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Date : 20190819


Dossier : T-2169-16

Référence : 2019 CF 1077

[TRADUCTION FRANÇAISE]

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

GARRY LESLIE MCLEAN,

ROGER AUGUSTINE,

CLAUDETTE COMMANDA,

ANGELA ELIZABETH SIMONE SAMPSON,

MARGARET ANNE SWAN et

MARIETTE LUCILLE BUCKSHOT

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE – HONORAIRES D’AVOCATS

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  Il s’agit de la décision concernant l’approbation des honoraires d’avocats et le versement d’honoraires aux demandeurs nommés dans la convention de règlement relative aux externats indiens [convention ou règlement]. L’affaire a été instruite séparément de l’audience d’approbation du règlement, mais immédiatement après sa conclusion. Bien qu’il s’agisse d’une décision distincte de l’approbation du règlement, cette décision doit être lue avec la « décision d’approbation du règlement ».

[2]  Aux termes de l’article 334.4 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, tout paiement versé à un avocat par suite d’un recours collectif doit être approuvé par la Cour. La Cour doit veiller à ce que les honoraires d’avocats accordés à l’avocat du groupe soient « justes et raisonnables » dans l’ensemble des circonstances (Manuge c Canada, 2013 CF 341, au paragraphe 28, 227 ACWS (3d) 637 [Manuge]).

[3]  Par l’application de la convention, l’approbation des honoraires de l’avocat du groupe peut être dissociée de l’approbation du règlement, et la Cour peut approuver le règlement séparément de l’approbation des honoraires d’avocats. Les dispositions pertinentes sont les articles 2.02 et 2.03 de la convention, comme il est énoncé ci-dessous :

2.02  Indivisibilité de l’entente

Sous réserve de l’article 2.03, aucune des dispositions contenues dans la présente convention n’entrera en vigueur tant que la Cour fédérale n’aura pas approuvé cette dernière.

2.03  Les frais d’avocat sont divisibles

Si la Cour fédérale n’approuve pas les frais d’avocat mentionnés aux articles 13.01 et 13.02, mais qu’elle approuve la convention par ailleurs, les dispositions de la convention, à l’exception des articles 13.01 et 13.02, entreront en vigueur à la date de mise en œuvre. Les articles 13.01 et 13.02 n’entreront pas en vigueur tant que la Cour fédérale ne l’aura pas ordonné.

[4]  Les accords relatifs aux honoraires d’avocats ont été négociés et conclus après la conclusion de la convention. Selon les éléments de preuve, il s’agissait d’une négociation de bonne foi, indépendante et distincte de la convention.

[5]  Les honoraires en cause s’élèvent à 55 millions de dollars et comprennent les débours et les taxes applicables payables après la date de mise en œuvre, auxquels s’ajoutent 7 millions de dollars à titre d’honoraires d’avocats à verser à l’avocat du groupe pour les services juridiques rendus sur une période de quatre (4) ans après la date de mise en œuvre.

[6]  Tous les honoraires doivent être payés par la partie défenderesse, le Canada, et non par les membres du groupe des survivants ou les membres du groupe familial.

[7]  Le régime des honoraires d’avocats aux termes de la convention est décrit aux articles 13.01 à 13.05 :

13.01  Honoraires de l’avocat du groupe

Le Canada accepte de payer l’avocat du groupe en ce qui concerne les honoraires d’avocats et débours la somme de cinquante-cinq millions de dollars (55 000 000 $) plus les taxes applicables dans les trente (30) jours suivant la date de mise en œuvre.

13.02  Honoraires après la mise en œuvre

Dans les trente (30) jours suivant la date de mise en œuvre, le Canada versera à l’avocat du groupe la somme supplémentaire de sept millions de dollars (7 000 000 $) en fiducie pour les honoraires d’avocats, les taxes applicables et les débours pour les services rendus sur une période de quatre (4) ans après la date de mise en œuvre par l’avocat du groupe aux membres du groupe des survivants. Les honoraires de l’avocat du groupe et les débours engagés après la date de mise en œuvre seront approuvés par la Cour tous les trimestres. Toute somme restant en fiducie, y compris les intérêts, après que tous les services juridiques ont été achevés et les honoraires et débours approuvés, sera transférée par l’avocat du groupe à la McLean Day Schools Settlement Corporation, afin de financer les Projets de legs ou conformément à l’ordonnance de la Cour.

