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Date : 20040609

Dossier : T-294-03

Référence : 2004 CF 831

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                         PREMIÈRE NATION DE WATERHEN LAKE

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                         MICHELLE ERNEST, LEONARD VINCENT,

DONALD MARTELL, JOANNE MARTELL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                            défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre, Frank P. Moorgen (l'arbitre), datée du 28 mars 2003, dans laquelle l'arbitre a conclu, en conformité avec l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, que la demanderesse avait congédié les défendeurs individuels sans motif valable.

[2]                La demanderesse sollicite un bref de certiorari annulant la décision de l'arbitre et accordant les dépens relatifs à la présente demande.

Contexte

[3]                Les défendeurs nommés en l'espèce, Michelle Ernest, Leonard Vincent, Donald Martell et Joanne Martell, (les défendeurs) étaient des employés de la demanderesse, la première nation de Waterhen Lake (la demanderesse). Quoique partie à l'instance, le défendeur, procureur général du Canada, n'a pas pris position concernant la présente demande, il n'a pas déposé un dossier du défendeur et il n'était pas présent à l'audience.

[4]                Le 15 octobre 2001 et pendant environ neuf jours, il y a eu une manifestation et barrage des bureaux de la bande demanderesse. Divers membres de la bande, notamment les employés de la scierie, ont participé aux événements.

[5]                La demanderesse a conclu que 25 employés de la bande, dont les défendeurs, avaient participé à la manifestation et au barrage. La demanderesse a conclu que les défendeurs avaient été les instigateurs de la manifestation et du barrage. Le 2 novembre 2001, la demanderesse a congédié les défendeurs en alléguant leur participation à la manifestation et au barrage. Des autres employés dont on savait qu'ils avaient participé à la manifestation et au barrage, 12 ont été réprimandés et 2 ont été congédiés.

[6]                Les défendeurs ont déposé une plainte relativement à leur congédiement auprès du ministère du Développement des Ressources humaines du Canada, en décembre 2001. En juin 2002, l'arbitre a été nommé et chargé d'entendre les plaintes des défendeurs et de prendre une décision à cet égard.

[7]                La première audience d'arbitrage s'est déroulée du 19 au 22 août 2002. À la fin de la journée d'audition, le 22 août 2002, la demanderesse avait présenté sa preuve et deux témoins des défendeurs avaient été entendus.

[8]                À un moment donné pendant l'audience du 22 août 2002, l'avocat de la demanderesse a dit qu'il déménageait au Manitoba et qu'il ne pourrait être présent jusqu'à la fin de l'audience. L'avocat n'avait pas encore avisé la demanderesse de sa décision.

[9]                À la fin du mois d'août, la demanderesse avait retenu les services d'un nouvel avocat. Cependant, le nouvel avocat n'avait pas réussi à contacter l'ancien avocat de la demanderesse et il n'avait pas été en mesure d'obtenir toutes les notes concernant ce qui s'était passé jusqu'alors pendant l'audience.

[10]            Pendant la conférence téléphonique entre l'arbitre et les parties, le 2 octobre 2002, l'arbitre a fixé les dates de reprise de l'audience, savoir les 4, 5 et 6 novembre 2002.

[11]            Le 22 octobre 2002, la demanderesse a déposé une demande officielle à l'arbitre demandant d'être autorisée à rouvrir sa preuve, à contre-interroger les témoins antérieurs et à reporter la reprise de l'audience. L'arbitre a refusé toutes les demandes de la demanderesse. Dans sa décision, l'arbitre a dit :

[traduction] Dans ses observations, M. Worme a dit que la première nation de Waterhen Lake serait d'avis que j'ai commis une grave injustice si je rejetais la demande ci-dessus. J'ai répondu que j'étais blessé que l'employeur croie que si je rejetais la demande, je deviendrais, par le fait même, un instrument d'injustice. Après y avoir bien pensé, j'ai conclu qu'il m'était impossible d'accorder la demande de l'employeur et je l'ai rejetée.

[12]            Le 29 octobre 2002, l'arbitre a fait parvenir une lettre aux parties dans laquelle il disait que conformément à l'entente conclue entre les parties et l'arbitre, l'audience allait reprendre le 4 novembre 2002 et se poursuivrait jusqu'au 6 novembre 2002.

[13]            En réponse, la demanderesse a fait parvenir une lettre dans laquelle elle affirmait qu'elle n'avait pas donné son accord relativement aux dates d'audience du mois de novembre et qu'elle s'interrogeait sur les motifs qui avaient incité l'arbitre à rédiger une telle lettre. La demanderesse a exigé une réponse, mais l'arbitre n'a pas répondu à sa lettre.

[14]            Les avocats des défendeurs et de la demanderesse ont accepté que l'audience soit reportée et qu'elle ait lieu du 11 au 13 décembre 2002.


[15]            À la reprise de l'audience, le 11 décembre 2002, les témoins de la demanderesse ont affirmé que les défendeurs avaient participé activement au barrage et à la manifestation. Le chef de la première nation de Waterhen Lake, Sidney Fiddler, a décrit la procédure qui avait permis de décider que les défendeurs seraient congédiés et la réprimande qu'avaient reçue les autres employés de la bande. Les témoins des défendeurs ont dit notamment que les défendeurs n'avaient pas participé à la manifestation et au barrage.

[16]            Le 13 décembre 2002, la demanderesse a demandé la permission d'appeler, en contre-preuve, trois témoins. L'arbitre a accepté que la demanderesse appelle deux des témoins mais il a refusé que Robert Fiddler, qui avait déjà témoigné, soit appelé à témoigner en contre-preuve.

