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Date : 20060404

Dossier : T-1168-05

Référence : 2006 CF 429

OTTAWA (Ontario), le 4 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES

RESSOURCES HUMAINES

demandeur

et

CRAIG DAWDY

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande présentée par le ministre du Développement des ressources humaines en vue de d'obtenir le contrôle judiciaire la décision, datée du 30 mai 2005, d'un membre de la Commission d'appel des pensions (la Commission), désigné en vertu du paragraphe 83(2.1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (la Loi). L'avis d'autorisation est daté du 9 juin 2005. Dans cette décision, le membre désigné a donné à M. Dawdy (le défendeur) l'autorisation d'interjeter appel d'une décision du tribunal de révision devant de la Commission d'appel des pensions environ dix mois après l'expiration du délai prévu pour le faire.

[2]                L'audience portant sur la présente affaire a été fixée au 28 mars 2006, à 9 h 30, à Toronto.

[3]                À l'ouverture de l'audience, le défendeur n'était pas présent.

[4]                La greffière de la Cour a dit à cette dernière s'être entretenue, vers le 23 mars 2006, avec le défendeur et lui avoir fait part de la date, de l'heure et du lieu de l'audience. Le défendeur lui a demandé ce qui arriverait s'il ne présentait pas à l'audience.

[5]                Le défendeur n'ayant pas dit qu'il ne se présenterait pas à l'audience, la Cour a suspendu celle-ci pendant 15 minutes pour voir s'il comparaîtrait. Comme il ne l'a pas fait, la Cour a décidé d'entendre le demandeur.

[6]                Le défendeur n'a produit aucun document, ni soumis aucune observation écrite utile.

[7]                J'ai lu tous les documents versés au dossier et j'ai entendu les observations orales du demandeur; je suis convaincu qu'il convient de faire droit à la demande de contrôle judiciaire et d'infirmer la décision, datée du 30 mai 2005, rendue par un membre de la Commission d'appel des pensions.

[8]                La présente affaire découle des efforts soutenus qu'a faits M. Dawdy pour obtenir des prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada (le RPC). M. Dawdy a demandé pour la première fois des prestations d'invalidité du RPC en mars 1999. Cette demande a été refusée, d'abord une première fois et ensuite, après réexamen, par le tribunal de révision. M. Dawdy n'a pas sollicité l'autorisation d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision devant la Commission d'appel des pensions et, bien qu'on lui ait dit à l'époque du refus de sa demande qu'il disposait d'un délai de 90 jours pour faire appel, il ne l'a pas fait.

[9]                Le 1er novembre 2002, M. Dawdy a demandé de nouveau des prestations d'invalidité du RPC. Cette demande a elle aussi été rejetée une première fois, après réexamen, ainsi que devant le tribunal de révision, qui a entendu l'appel de M. Dawdy le 7 avril 2004. Le tribunal de révision a transmis à M. Dawdy une copie de sa décision datée du 10 mai 2004, de même qu'un avis de décision daté du 11 mai 2004.

[10]            M. Dawdy n'a pas interjeté appel de la décision du tribunal de révision devant la Commission d'appel des pensions dans le délai de 90 jours prévu par la loi. Il a plutôt envoyé une lettre non datée au président de la Commission - la lettre a été reçue le 3 mai 2005 - pour demander l'autorisation d'interjeter appel de la décision du 11 mai 2004 du tribunal de révision. Dans cette lettre, M. Dawdy écrit : [traduction] « ... J'ignorais que l'on pouvait faire de nouveau appel. La Financière Manuvie m'a demandé de porter de nouveau ma cause en appel » . (Il est à noter que c'est à la suite d'une demande de la compagnie Financière Manuvie au défendeur que l'appel tardif est poursuivi.)

