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Date : 20060410

Dossier : IMM-353-05

Référence : 2006 CF 407

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

GERARDO MARTIN ROSALES RINCON

CATALINA RODRIGUEZ PATINO

ERLIS BEATRIZ DELGADO OCANDO

GERLY JOANNY ROSALES DELGADO

WANDA SOFIA ROSALES DELGADO

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 27 décembre 2004 par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les personnes suivantes n’étaient pas des réfugiés ou des personnes à protéger :

 

  • Gerardo Martin Rosales Rincon (le demandeur);
  • Catalina del Carmen Rodriguez Patino;
  • Erlis Beatriz Delgado Ocando (la demanderesse principale);
  • Gerly Joanny Rosales Delgado;
  • Wanda Sofia Rosales Delgado.

 

[2]               À l’exception de Catalina del Carmen Rodriguez Patino, toutes les personnes susmentionnées ont demandé le contrôle judiciaire de la décision en question et elles seront appelées collectivement les « demandeurs ».

 

Contexte

[3]               Les demandeurs sont citoyens vénézuéliens. La demanderesse principale et Catalina Patino ont fondé leurs demandes d’asile sur la crainte d’être persécutées du fait de leurs opinions politiques. Les deux demanderesses auraient été victimes de persécution à cause de leur opposition politique au président vénézuélien Hugo Chavez et à son parti politique. Les autres demandeurs ont fondé leur demande sur la crainte d’être persécutés de fait de leur appartenance à un groupe social : la famille. Le demandeur est le mari de la demanderesse principale, et Gerly et Wanda Delgado sont les filles de cette dernière.

 

[4]               D’après son formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse principale est devenue membre active, le 19 mai 2001, d’un parti politique appelé l’Union pour le progrès, (l’UPP) dans l’État de Zulia, et elle a pris part à des activités d’opposition au gouvernement. Elle s’est jointe aussi au Conseil de coordination démocratique, à Maracaïbo. Ces deux groupes politiques s’opposaient au gouvernement du président Chavez.

 

[5]               En tant qu’employée de l’Institut national de coopération éducative (INCE) depuis 1992, la demanderesse principale a gravi les échelons jusqu’au poste de gestionnaire de la planification et des budgets, mais elle a commencé à craindre pour sa sécurité lorsque des membres des cercles bolivariens sont devenus actifs au sein de l’INCE. À partir de mars 2002, elle a reçu à son domicile des appels téléphoniques menaçants et anonymes et, en août 2002, des messages au téléphone résidentiel de ses parents. La demanderesse croit que les auteurs de ces appels étaient membres des cercles bolivariens.

 

[6]               Le 14 juillet 2003, la demanderesse principale et Catalina Patino ont été harcelées et menacées de mort par des membres déclarés des cercles bolivariens. À cause de cela et d’autres incidents analogues, la demanderesse principale a donné sa démission le 18 juillet 2003. Le 22 juillet suivant, la demanderesse principale et Catalina Patino ont été enlevées par des membres des cercles bolivariens et détenues pendant deux heures, et des armes ont été pointées sur elles.

 

[7]               D’après son FRP, la demanderesse principale s’est adressée plusieurs fois à la police. Cette dernière a promis de faire enquête sur les menaces, mais les demandes n’ont mené à rien.

 

[8]               Les demandeurs ont quitté le Venezuela par avion le 9 septembre 2003 et ils ont atterri à Miami (États-Unis). Ils sont arrivés au Canada via Buffalo (États-Unis) le 10 octobre 2003, et ils ont présenté une demande d’asile le même jour.

 

La décision de la Commission

[9]               La Commission a conclu qu’aucun des demandeurs n’était un réfugié ou une personne à protéger.

 

[10]           Le point déterminant dans cette décision était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) sur le territoire du Venezuela, à l’extérieur de l’État de Zulia, dans les villes de Caracas ou de Barcelona.