[17]            L'audience a pris fin le 10 janvier 2003.

[18]            Le 21 janvier 2003, l'arbitre a rendu une sentence provisoire, sans motifs. Le 2 mars 2003, l'arbitre a fourni les motifs de sa décision. Des corrections ont été apportées le 1er mai 2003.


[19]            Concernant le fond du litige, l'arbitre a mentionné qu'une partie du témoignage des témoins de la demanderesse confirmait que les défendeurs n'avaient pas participé à la manifestation et au barrage. Puis, l'arbitre a conclu que la décision de congédier les défendeurs n'avait pas été prise de bonne foi. Il a fondé sa conclusion sur le fait que la demanderesse n'avait pas appliqué ses sanctions disciplinaires d'une manière cohérente, que la décision concernant le congédiement n'avait pas été prise par l'ensemble du conseil mais par un quorum du conseil choisi par le chef et que la demanderesse n'avait pas tenu compte des appels interjetés par les défendeurs contre leur congédiement.

[20]            Enfin, l'arbitre a conclu :

[traduction] L'employeur [la demanderesse] ne s'est pas acquitté du fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il avait congédié les plaignants [défendeurs] pour un « motif valable » . La décision a été prise uniquement à cause de perceptions erronées. L'employeur n'a pas établi que les plaignants avaient participé activement à la planification de la manifestation et qu'ils y avaient participé, tel qu'allégué. Les plaignants ont démontré qu'ils avaient pris des mesures raisonnables pour limiter leurs pertes et l'employeur n'a pas réussi à réfuter leur preuve.

[21]            L'arbitre a ordonné que les défendeurs soient réintégrés dans leurs postes au sein de la bande et qu'ils soient pleinement indemnisés des pertes de salaires et d'avantages.

[22]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre selon laquelle les défendeurs ont été congédiés sans motif valable.

Observations de la demanderesse

[23]            La demanderesse conteste la décision de l'arbitre au motif qu'il y a eu déni de justice naturelle, notamment partialité et déni d'instruction impartiale, que la décision de l'arbitre était fondée sur une conclusion de fait erronée et, qu'en tout état de cause, la décision était manifestement déraisonnable.

[24]            Manquement au devoir d'agir équitablement

La demanderesse prétend qu'elle n'a pu bénéficier d'une audition équitable puisque l'arbitre a refusé la demande d'ajournement de l'audience présentée par son nouvel avocat, il a fixé l'audience au début de novembre, il a refusé de permettre au nouvel avocat de rouvrir la preuve de la demanderesse et de présenter des témoins pour qu'il puisse connaître le contenu des témoignages déjà donnés et il a refusé de permettre à l'avocat de la demanderesse d'appeler des témoins en contre-preuve.

[25]            La demanderesse soutient que lors d'une audience d'arbitrage en vertu du Code canadien du travail, précité, lorsqu'une partie demande un ajournement et que sa demande est raisonnable, l'arbitre qui rejette la demande commet une erreur puisque, ce faisant, il refuse à la partie le droit à une audition équitable.

[26]            De surcroît, la demanderesse fait valoir qu'un arbitre doit tenir compte du préjudice que subit la partie requérante et se demander s'il existe une preuve que la partie demande l'ajournement parce qu'elle ne souhaite pas que l'audience soit tenue. L'arbitre doit tenir compte de toutes les circonstances en cause en décidant s'il y a lieu d'accorder l'ajournement.


[27]            En l'espèce, la demanderesse prétend que l'arbitre aurait dû reconnaître le préjudice grave que subirait l'avocat quand il a refusé les demandes d'ajournement et de réouverture de la preuve présentées par l'avocat de la demanderesse. La demanderesse prétend également que l'arbitre l'avait obligée à poursuivre alors que son avocat n'était pas préparé. Ce faisant, la demanderesse prétend que l'arbitre a outrepassé sa compétence.

[28]            Crainte raisonnable de partialité

La demanderesse soutient que l'arbitre a réellement fait preuve de partialité ou qu'il a soulevé une crainte raisonnable de partialité en ce qu'il a :

·            rejeté la demande d'ajournement de la demanderesse;

·            refusé la demande de rouvrir la preuve présentée par la demanderesse;

·            mentionné, à la page 44 de la sentence finale, les mesures disciplinaires prises contre les autres membres de la bande alors qu'il n'était saisi d'aucune preuve en ce sens;

·            commis une erreur dans la transcription et le récit du témoignage du chef Sidney Fiddler;

·            commis une erreur dans la transcription et le récit du témoignage de Robert Fiddler;

·            commis une erreur dans la transcription et le récit du témoignage d'Emily Gauthier;

·            mentionné le témoignage inefficace et incohérent des témoins de la demanderesse tout en ne tenant pas compte des incohérences et contradictions des déclarations des témoins des défendeurs;

·            omis de tenir compte ou, subsidiairement, omis de tenir compte de l'importance du fait que Peter McCallum a contredit le témoignage de Donald Martell;

·            envoyé une lettre par télécopieur à une date inopportune soit le 29 octobre 2002, au nouvel avocat de la demanderesse;

·            omis de répondre à la lettre du 29 octobre 2002 du nouvel avocat de la demanderesse;

·            dit qu'il avait été blessé par les propos de la demanderesse qui avait laissé à entendre qu'il serait injuste de refuser la demande d'ajournement et de réouverture de la preuve de la demanderesse et en outre, en ce qu'il a qualifié cette affirmation d'attaque personnelle qui ferait en sorte que l'arbitre deviendrait un [traduction] « instrument d'injustice » ;