13.03  Portée des services juridiques en cours

(1)  L’avocat du groupe accepte de fournir des conseils juridiques aux membres du groupe des survivants concernant la mise en œuvre de la présente convention de règlement, y compris en ce qui concerne le paiement des indemnités, pour une période de quatre (4) ans suivant la mise en œuvre.

(2)  L’avocat du groupe accepte de ne pas imputer aux membres du groupe des survivants des honoraires ou de débours relatifs aux questions d’administration du recours collectif devant la Cour fédérale ou de la mise en œuvre du présent règlement, y compris le paiement de l’indemnité.

13.04  Approbation préalable des honoraires requise

Aucun honoraire d’avocat ou débours ne peut être imputé aux membres du groupe des survivants ou aux membres du groupe familial en ce qui concerne l’indemnité prévue au présent règlement ou tout autre conseil juridique lié au présent règlement par un conseiller juridique autre que l’avocat du groupe sans l’approbation préalable de ces honoraires ou débours par la Cour fédérale sur une requête présentée en vertu de l’article 334.4 des Règles des Cours fédérales moyennant un avis à toutes les parties.

13.05  Aucun autre honoraire à imputer

Les parties conviennent qu’elles ont l’intention de faire en sorte que tous les paiements aux membres du groupe des survivants en vertu du présent accord soient effectués sans déduction au titre d’honoraires d’avocats ou de débours.

II.  Contexte

[8]  La nature du litige, son historique, ses risques et les avantages de la convention sont décrits dans la décision d’approbation du règlement.

[9]  La réclamation initiale à l’égard du Canada concernant les externats indiens avait été introduite par Joan Jack devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba. Elle et son associé Louay Alghoul ont eu l’occasion de présenter des observations sur cette question d’honoraires.

[10]  Bien que Mme Jack et M. Alghoul n’aient pas présenté de demande officielle, il ressort d’une lecture objective de leurs observations qu’ils demandent à notre Cour de ne pas approuver les honoraires d’avocats, à moins qu’ils ne soient rémunérés d’une façon quelconque pour ce travail initial.

[11]  Le témoignage de Mme Jack, qui a également fait l’objet d’une discussion dans la décision d’approbation du règlement, indique qu’elle a pris cette affaire en charge en 2009 en fonction d’un accord d’honoraires conditionnels. En 2012, le fardeau financier de l’instance a provoqué la faillite de son cabinet. Aucun autre cabinet n’était prêt à se charger de l’affaire ou à l’assister en raison de la complexité et des risques connexes.

[12]  Mme Jack s’est alors jointe à Alghoul & Associates afin de poursuivre le litige. Cependant, en 2016, les demandeurs du recours collectif (principalement Garry McLean) étaient insatisfaits de l’absence de progrès et ont mis fin au mandat de représentation. Les services de Gowling WLG [Gowling] ont ensuite été retenus, et après quelques problèmes initiaux liés au transfert de dossiers et à une plainte formulée contre Mme Jack au Barreau, l’affaire a été transférée à Gowling.

[13]  Lorsque le cabinet Gowling a pris l’affaire en main, il a obtenu un mandat de représentation avec des honoraires conditionnels de 15 %. Cet accord a de toute évidence été supplanté par le présent accord.

[14]  Ni Mme Jack ni M. Alghoul n’ont pris de mesures pour préserver le privilège de procureur ou la réclamation à l’égard de Gowling. S’ils disposent de tels droits, ils ne constituent pas une affaire que la Cour est habilitée à juger. S’il y avait eu un accord de partage d’honoraires concernant le recours collectif entre Gowling et Mme Jack ou M. Alghoul, la Cour l’aurait probablement approuvé aux termes de l’article 334.4 des Règles. Toutefois, comme il n’existe aucun accord de partage d’honoraires, toute autre réclamation entre Mme Jack et M. Alghoul et Gowling relève de l’action intentée au Manitoba et est une affaire du ressort de cette province (voir la décision Bancroft-Snell v Visa Canada Corporation, 2016 ONCA 896, aux paragraphes 67 et 111, 133 OR (3d) 241). L’évaluation de la position de Gowling dans le présent litige tient compte du fait qu’il a repris une affaire dans laquelle certains travaux initiaux avaient été effectués et qu’il s’agissait d’une affaire dont la complexité, le fardeau et les risques étaient considérables.

