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Date : 20060418

Dossier : IMM‑3826‑05

Référence : 2006 CF 492

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

JENNIFER JULIET PEARCE

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 26 mai 2005. La Commission a rejeté la demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) en vue d’obtenir l’annulation d’une décision antérieure par laquelle la Section du statut de réfugié (T99‑14691) a conclu que la défenderesse était une réfugiée au sens de la Convention.

 

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l’affaire à la Commission afin qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

 

2.         Les faits

[3]               La défenderesse, Jennifer Juliet Pearce, est citoyenne de la Jamaïque. Elle est entrée au Canada en septembre 1995. En décembre 1999, elle a demandé l’asile en se fondant sur son appartenance à un groupe social, soit le groupe des victimes de violence familiale. L’audition de la demande d’asile de la défenderesse devant la Section du statut de réfugié (le premier tribunal) a eu lieu le 7 septembre 2000; la décision du premier tribunal a été prise en délibéré.

 

[4]               Le ou vers le 15 octobre 2000, la défenderesse s’est rendue à la Jamaïque en utilisant le passeport et les documents d’établissement canadiens d’une autre personne. Le 4 novembre 2000, la défenderesse est revenue au Canada en utilisant les documents de la même personne. On a découvert qu’elle était en possession de 200 grammes de cocaïne et elle a fait l’objet d’accusations suivant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19.

 

[5]               Le 30 novembre 2000, le premier tribunal a conclu que la défenderesse avait démontré qu’elle avait raison de craindre d’être persécutée à la Jamaïque et il lui a accordé le statut de réfugiée au sens de la Convention.

 

[6]               La défenderesse a plaidé coupable le 11 décembre 2000 à des accusations d’importation d’une substance désignée et d’entrave volontaire à un officier de la paix. Elle a été condamnée à deux ans et un jour de détention. Le 6 novembre 2001, la section de l’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la défenderesse était une personne non inadmissible suivant l’alinéa 19(1)c) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, et elle a ordonné son expulsion.

 

[7]               Le ministre a émis un avis de danger à l’endroit de la défenderesse, mais la Cour fédérale a annulé cet avis de danger le 13 novembre 2002.

 

[8]               Le 26 août 2003, le ministre a présenté, suivant l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), une demande d’annulation de la décision favorable du premier tribunal résultant directement ou indirectement de présentations erronées par la défenderesse sur des faits importants ou de réticence sur ces faits – les faits importants allégués étant son retour à la Jamaïque et ses activités de grande criminalité à la Jamaïque et au Canada.

 

[9]               Le 25 février 2005, la Commission a statué que certaines portions de la preuve documentaire du demandeur seraient exclues lors de l’examen par la Commission de la demande d’annulation de la décision. Ces portions incluaient des éléments de preuve portant une date postérieure à la décision rendue par le premier tribunal quant à la demande d’asile de la défenderesse, notamment des renseignements à l’égard de la déclaration de culpabilité de la défenderesse au Canada.

 

[10]           La Commission a entendu la demande d’annulation le 31 mars 2005. La défenderesse n’était pas présente lors de l’audience et elle n’était pas représentée par un conseil. La Commission a rendu de vive voix sa décision par laquelle elle a rejeté la demande d’annulation présentée par le ministre. La Commission a par la suite fourni des motifs écrits le 26 mai 2005.

 

[11]           Le ministre a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 22 juin 2005. La défenderesse n’a pas déposé d’avis de comparution. Le demandeur a sollicité et a obtenu de la Cour une ordonnance de dispense de signification à personne et une ordonnance de signification indirecte le 7 juillet 2005.

 

[12]           L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 12 septembre 2005.

 

[13]           La défenderesse n’a pas répondu à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

3.         La décision contestée

[14]           Dans ses motifs écrits, la Commission a reconnu que l’information à l’égard du retour de la défenderesse à la Jamaïque et de son arrestation subséquente pour possession de cocaïne « aurait eu un effet important sur [le] raisonnement » du premier tribunal. Ce tribunal avait accueilli la demande d’asile de la défenderesse parce qu’elle était un témoin digne de foi et qu’elle avait démontré qu’elle craignait avec raison d’être persécutée à la Jamaïque. La Commission a ajouté ce qui suit : « Le cas devient difficile pour la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission »), car l’intimée semble l’avoir tournée en ridicule. »

 

