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Date : 20190911


Dossier : IMM‑1712‑18

Référence : 2019 CF 1162

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

YANG QUI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Yang Qui (la demanderesse principale ou DP) et son époux, Dinan Fei, ont présenté une demande de résidence permanente au titre du Programme ontarien des candidats à l’immigration et ont initialement reçu l’approbation de la province. Cependant, la DP a vu sa demande refusée par l’agente d’immigration ayant analysé son dossier, car elle ne lui avait pas fourni les renseignements contextuels que cette dernière lui avait demandés.

[2]  La DP, qui sollicite à présent le contrôle judiciaire de cette décision, affirme qu’elle a été privée d’équité procédurale, car sa consultante en immigration n’a pas pu accéder, sur le portail en ligne dont le défendeur se sert pour communiquer avec les demandeurs, à la lettre de suivi dans laquelle ce dernier réclamait des renseignements additionnels. La DP soutient également que la décision de l’agente est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]  La présente affaire soulève deux questions : i) la demanderesse principale a‑t‑elle été privée d’équité procédurale? ii) La décision de l’agente était-elle raisonnable?

[5]  La première question doit être tranchée suivant la norme qui s’apparente le plus étroitement à celle de la « décision correcte » : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au par. 43, et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, [Canadien Pacifique]. Dans l’arrêt Canadien Pacifique, le juge Rennie a décrit l’approche en question en précisant que le tribunal de révision doit simplement se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (au par. 54).

[6]  La seconde question doit être examinée suivant la norme de la raisonnabilité, puisqu’elle fait intervenir une question de fait et de droit ainsi que l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire : Haider c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 686, au par. 12; Afifi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1141, au par. 12.

[7]  L’affidavit que la DP a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire soulève une question préliminaire. Il s’agit d’un affidavit établi sous serment par une assistante juridique, auquel est joint l’affidavit de la représentante juridique de la DP qui y décrit les démarches qu’elle a faites pour le compte de cette dernière, en y joignant certains courriels concernant l’affaire. Le problème est que ce procédé peut avoir pour effet de mettre à l’abri d’un contre‑interrogatoire le contenu de l’affidavit souscrit par la personne ayant réellement une connaissance directe des évènements, procédé que notre Cour a déjà jugé irrégulier : voir 59872 Ontario Inc. c Canada, [1992] ACF no 253 (1re inst.); Parshottam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 51, au par. 24. Rien n’est venu expliquer pourquoi l’affidavit de la représentante juridique n’a pas été déposé seul, et dans les circonstances, je ne lui accorde que peu de poids. De plus, même si l’affidavit en question était accepté sans réserve, j’estime, pour les motifs expliqués ci‑après, qu’il ne s’agit pas d’un élément de preuve déterminant au regard de la question en litige.

[8]  L’argument touchant à l’équité procédurale repose sur une panne apparente du portail informatique en ligne utilisé par le défendeur pour communiquer avec la consultante en immigration de la DP. Les antécédents de la présente affaire permettront d’expliquer pourquoi je ne suis pas convaincu qu’une atteinte à l’équité procédurale en a résulté.

[9]  La DP a soumis sa demande de résidence permanente le 15 septembre 2017. Le 16 novembre suivant, le défendeur lui a envoyé un courriel dans lequel il lui demandait de fournir des documents additionnels et, en particulier, une « annexe A –Antécédents/Déclaration » à jour présentant des renseignements qui remontaient à l’époque où elle avait 18 ans, et ne couvraient pas seulement les dix années précédentes. La DP reconnaît avoir reçu ce courriel.

[10]  Le 1er décembre 2017, conformément à la demande qui leur avait été faite en novembre, la DP et sa représentante ont envoyé des documents supplémentaires. Mais le formulaire de l’annexe A mis à jour ne contenait pas de renseignements remontant à l’époque où la DP était âgée de 18 ans. Ceux-ci se rapportaient plutôt aux dix années précédentes seulement.