·            laissé à entendre que le nouvel avocat de la demanderesse avait consenti aux dates du mois de novembre alors qu'il n'y avait eu aucune entente de la sorte;

·            refusé de permettre à l'avocat de la demanderesse d'appeler des témoins en contre-preuve pendant l'audience;

·            dit que les témoins appelés en contre-preuve pendant l'audience devaient témoigner sur la question de savoir si les employés de la scierie avaient participé à la manifestation;

·            décidé que l'audience du 10 janvier 2003 devait prendre fin à 15 h ce qui pouvait éventuellement limiter le contre-interrogatoire de l'avocat de la demanderesse pour ensuite laissé à entendre, peu après 15 h, qu'il serait disposé à dépasser la limite de 15 h pour entendre les observations des parties.

[29]            La demanderesse soutient qu'en matière de partialité, il faut examiner l'effet cumulatif des tous les facteurs pertinents pour ensuite se demander si un observateur raisonnable et bien renseigné, eu égard à ces facteurs, aurait une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur et en arriverait à la conclusion que l'audience n'avait pas été équitable et impartiale. La demanderesse affirme que la partialité peut être consciente ou inconsciente.

[30]            La demanderesse soutient que les normes applicables en matière de crainte raisonnable de partialité peuvent varier selon le contexte et les fonctions du décideur administratif en cause. Dans l'affaire qui nous occupe, l'arbitre exerçait une fonction quasi judiciaire. La demanderesse prétend que la Cour n'est pas tenue de faire preuve de beaucoup de retenue à l'égard de la sentence d'un arbitre qui n'a probablement aucune expérience particulière en matières juridiques, qui est choisi parmi un groupe d'arbitres et qui n'a pas de connaissances spécialisées, particulièrement au regard des principes de justice naturelle et de la partialité.

[31]            En outre, la demanderesse prétend que dans certaines circonstances, on a jugé qu'il y avait crainte raisonnable de partialité lorsque des arbitres avaient été « tatillons » concernant la crédibilité des témoins de l'employeur tout en demeurant silencieux au sujet des incohérences du témoignage du plaignant.

[32]            La demanderesse prétend que prise dans son ensemble, la preuve avait établi une réelle partialité ou soulevé une crainte raisonnable de partialité.

Observations des défendeurs

[33]            Déni d'instruction impartiale

Refus d'accorder un ajournement

Les défendeurs prétendent qu'en vertu du Code canadien du travail, précité, l'arbitre a le pouvoir discrétionnaire d'accorder ou de refuser une demande d'ajournement à condition que les principes d'équité procédurale soient respectés. Les défendeurs font également valoir que lorsqu'un ajournement est demandé, l'arbitre est le mieux placé pour décider s'il y a lieu d'accorder l'ajournement.

[34]            Les défendeurs font valoir qu'une partie qui a été avisée régulièrement de la tenue d'une audience n'a pas droit à un ajournement et n'a pas droit à un ajournement pour accommoder l'avocat.

[35]            En l'espèce, l'arbitre a examiné plusieurs facteurs avant de refuser l'ajournement. Premièrement, initialement, toutes les parties avaient convenu que l'audience aurait lieu les 4, 5 et 6 novembre 2002. Deuxièmement, si l'audience avait eu lieu le 4 novembre, l'avocat de la demanderesse aurait disposé de 73 jours pendant lesquels il pouvait préparer la reprise de l'audience. Les défendeurs affirment qu'il s'agit d'une période de temps bien suffisante pour préparer une audience puisque la demanderesse avait déjà présenté sa preuve et qu'elle n'avait plus qu'à contre-interroger les témoins des défendeurs. L'arbitre a également tenu compte qu'il était important de trancher rapidement l'affaire dans l'intérêt de la justice. D'ailleurs, lorsque les parties elles-mêmes ont convenu d'un ajournement, l'arbitre y a consenti, même s'il avait le pouvoir d'insister pour que l'affaire se poursuive.

[36]            Les défendeurs font valoir que même si l'arbitre a commis une erreur en refusant d'accorder l'ajournement demandé par la demanderesse, l'erreur a été rectifiée lorsque les parties ont convenu de l'ajournement.

Refus d'autoriser la réouverture de la preuve de l'employeur


[37]            Les défendeurs prétendent que la demanderesse n'avait pas besoin de reprendre sa preuve. Des représentants de la demanderesse ont été présents pendant toute l'audience et ils ont pris des notes. La demanderesse pouvait interroger son premier avocat, ainsi que tous les témoins. Selon les défendeurs, le nouvel avocat de la demanderesse aurait donc pu se renseigner sur ce qui s'était produit pendant l'audience sans rouvrir la preuve. Les défendeurs ajoutent que si les témoins ne se souvenaient pas de ce qu'ils avaient dit pendant leur témoignage, les affidavits déposés dans la présente demande de contrôle judiciaire sont inutiles puisqu'ils attestent le contenu des déclarations de ces témoins pendant l'audience d'arbitrage.

[38]            Les défendeurs soutiennent également que la demanderesse a bénéficié d'une occasion pleine et équitable de présenter sa preuve. Tous les témoins de la demanderesse ont été interrogés, la demanderesse était représentée par l'avocat de son choix et il n'a pas été allégué que l'ancien avocat n'avait pas rempli convenablement ses fonctions. Les défendeurs prétendent qu'il n'y a pas eu déni d'une instruction impartiale du simple fait que la demanderesse n'a pas été autorisée à rouvrir sa preuve.

