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Date : 20190916

Dossier : IMM‑620‑19

Citation : 2019 CF 1178

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2019

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

PATRICIA MARCIA MARTINEZ CABRALES

et JOSEPH PEREZ, BRANDON PEREZ, DYLAN PEREZ, représentés par leur tutrice à l’instance, PATRICIA MARCIA MARTINEZ CABRALES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR], rendue le 3 janvier 2019, selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse adulte, Mme Patricia Marcia Martinez Cabrales, est citoyenne de la Colombie et d’Israël. Les demandeurs mineurs, Joseph Perez, Brandon Perez et Dylan Perez, sont citoyens des États‑Unis et d’Israël. Tous les demandeurs ont obtenu la citoyenneté israélienne en vertu de la Loi du retour, 5710‑1950 après s’être convertis au judaïsme.

[4]  Mme Martinez Cabrales a affirmé qu’elle avait fui la Colombie en septembre 1999 après avoir reçu des menaces de la part des guérilleros des FARC. Elle a soutenu qu’elle n’avait pas pu demander l’asile aux États‑Unis pendant cette période parce que, peu après son arrivée, tous ses documents personnels lui avaient été volés, ce qui l’empêchait de présenter sa demande avant l’expiration du délai d’un an pour demander l’asile. Elle est néanmoins restée aux États‑Unis, où elle a rencontré son conjoint de fait actuel et eu ses trois enfants, qui sont les codemandeurs en l’espèce.

[5]  Mme Martinez Cabrales et sa famille sont retournées en Colombie en 2007 pour s’occuper d’un membre de la famille. Peu de temps après, des guérilleros des FARC l’ont enlevée et extorquée, de même que son conjoint. Mme Martinez Cabrales a affirmé que, bien qu’ils aient payé la rançon pour obtenir leur libération, ils continuaient d’être victimes d’extorsion.

[6]  Le conjoint de Mme Martinez Cabrales a commencé à s’enquérir des moyens de partir de la Colombie. Un ami leur aurait dit que s’ils se convertissaient au judaïsme, ils pourraient s’installer en Israël. La famille a obtenu les documents nécessaires au processus de conversion. Le ou vers le 25 octobre 2007, ils ont pris part à la cérémonie d’immersion, se sont convertis au judaïsme et ont été mariés par un rabbin lors d’une cérémonie de quatre jours. Un Sheliach (émissaire juif) leur a ensuite délivré des autorisations d’immigration pour se rendre en Israël. Le 6 novembre 2007, ils se sont envolés pour Tel-Aviv, en Israël. À leur arrivée, une organisation juive a emmené Mme Martinez Cabrales et sa famille à Ramla, où ils se sont installés.

[7]  Mme Martinez Cabrales a allégué qu’avec le temps, elle s’est sentie désemparée de ne plus pouvoir pratiquer ouvertement sa religion en tant que catholique. Elle a déclaré que ses enfants étaient battus, à la fois par des enfants arabes et juifs, et qu’ils étaient ciblés dans leur école juive parce qu’ils ne parlaient pas la langue et adoptaient parfois les traditions catholiques ou chrétiennes ou mangeaient les aliments proscrits. Elle a ajouté qu’elle craignait pour l’avenir de ses enfants, car ils devaient faire leur service militaire à la fin de leurs études secondaires.

[8]  Mme Martinez Cabrales a également expliqué que, alors qu’elle travaillait comme femme de ménage avec deux autres femmes pour une famille israélienne, de l’argent a disparu. Le propriétaire de la maison l’a accusée et l’a menacée, ainsi que les autres femmes de ménage et leurs enfants. Elle a dénoncé le propriétaire à la police, mais celle‑ci n’a accepté son signalement qu’après qu’elle a demandé l’aide d’un avocat. Le propriétaire les a ensuite de nouveau menacés verbalement qu’il allait leur enlever les ongles et les doigts.

[9]  Mme Martinez Cabrales a allégué que les Juifs israéliens savaient que les Latino‑Américains se convertissaient faussement à des fins de citoyenneté et que, en conséquence, ils jetaient des pierres sur leur maison et les appelaient goya (impures). Elle a allégué que le Sheliach qui leur avait fourni les autorisations de voyage initiales a été détenu puis emprisonné pour avoir délivré frauduleusement de tels documents dans d’autres cas. Elle a déclaré avoir appris plus tard que si elle et les membres de sa famille voulaient être de confession juive et acceptés dans la communauté, ils devraient suivre un cours et refaire le processus de conversion et le mariage. Elle a refusé, déclarant qu’elle savait que cela n’affecterait pas son statut d’immigrante et qu’elle ne voulait pas que sa famille soit juive après tout.

[10]  Mme Martinez Cabrales et son conjoint ont envoyé leurs enfants au Canada en juillet 2011, là où vit la mère de Mme Martinez Cabrales. En octobre 2011, elle et son conjoint se sont rendus au Canada pour les rejoindre, et son conjoint s’est ensuite rendu aux États‑Unis pour s’informer de son statut antérieur de résident permanent et rendre visite à ses enfants issus d’un mariage précédent. Il a été détenu à son arrivée aux États‑Unis. En novembre 2011, Mme Martinez Cabrales et ses enfants se sont rendus aux États‑Unis pour engager un avocat pour le représenter et obtenir sa libération sous caution. Après avoir réussi à le faire, ils sont rentrés au Canada.

[11]  À leur retour au Canada le 21 mars 2012, Mme Martinez Cabrales et sa famille ont demandé l’asile, au point d’entrée , à l’égard de la Colombie et d’Israël. Comme elle a demandé l’asile avant le 15 décembre 2012, leurs demandes sont devenues des « anciens cas ». Par conséquent, leur audience devant la SPR a été considérablement retardée.

[12]  L’audience devant la SPR a eu lieu le 13 novembre 2018. À cette date, le conjoint de Mme Martinez Cabrales avait retiré sa demande conjointe et était retourné en Israël. Mme Martinez Cabrales était la représentante désignée de ses enfants. Tous étaient représentés par une avocate.

[13]  Vers la fin de l’audience, l’avocate a demandé, en raison de la complexité de l’affaire, plus de temps pour présenter une preuve écrite supplémentaire au lieu de présenter des observations de vive voix. La SPR n’était pas d’accord sur la complexité, mais elle était disposée à accorder une prolongation de six jours. L’avocate a fait part de son objection pour les besoins du dossier, ce que la SPR a noté, puis a présenté des observations de vive voix.