[11]  Puis, le 29 décembre 2017, une autre demande visant à obtenir des renseignements généraux plus complets a été transmise à la représentante de la DP. Le défendeur a envoyé un courriel dans lequel il priait la représentante d’utiliser le portail en ligne pour consulter les détails de la demande de renseignements. Mais, lorsque la consultante a accédé au portail, elle n’a trouvé aucune demande à examiner. La DP prétend que la consultante a appelé le centre téléphonique du défendeur, et qu’elle a été informée que le portail rencontrait des difficultés techniques. À ce qu’affirme la DP, la consultante a pensé que cette information serait transmise au centre de traitement de Hong Kong, et elle a simplement attendu que le défendeur effectue un suivi. Il semble que le bureau de Hong Kong n’ait pas été informé des dysfonctionnements du portail.

[12]  Le défendeur a refusé la demande de la DP le 9 avril 2018, au motif que les renseignements demandés n’avaient pas été fournis et que la DP n’avait donc pas convaincu l’agente d’immigration qu’elle remplissait les exigences relatives à la délivrance d’un visa de résidence permanente.

[13]  La DP soutient avoir été privée d’équité procédurale. Elle reconnaît avoir reçu la demande de novembre, mais soutient que le défaut du défendeur de lui communiquer efficacement l’autre demande de renseignements additionnels en date du 29 décembre 2017 ne peut être corrigé ni ignoré. Il est injuste, selon elle, de refuser une demande de résidence permanente pour défaut de se conformer à une demande de documents additionnels que la DP n’a jamais reçue. Le défendeur doit assumer la responsabilité du fonctionnement (ou du dysfonctionnement) du portail en ligne, étant donné qu’il a choisi cette méthode pour communiquer avec les demandeurs.

[14]  De plus, la DP soutient qu’elle s’attendait raisonnablement à ce que le problème signalé à l’égard du portail en ligne suffise à interrompre le traitement de sa demande jusqu’à sa résolution. Au lieu de quoi, elle n’avait plus reçu d’autres nouvelles du défendeur jusqu’à la réception de la lettre de refus.

[15]  Le défendeur fait valoir pour sa part que la représentante juridique de la DP n’a pas suivi les instructions claires fournies au sujet de la manière de régler le problème lié au portail et des mesures à prendre s’il demeurait non résolu. Il n’était pas raisonnable, de la part de la DP, d’avoir simplement attendu que d’autres renseignements supplémentaires lui soient envoyés, étant donné que le défendeur ne l’avait pas avisée qu’elle en recevrait d’autres. Elle a plutôt été informée de la manière de résoudre le problème lié au portail en ligne et des mesures à prendre si le problème subsistait. La DP ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le défendeur lui envoie d’autres renseignements.

[16]  Une fois prévenue, en novembre, que d’autres renseignements étaient requis, il incombait à la DP de respecter ces exigences. Le fardeau n’est pas transféré au défendeur dans le cadre du processus.

[17]  Je dois analyser la présente question en tenant compte de l’ensemble des circonstances, mais aussi des cinq facteurs non exhaustifs énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux p. 837 à 841, 174 D.L.R. (4th) 193. Je fais mienne la directive formulée par le juge d’appel Rennie dans l’arrêt Canadien Pacifique, au par. 54, et suivant laquelle ma tâche consiste simplement à me demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances ». La jurisprudence établit clairement que l’obligation d’équité procédurale dans le contexte du traitement de ce type de demande se situe à l’extrémité inférieure du registre, notamment parce que la demanderesse peut présenter une nouvelle demande sans encourir de sanction : Zeeshan c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2013 CF 248, au par. 32; Malikaimu c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté) 2017 CF 1026, au par. 44.

[18]  Eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, je ne puis conclure qu’il y a eu atteinte à l’équité procédurale. En particulier, j’observerai que la demande de novembre réclamant des renseignements additionnels précisait de manière claire et explicite ce qui était requis, et la DP reconnaît avoir reçu cette demande de renseignements. Il n’est pas contesté que la réponse qu’elle a fournie en décembre n’y satisfaisait pas. À ce moment‑là, le défendeur aurait bien pu rejeter la demande, et la procédure aurait été équitable. Je ne suis pas convaincu que les difficultés rencontrées par la DP pour consulter une demande subséquente — qui visait exactement les mêmes renseignements — puissent avoir pour effet de rendre inéquitable l’ensemble du processus.

