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Date : 20190916


Dossier : T-1736-14

Référence : 2019 CF 1176

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2019

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

GWENDOLYN LOUISE DEEGAN ET KAZIA HIGHTON

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Pour les motifs qui suivent, aucuns dépens ne sont adjugés en l’espèce.

I.  Le contexte

[2]  Le 22 juillet 2019, notre Cour a rejeté l’action par laquelle les demanderesses ont contesté la constitutionnalité de la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada‑États‑Unis pour un meilleur échange de renseignements fiscaux, LC 2014, c 20, art 99 [la Loi de mise en œuvre] et des articles 263 à 269 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985 (5e suppl.), c 1 [collectivement, les « dispositions contestées »] (Deegan c Canada (Procureur général), 2019 CF 960 (CanLII) [Deegan]). La Cour a invité les parties à conclure une entente quant aux dépens ou, à défaut d’en arriver à une telle entente, à présenter des observations écrites l’une après l’autre. Les demanderesses et les défendeurs ont déposé leurs observations concernant les dépens le 12 août 2019 et le 3 septembre 2019, respectivement.

[3]  En bref, les dispositions contestées découlent du régime fiscal américain, qui impose le revenu mondial des citoyens américains, peu importe où ils résident. En 2010, les États‑Unis ont adopté la Foreign Account Tax Compliance Act [la FATCA] qui, entre autres choses, exige que les institutions financières non américaines fournissent à l’Internal Revenue Agency [l’IRS] des États‑Unis des renseignements sur les comptes des clients qui pourraient être assujettis aux lois fiscales américaines. Afin d’atténuer les répercussions négatives possibles de la FATCA au Canada, le gouvernement canadien a conclu un accord intergouvernemental avec le gouvernement américain en 2014 [l’Accord], qu’il a mis en œuvre l’Accord au moyen des dispositions contestées. Par conséquent, les institutions financières canadiennes sont maintenant tenues par la loi de fournir à l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] certains renseignements sur les clients dont les renseignements sur les comptes financiers donnent à penser qu’ils peuvent être des « personnes des États‑Unis ». Cette expression est définie dans l’Accord, reproduit en annexe de la Loi de mise en œuvre. L’ARC fournit ensuite ces renseignements à l’IRS (Deegan, précité, aux paragraphes 1 à 7).

[4]  Du point de vue procédural, la présente instance s’est révélée longue et complexe, s’étendant sur environ cinq ans et comportant notamment deux procès sommaires. La déclaration initiale a été déposée le 11 août 2014 et l’intitulé a été modifié au moins deux fois après la constitution comme partie à l’instance et la mise hors de cause de certaines demanderesses [Kazia Highton a été constituée partie à l’instance le 16 juin 2016, et Virginia Hillis a été mise hors de cause le 28 août 2017]. Le premier procès sommaire portait sur les arguments qui n’étaient pas de nature constitutionnelle qui ont été ajoutés à la déclaration modifiée déposée le 9 octobre 2014 et portait sur la légalité de la communication de renseignements personnels de personnes des États‑Unis recueillis par l’ARC pour l’année d’imposition 2014 et dont la communication à l’IRS était prévue le 30 septembre 2015 ou vers cette date (Hillis c Canada (Procureur général), [2016] 2 RCF 235, 2015 CF 1082 (CanLII) [Hillis], au paragraphe 3). Dans Hillis, les demanderesses sollicitaient un jugement déclaratoire et une injonction prohibitive visant à empêcher que des renseignements sur les contribuables soient communiqués sur le fondement des dispositions contestées, mais elles ont été déboutées. La Cour a jugé que la collecte et la communication de renseignements relatifs aux détenteurs de comptes déclarables américains sont légalement autorisées au Canada. En d’autres termes, comme dans Deegan, les défendeurs ont eu gain de cause.

[5]  La décision de la Cour de rejeter ces mesures — sollicitées par les demanderesses dans leur requête en jugement sommaire, et qui ont fait l’objet d’une instruction sommaire, — n’a pas empêché la possibilité qu’il soit donné suite à leur prétention selon laquelle les dispositions contestées sont ultra vires ou inopérantes parce qu’elles sont inconstitutionnelles ou, par ailleurs, qu’elles portent indûment atteinte à des droits garantis par la Charte (Hillis, précité, au paragraphe 77). S’agissant des dépens, la Cour a conclu comme suit, dans ce même paragraphe : « Il s’agit ici d’une affaire dans laquelle il n’y a pas lieu de condamner aux dépens la partie perdante, étant donné la nature des questions en litige et l’intérêt public à clarifier la portée de dispositions nouvelles qui touchent des centaines de milliers de citoyens canadiens. »

