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Date : 20190823


Dossier : IMM‑3480‑18

Référence : 2019 CF 1092

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

ANTHONY MARCUSA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le 13 juillet 2018, le demandeur, qui est citoyen américain, et sa conjointe de fait, Lauren Bovaird, qui est canadienne, ont tenté d’entrer au Canada, en provenance des États‑Unis, au point d’entrée de Fort Erie. Ils retournaient à Toronto en voiture après avoir rendu visite à des membres de la famille du demandeur au Delaware. L’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] qui a interrogé le demandeur à la frontière a conclu que le demandeur était interdit de territoire, parce qu’il tentait d’entrer au Canada dans l’intention d’y résider de façon permanente, mais qu’il n’avait pas le visa requis. L’agent a rédigé un rapport à cet égard en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Un autre agent de l’ASFC, qui agissait comme délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a examiné le rapport relatif au paragraphe 44(2) de la LIPR. Le délégué du ministre a interrogé le demandeur et Mme Bovaird, et il a examiné d’autres renseignements. Il a conclu que le rapport d’interdiction de territoire était bien fondé et a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur en application du sous-alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. La mesure était en vigueur pour une période d’un an.

[2]  Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la mesure d’exclusion au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il fait valoir que la mesure a été prise sans respecter l’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à ces deux prétentions. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II.  LE CONTEXTE

[3]  Le demandeur est né à Columbia, au Maryland, en 1985. Lorsqu’il était encore enfant, sa famille et lui ont déménagé dans une ville près de Buffalo, dans l’État de New York. Après y avoir terminé ses études secondaires, le demandeur a commencé ses études de premier cycle à l’Université de Toronto en septembre 2003. En juin 2007, il a obtenu un baccalauréat ès arts avec mention. Le demandeur détenait des permis d’études valides pendant toute la période où il a étudié au Canada.

[4]  Après avoir obtenu son diplôme, le demandeur a obtenu un permis de travail postdiplôme, qui était valide de septembre 2007 à août 2008. Il est resté au Canada pour s’établir comme journaliste pigiste. Le demandeur a décidé de retourner aux études pendant quelques années et, encore une fois, il a obtenu les permis d’études nécessaires. Le dernier a expiré en janvier 2011.

[5]  Malgré l’expiration de son visa, le demandeur est resté au Canada et a continué de travailler comme journaliste pigiste. Il a demandé à deux reprises le statut de résident permanent au Canada, mais les deux demandes ont été rejetées, de toute évidence parce que le demandeur ne répondait pas aux critères applicables aux programmes dans le cadre desquels il avait présenté sa demande. Il a continué de vivre et de travailler au Canada.

[6]  Le demandeur et Mme Bovaird se sont rencontrés à Toronto en octobre 2016. Peu de temps après, ils ont commencé une relation amoureuse. Ils ont commencé à vivre ensemble à Toronto en mars 2017.

[7]  Le demandeur a continué de travailler comme journaliste pigiste à Toronto. Bien qu’il ait eu un emploi plus ou moins stable pendant plusieurs années, il n’a pas produit de déclaration de revenus aux États‑Unis (ou ailleurs). Il est retourné aux États‑Unis de temps à autre pour rendre visite à des amis et à de la famille ou pour voyager.

[8]  Lorsqu’il a été interrogé pour la première fois au point d’entrée de Fort Erie le 13 juillet 2018, le demandeur a informé l’agent de l’ASFC qu’il cherchait à entrer au Canada à titre de visiteur et qu’il séjournerait avec sa petite amie (Mme Bovaird) à Toronto. Toutefois, lorsqu’il s’est fait poser d’autres questions, le demandeur a confirmé à l’agent qu’il vivait et travaillait à Toronto. Lorsqu’on lui a demandé s’il vivait [traduction« actuellement » au Canada, le demandeur a répondu [traduction« Oui ». Lorsqu’on lui a demandé où il vivait actuellement, il a donné l’adresse où Mme Bovaird et lui habitaient à Toronto. Le demandeur n’a pu fournir aucune preuve qu’il résidait effectivement aux États‑Unis. Il a déclaré qu’il savait qu’il devait présenter une demande de résidence permanente pour vivre au Canada et qu’il avait l’intention de présenter une demande, mais qu’il ne l’avait pas fait.

