le composé de divalproex de sodium sans utiliser d'acétone comme solvant, aurait paru évident à une personne versée dans l'art à l'époque de l'invention visée par le brevet 151.

[12]      Nu-Pharm a présenté les affidavits de deux personnes. Bernard Sherman, le président d'Apotex Inc., a présenté les instructions de fabrication de son entreprise pour la production du divalproex de sodium qu'Apotex a convenu de fournir à Nu-Pharm. La deuxième personne qui a préparé un affidavit pour Nu-Pharm, et son seul expert, a donné son opinion sur la principale différence entre les deux procédés. Elle admet que, dans le procédé breveté 151, les deux constituants, l'acide valproïque et le valproate de sodium, sont dissous dans l'acétone. Elle décrit le procédé de Nu-Pharm comme consistant à mélanger les deux constituants à une température suffisamment élevée pour qu'ils forment un mélange liquide. L'auteur de l'affidavit déposé par Nu-Pharm qualifie les deux procédés de " totalement différents " :

[TRADUCTION]
13.      Dans le procédé 151, le solvant sert de milieu dans lequel les constituants du mélange, le produit neutre ou acide valproïque, le cation sodium et l"anion valproate, sont dissous et dispersés. [...]
14.      Le procédé d'Apotex fonctionne en créant une forme liquide contenant les constituants qui sont maintenus en étroite association.[...]
15.      Le fonctionnement du procédé pendant les phases de cristallisation qui sont nécessaires pour isoler le divalproex de sodium à l"état solide est différent.
16.      Dans le procédé 151, les molécules et les ions doivent se rapprocher et se lier pour former la structure solide, exprimant les molécules de solvant au cours du processus.
17.      Dans le procédé d'Apotex, les molécules et les ions sont déjà associés et il n"y a pas de solvant à exprimer. Tout ce qu"il faut, c"est que les molécules et les ions s"agencent simplement de façon à former un solide.

Après avoir traité de l'étape de la récupération et des différences sur le plan des coûts, de l'efficacité, de la sécurité et de l'environnement, l'auteur de l'affidavit déposé par Nu-Pharm conclut : [TRADUCTION] " ... il n'aurait pas été évident, en 1979, à partir des enseignements tirés du brevet 151 ou des connaissances normales dans le domaine de la chimie, que le procédé [de Nu-Pharm] consistant à mélanger les deux constituants à une température de 120 o C pouvait donner un produit utile. "

[13]      Aucun élément de preuve ne permet selon moi de conclure que la différence fonctionnelle du procédé de Nu-Pharm, dans lequel " il n'y a pas de solvant à exprimer ", revêt de l'importance pour ce qui est de distinguer les deux procédés, du point de vue chimique. En outre, lorsqu'on lui a demandé, lors de son contre-interrogatoire, d'expliquer pourquoi le procédé de Nu-Pharm consistait à mélanger les deux constituants à une température de 120 o C, les réponses de l'expert de Nu-Pharm allaient de l'incertitude à la déclaration moins équivoque portant que [TRADUCTION] " une bonne partie du divalproex de sodium [devait être conservé] sous forme liquide jusqu'à ce qu'il soit prêt à être versé dans des plateaux "2. Au moins cette dernière déclaration est compatible avec celles de M. Sherman d'Apotex, qui a reconnu que la nécessité de mélanger l'acide valproïque et le valproate de sodium à une température de 120 OC était une décision arbitraire visant à garantir que le procédé soit appliqué à une température supérieure au point de fusion du divalproex de sodium, soit 100 o C, ce seuil faisant partie des renseignements divulgués dans le brevet 151.

[14]      Nu-Pharm s'appuie aussi sur deux autres brevets d'Abbott, dont les demandes ont été déposées peu après celle visant le brevet 151. L'un de ces autres brevets a été délivré avant le brevet 151.

Les deux autres brevets d'Abbott pour le divalproex de sodium

[15]      La demande du brevet 151 a été déposée le 28 juillet 1980. Environ deux mois plus tard, le 17 septembre 1980, Abbott a déposé deux autres demandes de lettres patentes canadiennes qui lui ont été délivrées plus tard sous les numéros 1,135,272, [traduction] " Fabrication d'hydrogénodivalproate de sodium ", et 1,144,558, [traduction] " Procédé de fabrication d'hydrogénodivalproate de sodium ". Il est établi que les trois brevets visent le même composé de divalproex de sodium. Ces trois brevets ont été délivrés à Abbott Laboratories. L'inventeur du brevet 151 est un Canadien qui n'était pas un employé d'Abbott. Les inventeurs des brevets 272 et 558 sont des employés d'Abbott aux États-Unis.

