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Date : 20190830


Dossier : IMM-555-19

Référence : 2019 CF 1123

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

CUIXIA HUANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 4 janvier 2019 [la décision]. La SPR y concluait que la demanderesse n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  La présente demande est accueillie. Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, je conclus que la SPR a manqué aux principes d’équité procédurale, car elle a tiré des conclusions concernant la crédibilité qui étaient liées au témoignage de la demanderesse lors d’une audience antérieure devant la SPR, sans lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations précises en matière de crédibilité au moment de l’audience qui a mené à la décision.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Cuixia Huang, est une citoyenne chinoise de 32 ans. Elle affirme avoir commencé à pratiquer le Falun Gong en 2006. À l’époque, elle se trouvait encore en Chine. Elle dit avoir découvert cette pratique par l’entremise de sa grand-mère, qui lui a conseillé de s’en servir pour soulager ses douleurs menstruelles violentes. Elle soutient que cette pratique lui a permis de soulager la douleur; elle s’est ensuite jointe au groupe secret de pratique du Falun Gong de sa grand-mère. Cette dernière est décédée dans un accident d’automobile en 2008.

[4]  Le 30 mai 2009, Mme Huang est arrivée au Canada, munie d’un visa d’étudiant, pour suivre un programme au collège George Brown à compter d’août 2009. Cependant, avant le début du semestre, elle a décidé d’aller étudier au collège Seneca. Elle affirme avoir continué à pratiquer le Falun Gong pendant ce temps.

[5]  Mme Huang allègue que ses parents lui ont dit que, en octobre 2009, le Bureau de la sécurité publique de la Chine [BSP] était venu à sa recherche, car l’organisme savait qu’elle avait pratiqué le Falun Gong en Chine et au Canada. Le BSP aurait demandé aux parents de Mme Huang de dire à leur fille revenir en Chine et de se livrer aux autorités. Mme Huang a ensuite demandé l’asile au Canada. Elle dit que le BSP est retourné à sa maison en Chine à trois autres reprises : en février 2010, en octobre 2010 et en juin 2011.

[6]  Elle affirme que l’institution financière de ses parents les a informés vers février 2010 que leur compte bancaire avait été bloqué. Elle aurait abandonné le collège Seneca à cause des difficultés financières qui ont découlé de cette situation.

[7]  Le 2 décembre 2011, la SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Huang. Le 20 août 2012, le juge Mandamin de la Cour a conclu qu’il était déraisonnable de la part de la SPR d’avoir mené une enquête aussi microscopique sur les connaissances de Mme Huang sur le Falun Gong et d’avoir conclu que la demanderesse ne pratiquait pas cette religion de façon authentique au Canada. Le juge Mandamin a également jugé problématique que la SPR ait conclu que Mme Huang avait acquis ses connaissances du Falun Gong dans le dessein de faire valoir une demande d’asile frauduleuse. La Cour a renvoyé la demande d’asile de Mme Huang à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[8]  Mme Huang allègue que le BSP est retourné à la maison de ses parents une quatrième fois, en octobre 2012. En juin 2013, la banque a appelé ses parents pour leur dire que leur compte était maintenant débloqué.

[9]  En juillet 2014, Mme Huang a été gravement blessée dans un accident d’automobile. Pendant sa longue convalescence, elle a reçu des traitements médicaux et psychologiques. Elle dit que la pratique du Falun Gong l’a aidée à traverser cette période difficile. Elle a pratiqué le Falun Gong avec plusieurs autres adeptes au Canada.

[10]  L’audience de novo de Mme Huang à la SPR a eu lieu le 23 juillet 2018.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Le 4 janvier 2019, la SPR a rejeté une deuxième fois la demande d’asile de Mme Huang. C’est cette décision qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire. La décision reposait en grande partie sur des conclusions défavorables concernant la crédibilité. Ces conclusions portaient sur les motifs qui ont amené Mme Huang à venir au Canada, sur sa pratique du Falun Gong en Chine, sur le traitement que le BSP a réservé à ses parents et sur le fait que le BSP était à sa recherche ainsi qu’à celle de son groupe de pratique en Chine.

[12]  La SPR a conclu que Mme Huang n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi attestant qu’elle était venue au Canada dans le but réel d’étudier. Entre autres, la SPR s’est dite préoccupée par l’arrivée de la demanderesse en mai 2009, plusieurs mois avant la date prévue pour la rentrée scolaire, par son transfert du collège George Brown au collège Seneca, et par le fait qu’elle n’avait présenté aucune preuve de sa présence en classe.

