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                                                                                                                                  Date : 20041217

                                                                                                                               Dossier : T-605-04

                                                                                                                   Référence : 2004 CF 1709

ENTRE :

                                                 SERGENT LOUIS LADOUCEUR

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                                         OFFICER COMPÉTENT

                                                      PIERRE-YVES BOURDUAS

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         Il s'agit ici d'une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, suite à la décision du Comité d'arbitrage (le Comité) de la Gendarmerie royale du Canada rendue le 23 février 2004, par laquelle le Comité a rejeté la requête en arrêt des procédures soumise par le demandeur et ordonné la continuation de l'audition pour le 17 mai 2004.

[2]         Le demandeur désire obtenir l'annulation de la décision en question et réclame l'arrêt des procédures dirigées contre lui devant le Comité d'arbitrage.


[3]         Le sergent Louis Ladouceur (le demandeur) s'est fait signifier, le 11 décembre 2002, un avis lui reprochant d'avoir commis deux contraventions au code de déontologie. L'audition de cette plainte avait été initialement fixée pour la semaine du 25 au 29 août 2003. L'audition s'est déroulée devant le Comité représenté par le surintendant Robert Codère, le surintendant D. Nugent et l'inspecteur W. Lang. Le 27 août 2003, lors de l'interrogatoire du sergent d'état major Jean-Pierre Boucher, il est apparu que des faits pertinents à la poursuite de la plainte n'avaient pas été communiqués au demandeur avant l'audition. L'audition de la cause fut en conséquence suspendue jusqu'au 29 août.

[4]         Le 3 octobre 2003, le demandeur signifiait sa requête en arrêt des procédures, se plaignant fondamentalement d'un processus tronqué et d'iniquité de la procédure. Il soutenait notamment que le défendeur avait manqué à son obligation de lui communiquer tous les faits pertinents de la poursuite avant la défense et avant l'audition devant le Comité. Le défendeur signifiait, le 17 octobre 2003, sa contestation de la requête.

[5]         L'audition de la requête en arrêt des procédures devant le Comité a eu lieu les 15 et 18 décembre 2003. Le défendeur a admis lors de cette audition que certaines informations n'avaient pas été communiquées au demandeur, le Comité reconnaissant, pour sa part, qu'il y avait des notes manquantes.

[6]         Le 23 février 2004, le Comité rendait une décision par laquelle il rejetait la requête du demandeur et ordonnait la continuation de l'audition pour le 17 mai 2004, d'où la présente demande de contrôle judiciaire.


[7]         Dans le cadre de cette dernière et en attendant qu'elle soit décidée, le demandeur a demandé à cette Cour de suspendre l'instance devant le Comité. Cette demande de suspension a d'abord été rejetée en raison d'un vice de procédure, le 7 avril 2004, par Monsieur le juge Beaudry, et plus tard rejetée sur le fond, le 14 mai 2004, par Monsieur le juge Rouleau. Le demandeur s'est pourvu en appel de la décision du juge Rouleau, appel qui a été rejeté par la Cour d'appel fédérale aux motifs que le demandeur n'avait pas prouvé de préjudice irréparable et que la balance des inconvénients ne le favorisait pas.

                                                                * * * * * * * * * *

[8]         Les dispositions pertinentes de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (la Loi) sont les suivantes :



40. (1) Lorsqu'il apparaît à un officier ou à un membre commandant un détachement qu'un membre sous ses ordres a contrevenu au code de déontologie, il tient ou fait tenir l'enquête qu'il estime nécessaire pour lui permettre d'établir s'il y a réellement contravention.

45.12 (1) Le comité d'arbitrage décide si les éléments de preuve produits à l'audience établissent selon la prépondérance des probabilités chacune des contraventions alléguées au code de déontologie énoncées dans l'avis d'audience.

45.14 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute partie à une audience tenue devant un comité d'arbitrage peut en appeler de la décision de ce dernier devant le commissaire_:

a) soit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle est établie ou non, selon le cas, une contravention alléguée au code de déontologie;

b) soit en ce qui concerne toute peine ou mesure imposée par le comité après avoir conclu que l'allégation visée à l'alinéa a) est établie.

45.16 (7) La décision du commissaire portant sur un appel interjeté en vertu de l'article 45.14 est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n'est pas susceptible d'appel ou de révision en justice.

40. (1) Where it appears to an officer or to a member in command of a detachment that a member under the command of the officer or member has contravened the Code of Conduct, the officer or member shall make or cause to be made such investigation as the officer or member considers necessary to enable the officer or member to determine whether that member has contravened or is contravening the Code of Conduct.