[16]      Aucune preuve n'a été produite concernant la date véritable à laquelle ces inventeurs ont fait ces inventions. Les trois brevets revendiquent une date d'antériorité en 1979, fondée sur des brevets américains. La date d'antériorité du brevet 151 devance d'environ deux mois la date d'antériorité identique des deux autres brevets. C'est le brevet 272 qui a été délivré le premier le 9 novembre 1982. Le brevet 151 a été délivré deux semaines plus tard, le 23 novembre 1982. Le brevet 558 a été délivré le 12 avril 1983.

[17]      Plusieurs paragraphes de ces trois brevets pour la fabrication du divalproex de sodium sont parfaitement ou essentiellement identiques.

[18]      Avant l'octroi du brevet 151, l'acide valproïque et le valproate de sodium faisaient tous les deux partie des produits utilisés pour traiter les convulsions épileptiques. Chacun avait des désavantages. L'acide valproïque étant liquide, il convenait moins bien à la préparation d'une forme posologique orale. Le valproate de sodium, qui est un solide, n'était pas très stable. Ces inconvénients sont décrits dans les trois premiers paragraphes, identiques, de la description détaillée de l'invention dans les trois brevets :

         [Traduction]
         Au cours de la dernière décennie, l"acide 2-propylpentanoïque et ses alcalis ou sels alcalins (ci-après nommés respectivement acide valproïque et valproates ou sels de valproate) se sont ajoutés aux autres médicaments utiles au traitement des crises d"épilepsie ou des convulsions. Les produits les plus couramment utilisés sont l"acide valproïque et son sel de sodium. Le premier est un liquide et est, de ce fait, moins approprié pour préparer une forme posologique orale tandis que le deuxième est un solide qui s"est montré instable en partie à cause de son hygroscopicité prononcée.
         On a maintenant découvert qu"une substance solide très stable et non-hygroscopique peut être préparée à partir de l"acide valproïque et de ses sels. Elle se présente comme une molécule chimique simple possédant des caractéristiques physiques bien définies, bien que sa structure définitive n"ait pu être déterminée.
         Le nouveau produit se présente comme une substance cristalline simple composée d"une molécule d"acide diéthylacétique de l"acide valproïque et d"un sel de valproate, le cation de ce sel étant un ion sodium ou calcium. Alors qu"on n"a pas encore pu déterminer avec certitude si le nouveau composé est une solution d"acide valproïque dans un de sel de valproate ou un complexe formé entre les deux composés, la structure suivante a été attribuée provisoirement à ce nouveau produit :
         CH3(CH 2)n          O .... MO          CH 2CH2CH3
             (          /      \          /
                 CHC          CCH
             '          (      //      \
         CH3(CH 2)n          OH .... O          CH 2CH2CH3
         dans laquelle (M) représente un Na ou " Ca et (n) peut être un 1 ou un 2.

[19]      Le quatrième paragraphe de la description détaillée de l'invention visée par les brevets 272 et 558 décrit en des termes identiques le procédé breveté 151 :

         [TRADUCTION]
         Dans les procédés antérieurs, la préparation du composé ci-dessus s"effectuait par la dissolution d"une mole d"acide valproïque et de la même quantité de valproate de sodium dans 1000 ml d"acétone à environ 50 EC. Puis, une fois la solution refroidie à 0 EC ou moins, le nouveau composé était filtré, lavé à l"acétone refroidie si désiré et, enfin, séché à pression réduite pour éliminer l"acétone. Un autre procédé utilisait un milieu liquide formé de deux composants, dont l"acétone. Dans ce cas, la formation du valproate de sodium se produisait in situ par l"ajout d"une quantité de NaOH correspondant à la moitié de la masse moléculaire de l"acide valproïque présent, de préférence dans une solution où le solvant du NaOH était miscible avec l"acétone, par exemple de l"eau. Par la suite, l"évaporation des solvants permettait d"extraire le nouveau dimère de la phase liquide.

