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Date : 20190923


Dossier : IMM‑370‑19

Référence : 2019 CF 1205

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

TSIURI PEIQRISHVILI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le présent jugement concerne la demande de contrôle judiciaire de la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a fait droit à la demande que le ministre a présentée sur le fondement du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour faire perdre à la demanderesse son statut de réfugié au sens de la Convention [la décision]. La SPR a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection du pays dont elle a la nationalité, et cette conclusion était assimilée au rejet de sa demande d’asile en application du paragraphe 108(3) de la LIPR.

[2]  Pour les motifs exposés plus en détail ci‑après, la présente demande est accueillie. Je conclus que la décision était déraisonnable, car la SPR n’a pas analysé la preuve de la demanderesse concernant les précautions qu’elle a prises pour ne pas que l’agent de persécution, son ex‑époux, apprenne son retour en Géorgie.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Tsiuri Peiqrishvili, est une citoyenne géorgienne de 54 ans qui s’est enfuie au Canada, où elle a demandé l’asile pour se protéger de son époux violent. La SPR lui a accordé le statut de réfugié en 2005.

[4]  En 2009, Mme Peiqrishvili a obtenu un passeport géorgien après en avoir fait la demande. Elle s’est rendue en Géorgie en 2010 et en 2012 pour s’occuper de sa mère adoptive âgée, qui venait de sortir de l’hôpital à ces deux occasions. Durant son séjour de 2012, Mme Peiqrishvili a été présentée à un homme avec qui elle a gardé contact à son retour au Canada. Il l’a demandée en mariage en avril 2014, et elle est retournée en Géorgie pour l’épouser en mai suivant. Lors de ce troisième séjour, elle a présenté une demande de renouvellement de son passeport géorgien, qui était sur le point d’expirer.

[5]  À son retour au Canada, Mme Peiqrishvili a entrepris de parrainer la demande de résidence permanente de son nouvel époux. Quelques mois avant que la demande ne soit rejetée, elle a été avisée que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait présenté une demande pour lui faire perdre l’asile. Le ministre faisait valoir qu’en renouvelant son passeport géorgien après en avoir fait la demande et en l’utilisant à de nombreuses reprises pour voyager, la demanderesse s’était réclamée de nouveau de la protection de la Géorgie.

[6]  Dans la décision du 17 décembre 2018 faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, la SPR a fait droit à la demande de perte d’asile présentée par le ministre. Compte tenu des modifications à la LIPR entrées en vigueur en 2012, le réfugié qui perd l’asile au titre de l’alinéa 108(1)a), notamment pour s’être réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, voit automatiquement son statut de résident permanent révoqué aux termes de l’alinéa 46(1)c.1). Mme Peiqrishvili fait valoir en l’espèce que la décision comporte des erreurs susceptibles de contrôle et conteste, à titre subsidiaire, la constitutionnalité de l’alinéa 46(1)c.1).

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  Lorsqu’elle a examiné la demande de perte d’asile présentée par le ministre, la SPR a fait remarquer que l’alinéa 108(1)a) de la LIPR reprend le paragraphe 1C(1) de la Convention relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 137 (adoptée le 28 juillet 1951, entrée en vigueur le 22 avril 1953), ainsi que le Protocole relatif au statut des réfugiés, 606 RTNU 267 (adopté le 31 janvier 1967, entré en vigueur le 4 octobre 1967) [collectivement, la Convention]. La SPR a également mentionné le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève : UNHCR, 1992) [le Guide de l’UNHCR], qui énonce trois exigences à remplir pour que soit constatée la perte de l’asile de ceux qui se réclament de nouveau de la protection du pays dont ils ont la nationalité : a) la volonté (le réfugié doit agir volontairement); b) l’intention (le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité); et c) le succès de l’action (le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection).

[8]  Comme le fait remarquer la SPR, le Guide de l’UNHCR décrit la présomption suivant laquelle, en l’absence de preuve contraire, le réfugié a l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité s’il obtient ou renouvelle un passeport national après en avoir fait la demande. Après avoir examiné la thèse de Mme Peiqrishvili, la SPR s’est penchée sur la question de savoir si cette dernière avait réfuté la présomption décrite dans le Guide de l’UNHCR.

[9]  La SPR a pris acte du témoignage de Mme Peiqrishvili selon lequel elle a présenté une demande de passeport en 2009 parce qu’elle pensait que chaque citoyen devait en avoir un, qu’elle ignorait que le Canada délivrait des titres de voyage, et qu’elle a renouvelé son passeport en 2014 parce que celui de 2009 était sur le point d’expirer. La SPR n’a pas jugé ces déclarations crédibles, estimant déraisonnable qu’elle ne se soit pas renseignée auprès de ses enfants (de qui elle obtiendrait des conseils en immigration selon son témoignage) ou de ses conseillers juridiques (qui l’avaient aidée à présenter la demande de citoyenneté et de parrainage), quant à la possibilité d’obtenir un titre de voyage pour réfugiés ou sur les conséquences associées à l’obtention d’un passeport géorgien. La SPR a également fait remarquer qu’il n’était pas urgent qu’elle obtienne un passeport en 2009, puisque sa mère adoptive n’est tombée malade qu’en 2010.