[9]  L’agent de l’ASFC a conclu que le demandeur tentait d’entrer au Canada dans l’intention de résider ici en permanence. En l’absence du visa requis, le demandeur a contrevenu à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR (lu conjointement avec l’article 6 du RIPR). Cette contravention a fait en sorte que le demandeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 41a) de la LIPR. L’agent a rédigé un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR énonçant ses conclusions et leur fondement. L’agent a recommandé qu’une mesure d’exclusion soit prise.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  Le délégué du ministre devait déterminer deux choses lors de l’examen du rapport d’interdiction de territoire relatif au paragraphe 44(2) de la LIPR. Il devait d’abord examiner la question de savoir si le rapport était bien fondé. Dans l’affirmative, en second lieu, il devait répondre à la question de savoir si une mesure d’exclusion devait être prise au titre du sous‑alinéa 228(1)c)(iii) du RIPR (il s’agit du type de mesure de renvoi applicable à un étranger interdit de territoire au Canada aux termes de l’article 41 de la LIPR, en raison du fait qu’il n’a pas établi qu’il possédait le visa requis).

[11]  Le délégué du ministre a conclu que le demandeur tentait d’entrer au Canada dans l’intention de résider ici en permanence. À son avis, le demandeur avait fait cette admission au premier agent de l’ASFC et l’avait confirmée au délégué du ministre à l’entrevue. Le demandeur a également reconnu qu’il n’avait pas présenté de demande de visa de résident permanent avant de tenter d’entrer au pays. Pour cette raison, le délégué du ministre a conclu que le rapport visé au paragraphe 44(1) était bien fondé.

[12]  Le délégué du ministre a ensuite examiné la question de savoir si une mesure d’exclusion devait être prise. Il a reconnu qu’il s’agissait d’une question qui relevait de son pouvoir discrétionnaire. Il a reconnu que l’ordonnance aurait un effet défavorable sur le demandeur, sur Mme Bovaird et sur leur relation. Toutefois, il a conclu qu’une mesure d’exclusion était justifiée malgré cela, en raison du fait que le demandeur avait démontré un [traduction« non-respect continu et à long terme des lois et des règlements du Canada en matière d’immigration, en demeurant et travaillant [au Canada] sans autorisation ».

IV.  LA NORME DE CONTRÔLE

[13]  La jurisprudence concernant la façon dont je dois aborder les questions soulevées dans la présente demande est bien établie.

[14]  En ce qui concerne l’équité procédurale, je dois déterminer si le processus suivi par le délégué du ministre respectait le degré d’équité exigé, eu égard à l’ensemble des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43 [Khosa]; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54). Si tel est le cas, il n’y a pas lieu d’intervenir pour ce motif.

[15]  En ce qui concerne la décision de prendre la mesure d’exclusion, elle est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Je dois faire preuve de déférence envers le délégué du ministre en raison de la nature essentiellement factuelle de la décision (Eberhardt c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 1077, au par. 18). Je dois examiner la décision en ce qui a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir]). Je peux intervenir pour ce motif uniquement, si le résultat ou les motifs invoqués, examinés dans le contexte du dossier, ne répondent pas à ce critère. Il ne me revient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer la solution que je juge préférable à celle qui a été retenue (Khosa, aux par. 59 et 61).

V.  ANALYSE

A.  L’admissibilité de l’affidavit du demandeur

[16]  Le demandeur a déposé un affidavit (souscrit le 21 septembre 2018) à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. Il a présenté un récit des faits qui se sont produits le 13 juillet 2018. Il a également présenté un compte rendu détaillé de sa situation personnelle, y compris les circonstances qui, selon lui, auraient dû être prises en compte par le délégué du ministre pour décider de prendre ou non une mesure d’exclusion. Sur un certain nombre de points, les renseignements contenus dans l’affidavit vont bien au-delà de ceux dont disposait le délégué du ministre le 13 juillet 2018, lorsqu’il a rendu sa décision.