[14]  L’avocate n’a présenté aucune observation supplémentaire après l’audience et n’a présenté aucune requête ou demande d’admission d’éléments de preuve supplémentaires.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[15]  Dans sa décision écrite datée du 3 janvier 2019, la SPR a rejeté les demandes d’asile de Mme Martinez Cabrales et de ses enfants présentées au titre des articles 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. La SPR a conclu, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, que « les demandeurs d’asile ont omis de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour s’acquitter de leur fardeau d’établir qu’il y a une possibilité sérieuse de persécution fondée sur un motif énoncé dans la Convention ou qu’ils seraient, selon la prépondérance des probabilités, personnellement exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités » en Israël (pour Mme Martinez Cabrales), et en Israël et aux États‑Unis (pour ses enfants). La SPR a refusé d’évaluer la Colombie comme pays de référence étant donné que toutes les parties avaient récemment résidé en Israël et avaient la citoyenneté israélienne. Elle a toutefois considéré les États‑Unis comme un pays de référence pour les enfants mineurs.

[16]  La SPR a commencé par définir les motifs prévus par la Convention comme étant la religion, l’appartenance à un groupe social et l’opinion politique perçue. Ces motifs découlaient respectivement d’allégations d’attaques et de railleries soutenues, de leur conversion du catholicisme au judaïsme suivi de leur retour au catholicisme, et de l’objection au service militaire obligatoire des enfants. La SPR a également souligné la crainte généralisée de Mme Martinez Cabrales à l’égard du terrorisme en Israël.

A.  Préoccupations relatives à la crédibilité

[17]  La SPR a conclu que le témoignage de Mme Martinez Cabrales était « intrinsèquement incohérente [et] invraisemblable en soi », a constaté des omissions dans le formulaire de renseignements personnels par rapport à ce qu’elle a allégué de vive voix, et a déclaré que des preuves objectives sur la situation dans le pays contredisaient ses allégations concernant les risques.

[18]  La SPR a conclu que Mme Martinez Cabrales n’était généralement pas crédible et a tiré des conclusions défavorables d’après :

  • son défaut de demander l’asile au Canada en octobre 2011;

  • son défaut de demander l’asile aux États‑Unis en 1999 et en 2011;

  • son défaut d’avoir quitté Israël avant 2011, pendant ou après le départ de sa mère en 2008;

  • ses fausses déclarations à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] au point d’entrée en 2012 concernant ses pays de citoyenneté, son itinéraire et son séjour antérieur au Canada;

  • ses fausses déclarations à l’ASFC au sujet de l’emplacement de leurs passeports israéliens;

  • ses incohérences quant au passeport avec lequel elle s’est rendue en Israël;

  • ses omissions ou exagérations dans son formulaire de renseignements personnels, y compris :

  • - le lieu de la cérémonie de son mariage juif chez le rabbin;

  • - le fait qu’on leur a dit de suivre des cours et de faire le processus de conversion une deuxième fois;

  • - le fait que le Sheliach qui avait délivré leur autorisation d’immigration avait été arrêté;

  • son défaut de fournir une copie de son certificat de mariage juif, traduit ou non;

  • le fait qu’elle a exagéré sa demande d’asile en témoignant qu’elle devrait suivre un cours pour compléter le processus de conversion en Israël;

  • son omission de modifier à nouveau son formulaire de renseignements personnels afin de mentionner l’article de presse daté du 13 février 2008 concernant la détention du Sheliach et son incidence sur leur sort en Israël.

[19]  La SPR a également conclu que la preuve présentée pour démontrer le statut précaire de Mme Martinez Cabrales en tant que citoyenne israélienne n’est pas crédible et « n’appuie pas les allégations des demandeurs d’asile selon lesquelles leur conversion était frauduleuse aux yeux des autorités israéliennes ». Se référant à l’article de presse du 13 février 2008, la SPR a conclu que l’article mentionnait un groupe spécifique dont Mme Martinez Cabrales n’était pas membre (autochtones de Colombie qui utilisaient de faux documents de conversion et n’étaient pas passés par le processus de conversion), et qu’elle et sa famille avaient vécu à Ramla pendant des années sans interactions avec les autorités.

[20]  Renvoyant à un article similaire daté du 15 février 2008, la SPR a conclu que l’article ne faisait référence qu’à l’Argentine et ne concernait pas les personnes qui se sont converties en Colombie. Enfin, la SPR a constaté que le conjoint de Mme Martinez Cabrales avait renouvelé avec succès son passeport israélien plusieurs années après l’arrestation du Sheliach, ce qui, de l’avis de la SPR, mettait en doute la théorie de Mme Martinez Cabrales selon laquelle les autorités israéliennes la soupçonnaient de conversion frauduleuse.

B.  L’absence de crainte subjective

[21]  La SPR a conclu que Mme Martinez Cabrales aurait dû demander la protection internationale dès qu’elle en a eu l’occasion après son arrivée au Canada en octobre 2011. Elle a rejeté son explication selon laquelle son conjoint l’avait convaincue de ne pas déposer de demande d’asile parce qu’il souhaitait d’abord rendre visite à son autre famille aux États‑Unis.

[22]  La SPR a également rejeté les explications de Mme Martinez Cabrales sur les raisons pour lesquelles elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis de 1999 à 2007, ni en 2011. Elle a expliqué qu’elle n’a pas présenté de demande d’asile en 1999 en raison de documents volés. Elle a en outre expliqué que l’ancien avocat de son conjoint leur avait dit qu’ils se verraient refuser l’asile en raison des politiques américaines concernant les immigrants latino‑américains et que de toute façon, elle craignait que sa situation d’irrégularité, de 1999 à 2007, du fait qu’une année s’était écoulée depuis son arrivée aux États‑Unis, ait une incidence sur sa capacité à présenter une demande susceptible d’être accueillie.

[23]  La SPR a également conclu que Mme Martinez Cabrales avait indûment retardé son départ d’Israël et qu’elle aurait dû demander l’asile au Canada avant octobre 2011 étant donné que sa persécution alléguée en Israël avait commencé dès son arrivée en 2007. La SPR a pensé que parce que sa mère a déménagé au Canada vers 2008, elle aurait dû partir plus tôt.