[39]            Les défendeurs font valoir qu'un arbitre, à l'instar d'un juge de première instance, a le pouvoir discrétionnaire d'accueillir une preuve supplémentaire lorsqu'il y va de sa propre satisfaction ou de l'intérêt de la justice. Toutefois, aucune source de droit ne reconnaît le droit d'une partie de reprendre toute sa preuve, surtout en l'espèce, alors que toute la preuve et tous les témoins que le nouvel avocat de la demanderesse voulait présenter étaient accessibles au premier avocat de la demanderesse. Selon les défendeurs, les agissements de son premier avocat ont incommodé la demanderesse, mais cette dernière n'a subi aucun préjudice réel.


[40]            Les défendeurs ajoutent qu'il faut tenir compte à la fois de l'injustice qu'auraient subie les défendeurs si l'ensemble de l'audience avait été reprise et celle qu'a subie la demanderesse qui a dû poursuivre alors que les contre-interrogatoires étaient menés par son nouvel avocat. Les défendeurs prétendent que si l'arbitre avait permis à la demanderesse de rouvrir sa preuve, ce sont les défendeurs qui n'auraient pas eu droit à une audience équitable.

Refus de permettre que soient appelés les témoins en contre-preuve

[41]            Les défendeurs prétendent que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[42]            Les défendeurs prétendent en outre que, selon un principe général du droit de la preuve, le réinterrogatoire doit se limiter aux questions qui découlent du contre-interrogatoire. Un témoin ne peut compléter l'interrogatoire principal avec une nouvelle preuve qui n'a pas été soulevée pendant le contre-interrogatoire.

[43]            En l'espèce, l'arbitre n'a pas permis à la demanderesse de rappeler Robert Fiddler comme témoin en contre-preuve. La demanderesse a tenté de rappeler M. Fiddler pour qu'il réfute le témoignage d'une défenderesse, Joanne Martell. Toutefois, Robert Fiddler ne devait pas être appelé dans le but de clarifier la position qu'il avait déjà présentée ni de réagir à des questions soulevées pour la première fois en contre-interrogatoire. M. Fiddler connaissait le témoignage qu'il allait présenter en contre-preuve au moment de son interrogatoire principal. Les défendeurs font valoir que l'arbitre a donc eu raison de conclure que la demanderesse tentait d'appeler M. Fiddler comme témoin à des fins irrégulières.

[44]            Même si la décision n'était pas correcte, selon les défendeurs, elle n'était pas manifestement déraisonnable. Sur cette question, les défendeurs font valoir que la Cour ne devrait pas modifier la décision prise dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[45]            Les défendeurs prétendent également que ces principes doivent aussi s'appliquer à la décision de l'arbitre de ne pas permettre à la demanderesse de rouvrir sa preuve et d'interroger tous les témoins, surtout du fait que la demanderesse avait déjà entendu le témoignage des deux premiers témoins des défendeurs quand elle a demandé de rouvrir sa preuve.

Crainte raisonnable de partialité

[46]            Pour l'essentiel, les défendeurs reconnaissent la norme juridique proposée par la demanderesse. Ils ajoutent toutefois que le seuil en matière de partialité, réelle ou perçue, est très élevé, que suppositions et conjectures ne sont pas suffisantes afin d'établir une crainte raisonnable de partialité et que la partie qui allègue la partialité a le fardeau de la preuve.

[47]            En l'espèce, les défendeurs soutiennent que la demanderesse ne fait qu'attaquer le bien-fondé de la décision de l'arbitre. Les défendeurs proposent que cet argument est présenté dans le but de pouvoir soumettre les affidavits déposés par les témoins de la demanderesse. Ils soutiennent que les affidavits déposés par la demanderesse ne doivent pas être lus à l'appui de ces allégations. Selon les défendeurs, les allégations de partialité de la demanderesse ne sont que suppositions et conjectures et ne soulèvent pas une crainte raisonnable de partialité.


Refus de la demande d'ajournement, de rouvrir la preuve et d'appeler des témoins en contre-preuve

[48]            Les défendeurs prétendent que, tel que susmentionné, l'arbitre a eu raison, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de rejeter les demandes d'ajournement, de rouvrir la preuve et d'appeler des témoins en contre-preuve présentées par la demanderesse. En sus, la demande d'ajournement de la demanderesse a été accordée par consentement; il n'y a donc aucune crainte raisonnable de partialité.

Commentaire concernant les mesures disciplinaires imposées aux autres employés qui avaient participé au barrage

[49]            La demanderesse allègue que l'arbitre n'a été saisi d'aucune preuve concernant les sanctions disciplinaires imposées aux autres membres de la bande et elle prétend que cette conclusion vient appuyer son allégation de partialité. Les défendeurs prétendent que c'est faux; toutefois, selon le dossier, le chef Fiddler a dit, pendant l'interrogatoire principal, qu'environ 25 employés avaient participé au barrage et qu'environ 12 d'entre eux avaient été réprimandés et 6 avaient reçu une lettre signifiant leur congédiement.


Erreur dans la transcription et le récit de la preuve

[50]            Les défendeurs soulignent que la demanderesse a déposé des affidavits de trois témoins entendus pendant l'audience dans lesquels ces derniers affirment que l'arbitre a mal compris leur témoignage. Les défendeurs affirment que l'arbitre a transcrit les propos de ces témoins pendant l'audience alors que les affidavits des témoins de la demanderesse n'ont été rédigés que plusieurs mois après leur comparution à l'audience et qu'ils sont donc moins fiables. L'arbitre, en outre, était une partie indépendante. Ainsi, les défendeurs soutiennent qu'il faut accorder plus de poids aux notes contemporaines de l'arbitre qu'aux affidavits déposés par la demanderesse.