[20]      Les paragraphes suivants des brevets 272 et 558 décrivent, en termes généraux, le procédé différent propre à chacun :

         (a) En ce qui concerne le brevet 272 :
         On a maintenant découvert que, contre toute attente et tout précédent connu, le produit ci-dessus peut être préparé sans l'utilisation d'un solvant organique; c"est-à-dire, en mélangeant simplement une solution aqueuse d"hydroxyde de sodium d"une concentration minimale de 10% à de l"acide valproïque; l'hydroxyde de sodium étant utilisé dans des proportions égales à 48 - 52% de la quantité stoechiométrique de l'acide valproïque et en enlevant par évaporation l"eau produite au cours de la réaction.
         (b) en ce qui concerne le procédé breveté 558 :
         L"invention actuelle offre une nouvelle méthode de fabrication ou de purification du composé I. Le nouveau procédé consiste essentiellement à faire réagir une molécule d"hydroxyde de sodium avec deux équivalents molaires d"acide valproïque dans de l"acétonitrile en quantité suffisante pour former une solution claire à une température d"au moins 50 o C; à concentrer cette solution par évaporation de l'acétonitrile jusqu"à ce que le contenu en solides soit de 15-25% poids/volume; à refroidir la solution concentrée jusqu"à ce qu"elle atteigne la température ambiante, ou une température plus basse, et finalement à séparer le solide cristallin pur d"hydrogénodivalproate de sodium ainsi formé de la solution refroidie.
         [non souligné dans l'original]

[21]      De plus, les trois derniers paragraphes de la description détaillée de l'invention sont essentiellement identiques dans les trois brevets, mais il n'est pas nécessaire de les reproduire en entier aux fins de la présente décision.

[22]      En résumé, le brevet 272 nous apprend que le divalproex de sodium peut être préparé " sans l'utilisation d'un solvant organique; c"est-à-dire, en mélangeant simplement une solution aqueuse d"hydroxyde de sodium d"une concentration minimale de 10% à de l"acide valproïque ". On dit que ce procédé a été découvert " contre toute attente et tout précédent connu ". De même, le brevet 558 décrit une " nouvelle méthode " de fabrication du divalproex de sodium à l'aide d'un " nouveau procédé " qui substitue de l'acétonitrile au solvant d'acétone utilisé dans le brevet 151.

[23]      Les brevets 272 et 558 ont été versés au présent dossier au moyen du contre-interrogatoire, par Nu-Pharm, des auteurs des affidavits déposés par Abbott. L'avocat de Nu-Pharm admet que ces deux brevets n'ont pas été produits avec la preuve par affidavit de Nu-Pharm pour des raisons de tactique. Le dossier ne révèle pas si l'expert dont l'affidavit a été déposé par Nu-Pharm était au courant des deux autres brevets. Les deux auteurs des affidavits de Nu-Pharm ont été contre-interrogés en mars 1996, avant le contre-interrogatoire des auteurs des affidavits d'Abbott en janvier 1997. En conséquence, il n'existe aucune preuve émanant des auteurs des affidavits de Nu-Pharm concernant ces deux brevets.

[24]      Deux des auteurs des affidavits d'Abbott n'étaient pas au courant des brevets 272 et 558 lorsque leurs affidavits ont été déposés en décembre 1995. Il semble en être de même du troisième auteur d'un affidavit d'Abbott, qui est l'un de ses propres employés, mais la preuve est quelque peu équivoque sur ce point. Les avocats d'Abbott reconnaissent qu'ils n'étaient pas au courant de ces deux brevets avant le contre-interrogatoire par Nu-Pharm du premier des trois experts d'Abbott. Il semble qu'à la suite d'une omission involontaire ou délibérée - aucune preuve n'a été produite sur ce point -, Abbott n'a pas informé son équipe de témoins et d'avocats sur les brevets 272 et 558.

[25]      Abbott a demandé l'avis de trois experts, y compris l'un de ses propres employés, sur la question de savoir si le procédé de Nu-Pharm est un équivalent chimique manifeste du brevet 151. Aucun motif apparent ne justifie, selon moi, qu'Abbott ait procédé ainsi sans informer ses experts de l'existence des deux autres brevets d'Abbott déposés dans les deux mois suivant le dépôt du premier et qui divulguaient différents procédés de fabrication du même composé3.