[17]  Avant d’examiner le bien-fondé des motifs de contrôle avancés par le demandeur, il est nécessaire de déterminer si l’affidavit (en tout ou en partie) est admissible dans le cadre de la présente demande et de déterminer les utilisations permises pour lesquelles tout contenu admissible peut être présenté.

[18]  La règle générale veut que le dossier de preuve relatif à une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative se limite au dossier dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au par. 19 [Access Copyright]; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, au par. 13 [Bernard]). La justification de cette règle est fondée sur les rôles respectifs du décideur administratif et de la cour de révision (Access Copyright, aux par. 17 et 18; Bernard, aux par. 17 et 18). Le décideur décide du bien-fondé de l’affaire. La cour de révision ne peut examiner que la légalité générale de ce que le décideur a fait.

[19]  Toutefois, comme il en a été question dans les arrêts Access Copyright (au par. 20) et Bernard (aux par. 19 à 28), cette règle générale admet des exceptions. Je suis convaincu qu’à tout le moins dans une certaine mesure et à certaines fins limitées, les nouveaux renseignements contenus dans l’affidavit du demandeur sont admissibles.

[20]  Le récit des faits du 13 juillet 2018 présenté par le demandeur fournit des renseignements contextuels utiles qui, par ailleurs, ne figurent pas dans le dossier. Le défendeur ne conteste pas son exactitude ni, en toute équité, son admissibilité. De même, la déclaration du demandeur dans son affidavit selon laquelle le délégué du ministre l’a interrompu lorsqu’il a tenté d’expliquer pourquoi il ne devrait pas être exclu du Canada constitue le fondement factuel nécessaire pour justifier le manquement allégué à l’équité procédurale. Je suis également d’avis que les renseignements plus détaillés que le demandeur affirme avoir été empêché de fournir au délégué du ministre sont pertinents pour déterminer si le demandeur a subi un préjudice en raison du manquement allégué à l’équité procédurale. Par contre, aucun de ces nouveaux renseignements ne peut être pris en considération au moment d’apprécier le caractère raisonnable de la décision du délégué du ministre, puisque cela équivaudrait à substituer ma décision sur le fond à la sienne.

B.  A-t-on respecté les exigences en matière d’équité procédurale?

[21]  Le demandeur prétend que les exigences en matière d’équité procédurale n’ont pas été respectées, parce que le délégué du ministre ne lui a pas permis de donner un compte rendu aussi complet qu’il l’aurait souhaité des raisons pour lesquelles il n’était pas interdit de territoire et de celles pour lesquelles il ne devrait pas être exclu du Canada. Je ne suis pas d’accord.

[22]  La jurisprudence indique clairement que l’obligation d’équité envers un étranger dans la situation du demandeur se situe au bas de l’échelle. En ce qui concerne le paragraphe 44(2) de la LIPR en général, voir Cha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 RCF 409, 2006 CAF 126, aux par. 42 à 52 [Cha], et Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2017] 3 RCF 492, 2016 CAF 319, aux par. 29 à 34 [Sharma].

[23]  Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], la Cour suprême du Canada a souligné que l’obligation d’équité procédurale en common law était « souple et variable » (Baker, au par. 22). Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour déterminer les exigences dans le contexte particulier d’une affaire donnée, notamment : 1) la nature de la décision recherchée; 2) la nature du régime législatif dans le cadre duquel la décision est rendue; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) la procédure que le décideur a lui-même suivie ainsi que ses contraintes institutionnelles (Baker, aux par. 21 à 28).

[24]  Compte tenu de ces facteurs et des déclarations générales dans Cha et Sharma au sujet des décisions rendues au titre du paragraphe 44(2) de la LIPR, à mon avis, le demandeur avait le droit d’être informé des faits qui avaient déclenché l’enquête, d’être informé des conséquences possibles de l’enquête, d’avoir la possibilité de fournir une réponse et de voir toute réponse être prise en considération par le décideur.

[25]  En réalité, les faits qui ont déclenché l’enquête ont été présentés par le demandeur lui‑même. Il a été informé qu’il y avait un doute quant à son admissibilité, étant donné qu’il n’avait pas de visa et qu’il avait apparemment l’intention de résider en permanence au Canada. Le demandeur s’est fait dire qu’il pouvait être exclu du Canada s’il était déclaré interdit de territoire. Il a eu l’occasion d’aborder ces questions non seulement avec le délégué du ministre, mais aussi avec le premier agent de l’ASFC, avant qu’il ne rédige son rapport. Une fois le rapport rédigé, le demandeur en a reçu une copie.