[10]  La SPR a examiné la preuve médicale décrivant l’état psychologique de Mme Peiqrishvili en 2015 et 2017, mais a estimé que ces documents n’avaient aucun lien avec la raison pour laquelle elle avait renouvelé son passeport et s’en était servi pour voyager entre 2009 et 2014. La SPR a estimé qu’elle était une personne avertie, intelligente et compétente qui a su mener à bien plusieurs procédures relatives à l’immigration, parfois avec l’aide de professionnels, et elle n’a pas cru que la demanderesse ne savait pas ce qu’elle faisait lorsqu’elle a demandé à plusieurs reprises à obtenir un passeport géorgien et qu’elle a voyagé munie de ce document.

[11]  S’agissant du caractère volontaire des voyages, la SPR n’a pas trouvé crédible que Mme Peiqrishvili ait été forcée de rendre visite à sa mère adoptive qui, avant les deux visites en question, était sortie de l’hôpital dans un état stable. La SPR n’a relevé aucune preuve étayant l’affirmation de Mme Peiqrishvili portant que l’état de sa mère adoptive représentait un danger pour sa vie. En ce qui concerne son troisième séjour en Géorgie, où elle est allée pour se marier, la SPR a estimé qu’il ne s’agissait pas de circonstances exceptionnelles rendant le voyage involontaire. La SPR a conclu que les trois voyages étaient volontaires.

[12]  Quant à la question de savoir si Mme Peiqrishvili avait accompli intentionnellement l’acte par lequel elle s’était réclamée de nouveau de la protection de la Géorgie, la SPR a estimé qu’elle n’avait pas réfuté la présomption applicable à cet égard. La SPR a pris acte de l’observation du ministre portant que la couverture intérieure du passeport géorgien indiquait que son titulaire était sous la protection de la Géorgie. Comme la SPR a conclu que Mme Peiqrishvili était une personne avertie, et compte tenu des préoccupations soulevées relativement à sa crédibilité, la SPR a accordé plus de poids à l’observation du ministre qu’au témoignage de Mme Peiqrishvili selon lequel elle avait cru être sous la protection du Canada lorsqu’elle voyageait.

[13]  Enfin, s’agissant de savoir si elle a effectivement obtenu la protection du pays dont elle a la nationalité, la SPR a là encore accepté l’observation du ministre selon laquelle la Géorgie a effectivement accordé sa protection à Mme Peiqrishvili en lui délivrant un passeport et en l’autorisant à entrer dans le pays. Le ministre s’est appuyé sur la déclaration figurant dans le Guide de l’UNHCR selon laquelle l’obtention d’un passeport national à des fins de retour sera assimilée, en l’absence de preuve contraire, à la perte de l’asile. Le ministre a également fait valoir que la Géorgie a accordé une protection diplomatique à Mme Peiqrishvili lorsqu’elle s’est rendue en Turquie et à Porto Rico. La SPR a souscrit à ce raisonnement et a conclu qu’en obtenant intentionnellement et à plusieurs reprises un passeport et en l’utilisant pour voyager en Géorgie ainsi que dans d’autres pays, Mme Peiqrishvili s’est effectivement réclamée de nouveau, volontairement et intentionnellement, de la protection de la Géorgie. Elle a donc fait droit à la demande de perte d’asile du ministre en application du paragraphe 108(2) et a conclu que la demande d’asile de Mme Peiqrishvili était réputée rejetée aux termes du paragraphe 108(3).

IV.  Questions en litige

[14]  La demanderesse soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse avait perdu l’asile pour s’être réclamée de nouveau de la protection de la Géorgie :

  1. en n’évaluant pas correctement si elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de cette protection?

  2. en n’évaluant pas correctement si elle avait effectivement obtenu la protection de la Géorgie?

  3. en n’examinant pas le risque prospectif auquel serait exposée la demanderesse du fait de la perte automatique de son statut de résidente permanente du Canada et de son expulsion en Géorgie?

  1. Si la SPR a eu raison de conclure que la demanderesse a perdu l’asile pour s’être réclamée de nouveau de la protection de la Géorgie, l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR est‑il inconstitutionnel et inopérant parce qu’il viole les droits de la demanderesse garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte des droits et libertés, d’une manière qui ne peut constituer une limite raisonnable dans le cadre d’une société libre et démocratique, ainsi que ses droits garantis par les alinéas 1a) et b) et 2a), b) et e) de la Déclaration des droits et qu’il est par ailleurs contraire aux obligations du Canada en tant que signataire de la Convention?