[26]      Nu-Pharm fait valoir avec insistance - et cet argument est justifié dans une certaine mesure, selon moi - que les affidavits d'Abbott doivent être examinés avec la plus grande rigueur, étant donné son omission de révéler l'existence des brevets 272 et 558 à leurs auteurs. Cela vaut tout autant, évidemment, pour l'appréciation de la preuve de Nu-Pharm. Aucun des auteurs des affidavits de Nu-Pharm n'a mentionné les deux brevets dans son affidavit et ils sont demeurés tous deux à l'abri de toute question sur ces brevets qui ont été produits au moyen du contre-interrogatoire subséquent des auteurs des affidavits d'Abbott.

[27]      Les avocats d'Abbott ont soutenu énergiquement que les brevets 272 et 558 ne font pas partie de la preuve soumise à la Cour parce qu'ils ont été produits dans le cadre du contre-interrogatoire de personnes qui ne les ont pas créés. Cet argument aurait plus de poids si les documents en cause n'étaient pas des brevets. Suivant le paragraphe 13(2) de la Loi sur les brevets, des copies certifiées des documents déposés au Bureau des brevets doivent être reçues en preuve sans autre justification. À mon avis, bien que le brevet 151 ait été produit avec l'affidavit d'un stagiaire du cabinet des avocats d'Abbott et que les brevets 272 et 558 aient été produits dans le cadre du contre-interrogatoire des experts d'Abbott, ces trois brevets constituent des éléments de preuve de même nature dans l'instance.

[28]      Dans ses observations écrites, Nu-Pharm affirme que les termes de la revendication 1a) du brevet 151 sont clairs et non équivoques : dissoudre les deux constituants " dans de l'acétone chauffée à environ 50 o C ". Elle s'appuie sur les brevets 272 et 558 pour attaquer la crédibilité des auteurs des affidavits d'Abbott et de leurs affirmations que le procédé de Nu-Pharm est un équivalent chimique manifeste du brevet 151 alors que l'existence des deux autres brevets ne leur a pas été révélée avant le dépôt de leurs affidavits. Nu-Pharm entend aussi utiliser les brevets, comme éléments de la documentation contemporaine, pour faire la preuve des connaissances dont on disposait à l'époque du brevet 151. En ce sens, l'argument d'Abbott suivant lequel ces deux brevets sont inadmissibles comme éléments de preuve extrinsèque pour l'interprétation d'un brevet est inapplicable dans les circonstances4.

[29]      La présente procédure sommaire ne comporte pas de communication de documents et d'interrogatoire préalable. Cela ne permet toutefois pas à une partie d'omettre des renseignements essentiels en informant les témoins experts dont elle demande à la Cour de retenir le témoignage d'opinion. On peut aussi s'interroger sur la valeur du témoignage d'opinion concernant l'équivalence chimique manifeste lorsque les experts des deux parties ne révèlent pas ou décident de ne pas mentionner d'autres procédés relatifs aux même composés divulgués dans les brevets d'une requérante remontant à la même époque que le brevet en litige. La Cour ne saurait être bien servie dans les circonstances, plus particulièrement dans le cadre d'une procédure sommaire au cours de laquelle l'expert ne témoigne pas de vive voix devant le juge.

Analyse

[30]      Les " grands principes " des différents arrêts de la Cour d'appel concernant le fardeau de la preuve dans une instance fondée sur l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ont été résumés dans Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social)5 :

