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Date : 20020118

Dossier : IMM-2799-01

Référence neutre : 2002 CFPI 64

ENTRE :

                                                                        JIAN JIANG

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                  La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 3 mai 2001 par laquelle un agent des visas a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur. Le demandeur sollicite une ordonnance qui annulerait la décision de l'agent des visas et qui obligerait le défendeur a répondre favorablement à sa demande. À titre subsidiaire, il demande que l'affaire soit renvoyée pour être jugée par un autre agent des visas.

  

[2]                  Le demandeur, un citoyen chinois, a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des gens d'affaires en tant qu' « investisseur » . Sa demande a été reçue par le défendeur le 15 mars 1999. Il est marié et il a un enfant.

[3]                  À l'époque où il présenté sa demande, le demandeur était président directeur général de Qingdao Resources Distribution Center (QRDC), une compagnie vendeuse qui faisait affaires dans les métaux, la construction et les matériaux de décoration commerciaux. Il jouait un rôle au sein de cette entreprise depuis mai 1995. Le demandeur affirme que, grâce aux activités commerciales en question, il a accumulé un avoir net de plus d'un million de dollars canadiens et il a produit à l'agent des visas des éléments de preuve pour le démontrer.

[4]                  Le 27 mai 1999, la demande a été examinée par un adjoint aux programmes qui a recommandé que le demandeur soit reçu en entrevue pour déterminer s'il répondait aux critères applicables à la catégorie des investisseurs. On a envoyé au demandeur deux documents, une « liste complémentaire I » et une « liste complémentaire II » , dans lesquelles étaient précisés les divers documents que l'on recommandait au demandeur de produire lors de l'entrevue.


[5]                 Le 29 décembre 2000, un autre adjoint aux programmes a envoyé au demandeur une autre lettre l'informant que la date de son entrevue avait été fixée au 9 mars 2001, presque deux ans après la réception de la demande. Les formulaires usuels, à savoir la « liste complémentaire I » et la « liste complémentaire II » ont de nouveau été joints à la lettre. Cependant, le demandeur n'a effectivement été reçu en entrevue par l'agent des visas que le 3 mai 2001.

[6]                  Au moment de l'entrevue, le demandeur avait lancé une nouvelle entreprise, Qingdao Yaxing Property Development Co. Ltd. (QYPDCL), et concentrait son attention sur cette nouvelle entreprise, même si elle ne constituait pas le fondement de sa demande. QRDC a vraisemblablement fermé ses portes en janvier 2000. Les questions posées lors de l'entrevue portaient surtout sur QYPDCL, sa nouvelle entreprise.

[7]                  L'agent des visas n'était pas convaincu que le demandeur possédait un avoir net qu'il avait accumulé par ses propres efforts ou qu'il avait exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise. Au paragraphe 13 de son affidavit, l'agent des visas déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] J'ai dit au demandeur que je n'étais pas convaincu qu'il répondait à la définition d' « investisseur » au sens du Règlement, parce que je n'ai pas accepté les explications qu'il a fournies au sujet de son investissement dans cette société et des profits qu'il en avait tirés.

Il semble que la décision repose en grande partie sur la question de la crédibilité.


[8]                  L'agent des visas s'est dit troublé en particulier par deux facteurs. En premier lieu, le demandeur avait affirmé qu'il retirerait 20 millions de renminbis d'un projet de 60 millions de renminbis lancé par QYPDCL en mai 2000. L'agent des visas a demandé au demandeur s'il avait investi 40 millions de renminbis dans ce projet, ce à quoi le demandeur a répondu qu'il avait en réalité investi 10 millions de renminbis. Interrogé au sujet de la provenance de cet argent, le demandeur a répondu qu'il s'agissait plutôt en réalité de 8 ou de 9 millions de renminbis, que l'argent était investi par versements et que son premier versement était de 3 millions de renminbis, ce qui était suffisant pour acheter le terrain et lui permettre de réaliser certains profits qu'il continuait à réinvestir. Sur la foi de ces renseignements, l'agent des visas a conclu que le témoignage du demandeur n'était pas cohérent.