[11]            Par une lettre datée du 9 juin 2005, un membre désigné a accordé l'autorisation requise le 30 mai 2005. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[12]            Le ministre soutient que le membre désigné a commis une erreur de droit en accordant tardivement l'autorisation d'interjeter appel sans d'abord déterminer si M. Dawdy satisfaisait au critère relatif à l'octroi d'une prorogation de délai (Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Penna, [2005] A.C.F. no 580 (C.F.) (QL) [Penna]). Deuxièmement, le demandeur prétend que le membre désigné a commis une erreur en ne prenant pas en considération les critères établis pour déterminer à quel moment faire droit à une demande d'autorisation tardive (Développement des ressources humaines c. Josephine Gattellaro, [2005] A.C.F. no 1106 (1re inst.) (QL) [Gattellaro]). Troisièmement, le demandeur fait valoir que le membre désigné a commis une erreur en accordant l'autorisation d'interjeter appel en l'absence de motifs valables de le faire.

[13]            Le demandeur soutient qu'il n'y a pas d'appel de plein droit devant la Commission d'une décision rendue par le tribunal de révision. Un demandeur doit présenter une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission dans les 90 jours suivant la date à laquelle il reçoit une décision du tribunal de révision (Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, paragraphe 83(1)). Sur demande écrite, le président, le vice-président ou un membre désigné de la Commission peut proroger le délai dans lequel le demandeur peut solliciter l'autorisation requise.

[14]            Le demandeur soutient que le membre désigné qui est saisi d'une demande tardive d'autorisation d'interjeter appel devant la Commission doit tout d'abord déterminer si le demandeur a présenté la demande requise de prorogation du délai prévu pour demander l'autorisation d'interjeter un appel (Penna, précitée). Il affirme que M. Dawdy n'a pas demandé que le délai soit prorogé. Il ajoute que cette prorogation est une condition préalable à l'octroi d'une autorisation au-delà du délai de 90 jours et que le membre désigné a commis une erreur en donnant l'autorisation sans déterminer formellement s'il convenait de proroger le délai.

[15]            Le demandeur soutient que, même si le défendeur avait demandé une prorogation de délai, le membre désigné a commis une erreur en ne prenant pas en considération les critères reconnus pour déterminer à quel moment faire droit aux demandes d'autorisation tardives. Suivant la décision Gattellaro, précitée, aux paragraphes 9 et 10, pour obtenir une prorogation, le demandeur doit établir l'existence des quatre facteurs suivants :

1)       il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l'appel;

2)       la cause est défendable;

3)       la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l'autre partie;

4)       le retard a été raisonnablement expliqué.

[16]            Le demandeur soutient que le membre désigné n'a pas tenu compte de ces facteurs, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle. Il reconnaît que la décision de proroger les délais est de nature discrétionnaire; mais ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé d'une manière conforme au critère juridique établi, qui est énoncé dans la décision Gattellaro, précitée. Le demandeur souligne que la Cour fédérale a récemment confirmé ces facteurs (Ministre du Développement des ressources humaines c. Tony L. Roy, 2005 CF 1456, au paragraphe 9 [Roy]). Les décisions Roy, précitée, et Canada (SCRS) c. Green, [1993] A.C.F. no 1369, au paragraphe 3, précisent qu'un officier de justice doit motiver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il est allégué que des motifs ne semblent pas avoir été fournis en l'espèce.

[17]            Il est également allégué que le défendeur n'a pas satisfait aux exigences énumérées dans la décision Gattellaro, précitée. M. Dawdy n'a pas fourni de preuve qu'il avait l'intention persistante de poursuivre l'appel, tout d'abord dans le délai imparti pour le faire, qu'il avait une cause défendable pour les prestations d'invalidité et que l'octroi d'une prorogation de neuf mois du délai d'appel ne causerait pas de préjudice au ministre; il n'avait pas non plus d'explication raisonnable pour le retard.

[18]            Le demandeur fait valoir aussi que le retard à demander l'autorisation d'interjeter appel de la décision du tribunal de révision est préjudiciable au ministre. Il allègue que le législateur n'entendait pas accorder aux parties le droit de demander l'autorisation d'interjeter appel quand bon leur semble et que les membres désignés sont tenus de justifier leurs décisions de proroger le délai dans lequel les demandeurs peuvent solliciter l'autorisation d'interjeter appel.