2. C'est la partie qui se pourvoit en justice en application de l'article 6 qui, assumant la conduite de l'instance, a "la charge initiale de la preuve". C'est une charge difficile, "puisqu'il s'agit de réfuter certaines ou l'ensemble des allégations de l'avis d'allégation, allégations qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l'avis de conformité". Merck Frosst , précité, le juge Hugessen, à la page 319;
3. Cette charge, appelée dans les poursuites civiles le "fardeau de persuasion", oblige le poursuivant à prouver sa cause selon la norme de preuve en matière civile. En revanche, le "fardeau de présentation de la preuve" désigne l'obligation de soulever une question et signifie que la partie doit s'assurer qu'il y a au dossier suffisamment d'éléments de preuve de l'existence ou de l'inexistence d'un fait ou d'une question pour satisfaire au critère préliminaire au sujet de ce fait ou de cette question. Nu-Pharm , précité, le juge Stone, à la page 33.
4. Lorsque l'avis de conformité d'une deuxième personne allègue la non-contrefaçon, la Cour devrait présumer que "les allégations de fait contenues dans l'avis d'allégation sont avérées sauf dans la mesure [où] la partie requérante prouve le contraire". Merck Frosst , précité, le juge Hugessen, à la page 319;
5. Pour décider si les allégations sont "fondées", "la Cour doit examiner si, à la lumière de ces faits tels qu'ils sont présumés ou prouvés, ces allégations engageraient en droit à conclure que le brevet en litige ne serait pas contrefait par la partie intimée". Merck Frosst , précité, le juge Hugessen, à la page 319.

[31]      La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si l'allégation de Nu-Pharm portant que son procédé n'est pas visé par les revendications du brevet 151, et plus particulièrement les revendications 1a) et 16, est justifiée. La revendication 16 vise tout équivalent chimique manifeste de la revendication 16. L'allégation de Nu-Pharm suivant laquelle son procédé ne contrefait pas le brevet 151 est tenue pour véridique, sauf dans la mesure où Abbott prouve le contraire.

[32]      Dans la cause de contrefaçon de brevet Catnic Components Ltd. and another c. Hill & Smith Ltd.7, Lord Diplock a établi le cadre à utiliser pour déterminer si une caractéristique d'un brevet est essentielle :

[Traduction]
La question qui se pose dans chaque cas est de savoir si des personnes ayant des connaissances et une expérience pratiques dans le domaine dans lequel l'invention est censée être employée, concluraient que le breveté a voulu poser comme exigence fondamentale qu'on suive à la lettre telle phrase ou tel mot descriptifs figurant dans une revendication, de sorte que toute variante échapperait au monopole revendiqué, même si elle ne pourrait avoir aucune incidence importante sur le fonctionnement de l'invention.
Bien entendu, la question ne se pose pas lorsque la variante aurait en fait une incidence importante sur le fonctionnement de l'invention. Elle ne se pose pas non plus si, à la date de la publication du mémoire descriptif, il serait évident pour un lecteur averti que la variante aurait cet effet. Lorsque les connaissances dont on dispose à une époque donnée ne sont pas de nature à rendre cela évident, le lecteur peut à bon droit supposer que le breveté a estimé au moment de la rédaction du mémoire descriptif qu'il avait de bons motifs de restreindre si strictement son monopole et que telle a été son intention, même si les travaux accomplis ultérieurement par lui ou par d'autres personnes dans le domaine dont relève l'invention peuvent démontrer l'inutilité de cette restriction.
[non souligné dans l'original]

Les mots soulignés dans cet extrait concernent directement l'une des prétentions de Nu-Pharm : l'affirmation d'Abbott concernant l'équivalence chimique manifeste se fonde sur la " reconstitution du passé " par les auteurs de ses affidavits, et non sur les connaissances existantes à l'époque du brevet 151.

[33]      Aucune des parties n'a centré son attention sur l'époque pertinente à prendre en considération pour évaluer l'équivalence. Les avocats des deux parties ont présenté leur thèse en tenant pour acquis que le brevet 151 est antérieur aux brevets 272 et 558. Comme il a été mentionné plus tôt, c'est exact en ce qui concerne la date d'antériorité et le dépôt des demandes de brevet. Toutefois, la date de la publication ou de la délivrance du brevet 272 est antérieure d'environ deux semaines à celle du brevet 151. La question de savoir si le procédé de Nu-Pharm devait être évalué en fonction des connaissances existantes à la date d'antériorité du brevet 151, à la date de son dépôt ou à la date de sa délivrance n'a pas été débattue8. Abbott a souligné toutefois que l'expert de Nu-Pharm a déclaré que le procédé consistant à mélanger les deux constituants à une température de 120 oC pour obtenir le produit final [TRADUCTION] " n'aurait pas été évident, en 1979, à partir des enseignements tirés du brevet 151 ou des connaissances normales dans le domaine de la chimie ". De même, l'un des auteurs des affidavits d'Abbott s'est reporté à l'année 1979 pour déclarer que le procédé de Nu-Pharm aurait été évident et banal.