[26]  Malheureusement pour le demandeur, ses réponses aux questions qui ont été posées par le premier agent de l’ASFC et, plus tard, par le délégué du ministre n’ont fait que renforcer la préoccupation au sujet de son interdiction de territoire. Après examen, il appert que le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer l’existence d’éléments de preuve probants qui auraient pu dissiper cette préoccupation et qu’il n’avait pas eu la possibilité de transmettre au délégué du ministre.

[27]  Le paragraphe 44(2) de la LIPR prévoit que, dans le cas d’un étranger à l’égard duquel un rapport sur l’interdiction de territoire est bien fondé, le ministre (ou son délégué) « peut alors prendre une mesure de renvoi » [non souligné dans l’original]. L’utilisation du verbe permissif « peut » indique clairement qu’il s’agit d’une question sur laquelle le pouvoir discrétionnaire doit être exercé. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire a été décrit comme étant limité et, même alors, son étendue varie selon les circonstances particulières de l’affaire (Cha, aux par. 21 et 22; Sharma, au par. 23).

[28]  À ce stade de l’analyse du délégué du ministre, il avait été jugé que le demandeur était un étranger interdit de territoire. Comme il avait tenté d’entrer au Canada sans le visa exigé et avait l’intention de résider ici en permanence (selon la conclusion du délégué du ministre), il faisait face à une exclusion du Canada pour une période d’un an. Le délégué du ministre a entrepris une analyse quelque peu tronquée de la question de savoir si le demandeur devrait être exempté des conséquences de la conclusion d’interdiction de territoire pour motifs d’ordre humanitaire. On peut se demander s’il était nécessaire ou même approprié que le délégué du ministre le fasse (voir Cha, au par. 37, et Rosenberry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 882, au par. 36). Toutefois, à mon avis, le délégué du ministre a choisi d’entreprendre cette enquête et, ce faisant, il lui incombait d’informer le demandeur de la question en cause et de lui donner l’occasion de présenter son point de vue et sa preuve.

[29]  Encore une fois, je suis convaincu que ces exigences ont été respectées. Même si le demandeur estime qu’il n’a pas été en mesure de fournir un compte rendu aussi complet de sa relation avec Mme Bovaird et ses parents qu’il a pu le faire plus tard dans son affidavit, cela ne signifie pas que les exigences en matière d’équité procédurale n’ont pas été respectées. Il est clair que le délégué du ministre a informé le demandeur des motifs pour lesquels il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas prendre de mesure d’exclusion du Canada contre lui. Il est clair que le demandeur a eu l’occasion de tenter de persuader le délégué du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur et de ne pas l’exclure du Canada. Il est également clair que le délégué du ministre a tenu compte des observations du demandeur dans sa décision. Compte tenu des circonstances particulières de l’affaire – la décision rendue à un point d’entrée quant à savoir si un étranger interdit de territoire devrait néanmoins être autorisé à entrer au Canada – je suis convaincu que le demandeur a eu une occasion de présenter sa cause, occasion qui était suffisante pour satisfaire aux exigences d’équité procédurale applicables dans ces circonstances.

C.  La décision du délégué du ministre est-elle déraisonnable?

[30]  Le facteur déterminant en l’espèce consiste à déterminer si, le 13 juillet 2018, le demandeur tentait d’entrer au Canada dans l’intention d’y résider en permanence. À mon avis, la conclusion du délégué du ministre selon laquelle il tentait de le faire est tout à fait raisonnable. Le demandeur a répondu honnêtement aux questions qui lui ont été posées. Les renseignements qu’il a lui-même fournis au premier agent de l’ASFC et, plus tard, au délégué du ministre appuyaient raisonnablement la conclusion selon laquelle il résidait déjà en permanence au Canada; en effet, il le faisait depuis plusieurs années. Son retour au Canada, le 13 juillet 2018, maintenait simplement le statu quo. Dans ces circonstances, il était tout à fait raisonnable que le délégué du ministre conclue que, le 13 juillet 2018, le demandeur tentait d’entrer au Canada dans l’intention d’y résider en permanence.