[6]  Les demanderesses ont interjeté appel de la décision rendue au terme du premier procès sommaire et ont sollicité une injonction jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en appel. La Cour d’appel fédérale [la CAF] a refusé d’accorder une injonction et n’a adjugé aucuns dépens (Hillis c Canada (Procureur général), A‑407‑15, motifs du juge Rennie, 30 septembre 2015). La CAF a ordonné, sur consentement des parties, la suspension de l’appel jusqu’à ce la Cour rende son jugement en l’espèce (Hillis c Canada (Procureur général), A‑407‑15, motifs de la juge Dawson, 6 novembre 2015).

[7]  Environ deux mois avant le deuxième procès sommaire, les défendeurs ont contesté la qualité des demanderesses pour agir dans l’action. La Cour a répondu à cette question dans sa décision, se disant non convaincue « que les demanderesses [avaient] de plein droit qualité pour agir dans la présente action. Il n’existe aucun élément de preuve dont il ressort qu’elles ont déjà été touchées directement par les dispositions contestées, et il serait conjectural d’avancer qu’elles pourraient l’être à l’avenir » (Deegan, précité, au paragraphe 192). La Cour a ensuite examiné le droit applicable et les critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public, soulignant l’« approche souple et discrétionnaire » déjà adoptée par les tribunaux et a conclu que : (i) l’affaire soulève des questions justiciables sérieuses; (ii) Mme Deegan, même si elle n’a pas encore été directement touchée, n’est pas un « simple casse‑pieds » mais une personne profondément préoccupée par les conséquences des dispositions contestées; et (iii) la présente action constitue bel et bien une manière raisonnable et efficace de déférer à notre cour les questions en litige en l’espèce. La Cour était, pour ces motifs, prête à accorder à Mme Deegan uniquement la qualité pour agir dans l’intérêt public (Deegan, précité, aux paragraphes 194 à 208).

II.  Les Règles des Cours fédérales pertinentes

[8]  Sur la question des dépens, notre Cour a conclu comme suit dans Dalfen c Banque de Montréal, 2016 CF 1133 [Dalfen], au paragraphe 5 : « L’adjudication des dépens, y compris le montant, est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour (paragraphe 400(1); arrêt Canada (Procureur général) c Rapiscan Systems Inc., 2015 CAF 97, au paragraphe 10). En décidant de l’adjudication des dépens, la Cour est guidée par les facteurs énoncés au paragraphe 400(3). »

[9]  Voici des facteurs pertinents, prévus au paragraphe 400(3), dont la Cour peut tenir compte en l’espèce :

  • le résultat de l’instance;

  • l’importance et la complexité des questions en litige;

  • la charge de travail;

  • le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

  • la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance.

[10]  En outre, l’alinéa 400(6)d) des Règles permet à la Cour de condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

III.  Les observations des demanderesses

[11]  Malgré le rejet de leur action à l’issue du deuxième procès sommaire, les demanderesses font valoir que la présente affaire constitue un rare cas où l’adjudication des dépens en faveur de la partie perdante est appropriée. Elles sollicitent des dépens de l’ordre de 86 381,73 $, calculés selon le nombre maximal d’unités de la colonne V du Tarif B des Règles des Cours fédérales qui peuvent être acceptées. Le mémoire de frais des demanderesses est joint, à l’annexe A, à leurs observations quant aux dépens [le mémoire de frais]. Pour justifier ce montant, elles invoquent le volumineux dossier de preuve et les importantes ressources que les deux parties ont consacrées à la production de ce dossier, notamment quant aux éléments : a) présentés par Mme Deegan et de nombreuses autres personnes qui affirment avoir été touchées par l’adoption de la FATCA et des dispositions contestées; b) qui concernent les négociations tenues entre le Canada et les États‑Unis relativement à la mise en œuvre de la FATCA et à la conclusion de l’Accord; et c) présentés par des experts de domaines aussi variés que le droit fiscal et le droit de l’immigration américain, l’économie, la fiscalité internationale et l’échange international de renseignements fiscaux (Deegan, précité, aux paragraphes 204 à 206).

