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Date : 20190910


Dossier : IMM-6078-18

Référence : 2019 CF 1153

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), 10 septembre 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

PRITAM SINGH SHAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉES ET DE LA CITOYENNETÉ CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Pritam Singh Shah, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 15 novembre 2018 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’il a présentée au Canada au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c 27 [la Loi].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. Bien qu’elle compatisse à la situation du demandeur et comprenne son désir de rester au Canada auprès de sa famille, la Cour n’a pas pour rôle de rendre une décision, mais plutôt de déterminer si celle de l’agent est raisonnable. La Cour conclut que la décision est raisonnable; elle est justifiée, transparente et intelligible et elle est défendable au regard du droit et des faits au dossier.

I.  Aperçu

[3]  M. Shah est un citoyen indien de 78 ans. Ses seuls parents – son fils, sa bru et deux petits-enfants, sont arrivés au Canada en 2010 et sont à présent résidents permanents. Avant 2010, M. Shah vivait avec sa famille en Inde. Il atteste que sa famille est très liée et qu’il a participé à l’éducation de ses petits-enfants en leur inculquant sa culture traditionnelle et sa langue.

[4]  M. Shah affirme que sa bru et le plus jeune de ses petits-fils sont retournés en Inde peu après leur arrivée au Canada en 2010 pour s’occuper de lui. Avant de revenir en 2012, la bru de M. Shah a trouvé quelqu’un pour s’occuper de lui. Il soutient que cette personne le négligeait, le laissait seul et que sa santé mentale et physique laissait à désirer.

[5]  M. Shah a séjourné au Canada à plusieurs reprises. Le 26 mars 2015, il a obtenu un visa de résidence temporaire (VRT) à entrées multiples, qui expire le 13 janvier 2025; ce visa lui permet de rester au Canada pour des périodes allant jusqu’à six mois qui peuvent être prolongées.

[6]  En avril 2017, M. Shah est entré au Canada en tant que visiteur. Le 15 juin suivant, il a présenté une demande de résidence permanente à l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire et en particulier : son établissement au Canada, ses attaches familiales, l’impact de la séparation familiale, sa santé fragile et l’intérêt supérieur de ses petits-fils.

[7]  M. Shah est revenu au Canada en février 2018; son VRT ayant été prorogé, il se trouve encore au Canada.

[8]  La famille de M. Shah au Canada a également soumis le formulaire en ligne Intérêt pour le parrainage d’un parent ou d’un grand-parent en 2017, mais leur demande n’a pas été sélectionnée. En janvier 2019, le fils de M. Shah a tenté de déposer en ligne un autre formulaire d’intérêt pour le parrainage, mais avant qu’il n’ait pu le faire, le programme a été fermé en raison du grand volume de demandes.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Ayant considéré la preuve et les facteurs pertinents, l’agent a relevé plusieurs facteurs favorables, mais a conclu, en s’appuyant sur son évaluation globale, qu’il n’était pas justifié d’accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

[10]  S’agissant de l’établissement de M. Shah au Canada, l’agent a noté qu’il avait effectué plusieurs séjours ici et a accordé un poids positif au fait qu’il s’était toujours conformé à la réglementation canadienne en matière d’immigration en retournant en Inde dès qu’il le fallait.

[11]  L’agent a noté que M. Shah avait des investissements ainsi qu’une pension mensuelle qui lui permettrait de mener une vie indépendante en Inde. L’agent a également relevé que son fils subviendrait, si nécessaire, à ses besoins, qu’il retourne en Inde ou reste au Canada.

[12]  L’agent a fait remarquer que M. Shah réside avec sa famille au Canada de manière continue depuis février 2018, mais il a accordé peu de poids au temps qu’il a passé au Canada pour ce qui est d’appuyer son établissement.

[13]  L’agent a accordé un poids particulièrement favorable à la relation qu’entretient M. Shah avec sa famille; il a reconnu qu’il n’avait pas de parents en Inde et que sa seule famille est composée de son fils, de sa bru et de ses petits-enfants au Canada.