[15]           Toutefois, la Commission, même si elle a conclu que la décision favorable rendue à l’égard de la demande d’asile de la défenderesse résultait de présentations erronées sur des faits importants ou de réticence sur ces faits, a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 109(1) d’annuler la décision du premier tribunal. La Commission, lorsqu’elle a rendu sa décision, a pris en compte le fait que la défenderesse n’avait que neuf ans de scolarité et avait mené « une vie simple » tant à la Jamaïque qu’au Canada. De façon plus importante, la Commission a déclaré que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) devait être tenu responsable de ne pas avoir porté à l’attention du premier tribunal les renseignements pertinents; CIC a appris environ 25 jours avant que le premier tribunal rende sa décision que la défenderesse s’était rendue à la Jamaïque et qu’elle avait été arrêtée pour importation de cocaïne au Canada.

 

[16]           En particulier, la Commission a mentionné que lorsque la défenderesse a pris conscience que « c’était cuit », elle a reconnu sa véritable identité à CIC, vers minuit le 4 novembre 2000. La Commission a estimé qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre dans les circonstances, « avec tout le malheur qui s’est abattu sur cette femme, à ce qu’elle ait songé à réfléchir à la différence entre CIC et la Commission ». La Commission n’a pas blâmé la défenderesse d’avoir omis de porter à l’attention du premier tribunal les nouveaux renseignements. Elle a plutôt tenu CIC responsable de n’avoir rien fait alors qu’il aurait pu porter à l’attention du premier tribunal ces nouveaux renseignements avant qu’il rende sa décision. La Commission a déclaré ce qui suit : « On s’attendrait à ce que CIC porte cette information à l’attention de la Commission [celle du premier tribunal]; cette attente est bien plus importante que celle visant l’intimée. »

 

[17]           Par conséquent, la Commission a rejeté la demande d’annulation présentée par le ministre suivant l’article 109 de la LIPR à l’égard de la décision favorable rendue quant à la demande d’asile de la défenderesse.

 

 

4.         Les dispositions pertinentes de la loi

[18]           L’article 109 de la LIPR prévoit que la Commission a le pouvoir de trancher des demandes d’annulation des décisions favorables rendues quant à des demandes d’asile. L’article prévoit ce qui suit :

 

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

 

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified

 

Le paragraphe 109(1) confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’annuler une décision favorable rendue à l’égard d’une demande d’asile si elle estime que l’acceptation de la demande résultait directement ou indirectement de présentations erronées faites par le demandeur d’asile sur un fait important quant à un objet pertinent de sa demande ou de réticence sur ce fait. La Commission peut rejeter la demande d’annulation si, suivant le paragraphe 109(2), elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve parmi ceux dont disposait le tribunal qui a rendu la décision pour justifier que l’asile soit accordé.

 

5.         Les questions en litige

[19]           Les deux questions suivantes sont soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.                  La question de savoir si la Commission a commis une erreur en fondant sur des facteurs dépourvus de pertinence sa décision de rejeter la demande d’annulation présentée par le ministre à l’égard de la décision favorable rendue par le premier tribunal quant à l’asile, à savoir :

 

a)                  le peu d’instruction qu’avait la défenderesse et la vie simple qu’elle avait menée qui ont eu comme conséquence qu’elle ne comprenait pas la différence entre CIC et le premier tribunal;

b)                  la conduite de CIC qui a omis d’informer le premier tribunal des nouveaux faits importants se rapportant à la demande d’asile de la défenderesse.

 

2.         La question de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner, avant de rejeter la demande d’annulation présentée par le ministre, s’il restait « suffisamment d’éléments de preuve » devant le premier tribunal pour justifier qu’une décision favorable soit rendue.

 

 

 

6.         La norme de contrôle

[20]           La Cour suprême du Canada établit que quatre facteurs contextuels, qui constituent de façon générale l’« analyse pragmatique et fonctionnelle », doivent être appréciés afin de déterminer la norme de contrôle applicable, à savoir : (1) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; (2) l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question litige; (3) l’objet de la loi et de la disposition particulière; et (4) la nature de la question – de droit, de fait ou mixte de fait et de droit : voir Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. L’examen des quatre facteurs permet aux cours de révision de régler les questions centrales à la détermination du degré de déférence devant être accordé à la Commission. Selon le degré de déférence, trois normes de contrôle peuvent être utilisées, à savoir : la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable.