[12]  Les demanderesses soutiennent en outre que les dépens devraient leur être adjugés puisque l’un des objectifs de l’attribution de dépens dans des affaires comme celle de l’espèce est de veiller à ce « que les citoyens ordinaires a[ie]nt accès aux tribunaux afin de faire préciser leurs droits constitutionnels et faire trancher d’autres questions sociales de portée générale » (Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71 [Bande indienne Okanagan], au paragraphe 38). La Cour suprême du Canada a également affirmé ce qui suit, au même paragraphe :

« [...] [L]les causes de droit public en tant que catégorie se distinguent des litiges civils ordinaires. Elles peuvent être considérées comme une sous‑catégorie dans laquelle les « circonstances particulières » qui sont nécessaires pour que l’on puisse justifier l’octroi de provisions pour frais tiennent à l’importance des questions en jeu pour le public. Il incombe au tribunal de première instance de décider dans chaque cas si une affaire qui peut être qualifiée de « particulière » de par son caractère d’intérêt public est suffisamment particulière pour s’élever au niveau des causes où l’allocation inhabituelle de dépens constituerait une mesure appropriée. »

[13]  Les demanderesses soutiennent que les citoyens ordinaires, comme elles le sont elles‑mêmes, devraient être incités à retenir les services d’un avocat chevronné pour obtenir le règlement judiciaire des questions constitutionnelles, comme celles qui sont en cause en l’espèce, qui touchent des milliers d’autres personnes.

[14]  Les demanderesses soutiennent en outre qu’elles ne sollicitent pas de dépens spéciaux, mais plutôt ceux que prévoient le tarif. Toutefois, la nature « spéciale » ou inhabituelle des dépens adjugés dans l’arrêt Bande indienne Okanagan, ne tenait pas au montant, mais plutôt au fait qu’il s’agissait de provisions pour frais « calculés selon le barème applicable compte tenu de la complexité et de la difficulté du litige », comme l’indique l’extrait de l’ordonnance de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique cité dans cet arrêt (Bande indienne Okanagan, précité, au paragraphe 17).

[15]  Les demanderesses reconnaissent que le critère énoncé dans l’arrêt Carter, qui permet aux tribunaux de décider s’il y a lieu d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens spéciaux, a été élaboré dans le contexte d’une partie représentant l’intérêt public qui a gain de cause. Après avoir revu le critère établi dans l’arrêt Bande indienne Okanagan, précité, qu’elle a ensuite expliqué plus en détail dans l’arrêt Little Sisters, infra, la Cour suprême a adopté un critère modifié (Carter c Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 331, 2015 CSC 5 [Carter], aux paragraphes 138 à 140). Voici en quoi consiste le critère, au paragraphe 140 :

[140] Nous estimons que ce test, modifié comme il se doit, constitue un guide utile pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge saisi d’une requête pour dépens spéciaux dans une affaire mettant en cause des parties représentant l’intérêt public. Premièrement, l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public véritablement exceptionnelles. Il ne suffit pas que les questions soulevées n’aient pas encore été tranchées ou qu’elles dépassent le cadre des intérêts du plaideur qui a gain de cause : elles doivent aussi avoir une incidence importante et généralisée sur la société. Deuxièmement, en plus de démontrer qu’ils n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée. Dans ces rares cas, il est contraire à l’intérêt de la justice de demander aux plaideurs individuels (ou, ce qui est plus probable, aux avocats bénévoles) de supporter la majeure partie du fardeau financier associé à la poursuite de la demande.

[16]  Les demanderesses soutiennent que les facteurs énoncés dans l’arrêt Carter sont importants pour déterminer s’il y a lieu, en l’espèce, d’adjuger les dépens aux demanderesses déboutées, compte tenu des éléments suivants : i) l’action portait sur des questions d’intérêt public importantes qui n’avaient pas été tranchées et touchait beaucoup plus de personnes que les deux demanderesses désignées; les demanderesses n’avaient aucun intérêt propriétal ou pécuniaire dans l’issue du litige; les enjeux transcendaient leurs intérêts et touchaient des centaines de milliers d’autres personnes; et (iii) l’aide financière privée à elle seule était insuffisante pour couvrir les frais relatifs à l’instance.

[17]  Selon l’affidavit de Sally Yee — souscrit le 12 août 2019 [l’affidavit de Mme Yee] — que les demanderesses ont produit au soutien de leurs observations, Mme Yee est parajuriste au sein du cabinet d’avocats Arvay Finlay LLP qui représentent les demanderesses. Madame Yee indique dans son affidavit que les demanderesses ont fourni une provision d’environ 595 000 $ pour couvrir tous les frais, débours et taxes afférents à l’instance jusqu’à l’issue du procès sur les questions constitutionnelles. Il a fallu déduire une grande partie des honoraires pour les heures de travail des avocats, ce qui signifie fait qu’une grande partie du travail des avocats des demanderesses a été fait bénévolement. Madame Yee conclut, selon son examen des factures fournies aux demanderesses par Farris LLP et Arvay Finlay LLP, que ce travail bénévole s’élevait à environ 350 000 $.