[14]  L’agent n’a accordé que peu de poids à l’impact de la séparation familiale. Selon lui, la preuve corroborante qui permettait de comprendre pourquoi M. Shah ne pouvait pas vivre seul et avait besoin d’une aide ou d’une assistance quotidienne était négligeable. L’agent a fait remarquer que M. Shah avait récemment passé avec succès l’examen médical requis aux fins de la prorogation de son VRT, et qu’il pourrait, grâce à son visa à entrées multiples valide jusqu’en 2025, continuer de rendre visite à sa famille au Canada. Il a ajouté que la preuve donnant à penser qu’il n’était pas apte à voyager ou qu’il aurait de la difficulté à le faire était négligeable, tout comme celle attestant qu’il ne serait pas en mesure de retourner en Inde à cause de son âge.

[15]  S’agissant de l’intérêt supérieur des enfants touchés [ISE] – c’est-à-dire, les petits-fils de M. Shah – l’agent a noté que le plus âgé d’entre eux avait 19 ans et qu’il ne répondait plus à la définition « d’enfant » aux fins de l’analyse sur l’ISE.

[16]  Pour ce qui est du petit-fils âgé de 17 ans, l’agent a estimé que la preuve décrivant le rôle que remplissait M. Shah dans sa vie était limitée. L’agent a conclu que les besoins sociaux, éducatifs et médicaux de base du petit-fils en question continueraient d’être satisfaits en l’absence de M. Shah.

[17]  L’agent a conclu que les facteurs d’ordre humanitaire, évalués dans leur ensemble, ne justifiaient pas d’accorder la dispense prévue au paragraphe 25(1) de la Loi.

III.  Les questions à trancher

[18]  M. Shah soutient que la décision n’est pas raisonnable : l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve relative à l’ensemble de sa situation en ce qui touche les difficultés auxquelles il se heurterait s’il devait retourner en Inde; l’agent a également commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur de son plus jeune petit-fils, en ne tenant pas compte d’éléments de preuve pertinents.

IV.  La norme de contrôle

[19]  La jurisprudence a clairement établi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire se rapportant à la décision d’un agent est régie par la norme du caractère raisonnable (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy], au par. 44).

[20]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour examine « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47, [2008] 1 RCS 190).

[21]  La Cour n’a pas pour rôle de rendre une nouvelle décision ou de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. Elle doit faire preuve de retenue à l’endroit du décideur et n’intervenir que si la décision ne satisfait pas à la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir.

V.  Les observations du demandeur

[22]  M. Shah fait valoir que l’agent qui a examiné les motifs d’ordre humanitaire n’a pas tenu compte de la preuve pertinente touchant aux difficultés auxquelles il se heurterait du fait de ses circonstances singulières, notamment sa dépendance physique et émotionnelle à l’égard de sa famille au Canada, l’absence d’un réseau social en Inde sur lequel il puisse s’appuyer et son incapacité à créer de nouveaux réseaux en raison de son âge avancé.

[23]  M. Shah fait valoir que son âge et sa dépendance à l’égard de sa famille sont des facteurs importants qui doivent être considérés au moment d’évaluer les difficultés (Makarenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 600, au par. 24 [Makarenko]; Epstein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1201, aux par. 11, 14 et 15 [Epstein]).

[24]  Il soutient en outre que l’agent n’a pas considéré la preuve dans sa globalité, contrairement au principe énoncé au paragraphe 113 de l’arrêt Kanthasamy, et qu’il a examiné les facteurs de manière segmentée, ce qui a abouti à des conclusions contradictoires.

[25]  S’agissant de l’analyse sur l’ISE, M. Shah fait valoir que l’agent n’a pas suivi les directives formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 75 [Baker], suivant lesquelles le décideur doit « considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt ».

[26]  M. Shah soutient que l’agent n’a  pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents quant à sa relation avec son plus jeune petit-fils, puisqu’ils ont vécu ensemble pendant la majeure partie de la vie de ce dernier. Pour M. Shah, l’agent n’a pas tenu compte des photographies de lui avec son petit-fils prises au fil des ans ni de la lettre rédigée par son petit-fils plus âgé dans laquelle celui-ci décrit leur relation. Il affirme que l’agent n’a pas tiré d’inférence raisonnable de la description qu’a fournie son petit-fils plus âgé de leur relation, qui est la même que celle qui le lie à son plus jeune petit-fils.