 

[21]           Deux questions doivent être examinées par la Commission dans le contexte d’une demande d’annulation. Ces questions sont essentiellement soulevées par l’application des paragraphes 109(1) et (2) de la LIPR et exigent que la Commission rende des décisions quant aux faits. Premièrement, suivant le paragraphe 109(1), la Commission doit décider si la décision favorable résulte, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent ou de réticence sur ce fait quant à une demande d’asile. Deuxièmement, la Commission, malgré la présentation erronée ou la réticence, peut toujours rejeter la demande d’annulation si elle estime qu’il reste suffisamment « d’éléments de preuve » non viciés par la présentation erronée ou la réticence sur un fait important pour justifier l’asile.

 

[22]           Dans la présente affaire, la Commission n’a pas effectué l’analyse requise suivant le paragraphe 109(2) de la LIPR. L’omission à cet égard constitue une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Pushpanathnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982. Il n’est par conséquent pas nécessaire d’effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle quant à cette question.

 

[23]           Je vais maintenant effectuer une analyse pragmatique et fonctionnelle à l’égard du paragraphe 109(1).

 

A.        La présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel

 

[24]           Bien que la LIPR ne contienne pas une clause privative ou un droit d’appel, plusieurs dispositions de la loi indiquent que la Commission doit faire l’objet d’un degré élevé de déférence. Premièrement, le paragraphe 162(1) de la LIPR énonce que la Commission a « compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait – y compris en matière de compétence ». Deuxièmement, suivant le paragraphe 72(1), une demande présentée en vue du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission requiert une autorisation de la Cour fédérale. En outre, bien que la décision rendue par la Commission à l’égard d’une demande d’annulation puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire suivant les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, le degré de déférence qui doit être accordé à la Commission ne décroît pas nécessairement du fait de la disponibilité d’un contrôle judiciaire. Comme la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, la compétence d’un tribunal saisi d’un appel est beaucoup plus large que celle d’un tribunal qui exerce un contrôle judiciaire. Au paragraphe 31, la Cour suprême a déclaré ce qui suit : « En principe, le tribunal saisi d’un appel a le droit d’exprimer son désaccord avec le raisonnement du tribunal d’instance inférieure. » Lors d’un contrôle judiciaire, le rôle du tribunal consiste à réviser la décision selon la norme de contrôle applicable. En raison des dispositions précédemment mentionnées, je suis d’avis qu’en ce qui concerne le premier facteur un degré supérieur de déférence doit être accordé à la Commission.

 

B.         L’expertise relative de la Commission

 

[25]           En évaluant ce deuxième facteur, la Cour doit examiner les « trois dimensions » de l’expertise relative énoncées dans l’arrêt Pushpanathan, précité, au paragraphe 33, à savoir :

 

a.                   l’expertise de la Commission;

 

b.                  la propre expertise de la Cour par rapport à celle de la Commission;

 

c.                   la nature de la question précise dont était saisie la Commission par rapport à l’expertise de la Cour.

 

[26]           La Cour suprême du Canada a expliqué en détail le lien entre l’expertise et la déférence judiciaire dans l’arrêt Dr Q., précité. Au paragraphe 28 de ses motifs, en citant l’arrêt Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

 

Un plus haut degré de déférence est dû uniquement lorsque l’organisme décisionnel possède, de quelque façon, une plus grande expertise que les cours et que la question visée relève de cette plus grande expertise.

 

 

[27]           Dans la présente affaire, la nature de la question précise tranchée par la Commission – c’est‑à‑dire la question de savoir si la décision qui a accueilli la demande d’asile de la défenderesse devrait être annulée suivant le paragraphe 109(1) de la LIPR – a deux volets : premièrement, il s’agit de savoir si la défenderesse a dissimulé des renseignements et, deuxièmement, il s’agit de savoir si les nouveaux renseignements se rapportant à la défenderesse peuvent être qualifiés de renseignements importants quant à un objet pertinent de la demande d’asile de la défenderesse.

 

[28]           La question de savoir si les renseignements en cause sont importants quant à la demande d’asile de la défenderesse et celle de savoir si les renseignements ont effectivement fait l’objet de réticence par la défenderesse au moment de la première décision sont des questions de fait. Dans la mesure où de telles questions intéressent l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile quant aux nouveaux renseignements, il est généralement reconnu que de telles décisions font partie des connaissances spécialisées de la Commission et doivent faire l’objet d’une déférence judiciaire par la cour de révision : voir l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL). Cependant, lorsque les questions à trancher, comme c’est le cas en l’espèce, n’intéressent pas l’évaluation de la crédibilité ou de la vraisemblance, mais intéressent plutôt simplement l’évaluation de la question de savoir si les nouveaux renseignements ont fait l’objet de réticence et celle de savoir si ces renseignements sont importants quant à la demande d’asile de la défenderesse, alors la Commission, à mon avis, n’a pas de connaissances particulières quant à de telles questions qui justifieraient que soit accordé le même degré de déférence judiciaire. La Commission n’a pas quant à ces questions une expertise relative plus importante que celle de la Cour. Il s’ensuit, à mon avis, que ce deuxième facteur est neutre.