IV.  Les observations des défendeurs

[18]  Dans leurs observations relatives aux dépens — notamment dans l’affidavit de Sheila Guy, souscrit le 3 septembre 2019 [l’affidavit de Mme Guy], qu’ils ont produit au soutien de leurs observations —, les défendeurs confirment essentiellement le montant de la provision ou de l’aide financière relative à l’instance, et ils fournissent des détails supplémentaires quant à sa provenance. Madame Guy est parajuriste au ministère de la Justice, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

[19]  Selon les défendeurs, les litiges d’intérêt public ne justifient pas tous une ordonnance exceptionnelle d’adjudication des dépens, et la présente affaire n’atteint pas le niveau d’importance requis pour que la partie qui a gain de cause soit exceptionnellement condamnée aux dépens. Même une ordonnance par laquelle aucuns dépens ne sont adjugés est exceptionnelle en soi. Je suis d’accord avec les défendeurs sur ces deux points.

[20]  Les défendeurs contestent l’allégation selon laquelle une grande partie du travail des avocats des demanderesses a été fait bénévolement et soutiennent qu’aucun élément de preuve admissible ne démontre que les honoraires relatifs au procès sommaire n’ont pas entièrement été payés. Les défendeurs s’opposent au fait que Mme Yee indique dans les paragraphes liminaires de son affidavit qu’elle a obtenu les renseignements qu’ils contiennent auprès des avocats des demanderesses. Ils font valoir que ces parties de son affidavit ne sont pas recevables, étant donné que les avocats ne peuvent agir en même temps en qualité de témoin et d’avocat (Twinn c Poitras, 2011 CAF 310 [Twinn], aux paragraphes 7 et 8). Bien que je souscrive au principe énoncé dans l’arrêt Twinn, je remarque que les paragraphes contestés de l’affidavit de Mme Yee sont soit corroborés par l’affidavit de Mme Guy (renseignements concernant le montant de la provision), soit complémentés par les éléments de preuve dont Mme Yee a personnellement eu connaissance (renseignements obtenus au moyen de son examen des factures établies au nom des demanderesses). Je conclus donc que l’affidavit de Mme Yee est recevable dans son ensemble.

[21]  Les défendeurs soutiennent que les actions des demanderesses, notamment l’abandon tardif de deux arguments et l’opposition à un rapport d’expert, ont contribué au gaspillage de ressources ou de temps consacré à une préparation inutile en vue du procès sommaire. Les défendeurs ne sont toutefois pas sans reproche à cet égard. Notre Cour a fait les remarques suivantes dans Deegan, précité, au paragraphe 184 : « [...] [J]e suis troublée par le moment que les défendeurs ont choisi pour contester la qualité pour agir des demanderesses. La présente action a commencé en 2014, et les défendeurs ont attendu que les demanderesses déposent leur mémoire des faits et du droit pour l’actuel procès sommaire, soit le 20 novembre 2018 – environ deux mois après le début du procès et après que les deux parties eurent clairement consacré beaucoup de ressources – pour soulever la question de la qualité des demanderesses de poursuivre leur action. »

[22]  Les défendeurs adhèrent en principe à l’approche utilisée dans l’arrêt Carter pour déterminer si les dépens devraient être adjugés à la partie perdante qui représente l’intérêt public (Carter, précité, aux paragraphes 138 à 141). Ils s’opposent toutefois à la manière dont les demanderesses l’appliquent. De plus, ils font valoir que la complexité de l’affaire ne lui donne pas un caractère suffisamment important (c’est‑à‑dire, d’intérêt public) ou spécial pour justifier une ordonnance exceptionnelle d’adjudication des dépens favorable à la partie perdante qui représente l’intérêt public. L’importance d’une issue possible (c’est‑à‑dire l’inconstitutionnalité des dispositions contestées) ne satisfait pas non plus au critère de « l’importance pour le public » énoncé dans l’arrêt Bande indienne Okanagan (Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), [2007] 1 RCS 38, 2007 CSC 2 [Little Sisters], aux paragraphes 64 et 66). Les défendeurs font également valoir que les demanderesses n’ont pas satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Carter, selon lequel elles doivent démontrer « qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée », en ce qui concerne la provision ou l’aide financière afférente à l’instance (Carter, précité, au paragraphe 140).