[15]  La question dont notre Cour est saisie est celle de savoir si les honoraires sont « justes et raisonnables ».

[16]  L’approbation des honoraires d’avocats est devenue une question de plus en plus complexe. l’avocat du groupe se retrouve dans la position peu enviable d’être le « client » en ce qui concerne la question des honoraires.

[17]  Pour aider la Cour et l’avocat du groupe, et en vue d’atténuer les critiques éventuelles concernant les honoraires de l’avocat du groupe, la Cour a nommé W.A. Derry Millar, avocat expérimenté et ancien trésorier du Barreau du Haut-Canada, en tant qu’amicus curiae [amicus]. Tel qu’il a été susmentionné, ce faisant, la Cour n’exprime ou ne laisse entendre aucune inquiétude quant aux normes professionnelles ou à la conduite éthique de Gowling ou des membres du cabinet responsables du dossier.

[18]  L’amicus a déposé un mémoire et a présenté des observations à Winnipeg. Dans l’exercice de son mandat, l’amicus s’est rendu dans les bureaux de Gowling pour examiner les dossiers pertinents. Dans son mémoire, l’amicus a confirmé les facteurs relevés par les avocats de Gowling comme étant les facteurs pertinents dont la Cour doit tenir compte pour évaluer les honoraires d’avocats. Il a également confirmé la fiabilité des dépenses.

[19]  En résumé, l’amicus a souscrit à la position de Gowling concernant les facteurs pertinents et les conclusions, et a confirmé que les honoraires convenus étaient conformes à la jurisprudence applicable (y compris les honoraires de 7 500 $ devant être versés à chacun des demandeurs nommés).

[20]  Lors du processus relatif à l’audience d’approbation du règlement, certains membres du groupe se sont opposés aux honoraires proposés qui étaient fondés sur le montant absolu, souvent en raison de leurs préoccupations relatives aux [traduction] « restrictions » associées à la rétention des services d’un autre avocat dans le cadre de la convention. Les oppositions ne donnaient que peu de renseignements, voire aucun, sur ce que devraient être des honoraires « justes et raisonnables ».

III.  Analyse

[21]  Gowling a avancé deux propositions à l’appui de l’approbation des honoraires. La première est que le processus suivi pour négocier les honoraires est une assurance suffisante pour justifier l’approbation. La seconde est l’approche plus traditionnelle consistant à examiner une liste de facteurs pertinents pour établir que les honoraires sont « justes et raisonnables ».

[22]  En ce qui concerne la première proposition, soit celle se rapportant au processus, l’avocat s’est appuyé sur la décision Adrian v Canada (Minister of Health), 2007 ABQB 377, 418 AR 215 [Adrian], dans laquelle le règlement avait été conclu et les honoraires avaient été fixés par la suite. Ce tribunal a conclu qu’en raison de l’existence du processus de négociation d’un règlement raisonnable avant que les honoraires ne fassent l’objet de discussions, il n’était pas nécessaire d’examiner les facteurs établis. Il y a d’autres affaires dont les conclusions sont semblables.

[23]  En toute déférence à l’égard de ces décisions, cette approche ne cadre pas avec l’approche « pratique » que les cours doivent adopter pour ce qui est de l’approbation des frais, et tend vers « l’approbation à l’aveuglette » si souvent rejetée par les cours (voir, par exemple, la décision Baxter v Canada (Attorney General) (2006), 83 OR (3d) 481, au paragraphe 12, [2006] OJ no 4968 [Baxter]).

[24]  Le processus n’est pas déterminant, mais il constitue néanmoins un facteur important. Cependant, il incombe tout de même à la Cour de s’assurer que les résultats découlant d’un processus approprié sont « justes et raisonnables ». Par conséquent, je reconnais que le processus est un facteur positif et important à prendre en compte en combinaison avec d’autres facteurs pertinents.