[34]      Malgré les sérieuses réserves que j'ai concernant l'omission d'Abbott de divulguer les brevets 272 et 558, du moins à son équipe d'experts, et après avoir examiné tous les affidavits et les contre-interrogatoires, je ne peux échapper à la conclusion que l'allégation de Nu-Pharm n'est pas justifiée, selon la prépondérance des probabilités. Dans une instance où les auteurs des affidavits des deux parties, dans la partie substantielle de leur témoignage, ont accordé plus d'importance à de simples affirmations qu'à la preuve factuelle pertinente, j'ai conclu que la thèse d'Abbott était plus convaincante, plus particulièrement après avoir examiné les contre-interrogatoires.

[35]      Je retiens le témoignage de l'expert d'Abbott, selon lequel une personne versée dans l'art aurait su à l'époque du brevet 151 que l'utilisation de l'acétone était une procédure de laboratoire typique qui n'était pas destinée à la production sur une grande échelle9, même si le brevet ne le précisait pas. Dans un contexte industriel, la quantité d'acétone requise serait excessive et on éviterait d'utiliser un tel solvant organique10.

[36]      Deux autres affirmations faites par les auteurs des affidavits de Nu-Pharm sont pertinentes à la question de l'équivalence chimique manifeste. Au cours de son contre-interrogatoire sur le paragraphe 17 de son affidavit, l'expert de Nu-Pharm a reconnu que la nécessité que " les molécules et les ions s"agencent simplement d"eux-mêmes de façon à former un solide " était commune aux deux procédés11. Il n'a pas ajouté, comme on aurait pu s'y attendre si l'acétone constituait un facteur qui différenciait chimiquement les deux procédés, que l'agencement des molécules et des ions varierait de quelque façon en fonction de l'utilisation ou de l'absence du solvant. De plus, M. Sherman d'Apotex a établi un lien entre le mélange de l'acide valproïque avec le valproate de sodium à une température de 120 oC et la nécessité d'éviter la précipitation qui se produirait à moins de 100 oC12. J'interprète cette réponse comme reflétant la connaissance du point de fusion du divalproex de sodium, qui s'élève à 98 o-100 oC, que divulgue le brevet 151. Ces réponses renforcent l'opinion que je me suis formée, à partir de la preuve, que les caractéristiques essentielles de l'invention visée par le brevet 151 sont les deux réactifs et non le solvant organique.

[37]      La question des brevets 272 et 558 a été " soulevée "13 par Nu-Pharm pour attaquer la crédibilité des auteurs des affidavits d'Abbott et de leurs conclusions portant qu'il y avait équivalence dans le contexte des connaissances dont on disposait à l'époque pertinente. Nu-Pharm n'est pas parvenue à ses fins, selon moi, parce que la façon dont les brevets ont été produits a donné une preuve trop ténue. L'omission d'Abbott de divulguer les brevets ne décharge pas Nu-Pharm du fardeau de présentation qui lui incombe sur cette question. Les témoins de Nu-Pharm n'ont offert aucune preuve concernant les deux brevets et les témoins d'Abbott n'en ont fourni aucune qui soit favorable à la thèse de Nu-Pharm.

[38]      La revendication 1 du brevet 272 vise un procédé consistant à mélanger une solution aqueuse d'hydroxyde de sodium à de l'acide valproïque. Ce brevet révèle que le divalproex de sodium peut être préparé sans solvant organique comme l'acétone. Aucun élément de preuve ne compare, entre eux, l'utilisation de l'hydroxyde de sodium dans le brevet 272, l'utilisation du valproate de sodium dans la revendication 1a) du brevet 151 et le procédé de Nu-Pharm. Aucune preuve concluante n'établit de comparaison entre l'utilisation de l'hydroxyde de sodium dans le brevet 272 et dans la revendication 1b) du brevet 15114.

[39]      L'avocat de Nu-Pharm s'appuie abondamment sur l'affirmation selon laquelle le procédé décrit dans le brevet 272 a été découvert " contre toute attente et tout précédent connu ". Il l'utilise pour presser la Cour de conclure qu'il n'était pas connu à l'époque du brevet 151 que le divalproex de sodium pouvait être préparé sans solvant organique. En conséquence, selon ce que je comprends de cet argument, le procédé de Nu-Pharm ne peut être considéré comme équivalent chimique manifeste du brevet 15115.

