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Date : 19980824


Dossier : IMM-3172-97

Entre :

     KIARED, MOHAMED,


Partie requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

     L"IMMIGRATION DU CANADA,


Partie intimée.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, excluant le requérant de la définition de réfugié en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention.

[2]      Le requérant, un citoyen d"Algérie, a occupé un poste d"inspecteur au sein de la police algérienne de 1986 à 1993.

[3]      En octobre 1993, le requérant se réfugie au Canada où il revendique le statut de réfugié. Le 12 juillet 1994, la section du statut concluait à son exclusion de la définition de réfugié au sens de la Convention selon l'alinéa 1Fa), le soupçonnant d'avoir commis des crimes contre l'humanité. Le requérant a déposé une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision. L'intimé a consenti à cette demande. Une deuxième audience devant la section du statut fut donc tenue. Celle-ci visait l'ensemble de la famille, l'épouse du requérant et ses enfants ayant immigré au Canada en novembre 1994.

[4]      Le tribunal accorda le statut de réfugié à son épouse et à ses enfants mais décida d'exclure le requérant en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention puisqu'il y avait des raisons sérieuses de penser qu'il avait commis des crimes contre l'humanité, en l'occurrence la torture de civils et la non-assistance à ces derniers. Le tribunal n"a pas cru son témoignage. Celui-ci était " hésitant, ambigu avec des réponses vagues "1. Il contenait de nombreuses contradictions et invraisemblances de sorte que le tribunal a conclu qu"il avait participé personnellement et consciemment aux crimes reprochés :

         Le tribunal ne croit pas que le revendicateur n'a jamais participé à la torture mais, même si cela était, il reste que c'est à la base de ses interrogatoires que le détenu était transféré vers les autres instances. En effet, les dossier passaient dans les mains d'inspecteurs qui devaient savoir s'il y avait des données sur l'individu. "... >                 
         Tout au long du témoignage, le revendicateur a prouvé qu'il avait la connaissance de tout ce qui se passait dans les casernes mais aussi dans les commissariats. Même s'il a prétendu qu'il ne faisait pas partie des brigades spéciales, il reste qu'il était à l'appel pour les soutenir. La prétention qu'il restait au commissariat la nuit et qu'il était toujours de nuit ne le met pas à l'abri de l'intervention. Il a d'ailleurs un dossard qu'il devait porter pour fin d'identification lors des patrouilles. De plus, la police et les brigades travaillent ensemble et c'est la police qui donnait les renseignements2.                 

[5]      Le tribunal rejeta la prétention du requérant qu"il ne partageait pas l"intention commune :

         La prétention que le revendicateur n'avait pas l'intention commune de faire le mal n'est pas crédible. La prétention qu'il n'a pas voulu faire comme par exemple la surveillance des mosquées n'est pas crédible, il y a eu beaucoup de contradictions. S'il n'avait pas obéi aux ordres, il aurait été dégradé ou emprisonné. La prétention qu'il aurait dénoncé ses confrères n'est pas crédible non plus puisqu'il a eu des problèmes à situer la délation dans le temps. Tantôt cela aurait été en septembre, tantôt en octobre, tantôt en novembre 1990. En plus de ces contradictions, il ressort que pendant cette période au cours de laquelle le revendicateur prétend avoir dénoncé par des écrits et/ou par des témoignages, il n'était pas en Algérie. En effet, d'après son FRP, il aurait été à Marseille en France et en Italie d'octobre 1988 à octobre 1990. Bien que le revendicateur ait toujours prétendu n'avoir jamais participé, qu'il remettait les dossiers aux autres interrogateurs au cours du témoignage, il a reconnu que les inspecteurs persécutaient les civils3.                 