[24]  Enfin, la SPR a constaté que la demande d’asile de Mme Martinez Cabrales a d’abord été jointe à celle de son conjoint, mais ce dernier a retiré sa demande en 2015 avant qu’une décision définitive soit rendue. Sans analyser davantage la question, la SPR a résumé les arguments du ministre à l’audience de la SPR selon lesquels le retrait de la demande d’asile de son conjoint a considérablement miné ses allégations de crainte subjective : la demande d’asile de son conjoint était fondée sur les mêmes motifs que les siens, mais il est néanmoins retourné en Israël après avoir retiré sa demande.

C.  Absence de discrimination équivalant à de la persécution

[25]  La SPR a rejeté les affirmations de Mme Martinez Cabrales selon lesquelles elle et ses enfants étaient victimes d’une discrimination cumulative constituant de la persécution. La SPR a relevé plusieurs incidents distincts qui, évalués cumulativement, ne constituaient pas de la persécution :

  • - Des enfants arabes ont battu les deux plus jeunes enfants devant leur école. Ils n’ont pas porté plainte auprès des services de police.

  • - Des enfants jetaient des pierres sur leur maison. Ils n’ont pas porté plainte auprès des services de police.

  • - Le propriétaire pour qui Mme Martinez Cabrales et deux autres personnes travaillaient comme femme de ménage, a menacé d’arracher leurs ongles et de leur casser les doigts pour avoir volé de l’argent, et la police a ri lorsqu’ils ont tenté de le dénoncer. La SPR a constaté que la police a reçu leur signalement lorsque le propriétaire a menacé leur vie et que l’avocat consulté leur a dit de se présenter de nouveau à la police.

D.  Religion

[26]  La SPR a reconnu que Mme Martinez Cabrales a été baptisée enfant. La SPR a également relevé ses allégations selon lesquelles sa conversion au judaïsme en 2007 n’a eu lieu qu’à des fins d’immigration et qu’elle se considère, ainsi que ses enfants, comme catholique. La SPR a également reconnu, au moyen d’un certificat de baptême, que les enfants ont été baptisés au Canada le 24 août 2014.

[27]  La SPR a toutefois conclu que « les convictions religieuses de la demandeure d’asile ne sont pas profondément enracinées » et que Mme Martinez Cabrales en particulier « choisit la religion qui convient le mieux aux besoins des demandeurs d’asile à un moment donné ». La SPR a fait référence au fait que’ Mme Martinez Cabrales a tardé à faire baptiser ses enfants (rejetant son explication selon laquelle elle souhaitait que toute la famille soit réunie) ainsi qu’à sa volonté de se convertir au judaïsme afin d’immigrer en Israël.

[28]  La SPR a donc jugé « pas sincère de dire qu’elle ne pouvait pas pratiquer sa foi catholique en Israël » et a rejeté sa demande d’asile fondée sur la religion. La SPR a également indiqué que même si elle était une catholique pratiquante, Israël autorise la liberté religieuse.

E.  Opinion politique perçue

[29]  La SPR a rejeté l’allégation de Mme Martinez Cabrales selon laquelle elle craignait que ses enfants soient obligés de faire leur service militaire obligatoire. Elle a fait remarquer que « le service militaire est une loi d’application générale », que les demandeurs n’étaient pas à l’âge de la conscription et que, selon la prépondérance des probabilités, il existait un mécanisme objectif leur permettant de demander une exemption du service militaire en Israël.

F.  Terrorisme

[30]  La SPR a conclu que le risque de terrorisme était un risque généralisé et que ni Mme Martinez Cabrales ni ses enfants n’étaient visés.

G.  Protection offerte par l’État

[31]  La SPR a conclu que Mme Martinez Cabrales n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État en Israël. Dans la plupart des circonstances, elle n’a pas demandé la protection de l’État; la seule fois où elle l’a demandé, et où il a fallu attendre une deuxième menace pour que la police accepte le signalement, n’a pas suffi à réfuter la présomption de la protection de l’État. Enfin, la SPR a conclu que même si Israël n’était pas un pays sûr pour les demandeurs d’asile mineurs, ils pouvaient se prévaloir de la protection de l’État aux États‑Unis puisqu’ils étaient tous citoyens américains.

IV.  Questions en litige

  1. L’affidavit présenté à l’appui est-il admissible?

  2. La SPR a-t-elle enfreint les principes de justice fondamentale et naturelle en refusant de donner plus de six jours à l’avocate pour préparer des observations et des éléments de preuve après l’audience?

  3. La décision de la SPR était-elle raisonnable?

V.  Norme de contrôle

[32]  La norme de contrôle applicable aux allégations de manquement aux principes de justice fondamentale et naturelle est celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par. 43. La common law impose un devoir d’équité procédurale à toute autorité publique qui prend une décision administrative ayant une incidence sur les droits, privilèges ou intérêts d’une personne : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 28; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, par. 87 et 129. Dans ces circonstances, la Cour a le droit d’insister sur le fait que son point de vue est correct, car personne ne devrait voir ses droits, intérêts ou privilèges lésés par un processus injuste : Dunsmuir, précité, par. 124 et 129. Cette obligation consiste notamment à donner à la personne concernée l’occasion de présenter ses arguments de façon complète et équitable : Baker, précité, par. 28.

[33]  La norme de contrôle applicable en ce qui concerne l’examen des décisions de la SPR, y compris toute évaluation de la crédibilité, est celle de la décision raisonnable : Hafamo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 995, par. 6. Pour que la Cour puisse intervenir, elle doit être convaincue que, lorsqu’évaluée dans le contexte de l’ensemble du dossier, la décision de la SPR ne tient pas « à la justification [...], à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47.

VI.  Dispositions pertinentes

[34]  La partie 2 de la LIPR régit le régime canadien des réfugiés. Les articles 95 à 97 définissent qui est admissible à l’asile :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27)

Immigration and Refugee Protection Act (S.C. 2001, c. 27)

...

...

95 (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

95 (1) Refugee protection is conferred on a person when

a) sur constat qu’elle est, à la suite d’une demande de visa, un réfugié au sens de la Convention ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d’un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger;

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[35]  La SPR de la CISR est le décideur autorisé en ce qui concerne une demande d’asile :

107 (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

107 (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.

[36]  Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] exige que toutes les demandes soient complètes :

10 (1) Sous réserve des alinéas 28b) à d) et 139(1)b), toute demande au titre du présent règlement :

10 (1) Subject to paragraphs 28(b) to (d) and 139(1)(b), an application under these Regulations shall

c) comporte les renseignements et documents exigés par le présent règlement et est accompagnée des autres pièces justificatives exigées par la Loi;

(c) include all information and documents required by these Regulations, as well as any other evidence required by the Act;

(2) La demande comporte, sauf disposition contraire du présent règlement, les éléments suivants :

(2) The application shall, unless otherwise provided by these Regulations,

d) une déclaration attestant que les renseignements fournis sont exacts et complets.