[51]            Les défendeurs prétendent également que, dans ses observations en l'espèce, la demanderesse veut que la Cour corrige une conclusion de fait qui serait erronée. Toutefois, la Cour ne peut intervenir que si le tribunal a tiré une conclusion de fait d'une manière abusive ou arbitraire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Comme tel, les défendeurs prétendent que la Cour ne doit pas modifier la décision de l'arbitre sur ce point.

Conclusions en matière de crédibilité

[52]            Les défendeurs soutiennent qu'il faut faire preuve de retenue pour ce qui concerne les décisions de l'arbitre en matière de crédibilité. En l'espèce, l'arbitre a conclu que les déclarations des témoins de la demanderesse étaient conflictuelles et incohérentes et qu'il n'y avait aucune preuve crédible établissant que les défendeurs avaient participé à la manifestation.


[53]            Les défendeurs font valoir que les incohérences des déclarations des témoins de la demanderesse sont évidentes. Par exemple, le chef Fiddler a commencé par dire qu'il avait vu les défendeurs participer à la manifestation puis il a affirmé le contraire. Cet affidavit, s'il est accepté, vient uniquement confirmer que le chef a vu les défendeurs pendant la manifestation, ce qui n'a jamais été contesté. Les défendeurs prétendent que les conclusions de l'arbitre en matière de crédibilité sont soutenables et que toute allégation de partialité fondée sur les conclusions de l'arbitre en matière de crédibilité n'est que supposition et conjecture.

Télécopie du 29 octobre 2002 et date convenue de reprise des audiences

[54]            Les défendeurs font valoir que, contrairement aux dires de la demanderesse, la preuve au dossier et les propos de l'avocat des défendeurs pendant l'audience révèlent que les parties s'étaient entendues sur les dates d'audience du mois de novembre. L'arbitre a envoyé la télécopie après avoir rejeté la demande d'ajournement de la demanderesse pour indiquer clairement que

l'audience aurait lieu. Les défendeurs ajoutent qu'aucun élément de preuve n'établit que la télécopie en cause pourrait soulever une crainte raisonnable de partialité.

L'affirmation de l'arbitre selon laquelle il avait été « blessé »


[55]            Les défendeurs soutiennent que dans l'affaire Clerk c. Canadien Pacifique (2001), 205 F.T.R. 60, 2001 CFPI 449, la Cour a conclu que les allégations de partialité du demandeur étaient de la conjecture et qu'il n'y avait aucune crainte raisonnable de partialité. Les défendeurs prétendent qu'il en est également ainsi en l'espèce.

[56]            Les défendeurs insistent pour dire que le seuil qui permet d'établir la partialité est très élevé et ils affirment qu'aucune personne raisonnable ne pourrait conclure à l'existence d'une crainte de partialité en se fondant sur ce commentaire inoffensif de l'arbitre.

Heure de clôture prévue de l'audience

[57]            Les défendeurs soutiennent que l'arbitre a le pouvoir discrétionnaire de limiter la durée d'une audience et qu'il a le pouvoir de fixer sa procédure.

[58]            Le dossier révèle que l'arbitre a fixé l'heure à laquelle l'audience devait prendre fin, mais en fait, il a prolongé cette période de temps à la demande de l'avocat de la demanderesse. Les défendeurs allèguent qu'il n'y a aucune crainte raisonnable de partialité dans cette affaire.

Questions en litige

[59]            La demanderesse prétend que les questions en litige sont les suivantes :

1.          En refusant la demande d'ajournement présentée par la demanderesse en octobre 2002, l'arbitre a-t-il outrepassé sa compétence et violé le droit à une instruction impartiale de la demanderesse ainsi que les principes de justice naturelle?


2.          En refusant d'autoriser la demanderesse à rouvrir sa preuve et à présenter des témoins comme le demandait son nouvel avocat, l'arbitre a-t-il outrepassé sa compétence et violé le droit à une instruction impartiale de la demanderesse ainsi que les principes de justice naturelle?

3.          En refusant de permettre au nouvel avocat de la demanderesse d'appeler des témoins en contre-preuve pendant l'audience, l'arbitre a-t-il outrepassé sa compétence et violé le droit à une instruction impartiale de la demanderesse ainsi que les principes de justice naturelle?

4.          L'arbitre a-t-il fait preuve de réelle partialité dans sa décision préliminaire du 2 octobre 2002 et dans sa décision finale de mars 2003, ainsi que dans son traitement général de la demanderesse et la description de la preuve de la demanderesse?

Dispositions législatives et réglementaires applicables

[60]            L'article 16 du Code canadien du travail, précité, est ainsi libellé :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

16. The Board has, in relation to any proceeding before it, power

a) convoquer des témoins et les contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et pièces qu'il estime nécessaires pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce such documents and things as the Board deems requisite to the full investigation and consideration of any matter within its jurisdiction that is before the Board in the proceeding;

a.1) ordonner des procédures préparatoires, notamment la tenue de conférences préparatoires à huis clos, et en fixer les date, heure et lieu;

(a.1) to order pre-hearing procedures, including pre-hearing conferences that are held in private, and direct the times, dates and places of the hearings for those procedures;

a.2) ordonner l'utilisation des moyens de télécommunication qui permettent aux parties et au Conseil de communiquer les uns avec les autres simultanément lors des audiences et des conférences préparatoires;

(a.2) to order that a hearing or a pre-hearing conference be conducted using a means of telecommunication that permits the parties and the Board to communicate with each other simultaneously;

b) faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

(b) to administer oaths and solemn affirmations;

c) accepter sous serment, par voie d'affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu'à son appréciation, il juge indiqués, qu'ils soient admissibles ou non en justice;

. . .