[13]  Mme Huang a expliqué qu’elle ne connaissait pas les raisons du choix du moment de son arrivée, parce que c’était ses parents qui avaient acheté son billet. La SPR a jugé invraisemblable qu’elle n’en ait pas discuté avec ses parents.

[14]  Mme Huang a également expliqué être passée du collège George Brown au collège Seneca, après avoir conclu que ce dernier était meilleur sur le plan de la formation. Avant de décider d’effectuer le changement, Mme Huang a visité les deux écoles une seule fois. La SPR a jugé invraisemblable qu’elle ait pu faire ce choix en si peu de temps. Elle a également conclu qu’il était peu probable que la supériorité sur le plan de la formation avait motivé son choix, car elle s’était seulement inscrite à un programme d’anglais langue seconde au collège Senecap.

[15]  De plus, la SPR a relevé l’absence d’éléments de preuve à l’appui de sa présence aux cours et du paiement des droits de scolarité pendant la période concernée. Elle a conclu que Mme Huang n’était pas une véritable étudiante au Canada et qu’elle n’avait jamais eu l’intention d’étudier en venant au pays.

[16]  La SPR était également préoccupée par l’absence d’éléments de preuve documentaire sur le fait que Mme Huang pratiquait le Falun Gong en Chine. Elle a donc conclu que la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi qui attestaient cette pratique. De plus, la SPR a fait remarquer que Mme Huang n’avait déposé aucun élément de preuve relatif aux sujets suivants : son problème de santé qui l’a amenée à commencer la pratique du Falun Gong; sa grand-mère qui l’a initiée à cette pratique; la découverte de sa pratique du Falun Gong par les autorités chinoises; la situation des autres adeptes de son groupe en Chine; les répercussions sur sa famille, et les efforts déployés par le BSP pour la poursuivre.

[17]  La SPR a souligné l’absence d’éléments de preuve sur la grand-mère de Mme Huang et sur son décès. Mme Huang a affirmé que sa famille avait obtenu un certificat de décès, mais que le BSP l’a conservé lorsque son père a cherché à mettre à jour le hukou de sa grand-mère. La SPR a relevé que, lors de l’audience précédente, Mme Huang avait déclaré que ses parents auraient trop peur de demander au BSP de leur rendre le certificat de décès, et que le BSP conservait toujours ces certificats après les décès. Le SPR a fait observer que Mme Huang n’avait pas expliqué pour quelle raison ses parents pensaient que cette demande les impliquerait dans sa pratique du Falun Gong, et que la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve quant à la façon dont elle avait eu connaissance de cette pratique du BSP. La SPR a jugé peu crédible que le gouvernement chinois ait recours à de telles pratiques et qu’il ne soit pas possible d’obtenir copie d’un certificat de décès.

[18]  La SPR a également conclu que les explications données par Mme Huang au sujet de l’absence de dossiers médicaux chinois sur ses douleurs menstruelles n’étaient pas crédibles. La SPR n’a pas accepté ses explications selon lesquelles ses parents ne trouvaient pas son carnet de santé et qu’ils craignaient trop le BSP pour demander à l’hôpital de leur en fournir un nouveau. La SPR a également tenu compte du témoignage que Mme Huang avait livré au cours de la première audience. Au cours de ce témoignage, la demanderesse avait relaté qu’elle ne jugeait pas sécuritaire de demander son dossier médical chinois à partir du Canada, et la SPR avait jugé que cette explication était déraisonnable et elle avait conclu que la demanderesse ne courait aucun risque supplémentaire, puisque le BSP savait déjà qu’elle se trouve au Canada. La SPR en a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité de Mme Huang.