 

C.        Les objets de la loi et les dispositions en cause

 

[29]           À l’égard de l’asile, les objets de la LIPR, de façon générale, sont énoncés au paragraphe 3(2). Ce paragraphe contient en autres les objets suivants :

3. 2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

3. (2) The objectives of this Act with respect to refugees are

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

(a) to recognize that the refugee program is in the first instance about saving lives and offering protection to the displaced and persecuted;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

 

(b) to fulfill Canada’s international legal obligations with respect to refugees and affirm Canada’s commitment to international efforts to provide assistance to those in need of resettlement;

 

[…]

 

 

d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

 

(d) to offer safe haven to persons with a well-founded fear of persecution based on race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, as well as those at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment;

 

[…]

 

 

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

(h) to promote international justice and security by denying access to Canadian territory to persons, including refugee claimants, who are security risks or serious criminals.

 

 

[30]           L’objet de l’article 109 de la LIPR est de fournir au ministre un mécanisme lui permettant de présenter une demande d’annulation à l’égard d’une décision favorable rendue quant à l’asile dans un cas où l’acceptation de la demande d’asile résulte de présentations erronées ou de dissimulation de faits pertinents. L’article 109 est facultatif et fournit à la Commission un pouvoir discrétionnaire pour trancher des demandes d’annulation. Ce pouvoir discrétionnaire est limité par le paragraphe 109(2) qui prévoit que la Commission peut rejeter une demande d’annulation si elle est convaincue qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale pour justifier l’asile.

 

[31]           La LIPR établit un régime en vue de trancher les demandes présentées par des personnes qui tentent d’obtenir l’asile au Canada. L’article 109 complète l’objet général quant à l’asile énoncé dans la LIPR en s’assurant que des individus n’obtiennent pas le statut de réfugié de façon inappropriée. La disposition de la LIPR quant à l’asile prévoit les droits et privilèges accordés aux demandeurs d’asile et non la pondération d’intérêts opposés. Par conséquent, ce troisième facteur milite pour une déférence judiciaire moindre envers la Commission.

 

D.        La nature de la question

 

[32]           Finalement, à l’égard du quatrième facteur contextuel de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, comme j’ai mentionné précédemment, j’estime que les questions de fond soumises à la Cour dans la présente instance sont des questions de fait. Par conséquent, je suis d’avis que ce facteur milite pour un degré élevé de déférence.

 

[33]           Après avoir examiné les quatre facteurs contextuels de l’analyse pragmatique et fonctionnelle et les faits de la présente affaire, je conclus que la norme de contrôle applicable à l’égard de la première question soulevée dans la demande de contrôle judiciaire est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Je note que dans la décision Sethi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1178, Mme la juge Danielle Tremblay‑Lamer, après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle, a tiré la même conclusion à l’égard de la norme de contrôle applicable à la révision de la décision de la Commission suivant le paragraphe 109(1).

 

7.         L’analyse

[34]           La Commission, dans ses motifs, a reconnu que des faits importants avaient été dissimulés au premier tribunal et que ces faits importants auraient eu un effet majeur sur la décision du premier tribunal. Malgré sa décision à cet égard, la Commission a rejeté la demande d’annulation en se fondant sur les conclusions suivantes, à savoir :

1)         compte tenu du peu d’instruction de la défenderesse et de la vie simple qu’elle menait, elle n’aurait pas compris la différence entre CIC et le premier tribunal;

 

2)         CIC était responsable d’avoir omis de porter à l’attention du premier tribunal les nouveaux faits importants.

 

[35]           La Commission semble dire, même si elle a conclu que des faits importants avaient été dissimulés au premier tribunal, que la défenderesse est néanmoins pardonnée compte tenu du fait qu’elle était peu instruite et qu’elle menait une vie simple. En outre, la Commission semble également dire qu’étant donné que CIC a appris les faits importants le 4 novembre 2000, lorsque la défenderesse a admis ces faits, c’est CIC et non la défenderesse qui avait l’obligation de porter à l’attention de la Commission ces nouveaux renseignements.