(c) to receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as the Board in its discretion sees fit, whether admissible in a court of law or not;

. . .

Les articles 240 et 242 du Code canadien du travail, précité, sont ainsi libellés :

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

a) décide si le congédiement était injuste;

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

Analyse et décision

[61]            Question 1

En refusant la demande d'ajournement présentée par la demanderesse en octobre 2002, l'arbitre a-t-il outrepassé sa compétence et violé le droit à une instruction impartiale de la demanderesse ainsi que les principes de justice naturelle?


En octobre 2002, il était prévu que l'audience reprendrait le 4 novembre 2002. L'audience précédente s'était déroulée du 19 au 22 août 2002, auquel moment la demanderesse avait fini d'appeler ses témoins et les défendeurs avaient appelé deux témoins. Le premier avocat de la demanderesse a cessé de représenter sa cliente le 22 août 2002 puisqu'il quittait la province. En août 2002, la demanderesse a retenu les services d'un nouvel avocat qui n'a réussi à communiquer avec l'ancien avocat qu'en septembre. Le nouvel avocat a demandé l'ajournement de l'audience à une date ultérieure. L'arbitre a rejeté la demande d'ajournement. Quand l'arbitre a rejeté l'ajournement, les parties ont convenu de reporter l'audience au 11 décembre 2002.

[62]            Par souci de commodité, voici l'alinéa 242(2)b) du Code canadien du travail, précité :

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

. . .

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

. . .

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

[63]            Dans l'affaire Canada Post Corp. c. P.S.A.C. (1988), 50 D.L.R. (4th) 543 (N.S.C.A.), la Cour a dit, à la page 553, en examinant une disposition semblable :

[traduction] Je reconnais, à l'instar du savant juge siégeant en chambre, qu'en règle générale, l'arbitre a le pouvoir de prononcer l'ajournement, en vertu du Code. Il s'agit d'un pouvoir qui relève clairement de la compétence de l'arbitre au sens strict et original du terme.


La Cour n'interviendra que si ce pouvoir est exercé de manière déraisonnable selon la Cour et le droit, ou s'il y a injustice flagrante ou s'il s'agit d'une erreur manifestement déraisonnable [. . .]

[64]            En l'espèce, l'arbitre a dit, en rejetant la demande d'ajournement, que la demanderesse aurait disposé de 73 jours (51 jours ouvrables) pour se préparer à la reprise de l'audience. Selon moi, cette période de temps était suffisante pour permettre à la demanderesse de préparer la suite de l'audience, même si elle était représentée par un nouvel avocat. Selon les faits en l'espèce, en refusant d'accorder l'ajournement, l'arbitre n'a pas violé le droit de la demanderesse à une instruction impartiale et porté atteinte aux principes de justice naturelle de manière à outrepasser sa compétence. Il me faut signaler que, conformément à un accord entre les parties, l'audience n'a pas eu lieu du 4 au 6 novembre 2002 mais du 11 au 13 décembre 2002, ainsi que le 10 janvier 2003. Encore une fois, la période de temps convenue entre les parties me convaincrait très certainement, que subsidiairement, la demanderesse a bénéficié d'une instruction impartiale et qu'il n'y a eu aucun manquement aux règles de justice naturelle à cause du refus d'accorder l'ajournement.

[65]            Question 2

En refusant d'autoriser la demanderesse à rouvrir sa preuve et à présenter des témoins comme le demandait son nouvel avocat, l'arbitre a-t-il outrepassé sa compétence et violé le droit à une instruction impartiale de la demanderesse ainsi que les principes de justice naturelle?


La demanderesse avait fini de présenter sa preuve et les défendeurs avaient appelé deux de leurs témoins à l'audience du mois d'août. Quand l'avocat de la demanderesse a déménagé dans une autre province, la demanderesse a retenu les services d'un nouvel avocat qui a demandé de « poursuivre la cause dudit employeur en vue de présenter une nouvelle preuve et des témoins [...] » . La demanderesse voulait rouvrir sa preuve au motif qu'elle n'était pas en mesure de connaître la preuve dont l'arbitre avait été saisie. Selon moi, concernant la preuve présentée en août 2002, la demanderesse pouvait consulter l'un des témoins qui avaient affirmé avoir été présents pendant toute l'audience. Elle pouvait également consulter l'ancien avocat et les représentants de la demanderesse qui avaient pris des notes pendant l'audience du mois d'août 2002. L'arbitre a le pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a lieu de rouvrir la preuve. Il a refusé de le faire et je ne saurais prétendre qu'il a commis une erreur en refusant de rouvrir la preuve de la demanderesse compte tenu des faits en cause. Il n'y a pas eu déni d'instruction impartiale à cet égard et l'arbitre n'a pas violé les règles de justice naturelle.

[66]            Question 3

En refusant de permettre au nouvel avocat de la demanderesse d'appeler des témoins en contre-preuve pendant l'audience, l'arbitre a-t-il outrepassé sa compétence et violé le droit à une instruction impartiale de la demanderesse ainsi que les principes de justice naturelle?