[19]  En ce qui concerne les répercussions pour les parents de Mme Huang, la SPR a tenu compte de la preuve documentaire selon laquelle le BSP maltraite souvent les familles des adeptes du Falun Gong qui se sont enfuis. Cependant, la SPR s’est fondée sur le témoignage de Mme Huang lors de la première audience pour conclure que l’absence de mauvais traitements graves infligés par le BSP à l’endroit des membres de la famille de la demanderesse minait encore plus les allégations voulant que le BSP la poursuivait. La SPR a fait remarquer que, bien que le blocage du compte en banque mentionné par Mme Huang au cours de son témoignage à la première audience ait eu des répercussions, celle-ci a omis de l’inclure dans son Formulaire de renseignements personnels. La SPR a également fait observer que, lors de la première audience, Mme Huang avait d’abord déclaré que ses parents n’avaient pas subi de répercussions, puis elle avait ensuite témoigné au sujet du blocage du compte dans ses explications à savoir pourquoi elle avait abandonné le collège Seneca. La SPR a qualifié le témoignage de Mme Huang à la première audience de changeant et contradictoire.

[20]  En ce qui concerne le fait que le BSP soit à la recherche de la demanderesse, la SPR a souligné l’absence d’éléments de preuve démontrant que Mme Huang est recherchée ou que sa pratique du Falun Gong avait été découverte. La SPR a notamment mentionné que la demanderesse avait peur de communiquer avec les autres adeptes de son groupe en Chine, par crainte que les communications soient surveillées.

[21]  En somme, en ce qui concerne la crédibilité, la SPR a conclu que Mme Huang n’avait pas présenté d’éléments de preuve documentaire convaincants à l’appui de ses allégations et qu’elle n’avait pas expliqué de façon raisonnable l’absence d’éléments de preuve. La SPR a tiré une conclusion défavorable en établissant que la demanderesse n’était pas venue au Canada dans le but d’étudier. En se fondant sur les conclusions défavorables qui s’étaient accumulées, elle a conclu que Mme Huang ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver qu’elle était une adepte du Falun Gong en Chine et que, pour cette raison, le BSP était à sa recherche.

[22]  Enfin, au sujet de la pratique du Falun Gong au Canada, la SPR a convenu que Mme Huang a pratiqué le Falun Gong au Canada et qu’elle en a une connaissance approfondie. La SPR a constaté que la demanderesse avait présenté de longues lettres de ses coreligionnaires locaux, mais leur a accordé peu de poids, puisque ceux-ci ne pouvaient pas témoigner de ses motivations. La SPR a conclu que Mme Huang n’était pas une authentique adepte du Falun Gong en Chine et, en l’absence d’éléments de preuve d’une expérience de conversion au Canada, qu’elle a étudié le Falun Gong et l’a pratiqué au Canada pour appuyer sa demande d’asile, et non parce qu’elle en est maintenant une véritable adepte. Elle a conclu qu’elle ne pratiquerait probablement pas le Falun Gong en Chine, et qu’elle ne serait donc pas persécutée pour cette raison, en soulignant également qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que les autorités chinoises étaient au courant de la pratique du Falun Gong par Mme Huang au Canada.

[23]  La SPR a donc rejeté les demandes d’asile que Mme Huang avait présenté au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[24]  La demanderesse soumet les trois questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. La SPR a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle en tirant une conclusion défavorable concernant la crédibilité à propos d’enjeux qui n’ont pas été portés à l’attention de la demanderesse à son audience de novo?

  2. Subsidiairement, la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’est pas une véritable adepte du Falun Gong au Canada?

  3. La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?

[25]  La première question, qui soulève un manquement allégué aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que les autres questions sont assujetties à la norme de la décision raisonnable.

V.  Analyse

[26]  Ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur la première question en litige soulevée par la demanderesse, dans laquelle elle allègue un manquement aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale. Les arguments de la demanderesse se rapportent aux éléments suivants de l’analyse de la SPR, dans laquelle elle a tiré des conclusions défavorables en se fondant sur la transcription de l’audience qui avait mené à la décision du 2 décembre 2011 de la SPR :

  1. À l’audience précédente, la demanderesse a déclaré que ses parents avaient trop peur de s’adresser au BSP pour qu’il leur renvoie le certificat de décès de sa grand-mère. La SPR a mis en doute ce témoignage, parce que la demanderesse n’avait donné aucune raison pour laquelle une telle demande impliquerait ses parents dans sa pratique du Falun Gong;

  2. La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse à l’audience précédente, selon lequel le BSP conserve toujours les certificats de décès des personnes décédées, n’était pas crédible, car elle n’avait fourni aucune preuve quant à la façon dont elle connaissait cette pratique;

  3. La SPR a tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse, en concluant que son témoignage à la première audience selon lequel elle n’avait pas demandé qu’on lui envoie ses dossiers médicaux, car elle jugeait qu’il n’était pas sécuritaire pour elle de formuler une telle demande, était déraisonnable;

  4. La SPR a jugé que les allégations de la demanderesse étaient minées par son témoignage à l’audience précédente concernant le fait que le BSP n’avait pas infligé de mauvais traitements aux membres de sa famille;

  5. La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse lors de la première audience était contradictoire et changeant au sujet du blocage par le BSP du compte bancaire de ses parents.

