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     Date : 19980629

     Dossier : IMM-3744-97

Ottawa (Ontario), le 29 juin 1998

En présence de Monsieur le juge MacKay

Entre :

     NAFEEZA ALI HANIF,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU le recours en contrôle judiciaire introduit par la demanderesse et tendant à l'annulation de la décision en date du 21 juillet 1997, par laquelle une agente des visas au haut commissariat du Canada à la Jamaïque a rejeté sa demande d'admission au Canada à titre de résidente permanente,

     OUÏ les avocats des deux parties à l'audience tenue à Toronto le 6 mai 1998, à l'issue de laquelle la Cour a sursis au jugement pour leur donner la possibilité de présenter d'autres mémoires; et à la lumière de ces mémoires et des débats,

     DÉBOUTE la demanderesse de son recours en contrôle judiciaire.

     Signé : W. Andrew MacKay

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980629

     Dossier : IMM-3744-97

Entre :

     NAFEEZA ALI HANIF,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge MacKAY

[1]      Par ce recours, la demanderesse conclut à ordonnance portant annulation de la décision en date du 21 juillet 1997 par laquelle une agente des visas au haut commissariat du Canada à la Jamaïque a rejeté sa demande d'admission au Canada à titre de résidente permanente. Elle conclut également à ordonnance de mandamus portant nouvelle instruction de sa demande par un autre agent des visas ou déclarant qu'elle remplit les conditions de délivrance du visa d'immigrant.

[2]      Selon l'avis de requête introductive d'instance, les motifs de recours sont que la demanderesse s'est vu dénier l'équité procédurale et que la décision de l'agent des visas était déraisonnable au point de valoir erreur de compétence. Au cours de l'audition de la demande, le 5 mai 1998, l'avocate de la demanderesse a encore fait valoir un autre chef d'iniquité procédurale : l'agente des visas avait bien évalué la demanderesse au regard de certaines autres professions que celle envisagée à l'origine mais sans prendre en compte d'autres professions de substitution possibles, pour l'exercice desquelles la demanderesse était qualifiée en raison de son expérience. La demanderesse reproche ainsi à l'agente des visas d'avoir manqué à l'obligation qui lui incombait d'instruire la demande en toute équité.

Les faits de la cause

[3]      La demanderesse est citoyenne de la Guyane. En octobre 1995, sa demande de résidence permanente au Canada à titre d'immigrante indépendante pour elle-même et pour ses enfants, a été reçue par le consulat du Canada à Buffalo (New York). Par lettre en date du 23 octobre 1995 de son avocat, elle faisait savoir qu'elle envisageait de poursuivre au Canada la profession de cuisinière, CCDP 6121-111.

[4]      Une entrevue a été subséquemment arrangée à sa demande au haut commissariat du Canada à Kingston (Jamaïque). L'instruction préliminaire de sa demande sur pièces a produit un total de 73 points d'appréciation. Une entrevue était cependant nécessaire pour l'évaluation de ses chances de réimplantation et pour la vérification de ses qualifications, instruction et expérience. En particulier, rien dans la documentation produite ne prouvait qu'elle avait fini les études secondaires ou avait une longue formation professionnelle; il a été donc jugé qu'il était nécessaire de vérifier si elle avait fait d'autres études générales ou professionnelles.

[5]      À l'entrevue, la demanderesse fait savoir qu'elle avait fait trois années d'école secondaire, et non pas cinq comme indiqué dans sa demande de résidence permanente; et qu'elle n'avait pas terminé les études secondaires. Elle fait savoir aussi qu'elle avait suivi un cours de cuisine du soir pour un total de 20 heures durant la période allant de juillet à décembre 1991, dans une école du soir qui donnait aussi des classes de loisirs comme le crochet et le chinage par teinture. Aucun diplôme n'était décerné pour les cours de ce genre.