45.12 (1) After considering the evidence submitted at the hearing, the adjudication board shall decide whether or not each allegation of contravention of the Code of Conduct contained in the notice of the hearing is established on a balance of probabilities.          

45.14 (1) Subject to this section, a party to a hearing before an adjudication board may appeal the decision of the board to the Commissioner in respect of

(a) any finding by the board that an allegation of contravention of the Code of Conduct by the member is established or not established; or

(b) any sanction imposed or action taken by the board in consequence of a finding by the board that an allegation referred to in paragraph (a) is established.

45.16 (7) A decision of the Commissioner on an appeal under section 45.14 is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal to or review by any court.


                                                                * * * * * * * * * *

[9]         La requête en arrêt des procédures présentée par le demandeur devant le Comité était fondée sur des faits reliés à la procédure, notamment sur le fait qu'une partie des notes prises par l'un des témoins dans la cause, le sergent d'état major Jean-Pierre Boucher, ne lui a pas été divulguée préalablement à l'audience disciplinaire devant le Comité. Celui-ci a conclu que le droit à la liberté et le droit à la sécurité du demandeur n'ont pas été brimés, puisque les notes ont été mises à sa disposition avant la fin de l'enquête et qu'il a eu l'opportunité d'interroger le sergent d'état major Boucher à leur sujet. Le Comité a aussi conclu que les notes en question, qui n'ont pas été produites dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ne portaient pas sur des éléments substantiels, mais plutôt sur des éléments secondaires reliés aux allégations faites à l'encontre du demandeur. Le Comité a donc ordonné la continuation de l'enquête. Il s'agit là d'une décision purement interlocutoire.

[10]       En ce qui concerne la possibilité de révision judiciaire d'une décision interlocutoire, Monsieur le juge Létourneau, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Szczecka c. Canada (M.E.I.) (1993), 170 N.R. 58, à la page 60, a declaré ce qui suit :

[4]            Voilà pourquoi il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et le frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer. . . .

[11]       Ces principes ont été réaffirmés par la Cour d'appel fédérale dans Zündel v. Citron et al. (2000), 256 N.R. 125, où Monsieur le juge Sexton, à la page 130, cite précisément cet extrait de l'arrêt Szczecka, supra.


[12]       En l'espèce, invitée à préciser le caractère particulier des circonstances, l'avocate du demandeur a réitéré les manquements à la procédure reliée à l'enquête disciplinaire devant le Comité, et les conséquences de ceux-ci sur les droits et libertés de son client. Elle a en outre invoqué l'importance d'éviter une longue audition devant le Comité, précisant qu'il en faudrait encore de six à dix jours pour compléter l'enquête devant celui-ci. Enfin, l'avocate souligne le stigmate que cause l'enquête sur le policier qu'est le demandeur.

[13]       À mon sens, ce ne sont pas là les « circonstances spéciales » dont parle la jurisprudence, et en particulier l'arrêt Szczecka, supra, pouvant justifier cette Cour d'excercer son pouvoir de contrôle judiciaire en regard d'une décision interlocutoire d'un tribunal administratif. L'arrêt Zündel, supra, à la page 129, parle d'absence de compétence du tribunal administratif pour, par exception, justifier l'exercice de semblable contrôle judiciaire. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

[14]       Il est admis devant moi que, mise à part la continuation de l'enquête devant le Comité, devant lequel la poursuite a maintenant complété sa preuve, les faits pertinents sont les mêmes que ceux qui prévalaient au temps de l'audition devant la Cour d'appel fédérale, dans le présent dossier, de l'appel du demandeur relié au refus de cette Cour d'ordonner un arrêt provisoire des procédures devant le Comité. Devant les mêmes faits, compte tenu des recours accordés au demandeur par les paragraphes 45.14(1) et 45.16(7) de la Loi, soit un appel de la décision du Comité devant le commissaire et un recours en révision judiciaire devant cette Cour de la décision du commissaire respectivement, j'en viens à la conclusion que non seulement le demandeur a fait défaut de prouver qu'il subira un préjudice irréparable pouvant lui résulter de la continuation de son audience disciplinaire devant le Comité, mais en outre qu'une administration efficace de la justice requiert la conclusion de cette audience.



[15]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 décembre 2004


                                                               COUR FÉDÉRALE

                                     NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       T-605-04

INTITULÉ :                                                      SERGENT LOUIS LADOUCEUR c. OFFICER COMPÉTENT PIERRE-YVES BOURDUAS

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 22 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                          Le 17 décembre 2004

COMPARUTIONS:

Me Jacinthe Ladouceur                          POUR LE DEMANDEUR

Me Jean Lavigne                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Les Avocats Ladouceur                                     POUR LE DEMANDEUR

St-Eustache (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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