[23]  Les défendeurs contestent le fait que les avocats auraient travaillé bénévolement et signalent que les renseignements fournis dans l’affidavit de Mme Yee concernant les honoraires applicables et les heures déduites sont imprécis. Je reconnais certes que certains renseignements pertinents peuvent être visés par le secret professionnel de l’avocat, mais je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que l’affidavit de Mme Yee ne comporte pas suffisamment de détails pour appuyer les observations des demanderesses concernant le travail bénévole de leurs avocats.

[24]  Enfin, les défendeurs contestent certains éléments du mémoire de frais relativement au premier procès sommaire, pour lequel aucuns dépens n’ont été adjugés, et à une requête tranchée en faveur des défendeurs, pour laquelle les demanderesses ont été condamnées aux dépens.

V.  Analyse

[25]  Comme je l’ai déjà souligné, les parties renvoient au critère énoncé dans l’arrêt Carter qui permet aux tribunaux de décider s’il y a lieu d’exercer leur pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens spéciaux en faveur des parties au litige qui représentent d’intérêt public, mais elles ne s’entendent pas sur la manière de l’appliquer en l’espèce. Dans un arrêt qu’elle a rendu quelques mois après l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a de nouveau abordé la question d’une éventuelle adjudication des dépens en faveur d’une partie perdante dans des affaires d’importance pour le public et a précisé ce qui suit : « Il ne suffit pas qu’une question soit d’intérêt public ou d’importance pour le public; pour justifier l’octroi de dépens quelle que soit l’issue de la cause, l’affaire doit être “vraiment exceptionnelle” » (Goodwin c Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), [2015] 3 RCS 250, 2015 SCC 46, au paragraphe 90 [Goodwin]). Aucuns dépens n’ont été adjugés à M. Goodwin, la partie perdante à un litige d’intérêt public dans cette affaire.

[26]  J’ai tenu compte des facteurs pertinents énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales et de la jurisprudence dominante. Je tiens à souligner que les défendeurs ont eu gain de cause à toutes les étapes de l’action, notamment lors du deuxième procès sommaire. Il ne fait aucun doute que les questions étaient complexes, tout comme était important le travail exigé des deux parties pour mener à bien l’instance dans le cadre d’un deuxième procès sommaire. En ce qui concerne la conduite des parties et la durée de l’instance, comme je l’ai déjà souligné, les deux parties ont contribué à la longue durée de l’instance dans son ensemble et ont fait en sorte que d’importantes ressources ont dû y être consacrées, non seulement par les parties elles‑mêmes, mais aussi par la Cour.

[27]  En ce qui concerne l’importance pour le public et la question de savoir si l’intérêt public à ce que l’instance soit portée en justice justifie une ordonnance particulière d’adjudication des dépens, je souligne que la Cour était disposée à conclure qu’une seule des demanderesses avait la qualité pour agir dans l’intérêt public. Qui plus est, l’une d’elles a été mise hors de cause durant l’instance et la Cour a précisé ce qui suit, en ce qui concerne le fait pour une codemanderesse d’avoir été constituée tardivement comme partie à l’instance : « [I]l est difficile de conclure que Mme Highton a un intérêt véritable ou concret dans les présentes procédures puisqu’elle n’y a consacré qu’une faible participation et qu’elle n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de la cause des demanderesses » (Deegan, précité, au paragraphe 200). De plus, lorsqu’elle a abordé la question de la qualité pour agir, la Cour a souligné que Mme Deegan n’était pas encore directement touchée par les dispositions contestées (Deegan, précité, au paragraphe 200).

[28]  Compte tenu de tout ce qui précède, j’estime que la présente affaire n’atteint pas un niveau « vraiment exceptionnel » et que les demanderesses n’ont pas démontré qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre efficacement l’instance en question avec l’aide financière privée dont elles disposaient. Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés. De même, je ne formulerai aucune remarque quant au mémoire de frais des demanderesses et aux observations des défendeurs à cet égard.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER NO T-1736-14

LA COUR ORDONNE :

Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente affaire.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1736‑14

 

INTITULÉ :

GWENDOLYN LOUISE DEEGAN et KAZIA HIGHTON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 16 SEPTEMBRE 2019

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Joseph J. Arvay

Arden M. Beddoes

POUR LES DEMANDERESSES

Donnaree Nygard

Michael Taylor

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arvay Finlay LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDERESSES

For the applicantS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

FOR THE DEFENDANTS

 

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