[40]      L'attrait initial de cet argument s'estompe à l'examen de la preuve. L'expression " contre toute attente ou contre tout précédent connu " ne peut être interprétée en soi, et surtout en l'absence de toute preuve produite par Nu-Pharm concernant le brevet 272 et l'hydroxyde de sodium, comme signifiant que l'acétone constitue une caractéristique essentielle du brevet 151 ni que le procédé de Nu-Pharm n'est pas l'équivalent chimique manifeste du brevet en litige. Tirer pareille conclusion en l'espèce relèverait de la pure conjecture. La même remarque s'applique aux mots " nouvelle méthode " figurant dans le brevet 558. Les trois brevets sont présumés valables en l'absence de preuve contraire. Rien dans la preuve n'indique que les variantes décrites dans les brevets 272 et 558 ne sont pas des améliorations brevetables pour la préparation du même composé. La délivrance d'autres brevets n'exclut pas nécessairement la possibilité d'une contrefaçon16. En conséquence, même à la lumière des mots figurant dans les brevets 272 et 558 sur lesquels s'appuie Nu-Pharm, la preuve produite en l'espèce est favorable à la thèse d'Abbott selon laquelle il y a équivalence chimique manifeste.

[41]      Pour ces motifs, la requête visant à obtenir une ordonnance d'interdiction est accueillie, sans dépens.

                                     " Allan Lutfy "
                            
                                         Juge

Ottawa (Ontario)

11 février 1998

Traduction certifiée conforme



Suzanne Bolduc, LL. B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          T-1722-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ABBOTT LABORATORIES, LIMITED ET AL.

                     c.

                     NU-PHARM INC ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :          15 DÉCEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY LE 11 FÉVRIER 1998


ONT COMPARU :

Me JEAN-FRANÇOIS BUFFONI          POUR LES REQUÉRANTES

Me ALAIN LECLERC

Me MARIE LAFLEUR

Me HARRY B. RADOMSKI          POUR L'INTIMÉE NU-PHARM

Me ROGER HUGUES

Me ANDRÉ LESPÉRANCE              POUR LE MINISTRE INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

MARTINEAU WALKER              POUR LES REQUÉRANTES

MONTRÉAL (QUÉBEC)

GOODMAN PHILLIPS & VINEBERG      POUR L'INTIMÉE NU-PHARM

TORONTO (ONTARIO)

GEORGE THOMSON              POUR LE MINISTRE INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


__________________

     1      DORS/93-133 (12 mars 1993).

     2      Dossier des requérantes, p. 158 (question 31), p. 161 (question 45), p. 162 (question 48) et p. 165 (question 62).

     3      Fait intéressant, le deuxième auteur d'un affidavit d'Abbott à être contre-interrogé a souligné qu'on lui avait demandé d'examiner les brevets 272 et 558 (après leur production lors du contre-interrogatoire du premier auteur d'un affidavit d'Abbott), [TRADUCTION] " parce qu'ils semblaient pertinents à l'instance ". (Dossier de requête, p. 301, 1. 10).

     4      Sur ce point, Abbott a invoqué les décisions Nekoosa Packaging Corp. c. AMCA International Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 470 (C.A.F.) à la p. 480 et Pallmann Maschinenfabrik G.m.b.H. Co. KG c. CAE Machinery Ltd. (1995), 62 C.P.R. (3d) 26 (C.F. 1re inst.), particulièrement aux pages 43 et 44.

     5      (1996), 70 C.P.R. (3d) 206 (C.A.F.) aux p. 210 et 211.

     6      D'autres instances fondées sur l'article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) portent sur l'équivalence chimique manifeste de procédés relatifs à des médicaments, notamment : Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.) à la p. 432; Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 65 C.P.R. (3d) 203 (C.F. 1re inst.) à la p. 215; Abbott Laboratories, Ltd. c. Nu-Pharm Inc. (1997), 74 C.P.R. (3d) 498 (C.F. 1re inst.); Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1087 (QL); et Pfizer Canada Inc.c. Apotex Inc. (5 février 1998), T-1714-95 (C.F. 1re inst.).