[27]  La demanderesse fait valoir que, même si la SPR a le droit d’utiliser les transcriptions de son audience précédente dans l’instance de novo, y compris pour tirer des conclusions défavorables concernant la crédibilité, les principes d’équité procédurale exigeaient que la SPR lui donne la possibilité d’être entendue et de faire des observations sur les points problématiques avant de tirer ces conclusions. Elle s’appuie sur de la jurisprudence, notamment les décisions Darabos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 484, aux par. 17 et 18, et Khalof c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF nº 444, au par. 15 [Khalof].

[28]  La demanderesse invoque ces décisions à l’appui de deux exigences connexes découlant des principes d’équité procédurale : a) le demandeur d’asile a le droit de connaître la preuve qu’il devra produire dans une instance devant la SPR; b) le processus doit permettre à la SPR d’observer le comportement du demandeur d’asile pendant que ce dernier témoigne avant de décider que le témoignage manque de crédibilité ou de fiabilité. Lors de l’audience relative à la présente demande, l’avocat de la demanderesse s’est concentré en particulier sur la dernière exigence, décrite par le juge Gibson dans la décision Khalof :

15  Je suis convaincu que la décision de la SSR de se fier à la transcription des notes sténographiques de la première audition du témoignage de la demanderesse principale correspond à ces « éléments qu’elle peut recevoir » au sens du paragraphe 68(3). Ni la transcription des notes sténographiques de la seconde audience ni les motifs de la SSR quant à la décision sous examen ne mettent en doute, sur le plan de la crédibilité ou de la fiabilité, le témoignage de la demanderesse principale, tel qu’il apparaît dans la transcription à laquelle on s’en remet. Si tel avait été le cas, je suis convaincu que la SSR n’aurait pas pu invoquer les paragraphes 68(2) et (3) afin de justifier le fait qu’elle s’en remette à la transcription. S’en remettre uniquement à une transcription comme fondement d’une conclusion de manque de crédibilité ou de fiabilité constituerait, j’en suis convaincu, un manquement à la justice naturelle et à l’équité. Les principes de justice naturelle et d’équité demanderaient que la SSR entende le témoignage et ait l’occasion d’observer l’attitude de la personne qui témoigne avant de pouvoir conclure équitablement au manque de crédibilité et de fiabilité. Mais une telle conclusion n’a pas été tirée en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]

[29]  Lors de l’audience relative à la présente demande, l’avocat du défendeur a fait observer que le mémoire de la demanderesse semblait plutôt s’appuyer sur le premier des deux principes décrits ci-dessus, plutôt que sur le deuxième. En effet, j’ai fait remarquer à l’audience que j’avais interprété les documents écrits de la demanderesse dans le même sens. Cependant, l’avocat du défendeur, tout en soulevant la possibilité d’un préjudice pour le défendeur dans sa capacité de répondre aux arguments de la demanderesse, a indiqué qu’il était néanmoins en mesure de répondre, ce qu’il a fait. De plus, même si le mémoire écrit aurait pu être plus clair, j’accepte l’argument de l’avocat de la demanderesse selon lequel le fait que les documents écrits se fondent sur la décision Khalof, un précédent dont les deux parties ont traité, constitue un préavis suffisant de cette question.

[30]  Le défendeur soutient qu’il est possible d’établir une distinction entre la décision Khalof et la présente affaire, car, dans Khalof, la demanderesse n’avait pas témoigné devant le second tribunal de la SSR. Le défendeur fait valoir que dans la présente affaire, comme la demanderesse a livré un témoignage lors de la nouvelle audience, on ne peut affirmer que la SPR a tiré des conclusions sur la crédibilité sans avoir d’abord entendu la demanderesse. Je ne trouve pas cet argument utile pour le défendeur. À mon avis, le raisonnement qui sous-tend le principe énoncé dans la décision Khalof consiste à donner au décideur la possibilité d’observer le comportement du demandeur d’asile pendant son témoignage qui se rapporte particulièrement aux conclusions défavorables en matière de crédibilité.