[6]      Selon la demanderesse, son travail actuel chez S. Boodoo Fast Food/Cafeteria consiste à cuisiner dans la cantine d'une école secondaire, dont moins de la moitié des 100 élèves y mangent. La cantine ne sert que des déjeuners et des collations d'après-midi. Le menu comprend plusieurs soupes, quelques plats au curry, du pilaf au boeuf, des nouilles à la chinoise, des spaghettis avec boulettes de viande, des salades de pomme de terre, des hamburgers et frites. La demanderesse apporte aussi la preuve qu'elle fait parfois fonction de traiteur, mais ne produit aucun menu ou autre document à cet égard, à part sa carte de visite professionnelle.

[7]      Elle dit avoir reçu une offre d'emploi d'un Comfort Inn à Port Hope (Ontario), pour être soit cuisinière dans un restaurant Swiss Chalet ou Harvey's, soit chambrière dans un hôtel. Cette offre d'emploi n'était pas validée par le Centre d'emploi Canada et, de ce fait, ne vaut aucun point d'appréciation.

[8]      La demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée par lettre en date du 21 juillet 1997. L'agente des visas a conclu de l'absence d'un diplôme pour le cours de cuisine fréquenté par la demanderesse ou pour les autres types de cours donnés dans cette école, que le cours avancé de cuisine en question était un cours de loisirs, et n'assurait pas les qualifications de chef ou de cuisinier au sens de la CCDP. L'agente des visas conclut que les qualifications et l'expérience dont fait état la demanderesse indiquent qu'elle est cuisinière de casse-croûte ou préparatrice de repas-minute, et non cuisinière au sens de la classification professionnelle qu'elle fait valoir, pour laquelle elle n'a ni les titres ni l'expérience nécessaires. Il n'y a aucune demande pour les cuisiniers de casse-croûte ou préparateurs de repas-minute au Canada.

[9]      En accordant les points d'appréciation, l'agente des visas n'a pas convenablement pris en considération le fait que la demanderesse n'avait eu que trois années d'études secondaires et n'avait pas fini l'école secondaire; elle lui a donc accordé incorrectement 5 points. Par application du règlement, la demanderesse n'aurait dû recevoir aucun point sous ce chef, car elle n'a jamais fini les études secondaires. Pour la note relative à la personnalité, l'agente des visas trouvait qu'elle ne faisait guère preuve de motivation ou d'initiative, puisqu'elle n'avait pas cherché à améliorer ses qualifications professionnelles, sauf un bref cours de 20 heures. En fin de compte, la demanderesse s'est vu attribuer 66 points, dont 0 point pour l'expérience, 0 point pour l'emploi réservé dans l'occupation désignée, 5 points pour les études et 4 points pour la personnalité.

L'argumentation des parties

[10]      La demanderesse soutient que dans sa décision, l'agente des visas n'a pas observé les principes de justice naturelle, a abusé de sa compétence ou ne l'a pas exercée, a commis une erreur de droit et a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. Que le défaut par une autorité administrative de prendre en compte des facteurs vraiment pertinents est aussi erroné que le fait de tenir compte à tort d'un facteur étranger à l'affaire. Que, les lignes directrices contenues dans la Classification canadienne descriptive des professions (CCDP) ne disant rien au sujet du niveau de formation générale requis des cuisiniers, l'agente des visas a commis une erreur en insistant sur la preuve d'une formation spéciale avant de reconnaître à la demanderesse la qualification de cuisinière. Au contraire, les qualifications de cette dernière tiennent à sa grande expérience pratique et à une certaine formation supplémentaire. Que l'agente des visas aurait dû considérer la nature essentielle de son occupation puis la comparer à la description des classifications professionnelles de la CCDP. Que l'agente des visas a commis une erreur en assimilant le travail de la demanderesse à celui des cuisiniers de casse-croûte ou préparateurs de repas-minute. Et que pour ce qui est de la personnalité, la demanderesse parle anglais couramment, a une longue expérience de cuisinière et de traiteur, a de nombreuses relations au Canada ainsi qu'une offre d'emploi de cuisinière; elle aurait dû se voir accorder davantage que 4 points d'appréciation sous ce chef.

