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Date : 20000111


Dossier : IMM-2021-99



Entre :

     GODOFREDO NESTO SANCHEZ SALGADO

     Partie demanderesse

Et:


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 25 mars 1999 déclarant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est originaire du Pérou. Il demande le statut de réfugié car il se dit persécuté pour des raisons politiques.

[3]      M. Salgado allègue qu'il est membre du parti apriste du Pérou (A.P.P.) qui lutte pour le respect des droits des habitants des forêts péruviennes et contre les abus des militaires envers eux. Il affirme faire quotidiennement des émissions de radio. En 1988, il aurait participé à diverses manifestations syndicales. Il affirme avoir été frappé et arrêté à quatre reprises lors de ces manifestations. Lors d'une de ces arrestations, il aurait été emprisonné pendant une semaine.

[4]      En 1990, ayant terminé sa formation en technique médicale, le demandeur a été employé par le ministère de la santé pour dispenser des services en zone rurale et urbaine pour l'institut de la sécurité sociale. Un an plus tard, il aurait ouvert son propre laboratoire d'analyse. En 1992, le demandeur s'est associé avec d'autres professionnels pour fournir des soins médicaux aux habitants de la région de Satipo.

[5]      Le demandeur soumet que le 30 avril 1995, alors qu'il s'était rendu chez un dénommé Francisco pour faire une transfusion sanguine à son fils, six soldats auraient fait éruption chez M. Francisco dans le but de kidnapper. Lors de ses émissions de radio, le demandeur aurait dénoncé les abus commis par l'armée. Il soumet également avoir cherché à faire comprendre à la population qu'ils avaient des droits et que des organismes existaient et pouvaient les aider à les faire respecter. Suite à ces dénonciations, des soldats se seraient introduits dans son laboratoire pour détruire son équipement et l'aurait arrêté et interrogé.

[6]      Le demandeur affirme avoir porté plainte auprès des autorités policières de Satipo. Il soumet que le 15 octobre 1995, six soldats l'auraient conduit au quartier militaire. On lui aurait demandé de retirer sa plainte et de ne plus parler de l'armée à la radio. Trois jours plus tard, il racontait son expérience à la radio. Le même soir, quatre soldats se seraient introduits chez lui. Il soumet avoir été frappé et jeté à la rivière puis avoir été secouru par un paysan. Il a ensuite fui vers le fillage de Paratushali pour finalement se réfugier chez ses grands-parents à Chimbote. Il soumet que le 23 décembre 1995 des soldats ont interrogé et battu son grand-père. Cet incident l'a convaincu de quitter le pays.

[7]      Le demandeur affirme s'être rendu en Équateur en 1996, pour ensuite traverser au Guatemala, puis au Mexique où il a rencontré son épouse. Le 5 février 1996, le demandeur et son épouse arrivaient aux États-Unis. Le 13 février 1996, ils arrivaient au Canada.

[8]      Le tribunal a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la convention d'une part en raison de certaines invraisemblances et d'autre part parce qu'il ne s'est pas déchargé de son fardeau de preuve.

[9]      Le demandeur soumet que le tribunal a erré en tirant des conclusions de non-plausibilité et qu'il n'a pas considéré l'ensemble de la preuve.

[10]      Il affirme de plus que le tribunal a exprimé une opinion et une "hypothèse spéculative" en déclarant que l'armée aurait sûrement fermé la station de radio dès les premières attaques contre elle et non pas seulement après des années.

[11]      Il allègue que les conclusions de non-crédibilité du tribunal se fondent sur des événements survenus entre 1988 et 1991 et n'ont aucune conséquence sur les événements à la base de sa crainte de persécution qui datent de 1995.

[12]      Le défendeur soutient que le tribunal était justifié de rejeter la revendication du demandeur en raison des différentes invraisemblances dans le récit du demandeur, ayant conclu après une analyse détaillée de la preuve qu'il n'avait pas réussi à rencontrer son fardeau de preuve.

[13]      Il maintient que le tribunal est mieux placé que quiconque pour évaluer les témoins et soumet que l'intervention de cette Cour est restreinte aux cas où la Section du statut a fondé sa décision sur des conclusions de faits, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve; Kumar c. M.E.I., A-1294-91, Aguebor c. M.E.I. (1993) 160 N.R. 315. Il prétend que le tribunal utilise la logique et le bon sens pour décider de la crédibilité d'un témoignage.

[14]      Il soutient également que le tribunal n'a aucune obligation de confronter un revendicateur avec des éléments de sa preuve ou des éléments qui affectent sa crédibilité. En réponse aux allégations du demandeur selon lesquelles le tribunal aurait émis une opinion sans fondement, il explique que le tribunal n'a pas admis d'office des faits ou une opinion mais a simplement évalué la plausibilité du récit du demandeur.

[15]      En ce qui a trait à l'appartenance du demandeur au parti apriste et l'aide sollicitée auprès de ce parti, le défendeur soumet qu'il revient au revendicateur de faire la preuve d'une crainte de persécution. Ce dernier ne peut donc reprocher au tribunal de ne pas lui avoir posé certaines questions concernant l'aide sollicitée chez le parti apriste. Il est à noter que le demandeur a eu l'opportunité de mentionner l'aide ou la protection demandée au parti apriste à la question 37 de son formulaire de renseignements personnels mais ne l'a pas fait. Le demandeur soumet que l'absence de preuve sur cet aspect ne peut être imputée qu'au demandeur et que par conséquent le tribunal était justifié de juger peu plausible qu'il n'ait pas tenté solliciter l'aide de son parti.