 

[36]           À mon avis, il était manifestement déraisonnable pour la Commission de fonder sur ces deux facteurs sa décision de rejeter la demande d’annulation présentée par le ministre. Premièrement, la question de savoir si la défenderesse avait la capacité intellectuelle voulue pour comprendre la situation ou celle de savoir si elle avait l’intention de présenter erronément les faits ou de dissimuler des faits importants n’est pas pertinente. Le paragraphe 109(1) énonce simplement que la Commission peut annuler une décision ayant accueilli la demande d’asile « résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait ». Dans la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 619, au paragraphe 27, M. le juge James Russell déclare ce qui suit :

 

 

Il n’y a rien dans le libellé de l’article 109 qui exige qu’une présentation erronée sur un fait important ou que la réticence sur ce fait soit délibérée et nécessite la recherche de l’intention du demandeur.

 

 

Je suis d’accord avec lui. À mon avis, la décision de la Commission suivant le paragraphe 109(1) ne justifie pas que soient pris en compte les motifs, l’intention, la négligence ou la mens rea.

 

[37]           Deuxièmement, je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il dit que c’est le comportement de la défenderesse – sa réticence sur des faits importants – qui est pertinent quant à la décision qui doit être rendue à l’égard de la demande d’annulation. Bien qu’il ait pu être souhaitable que CIC communique les nouveaux renseignements à la Commission, cela ne peut pas libérer la défenderesse de son obligation de faire connaître au premier tribunal tous les faits importants quant à un objet pertinent à la demande d’asile. La Commission a eu tort d’enlever dans les faits à la défenderesse le fardeau de communiquer les renseignements et d’attribuer ce fardeau à CIC. Il était manifestement déraisonnable de s’appuyer sur une telle conclusion erronée pour rejeter la demande d’annulation.

 

[38]           Quelle est alors l’étendue du pouvoir discrétionnaire de la Commission une fois qu’elle a conclu qu’il y a eu des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait? À mon avis, les paragraphes 109(1) et 109(2) doivent être lus ensemble. L’étendue du pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une demande est limitée par le libellé du paragraphe 109(2) qui prévoit le rejet par la Commission d’une demande d’annulation « […] si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile ». La Commission dans la présente affaire n’a pas examiné la question de savoir s’il y avait des éléments de preuve non viciés parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale pour justifier que l’asile soit accordé à la défenderesse, malgré le fait qu’il y avait eu réticence sur un fait important. La Commission a simplement exercé son pouvoir discrétionnaire de rejeter, sur le fondement des facteurs dépourvus de pertinence précédemment mentionnés, la demande du ministre. La Commission ne pouvait pas, à mon avis, rejeter une demande d’annulation après avoir conclu que les conditions du paragraphe 109(1) avaient été remplies sans d’abord avoir examiné la question de savoir s’il y avait « suffisamment d’éléments de preuve » parmi ceux pris en compte par le premier tribunal pour appuyer la demande d’asile de la défenderesse. En omettant d’examiner d’abord cette question, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. Elle a commis une erreur de droit en omettant de respecter les dispositions du paragraphe 109(2) de la LIPR.

 

[39]           Selon le dossier, il n’est pas évident que le premier tribunal disposait de suffisamment d’éléments de preuve justifiant que l’asile soit accordé à la défenderesse. Cependant, il n’appartient pas à la Cour dans le contexte d’un contrôle judiciaire de rendre une décision à cet égard.

 

8.         La conclusion

[40]           En conclusion, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en fondant sa décision de rejeter la demande d’annulation présentée par le ministre sur des facteurs dépourvus de pertinence. La Commission a en outre commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d’effectuer une analyse appropriée suivant le paragraphe 109(2) de la LIPR avant de rejeter la demande d’annulation. Par conséquent, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

[41]           Le demandeur a eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale comme le prévoit l’alinéa 74(d) de la LIPR, mais il ne l’a pas fait. Je suis d’avis que le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale. Je n’ai pas l’intention de certifier une question.

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.         La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3826‑05

 

INTITULÉ :                                       MCI

                                                            c.

                                                            JENNIFER JULIET PEARCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 DÉCEMBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexis Singer                                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Personne n’a comparu                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Personne n’a comparu                                                              POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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