[25]  La Cour fédérale dispose d’un ensemble établi de facteurs non exhaustifs qui lui permet de déterminer ce qui est « juste et raisonnable ». Dans les décisions Condon c Canada, 2018 CF 522, au paragraphe 82, 293 ACWS (3d) 697 [Condon]; Merlo c Canada, 2017 CF 533, aux paragraphes 78 à 98, 281 ACWS (3d) 702 [Merlo]; et Manuge, au paragraphe 28, les facteurs comprenaient : les résultats obtenus, le risque assumé, le temps consacré, la complexité des questions, l’importance du litige pour les demandeurs, le niveau de responsabilité assumée par les avocats, les qualités et compétences des avocats, la capacité de payer du groupe, les attentes du groupe, et les honoraires approuvés dans des affaires comparables. Les observations de la Cour suivent, mais il convient de garder à l’esprit que les facteurs ont un poids différent d’une affaire à l’autre et que le risque et les résultats demeurent les facteurs essentiels (Condon, au paragraphe 83).

A.  Les résultats obtenus

[26]  Il s’agit du règlement d’un recours collectif important. Le montant de base de 1,47 à 1,6 milliard de dollars ne comprend que l’indemnité de niveau 1 et le fonds des legs, et non les réclamations des niveaux 2 à 5. L’indemnité totale devrait raisonnablement dépasser deux (2) milliards de dollars. Ce recours collectif touche également un nombre important de personnes – plus de 120 000 survivants. Le fonds des legs de 200 millions de dollars en tant que tel constitue également une réalisation importante au chapitre de son montant et de sa vocation qui touchera les familles et les communautés de survivants ainsi que les survivants.

[27]  Les avantages de la convention sont énoncés dans la décision d’approbation du règlement. Ils sont importants et résultent de beaucoup de temps et d’efforts en lien avec la négociation du règlement.

B.  Risque

[28]  Cette affaire a toujours comporté des risques. L’étendue de ces risques est en partie confirmée par l’expérience (et la faillite) de l’ancienne avocate. L’affaire était demeurée à l’état latent en raison des risques et du fardeau qui étaient associés à la poursuite de l’affaire. Ces risques incluaient :

  • l’incertitude quant à la taille du groupe;

  • l’incertitude quant à la certification en raison de la multitude de questions individuelles;

  • la période visée par le recours collectif qui présentait des défis liés au temps, à la diversité et à l’indisponibilité des témoins et des archives;

  • le fardeau considérable de la collecte d’éléments de preuve, des interrogatoires préalables et des témoignages d’experts;

  • l’éventail des moyens de défense à la disposition de la défenderesse qui pouvait limiter la taille du groupe et l’ampleur de la procédure;

  • la complexité des questions de droit et de fait dans les domaines du droit constitutionnel et du droit autochtone, y compris l’absence de jurisprudence dans un domaine du droit en évolution rapide;

  • la contestation des réclamations dérivées de membres du groupe familial, y compris relativement à certaines lois provinciales;

  • la perspective bien réelle de perdre tout ou partie de l’action au procès.

[29]  Dans la décision Manuge, le juge Barnes a souligné l’élément de risque. Il a conclu au paragraphe 37 que le risque devait être évalué au moment où il est assumé par l’avocat, et non de manière rétrospective où beaucoup pourraient être tentés de dire « mais ce résultat était inévitable ». Si c’était le cas, un certain nombre de cabinets auraient proposé d’assumer la responsabilité du litige.

[30]  Le juge Winkler, dans la décision Parsons v Canadian Red Cross Society, 49 OR (3D) 281 [2000] OJ no 2374 [Parsons], a discuté des risques inhérents à ce genre d’affaires.