[31]  Le demandeur fait valoir que le délégué du ministre a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que le demandeur avait une intention à long terme de devenir un résident permanent et que cela ne l’empêchait pas, en soi, d’entrer temporairement au Canada à titre de visiteur le 13 juillet 2018 (voir le paragraphe 22(2) de la LIPR). Je ne suis pas d’accord, essentiellement pour deux raisons. Premièrement, la question de la double intention n’a pas été soulevée par le demandeur à l’époque. Elle n’est apparue que plus tard, dans l’affidavit assermenté à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire et dans les observations de son avocate. Deuxièmement, et plus important encore, compte tenu des renseignements dont il disposait, il n’était pas déraisonnable que le délégué du ministre croie le demandeur sur parole lorsqu’il a répondu par l’affirmative à la question suivante : [traduction« Avez-vous aujourd’hui l’intention de résider au Canada de façon permanente? » Le demandeur laisse entendre qu’il a mal compris la question et qu’il croyait que l’agent faisait référence à des intentions à long terme plutôt qu’à court terme. Quoi qu’il en soit, étant donné qu’il vivait déjà au Canada d’une façon qui pourrait être qualifiée de permanente et qu’il avait déjà essayé à deux reprises d’obtenir le statut de résident permanent, il n’y avait pas de motif raisonnable pour que le délégué du ministre analyse la réponse sans équivoque du demandeur, quant aux intentions à court et à long terme. Les circonstances donnaient raisonnablement à penser que l’intention du demandeur, le 13 juillet 2018, était de revenir au Canada, où il continuerait de résider de façon permanente, malgré le fait qu’il ne possédait pas de visa. Il n’était pas déraisonnable que le délégué du ministre ne traite pas de la question de la double intention.

[32]  Les circonstances de l’affaire Sibomana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 853, sur lesquelles le demandeur s’appuie pour étayer sa position, sont tout à fait distinctes de celles de la présente affaire. Bien que les circonstances de l’affaire Jewell c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1046, soient plus semblables, l’issue dans cette affaire repose manifestement sur les faits qui lui sont propres, tout comme l’issue en l’espèce repose sur les faits de la présente affaire. Cela ne signifie pas que la décision factuelle du délégué du ministre en l’espèce, fondée sur la preuve dont il disposait au sujet des actes et des intentions du demandeur, est déraisonnable.

[33]  La décision du délégué du ministre de prendre une mesure d’exclusion satisfait aux exigences de l’arrêt Dunsmuir. Les motifs fournis expliquent comment le délégué du ministre en est arrivé à la conclusion qu’il a tirée. Je conviens avec le demandeur que l’examen par le délégué du ministre de la caractérisation juridique de sa relation avec Mme Bovaird comporte des lacunes. Toutefois, cette question n’était essentiellement pas pertinente dans les circonstances et, plus important encore, le délégué du ministre n’a pas mis en doute l’authenticité de la relation. Les facteurs erronés mentionnés par le délégué du ministre dans sa décision n’auraient pas pu raisonnablement influer sur la pondération ultime des intérêts dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. En tenant compte en particulier du pouvoir discrétionnaire très limité dont dispose le délégué du ministre dans les circonstances d’une affaire comme celle-ci, le résultat appartient aux issues possibles qui sont acceptables, au regard des faits et du droit. Rien ne justifie que j’intervienne.

VI.  CONCLUSION

[34]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale en vue de la certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

[36]  Enfin, le demandeur a nommé le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur. Il est communément admis que le défendeur à désigner est plutôt le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Dans le jugement de la Cour, l’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3480‑18

LA COUR STATUE :

  1. que l’intitulé de la cause est modifié pour tenir compte du fait que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est le défendeur à désigner;

  2. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  3. qu’aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de septembre 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3480‑18

 

INTITULÉ :

ANTHONY MARCUSA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 mars 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 23 août 2019

 

COMPARUTIONS :

Tamara Thomas

 

pour le demandeur

 

John Provart

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group PC

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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