[9]                  Au sujet de la nouvelle entreprise, l'agent des visas a demandé au demandeur si les 250 unités d'habitation que QYPDCL était en train de construire avaient été vendues. Il a répondu par l'affirmative mais a ajouté que les formalités administratives étaient lentes en Chine et qu'aucune facture ne serait établie avant la fin de 2001. Il a néanmoins déclaré que 60 millions de renminbis avaient été reçus d'environ 200 clients. L'agent des visas a jugé peu vraisemblable que le demandeur puisse percevoir 60 millions de renminbis de quelque 200 clients alors que les travaux de construction des logements n'étaient pas encore terminés et qu'aucune facture n'avait encore été envoyée. Il a ensuite demandé comment les 60 millions de renminbis avaient été dépensés, mais le demandeur n'a pu produire aucune preuve documentaire pour justifier sa réponse.


[10]            Dans son affidavit, l'agent des visas a également exposé les raisons pour lesquelles il avait orienté ses questions sur QYPDCL. Il a expliqué que le demandeur l'avait informé au cours de l'entrevue qu'il ne travaillait plus pour QRDC mais bien pour QYPDCL, qu'il avait gagné beaucoup d'argent grâce à QYPDCL (ce qui aurait augmenté substantiellement son avoir net) et que les actions qu'il détenait dans QYPDCL valaient presque dix fois plus que ses actions de la QRDC.

[11]            L'agent des visas a-t-il omis de tenir compte d'éléments pertinents ou a-t-il manqué aux principes de justice naturelle lorsqu'il a refusé la demande de résidence permanente du demandeur?

[12]            Le demandeur soutient que l'agent des visas n'a pas tenu compte d'éléments de preuve relatifs au rôle qu'il avait joué au sein de QRDC. Il ajoute que la définition du terme « investisseur » que l'on trouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié (le Règlement) et qui est libellé au passé, ne se limite pas aux activités commerciales actuelles du requérant et qu'elle englobe toutes les entreprises que l'immigrant a exploitées, contrôlées ou dirigées avec succès dans le passé. Le demandeur ajoute que l'agent des visas n'a pas expliqué pourquoi il rejetait son témoignage.

[13]            Le demandeur soutient également que l'agent des visas aurait dû lui accorder une possibilité raisonnable de répondre à ses préoccupations. Il ajoute que l'agent des visas ne lui a pas accordé un délai suffisant après l'entrevue pour produire des preuves documentaires au sujet de QYPDCL et il affirme que les principes de justice naturelle ont été violés.


[14]            Le défendeur affirme que l'agent des visas n'a pas ignoré les éléments de preuve présentés par le demandeur au sujet de QRDC, étant donné que des questions ont été posées sur ce sujet au cours de l'entrevue, mais que l'agent pouvait raisonnablement s'en tenir à QYPDCL. Le défendeur affirme qu'il avait le droit de vérifier si le demandeur avait déjà exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise en lui posant des questions pour déterminer si le demandeur avait le sens des affaires qu'il prétendait avoir. Après avoir conclu que les réponses du demandeur étaient insuffisantes, il était loisible à l'agent des visas de se prononcer sur l'ensemble de la demande de résidence permanente. L'agent des visas est la personne qui est la mieux placée pour évaluer la crédibilité du demandeur.

[15]            Suivant le défendeur, le demandeur s'est vu offrir une possibilité suffisante de répondre aux préoccupations de l'agent des visas. En l'espèce, les documents requis avaient été expressément réclamés dans les formulaires usuels qui ont été envoyés au demandeur avant l'entrevue. Le défendeur soutient également que l'agent des visas a fait part de ses préoccupations au demandeur au cours de l'entrevue. Finalement, le défendeur soutient qu'il n'y a pas matière à plaider l'iniquité lorsque l'agent des visas n'accorde pas au demandeur l'occasion de répondre à des préoccupations qui découlent directement de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 et de son règlement d'application, par lesquels l'agent des visas est lié.