[traduction]

[29]  De plus, un recours collectif introduit des complications supplémentaires. Les recours collectifs complexes se subsument dans les heures productives des avocats. Le risque assumé par les avocats n’est pas simplement en fonction des probabilités de gagner ou de perdre sa cause. Il faut aussi s’arrêter aux ressources investies par l’avocat du groupe et aux incidences que cela aura dans l’éventualité où le recours devait échouer. Le fait d’avoir gain de cause dans l’un des deux recours collectifs pourrait être une marque de réussite raisonnable. Cependant, pour l’avocat qui est débouté lors de son premier recours collectif, l’épuisement total des ressources dont il dispose pourrait faire en sorte qu’il serait incapable de piloter une autre action. Par conséquent, le véritable risque assumé par l’avocat du groupe n’est pas la simple réciproque de « l’évaluation de la probabilité de succès » de l’action, même si ce calcul ne repose sur aucun degré de certitude. À un certain point, un avocat qui défend un groupe dans le contexte d’un recours collectif complexe peut véritablement, pour reprendre les mots employés par M. Strosberg, « parier son cabinet », et ce, sans égard au degré de risque. Il faut en tenir compte lors de l’appréciation du facteur de « risque » eu égard aux honoraires appropriés pour les avocats.

[…]

[36]  Il appert du dossier que, même si le présent litige a pris la forme d’une négociation en vue d’un règlement à compter du milieu de l’année 1998, les risques assumés par l’avocat du groupe n’en étaient pas moins réels que s’il avait consacré ses heures professionnelles à l’obtention d’une décision dans un processus judiciaire, et ce, à tous les stades du litige.

[37]  De plus, la législation autorisant les recours collectifs introduit plusieurs caractéristiques qui distinguent ces actions d’un litige ordinaire. Un des aspects qui alourdit le risque inhérent aux recours collectifs est l’exigence que tout règlement conclu soit approuvé par la cour. De longues négociations nécessitent que les avocats et les parties y consacrent du temps et des ressources. Cependant, la cour n’approuvera pas un règlement de recours collectif qu’elle juge ne pas être dans le meilleur intérêt du groupe, et ce, sans égard à la question de savoir si les avocats du groupe sont d’avis contraire. Par conséquent, les avocats du groupe peuvent se trouver dans la situation d’avoir consacré du temps et des ressources en vue de la négociation d’un règlement, qu’ils croient être dans le meilleur intérêt du groupe, seulement pour réaliser que la cour n’approuvera pas le règlement qui a été conclu. Bien que cette situation constitue un risque en soi, elle entraîne aussi un avantage pour le défendeur, qui peut réussir à prolonger les négociations jusqu’à ce que les ressources des avocats du groupe soient épuisées, avant de présenter une « offre définitive de règlement » qui peut ultimement ne pas être approuvée par la cour. Dans de tels cas, les avocats du groupe peuvent avoir épuisé leurs ressources en tentant d’obtenir un règlement raisonnable et, par conséquent, être incapables de poursuivre le litige. Il s’ensuit que, dans le contexte d’un recours collectif, le risque n’est pas simplement apprécié en fonction des questions de savoir si un procès est prévu et si le groupe aura gain de cause. Il existe plutôt des risques inhérents à l’adoption et au maintien d’une stratégie donnée en vue du règlement de l’affaire.

[38]  Compte tenu de ce qui précède, je ne peux souscrire à la prétention selon laquelle le degré de risque dans la présente affaire était moins élevé du fait que les parties ont choisi de négocier. De plus, contrairement à ce que certains intervenants ont fait observer, il semble que le fait que les avocats du groupe aient consacré du temps et des ressources dans les négociations occasionnait, au fur et à mesure que ces négociations continuaient, une augmentation du risque plutôt qu’une diminution. Les négociations devenaient plus difficiles du fait que les parties se rapprochaient d’un règlement, puisque les questions devenaient plus pointues, ce qui entraînait un accroissement, et non une diminution, du risque d’aboutir dans une impasse. La progression des négociations faisait en sorte qu’elles devenaient de plus en plus périlleuses […]

[…]

[42]  […] Les dépenses des avocats du groupe, autant sur le plan du temps consacré que sur le plan financier, risquaient de devenir des pertes si un politicien au pouvoir avait décidé, pour des raisons de commodité ou de principe, de ne pas régler de recours collectifs ou d’instaurer de manière unilatérale un régime de compensation sans égard à la faute, et ainsi court‑circuiter l’avocat du groupe et le litige. Il y avait toujours le danger intrinsèque qu’un règlement pancanadien puisse être impossible à obtenir, en raison de la réticence d’un gouvernement en particulier ou du groupe partie à une action en particulier à approuver une entente.