 

[11]           Selon la Commission, il y avait une preuve documentaire concernant le pays qui établissait l’existence d’un « conflit permanent » entre des groupes politiques pro- et anti‑Chavez, un conflit marqué par des actes de violence et des violations des droits de la personne. La Commission a toutefois conclu que le profil de la demanderesse principale ne correspondait pas à celui de personnes qui s’exposeraient au risque de subir de graves préjudices de la part de partisans du gouvernement Chavez si elle déménageait à Caracas ou à Barcelona. Même si la demanderesse principale a joué un rôle actif au sein de l’UPP et du Conseil de coordination démocratique, elle n’a occupé aucune fonction ou aucun poste dans l’une ou l’autre de ceux deux organisations. Aucune preuve documentaire ne montrait que le gouvernement Chavez ciblait l’UPP. Vu l’abondante quantité de preuves documentaires disponibles, la Commission a conclu qu’il était invraisemblable que le prétendu ciblage de l’UPP n’ait pas été documenté. Il n’y avait pas non plus de preuves documentaires concernant le pays qui étayaient la prétention selon laquelle des partisans du gouvernement, comme les cercles bolivariens, harcelaient ou menaçaient des membres de l’UPP.

 

[12]           La demanderesse principale a fait remarquer qu’elle avait signé une pétition contre le président Chavez, mais la preuve indiquait qu’environ trois millions de personnes en avaient fait autant.

 

[13]           La Commission a jugé qu’il aurait été invraisemblable que la demanderesse puisse avoir été nommée à un poste important au sein de l’INCE si le gouvernement ou des éléments des cercles bolivariens présents dans l’INCE étaient au courant de ses convictions politiques ou s’en étaient souciés. Elle a conclu que la lettre de démission de la demanderesse principale, qui faisait état [traduction] « de problèmes et de motifs très personnels » pour justifier sa démission et qui exprimait sa reconnaissance envers l’organisation, ne cadrait pas avec une crainte fondée et sérieuse de persécution. La Commission a conclu que le récit de la demanderesse principale, à savoir qu’elle avait été victime de menaces de mort à l’INCE, était un embellissement des faits destiné à étayer sa demande d’asile.

 

[14]           La Commission a examiné les déclarations qui avaient été présentées en preuve par les demandeurs et qui exposaient en détail les problèmes qu’ils avaient vécus, mais elle a conclu que la visibilité politique de la demanderesse principale était limitée et localisée et qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que des partisans du gouvernement Chavez la poursuivent et la prennent personnellement pour cible à Caracas ou au Venezuela.

 

[15]           La Commission a conclu qu’il ne serait pas trop exigeant de s’attendre à ce que les demandeurs déménagent dans une autre partie du pays. La demanderesse principale et son mari étaient tous deux en bonne santé, d’âge moyen et instruits, et ils avaient acquis une expérience professionnelle considérable dans leurs domaines de travail respectifs. La Commission a conclu qu’il n’y avait pas d’obstacles économiques ou sociaux sérieux à leur déménagement.

 

Les questions en litige

[16]           Les questions en litige que soulèvent les demandeurs sont les suivantes :

 

  1. La Commission a-t-elle privé les demandeurs du droit à une audience équitable en suivant l’ordre des interrogatoires exposé dans les Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés (Directives no 7)?

 

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient une PRI au Venezuela?

 

[17]           Les Directives no 7 sont le sujet de la décision qu’a rendue la Cour dans l’affaire Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16. À la suite de cette décision, la présente demande de contrôle judiciaire et un certain nombre d’autres ont été réunies en vue d’instruire et de trancher les questions relatives aux Directives no 7 (ordonnance datée du 20 février 2006). L’audience a eu lieu devant le juge Mosley, les 7 et 8 mars 2006 (l’audience commune). C’est la raison pour laquelle l’audience tenue devant moi a porté exclusivement sur la seconde question - ou question non liée aux Directives no 7 - indiquée ci-dessus.

 

Analyse

[18]           L’existence possible d’une PRI est un élément inhérent de la définition d’un réfugié ou d’une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Pour pouvoir se réclamer de la protection du Canada, un demandeur doit établir que le risque qu’il court est présent partout dans le pays dont il est originaire, et non simplement dans une région particulière de ce pays.

 

[19]           La détermination de l’existence d’une PRI est une conclusion de fait. L’évaluation de la preuve est une question qui relève de l’expertise de la Commission. La Cour devrait donc faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la Commission (Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1211, au paragraphe 10). La Cour ne devrait intervenir que si la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

 

[20]           Lorsque la possibilité d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution dans le ou les secteurs de refuge intérieur désignés (Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), au paragraphe 9; Ochoa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1957, 2005 CF 1577, au paragraphe 12).