L'arbitre a permis à la demanderesse d'appeler deux témoins en contre-preuve après la présentation de la preuve des défendeurs; toutefois, la demanderesse a choisi d'appeler un seul de ces témoins. L'arbitre a refusé de permettre à Robert Fiddler, qui avait déjà témoigné, d'être appelé par la demanderesse en contre-preuve. Selon l'arbitre, la demanderesse voulait appeler M. Fiddler pour qu'il réfute les propos de Joanne Martell qui avait affirmé qu'elle n'avait pas remboursé une demande de remboursement des dépenses de M. Fiddler parce qu'elle n'avait pas reçu la demande de paiement de son surveillant. L'arbitre a refusé la demande d'appeler M. Fiddler comme témoin en contre-preuve parce que ce dernier aurait pu soulever cette question pendant son interrogatoire principal. L'arbitre a le pouvoir discrétionnaire d'autoriser ou non une contre-preuve. À mon avis, l'arbitre a exercé son pouvoir discrétionnaire à bon escient en l'espèce. Par voie de conséquence, il n'y a eu ni manquement aux règles de justice naturelle ni déni d'instruction impartiale du fait que Robert Fiddler n'a pu être appelé à témoigner en contre-preuve.

[67]            Question 4

L'arbitre a-t-il fait preuve de réelle partialité dans sa décision préliminaire du 2 octobre 2002 et dans sa décision finale de mars 2003, ainsi que dans son traitement général de la demanderesse et la description de la preuve de la demanderesse?

La demanderesse prétend que l'arbitre a fait preuve de réelle partialité ou encore qu'il a soulevé une crainte raisonnable de partialité, violant ainsi les principes de justice naturelle. La demanderesse a énuméré plusieurs exemples qui, selon elle, sont des exemples de partialité ou soulèvent une crainte raisonnable de partialité. Je dois maintenant décider si les événements décrits par la demanderesse établissent que l'arbitre a fait preuve de partialité ou soulèveraient, chez une personne raisonnable et bien renseignée, une crainte raisonnable de partialité.

[68]            Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité a été établi par la juge L'Heureux-Dubé et la juge McLachlin (aujourd'hui juge en chef) dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 31 (citant le juge Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 aux pages 394 et 395) :

[. . .] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste? »

[...] Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d'admettre que le critère doit être celui d' « une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » .

Rejet de la demande d'ajournement et de la demande de rouvrir la preuve présentées par la demanderesse

[69]            J'ai déjà décidé que le refus d'accorder l'ajournement et de rouvrir la preuve de la demanderesse étaient des décisions discrétionnaires prises par l'arbitre, décisions qu'il lui était raisonnable de prendre. Ces décisions n'étaient pas empreintes de partialité et ne soulevaient aucune crainte de partialité de la part de l'arbitre.

Commentaires, à la page 44 de la sentence finale, concernant les sanctions disciplinaires imposées par la demanderesse aux autres membres de la bande alors que l'arbitre n'était saisi d'aucune preuve à cet égard


[70]            Dans sa décision, l'arbitre dit (à la page 97 du dossier de la demanderesse) que le chef Fiddler avait affirmé que des 25 employés qui avaient participé au barrage, environ 12 avaient été réprimandés et 6 d'entre eux avaient reçu une lettre signifiant leur congédiement. Comme tel, l'argument de la demanderesse selon lequel la conclusion de fait tirée par l'arbitre en l'espèce démontre de la partialité ou soulève une crainte raisonnable de partialité n'est pas fondé.

Erreur dans la transcription et le récit des témoignages du chef Sidney Fiddler, de Robert Fiddler et d'Emily Gauthier

[71]            La demanderesse a déposé des affidavits de trois de ses témoins. Dans ces affidavits, les témoins affirment que soit leur témoignage était différent des notes prises par l'arbitre soit l'arbitre avait mal interprété leur témoignage. Les affidavits ont été assermentés le 17 avril 2003. Mais l'arbitre s'est probablement inspiré des notes qu'il avait prises pendant l'audience pour rédiger la description détaillée du contexte factuel. Pour ces motifs, je préfère les conclusions de fait de l'arbitre. Il n'y a aucune preuve que l'une ou l'autre des conclusions de fait de l'arbitre ait été tirée d'une manière abusive ou arbitraire (voir Kibale c. Canada (Transport Canada) (1988), 90 N.R. 1 (C.A.F.)). Il n'y a donc ni partialité et ni crainte de partialité.

Commentaires sur les déclarations inefficaces et incohérentes des témoins de la demanderesse tout en ne tenant pas compte des incohérences et contradictions des déclarations des témoins des défendeurs et en ne tenant pas compte du fait que, dans son témoignage, Pete McCallum a contredit celui de Donald Martell ou subsidiairement, en ne tenant pas compte de l'importance de ce fait


[72]            L'arbitre a conclu que les déclarations des témoins de la demanderesse étaient contradictoires et incohérentes. L'appréciation des témoignages et des témoins est au coeur même du rôle de l'arbitre. La Cour fait preuve de beaucoup de retenue relativement aux décisions d'arbitres sur ces questions. La conclusion susmentionnée ne constitue pas de la partialité et ne soulève aucune crainte de partialité de la part de l'arbitre dans cette affaire.

Date de la transmission par télécopie de la lettre de l'arbitre au nouvel avocat, le 29 octobre 2002

[73]            Il s'agit d'un message envoyé par télécopieur à l'avocat, confirmant la date de reprise de l'audience. La demanderesse a semblé laissé à entendre que la télécopie avait été envoyée par suite d'une conversation avec l'avocat des défendeurs. Il n'y a aucune preuve de l'existence de cette conversation. La demanderesse n'a pas établi de la partialité ni une crainte de partialité à cet égard.