     7      [1982] R.P.C. 183 (H.L.) à la p. 243.

     8      Dans l'ouvrage intitulé The Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions , 4e éd. (Toronto: Carswell Company Limited, 1969), M. Fox souligne qu'il existe [Traduction] " un conflit d'opinions parmi les juges quant à la date en fonction de laquelle il faut considérer les connaissances notoires pour interpréter la spécification " (aux pages 206 et 207, note de bas de page 325). Il mentionne aussi que la jurisprudence émanant d'Angleterre n'est peut-être pas pertinente sur ce point, probablement parce que des dispositions législatives différentes s'y appliquent. Environ trente ans plus tard, la Cour ne semble pas avoir été saisie d'un litige ayant donné lieu à une décision qui fait autorité, dans laquelle les faits exigeaient qu'une distinction soit établie entre la date d'antériorité, la date du dépôt et la date de délivrance pour trancher la question de l'équivalence chimique manifeste.
     Dans l'affaire Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F.) à la p. 27, où la validité d'un brevet était contestée, la Cour d'appel a utilisé la date réelle de l'invention comme l'époque pertinente pour déterminer si l'invention était évidente pour les personnes versées dans l'art.
     Dans la décision AT & T Technologies, Inc. c. Mitel Corp. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238 (C.F. 1re inst.) à la p. 249, le juge Reed a examiné la question de la date à laquelle un brevet devait être interprété et elle a conclu que la date pertinente était celle du dépôt du brevet et non celle de sa délivrance. Dans l'arrêt Allied Signal Inc. c. Du Pont Canada Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.) à la p. 426, le juge Desjardins, dans une remarque incidente dans laquelle elle s'appuie sur la version française (" la date de la délivrance du brevet ") de la décision Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd. , [1976] 1 R.C.S. 555, à la p. 560, rendue par le juge Pigeon, a dit qu'un brevet doit être interprété à la date de sa délivrance. La version anglaise de la décision du juge Pigeon renvoie à [TRADUCTION] " la date du brevet " et le contexte n'indique pas s'il parlait de la date d'antériorité, de la date de dépôt ou de la date de délivrance.
     D'autres décisions rendues par la Section de première instance emploient les expressions " date de délivrance " et " date de publication " dans des cas où il n'était pas nécessaire de faire une distinction avec les autres dates possibles : voir, par exemple, Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24 (C.F. 1re inst.) à la p. 69 et Eli Lilly and Co., supra, note 6 à la p. 439.

     9      Dossier des requérantes, p. 316, ll. 13-18.

     10      Dossier des requérantes, p. 333 à 338.

     11      Supra, paragraphe 12 et dossier des requérantes, p. 170, question 78.

     12      Dossier des requérantes, p. 192, question 40.

     13      Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc. (1996), 69 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.) à la p. 15. Voir aussi Hoffman-La Roche, supra, note 5.

     14      La preuve concernant l'hydroxyde de sodium est limitée. L'hydroxyde de sodium n'est pas un liquide (Dossier des requérantes, p. 266). L'hydroxyde de sodium est un produit chimique (Dossier des requérantes, p. 369). Un certain débat laisse croire que l'utilisation d'hydroxyde de sodium dans la revendication 1b) du brevet 151 constituerait l'équivalent chimique du procédé décrit dans la revendication 1a) (Dossier des requérantes, p. 306 à 313). Je n'interprète pas cet échange comme favorable à la thèse de Nu-Pharm. Dans les observations écrites de Nu-Pharm et dans la plaidoirie orale d'Abbott, les parties déclarent que le procédé décrit dans la revendication 1b) n'est pas pertinent à l'instance.

     15      En ce qui concerne l'état des connaissances existantes à l'époque pertinente, aucune partie n'a centré son attention sur la date de délivrance du brevet 272, délivré environ deux semaines avant le brevet 151.

     16      Lightning Fastener Company Limited c. Colonial Fastener Company Limited, [1932] R. C. É. 89 à la p. 100, décision infirmée [1933] R.C.S. 363, conf. [1934] 3 D.L.R. 737 (H.L.); et Airseal Controls Inc. c. M & I Heat Transfer Products Ltd. (1993), 53 C.P.R. (3d) 259 (C.F. 1re inst.) à la p. 270, conf. 1997 A.C.F. no 1337 (QL).

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