[27]  M. Shah affirme aussi que l’agent n’a pas tenu compte d’autres facteurs pertinents liés à l’ISE, et qu’il s’est attardé plutôt sur des éléments dépourvus de pertinence, comme l’accès de son petit-fils au système médical et éducatif et aux services sociaux canadiens.

VI.  Les observations du défendeur

[28]  Le défendeur fait remarquer que les motifs d’ordre humanitaire ne sont plus évalués à l’aune des difficultés injustifiées et démesurées. L’agent n’a pas commis d’erreur en n’abordant pas spécifiquement les difficultés, il a plutôt appliqué les principes de l’arrêt Kanthasamy et évalué l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire pertinents. Le défendeur ajoute que, dans ses motifs, l’agent n’a pas accordé préséance à un seul facteur par rapport à un autre; chaque facteur a été considéré, pondéré, et tous les facteurs ont été évalués globalement.

[29]  Le défendeur fait valoir que l’agent a relevé plusieurs facteurs positifs, notamment les fortes attaches familiales de M. Shah, mais qu’il a conclu à l’insuffisance de la preuve étayant les autres observations de ce dernier, notamment en ce qui touche son incapacité à vivre seul, à voyager ou la moindre affection médicale. Il fait remarquer que l’agent a constaté que le visa à entrées multiples est valide jusqu’en 2025 et qu’il permet à M. Shah d’entrer au Canada. D’après le défendeur, ceci explique que l’agent ait accordé peu de poids aux répercussions de la séparation familiale.

[30]  Pour ce qui est de l’ISE, le défendeur soutient que l’agent a correctement énoncé le droit, notamment lorsqu’il a conclu que le petit-fils plus âgé n’était plus un enfant aux fins de l’analyse, et qu’il a raisonnablement évalué l’ISE du plus jeune petit-fils. L’agent a conclu de façon raisonnable que la preuve attestant que l’intérêt supérieur du petit-fils en question ne serait pas servi si M. Shah retournait en Inde était insuffisante.

VII.  La décision est raisonnable

[31]  L’agent n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Comme je le faisais remarquer plus haut, une décision est raisonnable si elle est transparente, intelligible et justifiée. En l’espèce, l’agent a abordé tous les facteurs pertinents au regard de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ainsi que l’ensemble des éléments de preuve soumis, et fait remarquer que la preuve étayant un grand nombre de facteurs soulevés était négligeable. L’agent n’a pas commis d’erreur en omettant de prendre en compte la preuve pertinente ou en manquant d’en évaluer globalement l’intégralité. Le poids conféré aux facteurs examinés relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent et la Cour n’a pas pour rôle de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve.

[32]  L’article 25 de la Loi, que M. Shah souhaite invoquer, prévoit que des considérations d’ordre humanitaire peuvent justifier de lever les critères et obligations de la Loi – suivant lesquels M. Shah serait autrement tenu en l’espèce de présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger, « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ».

[33]  Cette dispense, qui est discrétionnaire, constitue une mesure exceptionnelle. La Cour suprême du Canada a confirmé que les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas censées constituer un régime d’immigration parallèle (Kanthasamy, au par. 23). Il incombe en tout temps au demandeur d’établir par une preuve suffisante que cette dispense ou exception devrait être accordée (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au par. 45; Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2017 CF 287, au par. 23, [2017] ACF no 286 (QL)). Les agents qui évaluent les motifs d’ordre humanitaire doivent examiner l’ensemble de la preuve soumise et être convaincus que la mesure est justifiée dans les circonstances particulières qui leur sont présentées.

[34]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a expliqué que ce qui justifie une dispense au titre de l’article 25 dépendra des faits et du contexte de chaque affaire (au par. 25).

[35]  La Cour suprême a également souligné, au paragraphe 33, la nécessité de prendre en compte et de pondérer l’ensemble des faits et des facteurs pertinents et préconisé une interprétation plus libérale des motifs d’ordre humanitaire qui ne doivent pas se limiter aux difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées. Cependant, la Cour a également reconnu, au paragraphe 23, que des difficultés sont inévitables :

[23] L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1)  (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, n3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson)).