[19]  Qui plus est, je ferai remarquer qu’en date de la demande de novembre, la DP savait que les documents qu’elle avait soumis à l’appui de sa demande avaient été jugés insuffisants en ce qui touchait certains détails importants. Il lui incombait de convaincre l’agente d’immigration qu’elle remplissait les exigences prévues dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ainsi que dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DOS/2002‑227. Dès la réception de la demande de renseignements de novembre, la DP savait que ses documents étaient incomplets. Il lui incombait alors de fournir les renseignements requis, mais elle ne s’est pas exécutée. Le fait que le défendeur ait décidé de lui donner une autre occasion de satisfaire aux exigences ne peut être considéré comme injuste, vu l’ensemble des circonstances. Il n’était pas non plus raisonnable de la part de la DP de ne prendre aucune autre mesure pour vérifier l’état du portail et de s’abstenir de suivre les étapes précisées par le défendeur dans ses documents en ligne.

[20]  Enfin, je relève que l’argument de l’atteinte à l’équité procédurale repose sur l’allégation selon laquelle la représentante juridique de la DP aurait appelé le centre téléphonique du défendeur pour signaler les difficultés d’accès, et aurait ensuite reçu un courriel décrivant les mesures qu’elle devait prendre pour régler le problème. La DP soutient que sa représentante a répondu à ce courriel, mais qu’elle n’a reçu aucune réponse. Le hic, toutefois, est que la mention « Ne pas répondre à ce courriel » figurait clairement dans le courriel du centre téléphonique reçu par la représentante de la DP. L’on peut difficilement qualifier d’inéquitable le fait que le défendeur n’ait pas répondu à un courriel envoyé malgré cette directive, et qu’il ait fourni des instructions claires quant à la manière de résoudre le problème au moyen d’un formulaire en ligne. Le dossier établit également qu’au début de janvier 2018, le défendeur a envoyé à la représentante de la DP une autre réponse contenant des instructions sur la manière de régler le problème lié au portail en ligne, ainsi qu’une explication des mesures qu’elle devait prendre si le problème demeurait irrésolu.

[21]  Les exigences de l’équité procédurale doivent être évaluées de manière pragmatique, en tenant compte du volume considérable de demandes qu’un agent des visas doit évaluer : Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, au par. 32, cité et approuvé dans Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781, au par. 15. La jurisprudence établit que lorsque le défendeur n’a aucune indication que la communication a échoué ou que le courriel n’a pas été reçu par le demandeur, ce dernier assume le risque de non‑livraison : Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503, au par. 13. Une telle approche s’explique par le fait que tout autre processus imposerait un fardeau considérable au défendeur et rendrait difficile de traiter rapidement les demandes. Par analogie, j’estime que, dès lors que le défendeur fournit des instructions quant à la manière de régler les problèmes touchant les communications en ligne, il ne peut être tenu responsable du défaut d’une partie de suivre ces instructions.

[22]  Par ailleurs, il convient de rappeler qu’en l’espèce, il incombait à la demanderesse de fournir les renseignements requis, que la demande de novembre envoyée par le défendeur précisait clairement les renseignements manquants et que la demande de renseignements en question a bien été reçue par la demanderesse. J’estime que rien de plus n’était requis dans les circonstances.

[23]  Pour ces motifs, je n’accepte pas l’argument de la DP selon lequel elle a été privée d’équité procédurale.

[24]  Je conclus que, dans ces circonstances, la décision de l’agente est raisonnable. Il s’agit d’une décision mettant en jeu l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une agente appelée à tenir compte d’un éventail de facteurs et à recourir à son expertise spécialisée en la matière. La décision est appuyée par la preuve, en plus d’être conforme aux exigences juridiques. En outre, les motifs expliquent pourquoi l’agente est parvenue à la conclusion qu’elle a tirée. Rien d’autre n’est requis de la part d’un tribunal de révision qui applique la norme de la raisonnabilité.

[25]  Pour ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et j’estime qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1712‑18

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. aucune question de portée générale n’est certifiée.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 2e jour d’octobre 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1712‑18

INTITULÉ :

YANG QUI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 11 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

 

POUR LA DEMANDERESSE

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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