[31]  Le dernier point de la décision du juge Winkler est particulièrement pertinent. Lorsque l’avocat du groupe a été investi du mandat, il l’a accepté sans aucune assurance que l’affaire serait réglée politiquement et, certainement sans aucune assurance que ce résultat serait atteint. Les cas comportant des éléments de politique d’intérêt public comportent le risque particulier d’être pris dans le carcan des débats politiques. En l’espèce, ce n’est qu’en octobre 2017 que le ministre responsable a reçu une lettre de mandat indiquant que la résolution serait possible.

[32]  Comme le confirment les dossiers examinés par l’amicus, l’équipe de l’avocat du groupe a consacré beaucoup de temps et d’efforts au dossier. En plus du risque de ne pas être payé, ces avocats auraient mis certaines parties de leur pratique en suspens, refusant du travail et exposant le cabinet à une perte importante.

[33]  Pour ce facteur, il n’est pas nécessaire que le cabinet « joue le tout pour le tout » (comme il est décrit dans d’autres affaires, dont Parsons). C’est un critère irréaliste, mais en l’espèce, un cabinet a « tout perdu en jouant le tout pour le tout ». Le risque financier pour le cabinet et les avocats est un risque réel et un risque qui devrait être récompensé.

C.  Temps consacré

[34]  Le dossier confirme que l’avocat du groupe a consacré beaucoup de temps et d’argent. Au moment de l’audience, le cabinet avait enregistré des honoraires d’environ 8 000 000 $ et des débours d’environ 470 000 $. Comme l’a confirmé l’amicus, les taux horaires des six principaux avocats étaient conformes à l’année d’admission au barreau et à l’expérience des avocats de Toronto et d’Ottawa.

[35]  On estime qu’il y a probablement entre 2,0 et 2,5 millions de dollars supplémentaires à titre d’honoraires et de débours jusqu’à la mise en œuvre de la convention.

[36]  Reconnaissant que le temps consacré au dossier atteindrait ultimement environ 10,5 millions de dollars, les honoraires convenus représentent un coefficient de cinq. Cependant, l’utilisation d’un coefficient comme base pour l’approbation des honoraires n’est pas appropriée. Tel qu’il est mentionné dans les décisions Condon et Manuge, le coefficient peut récompenser ceux qui ne sont pas efficaces et punir ceux qui le sont.

[37]  Il permet néanmoins d’effectuer une vérification utile, mais rien de plus – il constitue un facteur, mais pas un facteur clé.

D.  Complexité

[38]  La décision d’approbation du règlement traite dans une certaine mesure de la complexité de l’affaire. Elle comporte des complexités liées à la procédure, aux éléments de preuve et aux aspects juridiques qui touchent un grand nombre de demandeurs dans l’immensité du Canada. L’administration de la convention nécessitera encore un engagement et des dépenses en raison de ces complexités.

E.  Importance pour les demandeurs.

[39]  Les affidavits des demandeurs nommés, tels que feu Garry McLean, Margaret Swan, Angela Sampson, Mariette Buckshot, Claudette Commanda et Roger Augustine, témoignent de l’importance du litige pour eux et pour les membres de leur communauté.

[40]  Les milliers d’opposants et de sympathisants confirment tous, ne serait-ce que par leur participation, l’importance de ce litige. On ne peut faire abstraction de son importance historique.

F.  Niveau de responsabilité assumé par l’avocat

[41]  Le cas en l’espèce est plutôt exceptionnel en ce qui concerne les règlements de grands recours collectifs (ceux dépassant 500 millions de dollars), étant donné qu’un seul cabinet était entièrement responsable de l’affaire. Le modèle habituel revêtait la forme d’un consortium de cabinets d’avocats plaidant pour les demandeurs.