A.  L’agent n’a pas manqué de prendre en compte la preuve pertinente ni d’effectuer une évaluation globale des facteurs d’ordre humanitaire

[36]  La décision indique que l’agent a pris en compte et pondéré l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire. Il a relevé la dépendance de M. Shah à l’égard de sa famille et a accordé un [traduction« poids très positif » à ses attaches familiales, tout en reconnaissant qu’il n’avait pas d’autres parents en Inde. L’agent a également pris acte des observations de M. Shah, mais a conclu de façon raisonnable que la preuve expliquant pourquoi il ne pouvait pas vivre seul ou avait besoin de soutien pour vaquer à ses activités quotidiennes était négligeable. La preuve justificative est mince et se limite à seulement trois lettres provenant du fils de M. Shah, de sa bru et de son petit-fils plus âgé, en plus de son propre exposé circonstancié; tous ces documents contiennent en gros les mêmes renseignements. Même s’il est compréhensible que M. Shah soit triste et déprimé à l’idée de devoir retourner en Inde, rien n’indiquait qu’il était de santé fragile, comme cela a été avancé, ni qu’il souffrait d’une affection physique ou mentale. Comme l’a fait remarquer l’agent, M. Shah avait récemment passé avec succès un examen médical pour pouvoir proroger son VRT.

[37]  Contrairement à ce que fait valoir M. Shah dans ses observations, l’agent n’a pas examiné les facteurs d’ordre humanitaire pertinents de manière isolée ou segmentée et n’a pas tiré de conclusion contradictoire. L’agent a pris en compte les facteurs soulevés par M. Shah ainsi que ceux qui figurent dans les directives pertinentes, puis il a effectué une évaluation globale. L’agent n’a pas tiré de conclusion contradictoire lorsqu’il a fait remarquer que les attaches familiales au Canada étaient solides et qu’il leur a attribué un poids significatif tout en estimant du même coup que M. Shah devait retourner dans son pays natal où il avait vécu, fait ses études et travaillé toute sa vie et dont il comprend la langue et les coutumes. Les deux conclusions sont appuyées par la preuve et ne sont pas contradictoires. De plus, elles renvoient à des facteurs différents; les attaches familiales et l’établissement. Contrairement à l’observation de M. Shah portant que l’agent a présumé qu’il bénéficiait d’un réseau social en Inde, ce dernier n’a rien conclu ni présumé de tel. Sa conclusion se limitait à dire que M. Shah pouvait se rétablir en Inde, car ce pays lui était familier et parce que rien n’indiquait que des obstacles l’empêcheraient de le faire.

[38]  Contrairement à ce qu’a fait valoir M. Shah dans ses observations, sa situation n’est pas la même que celle qui prévalait dans le jugement Makarenko, où le juge Manson a conclu que le défaut de l’agent de tenir compte de l’âge de la demanderesse (81 ans) rendait les autres conclusions déraisonnables, en ce qui touchait par exemple la capacité de cette dernière à créer de nouveaux liens sociaux dans son pays natal. En l’espèce, l’agent a relevé l’âge de M. Shah dans la mise en contexte au début de la décision, au moment d’évaluer l’établissement, et de nouveau dans la conclusion et l’évaluation globale, soulignant qu’il était un [traduction« veuf âgé » qui souhaitait rester au Canada. L’agent a évalué les circonstances d’ordre humanitaire pertinentes en tenant compte de la situation personnelle de M. Shah, et notamment de son âge.

[39]  En ce qui concerne l’argument de M. Shah fondé sur la décision Epstein, au paragraphe 15, nous noterons qu’il n’existe pas de causes identiques. Dans cette affaire, le juge LeBlanc a conclu que l’agent n’avait pas pris la mesure des répercussions de la séparation sur une grand-mère âgée, et signalé qu’il existait des éléments de preuve tangibles de la dépendance de la demanderesse envers sa famille pour ce qui était du logement, de la subsistance et du soutien psychologique et financier. En l’espèce, l’agent a souligné à plusieurs reprises l’insuffisance de la preuve étayant les prétentions de M. Shah portant qu’il ne pouvait pas s’occuper de lui-même, se rétablir en Inde ou faire l’aller-retour au Canada.