(d) include a declaration that the information provided is complete and accurate.

[37]  Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [RSPR] énoncent le processus par lequel les avocats peuvent fournir des documents supplémentaires après une audience :

43 (1) La partie qui souhaite transmettre à la Section après l’audience, mais avant qu’une décision prenne effet, un document à admettre en preuve, lui présente une demande à cet effet.

43 (1) A party who wants to provide a document as evidence after a hearing but before a decision takes effect must make an application to the Division.

(2) La partie joint une copie du document à la demande, faite conformément à la règle 50, mais elle n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

(2) The party must attach a copy of the document to the application that must be made in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(3) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

 

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte aux procédures;

(b) any new evidence the document brings to the proceedings; and

c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34.

VII.  Analyse

A.  Question préliminaire : L’affidavit des demandeurs est-il admissible?

[38]  Mme Martinez Cabrales a fourni comme nouvelle preuve un affidavit de son ancienne avocate expliquant ce qui s’est passé pendant l’audience de la SPR. Toutefois, son avocat actuel n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de l’admission de cet affidavit en preuve. Le ministre a d’abord cherché à invalider l’affidavit de son ancienne avocate ou à en invalider le contenu; toutefois, le ministre a par la suite complètement omis cette question dans le mémoire supplémentaire des arguments du défendeur à l’égard du contrôle judiciaire [le mémoire des arguments supplémentaires du défendeur]. Aucune des parties n’a présenté d’autres observations sur cette question à l’audience.

[39]  Le ministre a confirmé à l’audience que le mémoire supplémentaire du défendeur remplace le premier mémoire des arguments du défendeur [le premier mémoire du défendeur]. Cette situation est conforme au paragraphe 9 de l’ordonnance du juge Diner datée du 19 juin 2019, qui autorise le demandeur à déposer une demande de contrôle judiciaire. Néanmoins, comme la question demeure « bien vivante » dans la réponse de Mme Martinez Cabrales, et comme elle n’a pas été abandonnée expressément à l’audience, je l’aborde ci‑dessous.

[40]  En général, une telle preuve n’est pas admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire, car les documents sont limités au dossier dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Association des universités et collèges], par. 19; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, par. 17. Lorsque les documents contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, qu’ils sont pertinents quant à une question d’équité procédurale ou de justice naturelle, ou qu’ils font ressortir une absence totale de preuve dont disposait le décideur, la Cour peut faire une exception : Association des universités et collèges, précité, par. 20. Étant donné que l’affidavit appuie les arguments d’équité procédurale et de justice naturelle et clarifie ce qui s’est passé à l’audience de la SPR, à mon avis, cette exception s’applique.

[41]  Toutefois, je suis d’accord avec le ministre, en ce qui concerne les observations applicables contenues dans le premier mémoire des arguments du défendeur, que l’affidavit de l’ancienne avocate contient des déclarations inadmissibles, y compris des renseignements dont elle n’avait pas une connaissance personnelle et des arguments juridiques. Un affidavit n’est pas le bon forum pour faire des conjectures, formuler des arguments juridiques ou tirer des conclusions de droit : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huntley, 2010 CF 1175, par. 268.

[42]  Cependant, je ne pense pas qu’il soit impossible de tirer quelque valeur de cet affidavit. La déclarante est en mesure de témoigner sur les raisons pour lesquelles elle cherche à s’opposer à la présentation d’observations de vive voix après l’audience de la SPR sans bénéficier des observations écrites postérieures à l’audience. À mon avis, ce point de vue aide la Cour à déterminer la première question de fond, à savoir s’il y a eu violation des principes de justice fondamentale et naturelle. J’estime donc qu’il convient d’admettre l’affidavit pour établir les faits suivants :

  • - L’avocate a cherché à fournir des observations écrites supplémentaires parce qu’elle croyait l’affaire complexe.

  • - L’avocate était également d’avis que les faits nouveaux concernant la citoyenneté israélienne étaient pertinents pour la décision de la SPR, et elle souhaitait compléter le dossier. Je constate toutefois que l’affidavit ne peut être interprété comme une preuve concluante établissant les faits nouveaux allégués.

[43]  Enfin, je constate que les pièces jointes avaient été présentées à la SPR et font partie du dossier certifié du tribunal ou DCT; par conséquent, la Cour pourrait examiner ces documents.

B.  La SPR a-t-elle enfreint les principes de justice fondamentale et naturelle en refusant de donner plus de six jours à l’avocate des demandeurs pour préparer des observations et des éléments de preuve après l’audience?

(1)  Observations de la demanderesse

[44]  Mme Martinez Cabrales soutient que sa situation et celle de ses enfants est complexe. Par conséquent, le fait que la SPR n’ait pas accordé un délai supplémentaire (au‑delà des six jours offerts lors de l’audience de la SPR du 13 novembre 2018) pour présenter des observations supplémentaires, combiné à son omission subséquente de considérer la Colombie comme un pays de référence, constituait un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité.

[45]  Leur avocat s’est fondé sur les faits invoqués dans l’affidavit de l’ancienne avocate. De plus, à l’audience devant la Cour, l’avocat des demandeurs a fait référence au formulaire d’examen initial de la SPR daté du 13 novembre 2012 dans le DCT qui indique, sous la rubrique « RENSEIGNEMENTS SUR LA CATÉGORIE ET LA MISE AU RÔLE » un X dans la case à côté de « Complexe – spécifiez la durée de l’audience : ». Je constate la mention d’un [traduction« CASIER JUDICIAIRE LIÉ À LA DROGUE AUX ÉTATS-UNIS » dans la section Commentaires sous « RENSEIGNEMENTS SUR LA CATÉGORIE ET LA MISE AU RÔLE ». D’après le DCT, cette mention concernait le conjoint de Mme Martinez Cabrales, Julio Ernesto Perez Lopez, qui a ensuite retiré sa demande d’asile en 2015. On ne sait pas dans quelle mesure la mention de la criminalité a eu une incidence sur le fait que la SPR a indiqué au départ qu’il s’agissait d’une affaire « complexe ». De plus, la transcription de l’audience de la SPR révèle que la question de la « complexité » sur laquelle l’ancienne avocate des demandeurs et le commissaire de la SPR ne s’entendaient pas reposait sur la révocation possible de la citoyenneté israélienne.