[11]      Le défendeur réplique que la décision de l'agente des visas est de nature administrative et discrétionnaire et que si elle est rendue en toute équité, sans être entachée de considérations étrangères à l'affaire, et n'est ni arbitraire ni illégale, elle n'est pas susceptible de recours en contrôle judiciaire. L'agente des visas a évalué l'expérience de la demanderesse à la lumière des indications données par cette dernière et conformément aux lignes directrices de la CCDP, ainsi que le requiert la réglementation en matière d'immigration. Plus spécifiquement, elle s'est référée aux énoncés de tâches contenus dans les lignes directrices de la CCDP, dont 6121-111, Chef cuisinier en général, et 6121-130, cuisinier de casse-croûte. Elle estimait que ces professions étaient celles au regard desquelles il fallait évaluer la demanderesse vu son expérience professionnelle, qui a été examinée en détail avec elle au cours de l'entrevue. L'agente des visas a cependant conclu que la demanderesse n'avait aucune expérience en tant que chef cuisinier. Le défendeur en conclut que l'argument de la demanderesse au sujet du défaut de l'agente des visas d'examiner la nature de son travail n'est pas fondé. En ce qui concerne la personnalité, le défendeur soutient que l'appréciation en relève du pouvoir discrétionnaire de l'agente des visas et que la demanderesse n'a pu faire valoir à ce sujet aucun motif de contrôle judiciaire.

[12]      Le défendeur fait aussi observer que la demanderesse s'est vu accorder 66 points d'appréciation alors qu'elle n'avait droit qu'à 61 points, les 5 points relatifs aux études ayant été accordés par erreur.

Conclusion

[13]      J'estime que le recours n'est pas fondé. L'agente des visas a évalué l'expérience professionnelle de la demanderesse et a trouvé qu'elle ne convenait pas à la profession envisagée de chef cuisinier, CCDP 6121-111. Il a été jugé que son expérience convenait aux professions de préparatrice de repas-minute, de cuisinière de casse-croûte ou de traiteur, pour lesquelles il n'y a aucune demande au Canada. Sans cette demande professionnelle, une demande de résidence permanente au Canada à titre d'immigrant indépendant ne peut être accueillie. Étant donné que l'actuel employeur de la demanderesse se dit lui-même restaurant-minute et que celle-ci n'avait qu'une formation culinaire superficielle, je ne saurais convenir avec elle que l'agente des visas se soit trompée dans l'évaluation de la nature de son expérience professionnelle.

[14]      L'agente des visas n'a manqué à aucune obligation légale dans l'évaluation des qualifications de la demanderesse au regard de la profession envisagée. Rien ne justifie l'intervention de la Cour. De même, la demanderesse n'a produit aucune preuve qui permette à la Cour de conclure qu'il y a eu erreur quant à la note accordée pour la personnalité. Un simple désaccord avec l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agente des visas n'est pas un motif de contrôle judiciaire.

[15]      J'en viens enfin à l'argument proposé par l'avocate de la demanderesse à l'audience, savoir que l'agente des visas n'a pas examiné équitablement la demande, faute de l'avoir évaluée au regard de toutes les autres professions pour lesquelles la demanderesse, par son expérience, pourrait être qualifiée.

[16]      Par mémoire soumis après l'audience, la demanderesse soutient que l'obligation d'équité impose à l'agente des visas de l'évaluer au regard de plusieurs classifications culinaires : Cuisinier d'établissement, CCDP 1121-114; Cuisinier de plats exotiques, CCDP 6121-126; Cuisinier de service privé, CCDP 6121-118, ou Cuisinier en général, 6121-127. Elle cite à l'appui Chan c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration1, affaire dans laquelle le juge suppléant Heald, suivant en cela la jurisprudence Man c. M.E.I.2, a appliqué le principe posant qu'en toute équité, l'agent des visas doit évaluer le demandeur au regard de toute autre profession pour laquelle celui-ci est qualifié. Dans cette affaire, le défaut d'évaluer la demanderesse au regard de la profession de secrétaire valait iniquité procédurale puisque cette classification figurait sur la liste de demande professionnelle et que l'agent des visas reconnaissait qu'elle avait au moins 6 ans d'expérience comme secrétaire.