 

[21]           Pour conclure à l’existence d’une PRI, il faut appliquer un critère à deux volets. La Commission doit être convaincue que : (i) il n’y a pas de possibilité de persécution sérieuse dans la région envisagée; (ii) il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans la région en question (autrement dit, il ne serait pas indûment exigeant pour lui de déménager dans la région) ((Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12).

 

[22]           Les demandeurs contestent la conclusion tirée par la Commission relativement au premier critère, c’est-à-dire qu’il n’y aurait aucune possibilité sérieuse de persécution politique à Caracas ou à Barcelona.

 

[23]           Les demandeurs font valoir essentiellement que des actes de persécution politique et le ciblage d’opposants au gouvernement Chavez ont lieu dans tout le Venezuela et qu’il ne peut donc pas y avoir, pour eux, de PRI. Ils font état de preuves documentaires selon lesquelles les partisans du gouvernement Chavez, et le gouvernement lui-même, ont persécuté des opposants politiques dans tout le pays.

 

[24]           Je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur en l’espèce. Nul ne conteste que des actes de persécution politique, dans le sens général du terme, sont commis dans tout le Venezuela, mais la Commission a fondé sa décision sur les circonstances particulières de l’espèce. Elle a pris en considération la totalité des éléments de preuve et elle a rendu des motifs complets et clairs.

 

[25]           Il était loisible à la Commission de conclure qu’une PRI existerait à l’extérieur de l’État de Zulia. Comme le défendeur le fait remarquer, le parti auquel appartenait la demanderesse principale, l’UPP, était un parti local sans représentation nationale, et la demanderesse principale n’était pas un membre de haut rang du parti ni une figure très connue sur la scène politique. Il n’était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que, si la demanderesse principale déménageait dans une ville de grande taille située dans un autre État, ceux qui la persécutaient ne la trouveraient pas ou ne la suivraient pas. En outre, la Commission n’a pas reconnu que la persécution avait atteint le niveau que prétendaient les demandeurs. Elle a dit douter que la demanderesse principale avait reçu des menaces de mort au travail et avait été spécifiquement prise comme cible par le gouvernement.

 

[26]           Compte tenu de ce contexte et de la norme de contrôle élevée à appliquer à la décision, je ne puis trouver dans le raisonnement de la Commission une erreur qui justifierait que la Cour intervienne. En définitive, il incombait aux demandeurs d’établir que ceux qui les persécutaient les poursuivraient dans les régions proposées comme PRI. Les demandeurs font état de preuves sur la situation de leur pays qui démontrent que l’on peut être victime de persécution politique n’importe où dans le pays; cependant, ils ne fournissent aucune preuve qui permettrait de croire que les personnes qui persécutaient la demanderesse principale la trouveraient ou la suivraient si elle déménageait à un nouvel endroit.

 

Conclusion

[27]           En conclusion, je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient une PRI. Pour ce qui est de cette question particulière, ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier.

 

 

« Judith A. Snider »

_____________________________

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-353-05

 

INTITULÉ                                         GERARDO MARTIN ROSALES RINCON et al. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 mars 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 avril 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Jack Davis                                            POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Davis & Grice                                      POUR LES DEMANDEURS

Avocats

 

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 

 

Date : 20060410

Dossier : IMM-353-05

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

GERARDO MARTIN ROSALES RINCON

CATALINA RODRIGUEZ PATINO

ERLIS BEATRIZ DELGADO OCANDO

GERLY JOANNY ROSALES DELGADO

WANDA SOFIA ROSALES DELGADO

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

ORDONNANCE

 

            VU la présente demande de contrôle judiciaire concernant la décision, datée du 27 décembre 2004, par laquelle la Section de la protection des réfugiés a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée ni une personne à protéger;

 

            VU les motifs de l’ordonnance rendus aujourd’hui;

 

            LA COUR ORDONNE que, en ce qui concerne les questions en litige dans la présente instance que la Cour a entendue à Toronto (Ontario), le lundi 20 mars 2006, la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

                                                                                    _____________________________

                                                                                                            Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

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