Ne pas avoir répondu à la lettre du 29 octobre 2002 du nouvel avocat de la demanderesse

[74]            L'arbitre n'a pas répondu à la télécopie du nouvel avocat de la demanderesse concernant les dates de l'audience de novembre 2002. Il y a là ni partialité ni crainte de partialité.

Affirmation de l'arbitre selon laquelle il avait été « blessé » du fait que la demanderesse avait prétendu qu'il serait injuste de refuser la demande d'ajournement et de réouverture de la preuve et affirmation selon laquelle il s'agirait d'une attaque personnelle qui ferait en sorte que l'arbitre deviendrait un « instrument d'injustice »


[75]            J'ai examiné les affirmations de l'arbitre dans sa décision concernant cette question. Selon moi, l'arbitre semble uniquement dire que les propos de la demanderesse qui avait affirmé que s'il refusait sa demande il deviendrait, par le fait même un « instrument d'injustice » l'avaient blessé. Il m'est impossible de conclure que cette affirmation révèle une partialité de la part de l'arbitre ou soulève une crainte raisonnable de partialité.

Laisser à entendre que le nouvel avocat avait accepté les dates de novembre 2002 alors qu'il n'avait pas du tout donné son consentement

[76]            L'arbitre, dans sa télécopie du 29 octobre 2002 concernant les dates de reprise de l'audience, a dit que toutes les parties avaient accepté les nouvelles dates. L'avocat de la demanderesse affirme qu'il n'a pas accepté ces dates. Il s'agirait, tout au plus, d'une méprise de la part de l'arbitre. Ce fait ne permet pas de conclure à la partialité de l'arbitre et ne soulève aucune crainte de partialité.

Refus d'autoriser l'avocat de la demanderesse à appeler des témoins en contre-preuve pendant l'audience

[77]            J'ai examiné cet argument sous la Question 3 et je réitère les conclusions susmentionnées pour dire que l'argument ne permet pas de conclure à la partialité de l'arbitre et ne soulève pas une crainte de partialité.

Affirmer que les témoins que la demanderesse voulait appeler en contre-preuve qui avaient déjà témoigné à l'audience devaient témoigner sur la question de savoir si les employés de la scierie avaient participé à la manifestation


[78]            Dans sa décision, l'arbitre dit (à la page 127 du dossier de la demanderesse) que l'avocat de la demanderesse avait obtenu des renseignements selon lesquels les travailleurs de la scierie n'étaient pas les seuls employés à avoir participé au barrage des bureaux de la bande et qu'il voulait appeler des témoins en contre­-preuve sur cette question. Même si les témoins que la demanderesse voulait appeler en contre-preuve devaient témoigner sur d'autres questions, il ne s'agit pas d'un fait qui permet de conclure à la partialité de l'arbitre ou qui soulève une crainte de partialité de sa part.

Avoir fixé à 15 h la fin de l'audience du 13 décembre 2002 ce qui aurait pu avoir pour effet de limiter le contre-interrogatoire de la demanderesse puis, peu après 15 h, en laissant à entendre qu'il serait disposé à poursuivre l'audience après 15 h pour entendre les plaidoiries

[79]            En conformité avec l'alinéa 242(1)b) du Code canadien du travail, précité, l'arbitre avait compétence pour fixer l'heure de la fin de l'audience du 13 décembre 2002. Il ne s'agissait pas du dernier jour d'audience puisqu'elle devait se poursuivre le 10 janvier 2003. Quoi qu'il en soit, la demanderesse a décidé de ne pas appeler le témoin qui était présent à l'audience du 13 décembre 2002. Si la demanderesse n'avait pas eu le temps de compléter l'interrogatoire du témoin, le 13 décembre 2002, elle aurait pu appeler ce témoin le 10 janvier 2003. La mesure prise par l'arbitre ne permet pas de conclure à sa partialité et ne soulève pas une crainte de partialité.

[80]            Pour tous les motifs ci-dessus, je conclus que les actes présentés par la demanderesse ne permettent, ni individuellement ni cumulativement, d'appuyer une conclusion de partialité et ne soulèvent pas une crainte de partialité de la part de l'arbitre. Je ne suis pas convaincu que le droit de la demanderesse à une instruction impartiale et à la protection des principes de justice naturelle aient été violés en l'espèce.


[81]            La demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse est donc rejetée et un seul mémoire de frais est adjugé aux défendeurs.

                                        ORDONNANCE

[82]            IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit rejetée et un seul mémoire de frais adjugé aux défendeurs.

                                                                            _ John A. O'Keefe _              

                                                                                                     Juge                           

Ottawa (Ontario)

le 9 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             T-294-03

INTITULÉ :                            PREMIÈRE NATION

DE WATERHEN LAKE

c.

MICHELLE ERNEST, LEONARD VINCENT,

DONALD MARTELL, JOANNE MARTELL et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :      SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           LE 9 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Gregory J. Curtis                       POUR LA DEMANDERESSE

Scott D. MacDonald

Benjamin Partyka                      POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semaganis Worme & Missens POUR LA DEMANDERESSE

Saskatoon (Saskatchewan)       

Wallace Meschishnick Clarkson Zawada

Saskatoon (Saskatchewan)

Benjamin Partyka                      POUR LES DÉFENDEURS

Meadow Lake (Saskatchewan)                        


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