[16]      Finalement, le défendeur rappelle la présomption établie par la jurisprudence selon laquelle le tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve avant de rendre sa décision. Il ajoute qu'en l'absence d'un témoignage crédible, une revendication du statut de réfugié ne peut être accordée sur l'unique base de la preuve documentaire.

[17]      Le tribunal a déterminé que la preuve soumise par le demandeur n'était pas suffisante pour établir que ce dernier a une crainte bien fondée de persécution. Plusieurs invraisemblances ont été décelées dans le témoignage du tribunal. Par exemple, le tribunal soutient qu'il n'est pas plausible que le demandeur, qui aurait été détenu une semaine en 1988 en raison de ses activités, soit embauché par ce même gouvernement pour travailler dans une région surveillée par la guérilla. De plus, selon le tribunal, il est invraisemblable que le demandeur ait pu à loisir dénoncer les abus de l'armée à son émission de radio à compter de 1990 et que celle-ci n'ai réagi qu'en 1995. À cet égard, le tribunal s'est exprimé comme suit: "L'armée aurait sûrement fermé la station de radio dès les premières attaques contre eux, pas seulement après des années". Finalement, le tribunal a conclu que le demandeur n'avait pas sollicité l'aide du parti apriste dont il est toujours membre. Il s'agit d'un parti officiel qui a fait élire huit députés qui peuvent exercer leurs fonctions librement.

[18]      Tout d'abord, puisque la Section du statut est mieux placée pour évaluer la preuve, cette Cour doit intervenir uniquement si elle est convaincue que les conclusions de crédibilité et d'invraisemblances ne reposent sur aucune preuve; Whaide c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immgiration), [1999] A.C.F. No. 1617.

[19]      Dans la décision Akinhole c. Canada, [1997] F.C.J. No. 296, la Cour s'exprimait comme suit:

C'est ainsi qu'elle [la section du statut] peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, si elle relève des contradictions dans le témoignage ou si elle juge celui-ci invraisemblable. ... En bref, la Cour n'interviendra que si elle juge la décision manifestement déraisonnable au regard des éléments de preuve produits.

[20]      Le juge Décary a énoncé la norme de contrôle judiciaire à ce sujet dans l'affaire Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. No. 732:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en fait, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent?

[21]      Le demandeur allègue que le tribunal n'était pas autorisé à émettre l'opinion suivante: "... l'armée aurait sûrement fermé la station de radio dès les premières attaques contre eux, pas seulement après des années" et qu'il ne pouvait pas conclure qu'il n'a pas sollicité l'aide de son parti politique puisqu'aucune question ne lui a été posée à cet égard. Or, dans le formulaire de renseignements personnels, la question 37 fait spécifiquement référence à l'aide ou la protection sollicitée. Le demandeur n'a pas répondu à cette question et n'a fait aucune mention à ce sujet dans son témoignage. Faut-il rappeler que le fardeau revient au demandeur d'établir sa crainte de persécution. En l'espèce, les conclusions du tribunal relativement à ces allégations ne sont pas déraisonnables.

[22]      Le demandeur allègue que le tribunal n'a pas fondé sa décision sur la totalité de la preuve. Il s'agit là d'une question très importante puisqu'un tribunal a l'obligation de considérer toute la preuve avant d'en arriver à une conclusion. Dans l'affaire Florea v. Canada (M.E.I.), [1993] F.C.J. N9. 598, le juge Hugessen écrivait:

The fact that the Division did not mention each and every one of the documents entered ini evidence before it does not indicate that it did not take them into account: on the contrary, a tribunal is assumed to have weighed and considered all the evidence presented to it unless that contrary is shown. As the tribunal,s findings are supported by the evidence, the appeal will be dismissed.

[23]      Dans l'affaire Khan v. Canada (M.E.I.), [1999] F.C.J. No. 332, le juge Teitelbaum s'exprimait comme suit:

In the present case, the Board's reasons state that Mr. Khan's testimony and "other evidence were considered". There is no other reference ini the decision to the documentary evidence. The Board failed to say that the applicant submitted documents to be considered for his claim. In my view, the Board's failure to discuss or refer to the documents in their decision which in part support the applicant's claim which was dismissed for lack of credibility amounts to a reviewable error. Had the evidence been considered, the result may have been different.

[24]      Dans le cas en l'espèce, le tribunal énumérait dans sa décision les éléments de preuve au dossier. Après une évaluation détaillée de la preuve, le tribunal a conclu que cette preuve n'était pas suffisante pour établir que le revendicateur a une crainte bien fondée de persécution. Bien que le tribunal, dans sa décision, ne fasse référence qu'à un seul élément de preuve, soit la pièce A-3, il est à noter que l'absence de crédibilité d'un revendicateur, eu égard aux éléments fondamentaux de son récit, équivaut à la conclusion qu'il n'existe aucun élément documentaire au soutien de sa revendication; Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, Ockana-Owani c. Canada (M.E.I.), [1999] A.C.F. No. 1490. Dans l'affaire Djouadou c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. No. 1568, la Cour s'exprimait comme suit:

Quant au reproche par le demandeur au tribunal de ne pas s'être livré à une analyse de la preuve documentaire concernant l'Algérie, je suis d'avis que dans la mesure où on a jugé que le témoignage du demandeur n'était pas crédible, semblable analyse n'était pas nécessaire.

[25]      La décision du tribunal est raisonnable et l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.





                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 11 janvier 2000

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