[19]            En supposant que le membre désigné ait accordé à bon droit la prorogation - ce que nie le demandeur - il doit dans ce cas déterminer aussi s'il donnera l'autorisation d'interjeter appel. Le demandeur soutient que M. Dawdy devait convaincre la Cour qu'il existait un motif défendable qui lui permettrait d'obtenir gain de cause dans son appel projeté. Le demandeur rappelle à la Cour qu'aucun des rapports médicaux ne prouve que M. Dawdy était invalide au sens du RPC et que M. Dawdy n'a donc pas fait valoir de manière défendable qu'il était invalide en décembre 2000. Le ministre soutient par conséquent que le membre désigné a commis une erreur de fait et de droit en déterminant que M. Dawdy avait établi que sa cause était défendable.

[20]            Le défendeur n'est pas représenté par un avocat et il n'a pas comparu à l'audience. Il a envoyé à la Cour une lettre manuscrite, datée du 16 juillet 2005, pour indiquer qu'il contesterait l'avis de demande. Le demandeur a consenti à une prorogation du délai pour le dépôt de l'affidavit du défendeur. Ce dernier a écrit à la Cour pour l'informer qu'il enverrait son affidavit, mais il semble qu'aucun affidavit n'a été produit. Le demandeur a déposé un consentement à une prorogation du délai prescrit pour déposer le dossier du défendeur, par courtoisie pour M. Dawdy. Le dossier du défendeur devait être déposé le 12 décembre 2005.

[21]            La Cour a reçu une lettre manuscrite du défendeur le 9 décembre 2005. Cette lettre était adressée [traduction] « au président de la Commission » . Dans ce document, le défendeur a écrit que son état physique n'a pas changé. Il a expliqué qu'il ressent tous les jours de la douleur et qu'il prend les médicaments prescrits. Il a demandé au président de réexaminer son cas.

[22]            Le défendeur a eu de la difficulté à naviguer dans les procédures juridiques engagées par le demandeur. Il ressort de la lettre datée du 9 décembre 2005 qu'il n'a pas tout à fait compris qu'une procédure judiciaire a été engagée en vue d'infirmer la décision d'un membre désigné qui permettrait d'entendre la décision relative au RPC du défendeur. La Cour n'a reçu de la part du défendeur aucun exposé des arguments.

[23]            Il ressort clairement du libellé du paragraphe 83(1) de la Loi qu'une personne qui ne demande pas l'autorisation d'interjeter appel d'une décision devant la Commission d'appel des pensions dans le délai prescrit de 90 jours doit, tout d'abord, se voir accorder une prorogation discrétionnaire du délai prévu pour demander l'autorisation. Les articles 4 et 5 des Règles de procédure de la Commission d'appel des pensions (prestations), C.R.C. (les Règles), indiquent quels sont les renseignements qui doivent figurer dans une demande d'autorisation et exigent que la personne indique les motifs sur lesquels la demande de prorogation est fondée. Dans sa demande d'autorisation d'interjeter appel, M. Dawdy a écrit que [traduction] « cela fait plus de 90 jours depuis la décision de mon tribunal dont j'ignorais que l'on pouvait faire de nouveau appel » . Il est évident que le défendeur était au courant de l'expiration du délai de 90 jours. Dans sa lettre, il a donné des motifs pour présenter son appel, dont certains pourraient être considérés comme des motifs pour demander une prorogation. Cependant, M. Dawdy n'a pas demandé explicitement de prorogation du délai imparti pour déposer sa demande d'autorisation.

[24]            La présente affaire est similaire à l'affaire Penna, précitée, dans laquelle la requérante, n'avait pas non plus saisi, elle aussi, qu'il lui fallait demander une prorogation de délai. Dans cette affaire, le membre désigné a donné l'autorisation d'interjeter appel, même si une demande de prorogation du délai imparti pour demander l'autorisation d'interjeter appel n'avait pas été présentée. Le juge Frederick Gibson a dit ce qui suit aux paragraphes 10 et 11 :

Je suis convaincu que le commissaire a commis une erreur de droit, a outrepassé sa compétence ou a omis d'exercer sa compétence en accordant l'autorisation d'interjeter appel, bien qu'aucune demande de prorogation du délai imparti, conformément aux Règles applicables, n'ait été présentée, et bien qu'aucune prorogation du délai d'appel n'ait été accordée. La décision visée par le contrôle a été rendue sans faire parvenir d'avis au ministre, si bien que le ministre n'a pas été en mesure de présenter ses observations au commissaire et de lui signaler que la prorogation du délai est une condition préalable à l'autorisation d'interjeter appel.