[16]            Le demandeur affirme qu'il a fourni suffisamment de renseignements au défendeur en mars 1999 pour démontrer qu'il était un « investisseur » . Voici la définition que l'agent des visas a appliquée (paragraphe 2(1) du Règlement, dans sa version alors en vigueur) :


« investisseur » Immigrant qui satisfait aux critères suivants :

a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;

b) il a fait un placement minimal depuis la date de sa demande de visa d'immigrant à titre d'investisseur;

c) il a accumulé par ses propres efforts ...

  

"investor" means an immigrant who

(a) has successfully operated, controlled or directed a business,

(b) has made a minimum investment since the date of the investor's application for an immigrant visa as an investor, and

(c) has a net worth, accumulated by the immigrant's own endeavours ...

[17]            Il n'y a rien dans cette définition qui empêcherait l'agent des visas d'examiner les éléments de preuve relatifs à la première participation du demandeur dans QRDC. Si ces éléments de preuve avaient pu démontrer que le demandeur était effectivement un « investisseur » , comme il prétend l'être, l'agent des visas aurait alors été obligé d'en tenir compte. Or, ces éléments de preuve n'ont pas été contredit et ont survécu à l'examen de la crédibilité auquel l'agent des visas a soumis le demandeur. L'agent des visas a omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents, commettant ainsi une erreur justifiant le contrôle judiciaire de sa décision. Il semble en fait qu'il aurait été facile de répondre aux préoccupations de l'agent des visas par des éléments de preuve documentaires, si l'agent avait choisi de les examiner.


[18]            Qui plus est, bien qu'il soit vrai que les conclusions tirées par un agent des visas au sujet de la crédibilité ne doivent être modifiées que dans les cas les plus extrêmes, il n'en demeure pas moins que le raisonnement suivi par l'agent des visas en l'espèce est suspect. Sa conclusion que les clients du demandeur ne lui avanceraient pas de l'argent avant que le projet ne soit achevé et avant que des factures n'aient été produites est purement spéculative. Il était raisonnable de la part du demandeur de s'attendre à ce que son entrevue repose sur ses réalisations au sein de la QRDC, lesquelles réalisations constituaient après tout le fondement de sa demande.

[19]            Mais surtout, si l'agent des visas voulait rejeter entièrement les éléments de preuve concernant QYPDCL, il devait à tout le moins donner avis de son intention au demandeur et accorder à celui-ci la possibilité d'y répondre. Le fait que l'agent des visas s'en tienne exclusivement aux renseignements provenant de QYPDCL n'était pas évident pour le demandeur, et il ne devait pas l'être, en dépit même des formules usuelles qui lui avaient été envoyées. À plusieurs reprises au cours de l'entrevue, le demandeur a proposé de produire les documents que l'agent des visas réclamait. Néanmoins, l'agent des visas a rejeté la demande le jour même de l'entrevue. Ce faisant, l'agent des visas a agi de façon injuste et a commis une autre erreur justifiant le contrôle judiciaire de sa décision.

[20]            La présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et la décision de l'agent des visas devrait être annulée. Je renvoie l'affaire à la Commission pour qu'elle soit examinée de nouveau par un autre agent des visas.

                                                                                                                                          « P. Rouleau »      

                                                                                                                                                               Juge                

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 18 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                    IMM-2799-01

INTITULÉ :                                    Jian Jiang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

  

LIEU DE L'AUDIENCE :           Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :         17 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR : le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                18 janvier 2002

   

COMPARUTIONS :                 

Dennis Tanack                                                                            POUR LE DEMANDEUR

  

Kim Shane                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                         

Dennis Tanack                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Sous-procureur général du Canada                                      POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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