[46]  Dans ses observations présentées de vive voix, l’avocat de Mme Martinez Cabrales a fait référence aux facteurs non exhaustifs pertinents permettant d’examiner le contenu variable de l’obligation d’équité procédurale élucidée par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’arrêt Baker, notamment : (i) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (ii) la nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme; (iii) l’importance de la décision pour les personnes visées; (iv) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (v) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], par. 23 à 27. Comme l’a fait remarquer l’avocat de Mme Martinez Cabrales, la CSC a déclaré au sujet du point (ii) que « des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige » : Baker, précité, par. 24. L’avocat a soutenu que la décision de la SPR est déterminante en l’espèce, car les demandeurs n’ont pas accès à la Section d’appel des réfugiés (SAR) et il n’y a pas d’autres recours avant le renvoi. L’avocat a également demandé à la Cour de tenir compte de l’importance de la décision en termes de persécution et de préjudice grave pour les demandeurs, de la perte possible de leur statut en Israël et du fait que la SPR n’a pas tenu compte de leur demande d’asile relativement à la Colombie. En ce qui concerne le choix de la procédure par l’organisme et la possibilité d’autoriser d’autres observations écrites, l’avocat a soutenu que ces décisions doivent être prises de façon équitable.

[47]  L’avocat des demandeurs a également soutenu que le refus de la SPR de donner plus de temps à l’avocate des demandeurs pour présenter des observations écrites était semblable à celui dans l’affaire Davis, où le juge Heneghan a conclu que la Section d’appel de l’immigration [la SAI] avait refusé à tort d’ajourner l’appel de M. Davis (concernant une mesure de renvoi pour grande criminalité) : Davis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1219 [Davis].

(2)  Observations du défendeur

[48]  Le ministre a soutenu que [traduction« la SPR n’avait pas l’obligation d’accorder aux demandeurs un délai indéterminé après l’audience afin que leur avocate puisse effectuer des recherches supplémentaires et présenter des observations écrites ». Comme Mme Martinez Cabrales a indiqué sa citoyenneté possiblement précaire en Israël dans ses propres actes de procédure, elle était consciente de la question et avait eu suffisamment de temps pour s’y préparer. Le ministre a également fait remarquer à l’audience que même si le commissaire de la SPR a le pouvoir discrétionnaire d’autoriser des observations orales ou écrites, l’avocate de Mme Martinez Cabrales n’a pas informé à l’avance le commissaire de la SPR sur la question de la présentation des observations par écrit : Pion Tarazona Silvana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 605, par. 16. Étant donné que les observations orales font partie du cours normal des choses, le ministre a fait valoir qu’il faut plus que l’expression d’une préférence à présenter des observations par écrit pour permettre de telles observations. Le ministre mentionne néanmoins l’offre qu’a faite la SPR d’accorder une période supplémentaire de six jours pour présenter des observations écrites, que l’avocate a choisi de ne pas utiliser, de même que les Règles de la SPR, qui prévoient un processus d’admission de la preuve documentaire après l’audience, dont l’avocate de Mme Martinez Cabrales ne s’est pas prévalue, sans non plus expliquer pourquoi ce processus ne constituait pas une option.

(3)  Analyse

[49]  Je conviens avec le ministre que la SPR n’avait pas l’obligation d’accorder à Mme Martinez Cabrales ni à ses enfants une période, même indéterminée, après l’audience pour présenter des observations supplémentaires : Farkas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 542, par. 12. L’article 10 du RIPR indique clairement qu’il incombait à Mme Martinez Cabrales de présenter tous les éléments de preuve et tous les renseignements qu’elle croyait pertinents pour leur demande d’asile. Étant donné que le statut précaire perçu de Mme Martinez Cabrales était l’un des motifs de sa demande, elle était consciente de la nécessité de réfuter sa citoyenneté et celle de ses enfants et d’invoquer l’absence de protection de l’État en Israël.

[50]  Même en appliquant la norme plus stricte de la décision correcte, il est erroné de supposer que les demandeurs ont une occasion illimitée de présenter des observations sur des questions qui pouvaient clairement être soulevées. De plus, le commissaire de la SPR a offert à l’avocate de Mme Martinez Cabrales une période de six jours après l’audience pour présenter des observations écrites; la seule justification fournie par leur ancienne avocate dans son affidavit pour justifier le besoin d’une période plus longue était [traduction« de mener des recherches pour établir des liens ». En outre, l’avocate n’a rien présenté à la SPR dans les jours et les semaines suivant l’audience jusqu’à la décision contestée rendue en janvier 2019.

[51]  La décision dans Davis, précité, se distingue parce que, en plus d’ajourner l’appel, la SAI a clos l’appel et annulé le sursis de la mesure de renvoi en vigueur. En l’espèce, la SPR a tenu une audience, examiné le bien‑fondé des demandes d’asile de Mme Martinez Cabrales et de ses enfants et offert à l’avocate la possibilité de présenter des observations écrites dans un délai déterminé, une offre qui n’a pas été retenue. De plus, Mme Martinez Cabrales n’a même pas tenté de demander à la SPR l’autorisation de fournir d’autres preuves documentaires après l’audience, mais avant qu’une décision ne prenne effet, comme elle était autorisée à le faire en vertu du paragraphe 43(1) des RSPR.

[52]  Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincue que la SPR a manqué à l’équité procédurale et à la justice naturelle. La réponse à la question est négative.

[53]  Je suis en outre en désaccord avec l’argument de Mme Martinez Cabrales selon lequel le refus de la SPR d’accorder un délai illimité pour la présentation d’observations a conduit la SPR à rejeter à tort la Colombie comme pays de référence, au point de violer les principes de la justice fondamentale et naturelle. La Cour a déjà statué que dans le cas des personnes ayant la double nationalité, la SPR peut à juste titre refuser d’analyser un pays de référence secondaire lorsqu’elle ne constate aucun risque dans le premier de ces pays : Harris c Canada (MCI), 1997 CanLII 5567.