[42]  En l’espèce, Gowling a assumé l’entière responsabilité de l’affaire. Le cabinet a dû faire appel aux compétences de multiples avocats dans un grand nombre de domaines du droit, mais particulièrement en droit autochtone, en droit constitutionnel, en droit public, en droit lié aux préjudices personnels, en droit des recours collectifs et en droit des sociétés et organismes de bienfaisance (sans but lucratif).

G.  Qualités et compétences des avocats

[43]  Il n’y a pas de doute quant à l’excellente réputation de Gowling au sein de la communauté juridique et dans les domaines du droit pertinents à ce litige. Le cabinet et le groupe de droit autochtone en particulier ont eu à intervenir dans de nombreuses affaires et transactions marquantes. Il compte un certain nombre d’avocats des communautés autochtones dans l’ensemble du pays.

[44]  La Cour a eu l’occasion d’observer l’intervention de bon nombre des avocats de Gowling tout au long de ce processus, et a pu constater leur dévouement et leur expertise.

H.  Capacité de payer des membres du groupe

[45]  Il est évident que les membres du groupe n’étaient pas et ne sont pas en mesure de payer les services de l’avocat du groupe. Cela ressort clairement du contexte de l’affaire et des affidavits de personnes comme Angela Sampson.

I.  Attente du groupe

[46]  Il est juste d’affirmer que les représentants des demandeurs s’attendaient à verser 15 % du produit obtenu dans le litige à titre d’honoraires, ainsi qu’un montant distinct pour les débours – tel qu’il est indiqué dans le mandat de représentation.

[47]  Les 55 millions de dollars convenus pour les honoraires et débours représentent environ 3 % du règlement total.

[48]  Les honoraires convenus, conformément à la convention, constituent un avantage substantiel pour les membres du groupe, car la défenderesse assume ces coûts. Rien n’est déduit des montants alloués aux membres du groupe.

[49]  À cet avantage substantiel s’ajoutent les 7 millions de dollars supplémentaires alloués pour la fourniture d’avis juridiques aux membres du groupe individuels. Les membres du groupe peuvent obtenir des conseils juridiques sans déduction de leur indemnité.

[50]  Le mandat de représentation disparaît avec l’approbation du règlement, ce qui procure un avantage substantiel au groupe.

J.  Honoraires dans des affaires semblables

[51]  Il ne fait aucun doute que les honoraires d’avocats négociés s’élevant à 55 millions de dollars sont considérables, mais ils doivent être examinés dans leur contexte.

[52]  Ces honoraires, dans le contexte du paiement de règlement minimum de niveau 1 de 1,27 milliard de dollars plus 200 millions de dollars pour le fonds des legs, représentent 3,74 % de la valeur du règlement.

[53]  Ce pourcentage est réduit davantage par des montants d’argent qui seraient versés pour les indemnités des niveaux 2 à 5 sans montant supplémentaire pour les honoraires. On estime que le versement total pourrait avoisiner les deux (2) milliards de dollars, avec un pourcentage des honoraires d’environ 2,75 %.

[54]  En résumé, les honoraires d’avocat seront de l’ordre de 3 %.

[55]  À mon avis, cette fourchette correspond à d’autres règlements associés à des méga-fonds comme le « Règlement des recours collectifs Hépatite C » (les honoraires d’avocat liés à la décision Parsons et aux affaires connexes s’élevant à 52,5 millions pour un règlement de 1,5 milliard de dollars, soit environ 3,5 %), « la Convention de règlement relative à l’hépatite C visant la période antérieure à 1986 et la période postérieure à 1990 » (les honoraires d’avocat liés à la décision Adrian et aux affaires connexes s’élevant à 37,2 millions de dollars pour un règlement de 1 milliard de dollars, soit environ 3,7 %), le « Règlement relatif aux pensionnats indiens » (les honoraires d’avocat liés à la décision Baxter et aux affaires connexes représentant environ 4,5 %), la « Rafle des années 1960 » (les honoraires d’avocats liés à l’arrêt Riddle c Canada, 2018 CF 641, 296 ACWS (3d) 36, et à l’arrêt Brown v Canada (Attorney General), 2018 ONSC 5456, 298 ACWS (3d) 704, s’élevant à 75 millions de dollars pour un règlement de 625 à 875 millions de dollars, soit approximativement 4,6 % – le plus bas niveau d’honoraires d’avocat), et les honoraires liés à la décision Manuge, représentant à 3,9 % (payés par le groupe).