[6]      Le requérant a continué d'oeuvrer dans la police malgré les abus. Il prétend qu'il aurait penser à quitter à deux reprises. Le tribunal a rejeté sa preuve concluant qu'il était demeuré volontairement dans la police :

         Le revendicateur aurait pu quitter la police. Il aurait même songé à deux reprises ; toutefois, confronté, il n'a pas pu situer la date d'une part et d'autre part le motif invoqué pour ne pas avoir continué ses démarches n'est pas crédible. En effet, le prétendu commissaire qui l'aurait déconseillé voir même presque puni d'avoir voulu démissionner aurait lui-même démissionné parce que proche du FIS4.                 

[7]      Le procureur du requérant soulève d"abord qu"il y a apparence de partialité du fait que le tribunal lors de la deuxième audience en arrive à la même conclusion que le premier tribunal. Je ne suis pas de cet avis. Dans sa décision, le tribunal a longuement analysé la preuve qu"il a entendu pendant plusieurs jours d"audition pour conclure du fait de la non-crédibilité du requérant que celui-ci était conscient des différents crimes qu"il avait des raisons sérieuses de penser qu"il a participé et qu"il adhérait au but commun du corps policier. Après avoir lu attentivement la transcription, rien ne laisse entrevoir que le tribunal a basé sa décision sur celle du premier tribunal. Au contraire la transcription révèle qu"il a pris grand soin d"éviter au requérant les écueils qui avait conduit le premier tribunal à conclure à l"absence de crédibilité et ce, en essayant constamment de clarifier son témoignage.

[8]      Quant à l"application de l"exclusion en vertu de l"alinéa 1Fa) de la Convention les principes de droit ont été élaborés par la Cour fédérale d'appel dans Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)5, Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)6 et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)7.

[9]      Ces principes peuvent se résument comme suit :

     a)      La norme de preuve que le ministre doit faire pour démontrer que la Convention ne s'applique pas à une personne est une norme moindre que la prépondérance des probabilités. Le libellé de la clause d'exclusion exige seulement qu'il y ait des " raisons sérieuses de penser " que la personne ait commis un crime contre l'humanité. Il n'est donc pas nécessaire que la personne ait été trouvée coupable ni qu'elle ait été accusée de ce crime.         
     b)      La clause d'exclusion vise non seulement les auteurs des crimes mais les complices aussi, dans la mesure où ils démontrent avoir le degré de participation requis.         
     c)      Le complice d'une infraction doit avoir participé personnellement et consciemment à la perpétration ou la commission du crime. La complicité repose essentiellement sur une intention commune c"est-à-dire la connaissance des actes commis et la non-intervention.         
     d)      La simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas pour exclure une personne.         
     e)      Par contre, lorsque l'organisation vise principalement des " fins limitées et brutales ", comme par exemple la police secrète, ses membres peuvent être considérés comme y participant personnellement et sciemment du fait de leur adhésion au groupe ;         
     f)      La simple présence d'une personne sur les lieux d'une infraction en tant que spectatrice par exemple, sans lien avec le groupe persécuteur, ne fait pas d'elle une complice.         
     g)      La participation personnelle et consciente peut être inférée du rang occupé par la personne.         

[10]      À mon avis, la décision du tribunal doit être maintenue. Il a correctement appliqué les principes de droit et sa conclusion relative à la crédibilité du requérant n"est pas déraisonnable.

[11]      Contrairement aux prétentions du requérant, Il n"est pas arrivé à cette conclusion du seul fait de l"appartenance du requérant à la police. Le tribunal a jugé que le requérant avait été un participant personnel et conscient étant donné sa connaissance des actes commis et sa non-intervention. D"ailleurs comme le note la juge Reed dans Penate c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)8 :

         Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s"il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l"appuie activement. On voit là une intention commune.                 

[12]      Il n"y a donc aucune raison pour cette Cour d"intervenir. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 24 août 1998.

__________________

1      Décision du tribunal à la p. 7.

2      Ibid . aux pp. 9-10.

3      Ibid . à la p. 10.

4      Ibid . à la p. 10.

5      "1992 > 2 C.F. 306 (C.A.).

6      "1994 > 1 C.F. 298 (C.A.).

7      "1994 > 1 C.F. 433 (C.A.).

8      "1994 > 2 C.F. 79 (1re inst.).

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