[54]  L’avocat de Mme Martinez Cabrales affirme qu’Israël dispose d’un processus pour retirer la citoyenneté obtenue par de fausses déclarations et que, sur cette base, il était déraisonnable pour la SPR de ne pas évaluer la Colombie. La SPR a toutefois conclu de façon raisonnable que, malgré les affirmations de Mme Martinez Cabrales selon lesquelles leur statut juridique était précaire en raison de sa fausse conversion, la preuve appuie la conclusion de la SPR selon laquelle la conversion était véritable. En outre, au moment de l’audience, il n’y avait aucune mesure d’État en cours visant à retirer ce statut. La preuve documentaire a démontré qu’après trois ans, ce processus nécessitait un arbitrage officiel et ne pouvait pas être entrepris à la seule discrétion du ministre. La SPR a conclu de façon raisonnable qu’étant donné qu’aucune procédure officielle n’était en cours et que le conjoint de Mme Martinez Cabrales avait par la suite obtenu le renouvellement de son passeport israélien, Mme Martinez Cabrales (et, par extension, ses enfants) ne risquait pas de se voir retirer sa citoyenneté.

[55]  Lors de l’audience devant la SPR, l’ancienne avocate de Mme Martinez Cabrales a soutenu que même si Israël n’avait pas auparavant connaissance de cette fausse déclaration, il en deviendrait informé parce que les membres de la famille devraient fournir leur Formulaire de renseignements personnels [FRP] aux autorités israéliennes afin d’obtenir les autorisations de voyage. Cet argument n’a toutefois pas été avancé à l’audience, et Mme Martinez Cabrales n’a fourni aucune preuve démontrant que les autorités israéliennes leur avaient demandé de soumettre leur FRP ou de leur divulguer pourquoi ils avaient demandé le statut de réfugié au Canada. Compte tenu de ce qui précède et de la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Martinez Cabrales et ses enfants avaient effectivement suivi le processus de conversion nécessaire pour obtenir leur statut (même si, au fond de leur cœur, ils ne se sont peut‑être jamais convertis), la conclusion de la SPR selon laquelle leur statut juridique ne risquait pas d’être révoqué était également raisonnable.

[56]  Par souci de clarté, je n’entends pas par là que pour que la Cour puisse conclure que la SPR a exclu par erreur un pays de référence, le demandeur doit d’abord démontrer que la procédure de révocation de sa citoyenneté dans le pays de référence choisi par la SPR est en cours. Une telle approche irait à l’encontre du rôle de la SPR qui consiste à évaluer les risques à la fois rétrospectifs et prospectifs. Cette affaire repose plutôt sur la conclusion de fait de la SPR selon laquelle Mme Martinez Cabrales a mené à bien le processus de conversion avant d’obtenir sa citoyenneté israélienne. Par conséquent, il n’y avait aucune raison pour la SPR de croire d’emblée que les autorités israéliennes allaient lui retirer son statut. Si la SPR était convaincue que Mme Martinez Cabrales ne s’était pas convertie et avait plutôt obtenu sa citoyenneté israélienne par fraude, il aurait été erroné d’écarter la Colombie comme pays de référence parce qu’Israël aurait des raisons de lui retirer son statut à l’avenir. Toutefois, ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

[57]  Mme Martinez Cabrales n’a jamais présenté de preuve démontrant qu’Israël pouvait révoquer son statut simplement parce qu’elle n’avait pas adopté subjectivement une identité juive avant ou après le processus de conversion. Je crois comprendre que c’est peut‑être ce que son ancienne avocate souhaitait approfondir. Toutefois, je suis d’accord avec la conclusion de la SPR selon laquelle les renseignements qui préoccupent Mme Martinez Cabrales pourraient raisonnablement être considérés comme une preuve des conditions dans le pays, renseignements que Mme Martinez Cabrales aurait dû fournir avant le début de l’audience devant la SPR. Ainsi, à mon avis, la SPR a correctement évalué le risque en Israël en se basant sur le dossier dont elle était saisie et, par conséquent, en écartant la Colombie comme pays de référence.

C.  La décision de la SPR était-elle raisonnable?

(1)  Observations des demandeurs

[58]  Mme Martinez Cabrales affirme que la SPR a formulé plusieurs conclusions erronées et défavorables au sujet de la crédibilité, ce qui a entaché sa crédibilité globale et rendu l’ensemble de la décision déraisonnable : [traduction« si certaines pierres sont faibles, toute la tour s’effondre ».

[59]  Mme Martinez Cabrales soutient d’abord que la SPR a tiré des conclusions défavorables à partir des éléments suivants :

  • - Son défaut de demander l’asile aux États‑Unis en 1999. Elle prétend que cela n’était pas pertinent étant donné que la Colombie n’était pas un pays de référence.

  • - Son défaut de demander l’asile aux États‑Unis en 2011. Elle affirme que [traduction« la SPR a négligé la preuve des demandeurs selon laquelle les papiers de la famille ont été volés à l’aéroport de New York lorsqu’ils se rendaient de cette ville en Floride, ce qui les a empêchés de demander l’asile dans l’année suivant leur arrivée aux États‑Unis en 1999 ». Mme Martinez Cabrales affirme que, tout en expliquant qu’elle a demandé l’avis de l’avocat de son conjoint et qu’on l’a avisée que sa demande ne serait pas accueillie, elle a suffisamment expliqué la situation pour réfuter une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

  • - Le fait qu’elle n’ait pas mentionné dans son FRP la cérémonie du mariage juif dans le cadre du processus de conversion, mais qu’elle en ait fait part lors de son témoignage. Elle affirme qu’il s’agissait d’un cas de [traduction« troubles de mémoire » et qu’elle n’avait aucune raison de mentir au sujet de la cérémonie de mariage.

  • - Son défaut de fournir une copie de son certificat de mariage juif. Elle soutient que son explication sur le fait de ne pas avoir fourni de traduction au tarif de l’aide juridique était suffisante et que, en tout état de cause, elle n’était pas pertinente pour sa demande.

  • - Ses explications incohérentes sur (a) les documents qu’elle a utilisés pour se rendre de la Colombie en Israël; et (b) la nécessité de suivre les cours dans le cadre du processus de conversion en Israël (que la SPR a également perçu comme une exagération). Elle soutient que la première information n’est pas pertinente et que la seconde n’est pas contradictoire et qu’elle ne peut donc pas raisonnablement étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

  • - Son choix de produire des éléments de preuve qui ne sont pas directement liés à sa demande d’asile, à savoir les articles montrant les autorisations de voyage délivrées à des personnes sous de faux prétextes de conversion en Argentine et au Venezuela. L’avocat affirme que la SPR a mal interprété la preuve et que les articles étaient pertinents, car ils ont démontré que le même Sheliach faisait l’objet d’une enquête.