[56]  À cela, il faut ajouter les 7 millions de dollars pour les services juridiques futurs. Si le montant d’argent n’est pas utilisé, le solde est reversé au fonds des legs.

K.  Honoraires

[57]  Je suis d’accord avec la proposition d’octroyer à chacun des demandeurs nommés des honoraires de 7 500 $ à payer à même les honoraires de l’avocat du groupe. Des honoraires sont versés lorsque les représentants des demandeurs font plus qu’un effort normal que le titulaire d’un tel poste – par exemple, la renonciation à leur vie privée au profit d’un recours collectif très médiatisé et leur participation aux nombreuses activités de sensibilisation communautaire (voir la décision Merlo aux paragraphes 68 à 74). Les honoraires versés aux représentants des demandeurs doivent être accordés avec parcimonie, car les représentants des demandeurs ne doivent pas bénéficier du recours collectif plus que les autres membres du groupe (Eidoo v Infineon Technologies AG, 2015 ONSC 2675, aux paragraphes 13 à 22, 253 ACWS (3d) 35).

[58]  En l’espèce, il y a trois représentants des demandeurs, Claudette Commanda, Roger Augustine et Mariette Buckshot, ainsi que trois autres demandeurs nommés, Garry McLean (qui était un représentant des demandeurs jusqu’à son décès), Angela Sampson et Margaret Swan. Les demandeurs demandent des honoraires pour les six demandeurs nommés. La jurisprudence citée devant la Cour ne portait que sur l’octroi d’honoraires aux représentants des demandeurs, c’est-à-dire que ces derniers avaient été confirmés étant les représentants des demandeurs dans l’ordonnance de certification. Cependant, il s’agit d’une affaire unique dans laquelle tous les demandeurs nommés ont déployé des efforts supplémentaires pour faire avancer la réclamation et ont essentiellement assumé le rôle de représentants des demandeurs dans leurs instructions à l’avocat et leurs communications avec les membres du groupe. Ils ont pris le risque d’introduire l’action en réclamation, l’ont poursuivie jusqu’au point de mettre fin au mandat de l’avocate initiale, rechercher un nouvel avocat et donner des instructions sur la multitude de problèmes survenus lorsque l’affaire a été reformulée et ils ont poursuivi le contentieux et la négociation.

[59]  Ils ont livré leurs histoires personnelles sur la place publique pour faire avancer le dossier et ont participé à la sensibilisation de la communauté et à la lutte contre la désinformation sur le dossier – parfois en dépit de répercussions personnelles.

[60]  De plus, les honoraires proviennent des honoraires perçus par l’avocat du groupe. Si l’avocat du groupe est satisfait, il ne sert à rien que la Cour intervienne.

IV.  Conclusion

[61]  Pour tous ces motifs, la Cour approuvera les dispositions de la convention relatives aux honoraires de l’avocat du groupe et ordonnera à l’avocat du groupe de verser 7 500 $ à chacun des six demandeurs nommés prélevés sur les honoraires de l’avocat du groupe lorsqu’ils seront payés.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 août 2019

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2169-16

 

INTITULÉ :

GARRY LESLIE MCLEAN, ROGER AUGUSTINE, CLAUDETTE COMMANDA, ANGELA ELIZABETH SIMONE SAMPSON, MARGARET ANNE SWAN et MARIETTE LUCILLE BUCKSHOT c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 mai 2019

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE – HONORAIRES D’AVOCATS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

le 19 aoÛt 2019

 

COMPARUTIONS :

David Klein

Angela Bespflug

 

Pour les demandeurs

 

Catharine Moore

Sarah-Dawn Norris

 

Pour la défenderesse

 

Clint Docken, c.r.

POUR JOAN JACK et Louay Alghoul

W.A. Derry Millar

AMICUS CURIÆ NOMMÉ PAR LA COUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Klein Lawyers

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

WeirFoulds LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

AMICUS CURIÆ NOMMÉ PAR LA COUR

 

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