[40]  L’agent a reconnu que M. Shah se heurterait à des difficultés du fait de la séparation familiale, mais comme le précise l’arrêt Kanthasamy, au par. 23, des difficultés sont inévitables et ne justifient pas en soi l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

B.  L’agent n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur du petit-fils plus jeune de M. Shah

[41]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada (citant Baker, aux par. 74 et 75) est revenue sur l’importance d’évaluer l’ISE dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et a fait remarquer qu’il ne suffit pas de dire simplement que les intérêts ont été pris en compte. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien défini et examiné à la lumière de l’ensemble de la preuve (Kanthasamy, au par. 39).

[42]  Je ne souscris pas à l’observation de M. Shah portant que l’agent n’a pas été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de son plus jeune petit-fils. Il est clair que l’agent a évalué l’ISE à la lumière de la preuve présentée.

[43]  L’agent a entrepris une démarche appropriée aux fins de l’analyse de l’ISE dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; premièrement, établir ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant; deuxièmement, déterminer la mesure dans laquelle ces intérêts seraient compromis par une décision par rapport à l’autre, et enfin, déterminer le poids qui devrait être accordé à l’ISE au regard de l’ensemble de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[44]  L’agent a suivi cette approche et déterminé que l’intérêt supérieur du plus jeune petit-fils serait de vivre auprès de ses parents de manière à ce que ses besoins élémentaires soient satisfaits, notamment pour ce qui était de l’éducation, des soins médicaux et du soutien social prodigué par sa famille et ses amis. L’agent a examiné la preuve dont il disposait et souligné qu’elle était mince.

[45]  Contrairement à ce qu’a fait valoir M. Shah dans ses observations, l’agent a pris en compte la preuve soumise pour étayer la relation étroite de M. Shah avec son petit-fils, y compris les photographies des deux, ensemble, prises au fil des ans. L’agent a explicitement mentionné les [traduction« photographies prises avec Sahil et Karan [les petits-fils] à différents stades de la vie de Karan ».

[46]  L’agent a aussi clairement reconnu que M. Shah a vécu avec son plus jeune petit-fils pendant la majeure partie de la vie de celui-ci. De plus, il a accordé un poids très favorable aux attaches familiales, prenant acte encore une fois de la relation que M. Shah avait avec ses petits-fils.

[47]  L’argument de M. Shah selon lequel l’agent aurait dû s’appuyer sur la lettre de son petit-fils plus âgé, qui décrit leur relation particulière, pour déduire que la même relation le lie à son plus jeune petit-fils et que les intérêts de ce dernier seraient compromis, ne tient pas compte du fait que c’est à M. Shah qu’il incombe d’établir les motifs d’ordre humanitaire justifiant de le dispenser des exigences de la Loi. L’agent n’était pas tenu de lire entre les lignes ni de déduire que l’intérêt supérieur du plus jeune petit-fils serait compromis. La lettre du petit-fils plus âgé ne mentionnait même pas le plus jeune petit-fils.

[48]  L’argument de M. Shah selon lequel l’agent s’est attardé sur des facteurs dépourvus de pertinence, comme l’accès de son petit-fils à des soins médicaux et à des études, tout en ne tenant pas compte d’éléments pertinents comme l’âge de son petit-fils, le rôle que M. Shah a joué dans sa vie et son éducation culturelle est sans fondement. L’agent a tenu compte des facteurs énoncés dans les directives dans la mesure où ils trouvaient à s’appliquer. Il a clairement pris note de l’âge du petit-fils et fait remarquer que, en dehors des photographies et des lettres indiquant qu’ils avaient tous vécu ensemble par le passé, la preuve attestant que les besoins du plus jeune petit-fils ne seraient pas satisfaits par sa famille au Canada même en l’absence de M. Shah était insuffisante.

[49]  En conclusion, la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible. Même si je compatis à la détresse de M. Shah et comprends son désir de demeurer au Canada auprès de sa famille, l’agent a conclu de façon raisonnable qu’il n’était pas justifié de lever les exigences de la Loi. L’agent a mentionné d’autres options dont M. Shah pouvait se prévaloir, notamment en soumettant un autre formulaire en ligne Intérêt pour le parrainage ou une Demande de super visa pour parents et grands-parents.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6078-18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. aucune question n’est proposée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de septembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6078-18

 

INTITULÉ :

PRITAM SINGH SHAH c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 SEPTEMBRE 2019

 

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Jujhar Singh

 

POUR Le demandeur

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Singh Law

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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