[31]  Le défendeur soutient également que l’énoncé de la décision Khalof sur lequel la demanderesse s’appuie est une remarque incidente et qu’il n’a pas été suivi. Il affirme que des décisions subséquentes appuient la thèse selon laquelle un second tribunal peut s’appuyer sur la transcription d’une première audience. À titre d’exemple, le défendeur cite la déclaration du juge Pinard dans la décision Quazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 1098 [Quazi], au par. 5 :

  [...] La SSR peut certes considérer des documents relatifs à une audition antérieure de la revendication du demandeur, notamment les notes sténographiques y afférentes (voir, par exemple, Khalof c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 185 F.T.R. 282 […]

[32]  Bien que je reconnaisse que la décision Khalof n’a pas été rendue en fonction de l’énoncé sur lequel s’appuie la demanderesse, je ne considère pas que la décision Quazi allait à l’encontre de cet énoncé. L’erreur de la SPR n’est pas de s’être appuyée sur le témoignage livré à la première audience, même pour tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité. Comme il a été mentionné, la demanderesse admet que cette utilisation est permise. L’iniquité survient lorsque le décideur actuel de la SPR n’offre pas à un demandeur la possibilité de répondre à des préoccupations précises en matière de crédibilité avant de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité. J’estime que ce principe est lié au droit de la demanderesse de connaître la preuve qu’elle doit présenter et d’avoir la possibilité de le faire.

[33]  Le défendeur se fonde sur la décision Danquah c Canada (Secrétaire d’État), [1994] ACF no 1704, au par. 6 [Danquah], pour le principe selon lequel les tribunaux ne devraient pas avoir à avertir les demandeurs de la partie du dossier qui jouera un rôle important dans leurs décisions. Toutefois, à mon avis, l’explication de ce principe faite par le juge MacKay dans la décision Danquah établit une distinction importante entre, d’une part, des éléments de preuve peu convaincants et, d’autre part, des incohérences qui pourraient donner lieu à des conclusions défavorables concernant la crédibilité et qui font intervenir des exigences en matière d’équité procédurale :

  Je ne suis pas persuadé non plus que le tribunal a été injuste dans sa procédure en n’avisant pas la requérante au moment de l’audience qu’il se préoccupait du peu de détails qu’elle fournissait dans son témoignage à propos de ces questions. Il n’y avait aucun exemple d’incohérence dans le témoignage de la requérante sur lequel le tribunal s’est fondé et qu’il aurait dû en toute justice porter à son attention. Un tribunal n’est aucunement tenu de mentionner les, aspects du témoignage de la partie requérante qu’il considère peu convaincants lorsqu’il incombe à celle-ci d’établir qu’elle craint avec raison d’être persécutée pour des raisons entrant dans la définition de réfugié au sens de la Convention. [Non souligné dans l’original.]

[34]  Enfin, je note que le défendeur s’est appuyé sur la décision Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246, aux par. 11 et 13. Dans l’affaire Adeoye, le juge Favel a conclu que la Section d’appel des réfugiés n’avait pas commis une erreur en utilisant le dossier de preuve présenté à la SPR comme un fondement supplémentaire pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse, alors que la crédibilité de la demanderesse était déjà en cause devant la SPR. Je suis d’accord avec le point de vue de la demanderesse selon lequel l’analyse dans la décision Adeoye, qui porte sur le rôle d’un tribunal d’appel, ne s’applique pas aux circonstances actuelles où le tribunal de première instance était tenu de procéder à un examen de novo de la demande d’asile de Mme Huang. La SPR avait l’obligation de faire état de ses préoccupations entourant la crédibilité, afin que la demanderesse puisse présenter des observations éclairées.

[35]  Par conséquent, l’affaire doit donc être renvoyée à la SPR en vue d’un nouvel examen. Étant donné que ma décision repose sur l’enjeu de l’équité procédurale mentionné ci-dessus, il n’est pas nécessaire d’aborder les arguments de la demanderesse concernant le caractère raisonnable de la décision.

[36]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-555-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-555-19

INTITULÉ :

CUIXIA HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 août 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2019

COMPARUTIONS :

Michael Kormin

Pour la demanderesse

Brad Gotkin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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