Ainsi, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[25]            Je crois que le raisonnement exposé dans la décision Penna, précitée, s'applique tout autant à la présente situation et qu'il a un effet déterminant en l'espèce. La décision du membre désigné devrait être infirmée parce que ce dernier a donné l'autorisation d'interjeter appel alors que M. Dawdy n'avait pas demandé de prorogation de délai.

[26]            Je conviens avec le demandeur que, même si le membre désigné a pu examiner s'il y avait lieu d'accorder une prorogation de délai, cette décision discrétionnaire a été prise irrégulièrement. Le membre désigné n'a pas motivé sa décision d'accorder l'autorisation d'interjeter appel. Je souscris à la conclusion de la juge Eleanor Dawson dans la décision Roy, précitée, au paragraphe 13 : même si l'article 83 de la Loi n'exige pas que l'autorisation d'interjeter appel soit accompagnée de motifs, le membre désigné doit motiver cette décision discrétionnaire. L'omission de fournir des motifs constitue donc une erreur susceptible de contrôle en l'espèce.

[27]            Les décisions Gattellaro et Roy, précitées, reconnaissent toutes les deux cas qu'il y a quatre critères que le membre désigné doit prendre en considération et évaluer au moment de déterminer s'il convient d'accorder une prorogation. Ces critères n'ont pas été appliqués. Il s'ensuit que la Commission a commis une erreur en n'appliquant pas les critères appropriés.

[28]            Ces critères peuvent s'appliquer comme suit en l'espèce :

  1. La principale raison pour laquelle M. Dawdy poursuit l'appel semble être que son assureur lui a demandé de le faire, même s'il prétend que son état n'a pas changé.
  2. Rien ne suggère qu'il existe une cause défendable. Même si l'état de M. Dawdy se maintient, rien dans le dossier ne permet de croire que la Commission aurait traité l'état actuel de M. Dawdy autrement qu'elle l'a fait lorsqu'elle a conclu que ce dernier n'avait pas droit aux prestations du RPC.
  3. La seule explication pour le retard est que M. Dawdy a soutenu qu'il ignorait que la décision du tribunal de révision pouvait être portée en appel. Cela cadre avec le fait que M. Dawdy n'a pas interjeté appel de la première décision négative du tribunal de révision devant la Commission d'appel des pensions.
  4. En l'espèce, on pourrait considérer que le retard d'environ dix mois cause préjudice au ministre.

[29]            Ces facteurs ne constituent guère des motifs pour accorder une prorogation. Même en supposant que l'on pourrait accorder à juste titre, au vu des faits, une prorogation du délai imparti pour demander l'autorisation d'interjeter appel, rien n'explique pourquoi l'autorisation a été accordée.

[30]            En résumé, le membre désigné a commis une erreur de droit, a outrepassé sa compétence ou a omis d'exercer sa compétence en accordant l'autorisation d'interjeter appel même si M. Dawdy n'avait pas demandé de prorogation du délai pour pouvoir le faire et si aucune prorogation du délai imparti pour déposer la demande d'autorisation n'avait été accordée. Le membre désigné a commis également une erreur en ne motivant pas convenablement l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce et en ne prenant pas en considération les critères appropriés pour exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder une prorogation du délai.

JUGEMENT

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision rendue le 30 mai 2005 par le membre désigné de la Commission d'appel des pensions est par les présentes infirmée.

L'affaire est renvoyée pour qu'un membre différent de la Commission rende une nouvelle décision qui soit conforme à mes motifs de jugement.

Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Max M. Teitelbaum »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1168-05

INTITULÉ :                                              Ministre du Développement des ressources humaines c. Craig Dawdy

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                      Le 28 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                             Le 4 avril 2006

COMPARUTIONS :

Stephan Bertrand pour

Stuart Herbert

(613) 946-9617

POUR LE DEMANDEUR

Nul n'a comparu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Craig Dawdy (pour son propre compte)

63973, route Wellandport, R.R. no 1

Wellandport (Ontario)

L0R 2J0

POUR LE DÉFENDEUR

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