[17]      Je ne suis pas persuadé qu'il y ait lieu d'annuler la décision de l'agente des visas en l'espèce. Dans Parmar c. M.C.I.3, j'ai conclu que " lorsque le requérant ne présente aucune preuve relative à une profession différente ou inhérente, l'agent ne commet aucune erreur en ne tenant pas compte d'autres professions que celles désignées par le requérant ". Dans Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, le juge Muldoon a jugé qu'il " doit donc y avoir, dans le dossier, des éléments de preuve montrant que le requérant a la compétence voulue pour exercer ces professions, à défaut de quoi on ne saurait blâmer l'agent des visas pour avoir omis d'en tenir compte ". Il est indéniable qu'en l'espèce, l'agente des visas a soigneusement évalué l'expérience de la demanderesse à la lumière de l'entrevue et des preuves produites. Il se peut, comme le soutient la demanderesse, que pour les professions culinaires, l'instruction générale ne soit pas toujours essentielle, mais il n'est pas loisible à l'agente des visas d'ignorer le niveau d'instruction formelle requis pour ces professions telles qu'elles figurent à la CCDP, qui est la classification descriptive des professions utilisée en l'espèce pour évaluer l'expérience et les qualifications des candidats à l'immigration. Qui plus est, l'évaluation des titres et de l'expérience de la demanderesse est une question de fait qui relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire de l'agente des visas. À moins que ce pouvoir ne soit exercé de manière jugée manifestement déraisonnable, ou inique, ou à des fins inavouables, rien ne justifie l'intervention de la Cour.

[18]      En l'espèce, l'agente des visas n'a eu à sa disposition que des preuves insuffisantes sur l'expérience de la demanderesse, à part celles qui se dégagent de l'entrevue. La demanderesse a produit le menu de la cantine scolaire où elle travaillait, une lettre de l'école où elle avait suivi des cours de cuisine du soir, et des lettres de personnes chez qui elle aurait assuré des services de traiteur. Je conclus que l'agente des visas, eu égard aux preuves dont elle était saisie, n'a pas commis une erreur faute de l'avoir évaluée au regard des classifications spéciales de cuisinier dont la demanderesse soutient maintenant qu'elles devraient servir à l'évaluation. La décision de l'agente des visas de ne pas se référer à ces classifications ne peut être considérée comme défectueuse, vu l'absence de preuves produites qui auraient montré que la demanderesse est qualifiée, en particulier par son instruction ou sa formation professionnelle, pour poursuivre ces professions. En outre, il faut qu'il y ait la preuve, et non simple conjecture de la part de l'agente des visas, que l'expérience de la demanderesse justifie l'évaluation au regard d'une autre classification professionnelle. Par exemple, il ne suffit pas de dire que le menu de la cantine où elle travaillait comprenait des mets de différentes cultures pour conclure qu'elle serait qualifiée pour la profession de cuisinière de plats exotiques, ou de dire que cette cantine avait une clientèle assez importante pour conclure qu'elle serait qualifiée pour la profession de cuisinière d'établissement, au sens de la CCDP.

[19]      Par ces motifs, la Cour déboute la demanderesse de son recours en contrôle judiciaire et rendra l'ordonnance à cet effet.

     Signé : W. Andrew MacKay

     ________________________________

     Juge

Ottawa (Ontario),

le 29 juin 1998

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-3744-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Nafeeza Ali Hanif c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      6 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

LE :                      29 juin 1998

ONT COMPARU :

Mme Robin L. Seligman              pour la demanderesse

Mme A. Leena Jaakkimainen              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Robin L. Seligman              pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      (30 octobre 1997), numéro du greffe IMM-506-97 (C.F. 1re inst.).

2      (1993), 59 F.T.R. 282.

3      (1997), 139 F.T.R. 203.

4      (21 août 1997), numéro du greffe IMM-2114-96, page 3, [1997] F.C.J. No 1091 (C.F. 1re inst.).

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