[60]  Enfin, Mme Martinez Cabrales a ajouté que la décision de la SPR, lorsque celle‑ci a évalué sa crainte subjective, manquait de transparence et de justification. À l’audience, son avocat a renvoyé à l’affaire Raveendran, où le juge Beaudry a conclu que le prédécesseur de la SPR avait écarté de façon déraisonnable l’explication raisonnable de la demanderesse pour ne pas avoir demandé l’asile aux États‑Unis : Raveendran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 49, par. 58 et 59. Il a rappelé à la Cour que, en l’espèce, Mme Martinez Cabrales n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis, d’abord parce qu’elle n’avait pas les documents requis en raison d’un vol qualifié et ensuite parce que l’ancien avocat de son conjoint leur avait dit qu’ils se verraient refuser l’asile en raison des politiques américaines concernant les immigrants latino‑américains. L’avocat a également affirmé que la crainte du conjoint de Mme Martinez Cabrales ne reflétait pas la crainte subjective de cette dernière, même s’ils avaient déjà présenté une demande conjointe.

(2)  Observations du défendeur

[61]  Le ministre soutient que les déclarations de la SPR concernant le fait que Mme Martinez Cabrales n’a pas demandé l’asile à l’égard de la Colombie plus tôt étaient un aperçu d’un [traduction« type de comportement incompatible avec une crainte de persécution fondée » et qu’elles étaient non déterminantes de l’issue. Lorsque la SPR a tiré des conclusions fermes, y compris en ce qui a trait au temps que Mme Martinez Cabrales a mis à présenter sa demande d’asile au Canada et à la présentation des preuves nécessaires, elle l’a fait de façon raisonnable : Musthafa Samseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542, par. 20 à 23; Romero Davila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1116, par. 31.

[62]  Le ministre soutient que pour examiner la décision de la SPR, la Cour doit la considérer comme un tout. Dans son analyse, la cour de révision n’a pas à déterminer si chaque point du raisonnement satisfait au critère du caractère raisonnable : Ogiriki c MCI, 2006 CF 342, par. 13 et 14.

(3)  Analyse

[63]  Je constate d’entrée de jeu que, en matière de contrôle judiciaire, l’analyse de la Cour n’a pas besoin d’être « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout » : Yan c Citoyenneté et Immigration, 2017 CF 146 [Yan], par. 19, citant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. Je souligne également la déférence dont la Cour doit faire preuve à l’égard de la SPR sur les questions de crédibilité, étant donné qu’elle a l’avantage d’une audience en personne : Yan, précité, par. 18 :

[18] Premièrement, la SPR dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour préférer certains éléments de preuve à d’autres et déterminer l’importance à accorder à ceux qu’elle accepte : Medarovik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 61 (CanLII), au paragraphe 16, juge Tremblay-Lamer; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867 (CanLII), au paragraphe 68, juge Blais. Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les conclusions de fait et les décisions quant à la crédibilité relèvent de l’expertise de la SPR : Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238 (CAF). Troisièmement, la SPR est reconnue comme ayant une expertise dans l’évaluation des demandes d’asile et est autorisée par voie législative à faire usage de sa connaissance spécialisée : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 805 (CanLII), au paragraphe 10, juge O’Reilly; voir Siad c. Canada (Secrétaire d’État), 1996 CanLII 4099 (CAF), [1997] 1 CF 608, au paragraphe 24 (CAF), où la Cour d’appel fédérale a dit que la SPR « [...] se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d’un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent “l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits”, doivent recevoir une déférence considérable à l’occasion d’un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve ». De plus, il est bien établi que la SPR peut tirer des conclusions relatives à la crédibilité en tenant compte des invraisemblances, du bon sens et de la raison, bien qu’elle doive éviter de faire des inférences négatives quant à la crédibilité « par suite d’un examen à la loupe de questions secondaires ou non pertinentes à une affaire » : Haramicheal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1197 (CanLII), au paragraphe 15, juge Tremblay-Lamer, citant Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 (CanLII), aux paragraphes 10 et 11, juge Martineau [Lubana]; Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444 (CAF). Quatrièmement, la SPR peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci « ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l’affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve » : Lubana, précité, au paragraphe 10. Cinquièmement, la SPR peut à bon droit conclure qu’un demandeur n’est pas crédible « à cause d’invraisemblances contenues dans la preuve qu’il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés “en termes clairs et explicites” » : Lubana, précité, au paragraphe 9.

[64]  Je conviens qu’il était déraisonnable pour la SPR de tirer des conclusions défavorables à certains égards, notamment :

  • - Lorsqu’elle a renvoyé au fait que Mme Martinez Cabrales n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis entre 1999 et 2007. Il était déraisonnable pour la SPR de se concentrer sur cette question étant donné qu’elle rejetait la Colombie comme pays de référence.

  • - Lorsqu’elle a renvoyé au fait que Mme Martinez Cabrales n’a pas demandé l’asile au Canada à l’égard d’Israël avant octobre 2011. Étant donné que ses motifs sont en grande partie axés sur la persécution cumulative, il était déraisonnable pour la SPR de spéculer sur le moment où Mme Martinez Cabrales croyait subjectivement que ce seuil avait été atteint, peu importe le moment où sa mère s’est installée au Canada.

  • - L’accent qu’a mis la SPR sur les incohérences entre les déclarations écrites et orales concernant le passeport qu’elle a utilisé lorsqu’elle a voyagé de la Colombie en Israël. Le ministre a soutenu que ces éléments étaient pertinents, car ils ont aidé la SPR à comprendre son statut juridique en Israël. Je ne souscris pas à cette prétention et j’estime raisonnable que Mme Martinez Cabrales ait pu confondre la différence entre « passeport » et « autorisation de voyage temporaire ».

  • - Le fait que Mme Martinez Cabrales n’a pas fourni une copie traduite de son certificat de mariage juif. Son explication pour la version traduite est raisonnable étant donné qu’elle était limitée au tarif de l’aide juridique lorsqu’elle a demandé une traduction; une copie non traduite aurait toutefois pu être présentée, mais ne l’a pas été.

[65]  Je conclus toutefois que sur certains points importants, l’évaluation de la crédibilité faite par la SPR était raisonnable. Tout d’abord, je partage les préoccupations de la SPR au sujet de la possibilité d’une recherche d’un tribunal favorable, étant donné que Mme Martinez Cabrales et ses enfants n’ont pas présenté de demande à leur arrivée au Canada, en octobre 2011. Je n’accepte pas l’explication de Mme Martinez Cabrales selon laquelle elle attendait que son époux ait rendu visite à sa famille, étant donné qu’aucun d’eux ne détenait de visa de visiteur aux États‑Unis et que rien n’empêchait leur renvoi en Israël : Saleem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1412, par. 32; Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223, par. 1. Cela va à l’encontre de sa crainte subjective.

[66]  Deuxièmement, je conviens que la SPR pourrait tirer une conclusion défavorable des fausses déclarations de Mme Martinez Cabrales aux agents de l’ASFC au point d’entrée en 2012 au sujet de leur statut juridique en Israël, car elles étaient directement liées à l’existence de la protection d’État. Je constate que l’avocat de Mme Martinez Cabrales a reconnu ce point. Cela va à l’encontre de sa crainte subjective.

[67]  Troisièmement, je souscris à la conclusion défavorable de la SPR sur le fait qu’elle n’a pas mentionné dans son FRP le lieu de la cérémonie du mariage juif, ni l’obligation de suivre un ou plusieurs cours pour le deuxième processus de conversion. Je souscris à son argument selon lequel il s’agissait d’un cas de [traduction« trouble de mémoire » et qu’elle n’avait aucune raison de mentir sur la cérémonie du mariage. J’accepte également son explication selon laquelle elle a omis l’information au sujet de la deuxième conversion parce que son ancienne avocate ne voulait que les faits essentiels. Toutefois, la SPR a conclu qu’elle avait fourni ces renseignements pour expliquer plus en détail ses liens avec le Sheliach accusé et pour jeter le doute sur l’acceptation par les autorités israéliennes de sa conversion, deux éléments qui ont par la suite constitué le fondement de son argument contre le fait qu’Israël offre une solution de rechange sûre. Étant donné que sa citoyenneté israélienne était au cœur de l’évaluation de la SPR sur la protection offerte par l’État et le choix d’un pays de référence, la SPR pouvait raisonnablement conclure que Mme Martinez Cabrales cherchait à exagérer sa demande à l’égard d’Israël afin que sa demande à l’égard de la Colombie sur ce fondement ne soit pas rejetée. Cela va à l’encontre de sa crainte subjective et objective.

[68]  Quatrièmement, je souscris à la conclusion défavorable que la SPR a tirée quant aux articles de presse. Ces articles expliquaient que le Sheliach faisait l’objet d’une enquête pour avoir délivré des autorisations de voyage à des personnes sous de faux prétextes de conversion en Argentine et au Venezuela. L’avocat de Mme Martinez Cabrales affirme que la SPR a mal compris ou mal interprété la preuve en ce qu’elle aurait pu s’appliquer à d’autres parties de l’Amérique du Sud. Toutefois, il était raisonnable pour la SPR de conclure que les articles n’étayaient pas ses allégations concernant le statut précaire d’Israélienne et, par conséquent, ne permettaient pas de conclure que la protection de l’État n’était pas objectivement assurée. Selon la SPR, les articles indiquaient que seules les personnes qui ne s’étaient pas converties, mais à qui on avait quand même délivré une autorisation de voyage, étaient soupçonnées et, compte tenu du témoignage de Mme Martinez Cabrales concernant son processus de conversion, il n’y avait aucune raison de croire qu’elle ou ses enfants faisaient partie de cette catégorie puisqu’ils avaient effectivement complété le processus de conversion. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable que la SPR pouvait tirer vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait.

[69]  Les évaluations de crédibilité ne consistent pas à cocher une liste de vérification. Bien que la SPR ait formulé plusieurs conclusions erronées sur certains points, je ne crois pas, après avoir examiné l’ensemble de ses motifs, que ces erreurs aient été suffisantes pour fausser l’ensemble de l’évaluation au sujet de la crédibilité. La SPR a conclu de façon raisonnable que Mme Martinez Cabrales et ses enfants avaient un statut juridique en Israël. De plus, Mme Martinez Cabrales ne conteste pas la conclusion de la SPR selon laquelle, d’après les éléments de preuve dont elle dispose, la discrimination dont Mme Martinez Cabrales et ses enfants ont été victimes en Israël ne constitue pas de la persécution, de la torture, une menace à leur vie ou un risque de peines cruelles et inusitées, à l’exception peut‑être du service militaire obligatoire. En l’espèce, la SPR a conclu que les lois étaient d’application générale, a souligné que les demandeurs d’asile mineurs n’avaient pas encore l’âge de la conscription et a reconnu leur double citoyenneté aux États‑Unis. Dans l’ensemble, j’estime que les conclusions de la SPR étaient raisonnables.

[70]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la conclusion finale de la SPR appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16. La SPR a conclu de façon raisonnable que les éléments de preuve n’étayaient pas la crainte subjective ni objective de Mme Martinez Cabrales et de ses enfants à l’égard d’Israël, et qu’il était inutile de considérer la Colombie comme un pays de référence.

VIII.  Conclusion

[71]  La demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. La SPR a donné à Mme Martinez Cabrales, une personne ayant une double nationalité, une possibilité pleine et équitable de présenter ses arguments en faveur du statut de réfugié. Le refus de la SPR d’évaluer un pays de référence secondaire était raisonnable puisqu’elle a conclu que la protection de l’État existait dans le premier. Bien qu’elle ait tiré des conclusions erronées en matière de crédibilité, celles‑ci n’ont pas porté de coup fatal à l’évaluation du bien‑fondé des demandes d’asile de Mme Martinez Cabrales.

[72]  L’avocat de Mme Martinez Cabrales a demandé des dépens afférents à cette requête. Sachant que ce type de procédure n’entraîne habituellement pas d’adjudication de dépens en l’absence de raisons spéciales, je conclus que la présente instance ne justifie pas une telle ordonnance : Règles de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, art. 22.

[73]  Les avocats ont eu l’occasion de proposer une question aux fins de certification. Aucune ne fut proposée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑620‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour d’octobre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑620‑19

 

INTITULÉ :

PATRICIA MARCIA MARTINEZ CABRALES et JOSEPH PEREZ, BRANDON PEREZ, DYLAN PEREZ, représentés par leur tutrice à l’instance, PATRICIA MARCIA MARTINEZ CABRALES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 septembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Jack Martin

Pour les demandeurs

 

Alexis Singer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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