V.  Question préliminaire

[15]  Les parties ont convenu à l’instruction de la présente demande que l’intitulé en l’espèce devrait être modifié de manière à ce que le ministre défendeur soit correctement désigné comme « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». J’y verrai dans ma décision.

VI.  Analyse du caractère raisonnable de la décision

[16]  La deuxième question formulée par la demanderesse, à savoir si la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle avait perdu l’asile en se réclamant de nouveau de la protection de la Géorgie, m’a amené à faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties sont en désaccord en ce qui touche la norme de contrôle régissant l’interprétation de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR retenue par la SPR et la constitutionnalité de l’alinéa 46(1)c.1). Mais, à mon avis, la question déterminante en l’espèce concerne le défaut de la SPR d’examiner la preuve pertinente quant à son application de l’alinéa 108(1)a). Les parties semblent convenir que l’examen de la preuve est une question de fait, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et je suis d’accord.

[17]  La demanderesse fait valoir que sa situation est différente de celle d’autres demandeurs dans de nombreuses affaires de perte d’asile, où ceux‑ci craignent d’être persécutés par les autorités des pays dont ils ont la nationalité. La demanderesse ne craint pas l’État géorgien, mais plutôt un agent de persécution en particulier, son ex‑époux. Elle soutient que lorsque la SPR a examiné la demande de perte d’asile présentée par le ministre, celle‑ci devait analyser sa situation personnelle, notamment la nature précise de la persécution ayant justifié de lui accorder la protection. Bien que je ne sois pas convaincu que la nature de l’agent de persécution impose une analyse qualitativement différente, je conviens qu’une analyse individualisée était requise et que la source de persécution est pertinente au regard de cette analyse.

[18]  Comme il est indiqué dans la décision, le critère pour évaluer s’il y a perte d’asile du fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité comporte trois exigences : a) la volonté; b) l’intention du demandeur de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et c) l’obtention véritable de cette protection. S’agissant de la volonté, la SPR a examiné le témoignage de la demanderesse quant à la raison pour laquelle elle a obtenu et renouvelé le passeport géorgien et s’est rendue en Géorgie ainsi que dans d’autres pays munie de ce passeport. La SPR a tiré des inférences défavorables en matière de crédibilité à l’égard de ce témoignage et a conclu qu’aucune circonstance exceptionnelle ou impérieuse n’entachait le caractère volontaire des actes posés par la demanderesse.

[19]  Cependant, s’agissant des deux autres exigences du critère, je remarque que la demanderesse a fourni une preuve écrite et qu’elle a témoigné devant la SPR quant aux précautions qu’elle a prises lorsqu’elle était en Géorgie pour ne pas que son ex‑époux apprenne qu’elle était revenue. La demanderesse a également été questionnée au sujet de ces efforts à l’audience devant la SPR, et cette dernière a noté dans la décision que la demanderesse avait déclaré avoir veillé à ce que son ex‑époux ne sache pas qu’elle était en Géorgie, puisqu’elle avait encore peur de lui. Le défendeur fait valoir que la SPR n’a pas reconnu que la demanderesse se cachait en Géorgie, et que cela n’est peut-être pas surprenant, compte tenu de la preuve présentée à l’audience quant aux fois où elle était sortie de la maison de sa mère adoptive où elle séjournait. Cependant, la décision n’atteste pas la moindre analyse de la preuve présentée par la demanderesse à ce sujet, ni de conclusion s’y rapportant ou d’analyse subséquente des conséquences d’une telle conclusion sur la question de savoir si elle s’était réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité.

[20]  Dans la décision Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074 [Cerna], aux paragraphes 18 à 20, le juge O’Reilly a jugé déraisonnable une décision emportant perte de l’asile, car la SPR n’avait pas tenu compte du témoignage fourni par le demandeur, lequel était pertinent quant aux intentions subjectives qui l’avaient amené à obtenir un passeport péruvien. En particulier, la SPR aurait dû examiner la preuve du demandeur quant à sa compréhension subjective des avantages associés à son statut de résident permanent canadien et évaluer si cette preuve permettait de réfuter la présomption selon laquelle il avait l’intention d’obtenir la protection du Pérou en se procurant le passeport. En l’espèce, la SPR a examiné la preuve de la demanderesse quant à sa compréhension des avantages associés à son statut de résidente permanente. Cependant, à mon sens, la décision Cerna permet d’affirmer plus généralement que la SPR doit examiner la preuve pertinente quant à l’intention subjective du réfugié. La preuve de la demanderesse quant aux précautions qu’elle a prises pour ne pas que son ex‑époux apprenne qu’elle se trouvait en Géorgie est clairement pertinente quant à cette intention et aurait dû être prise en compte.

[21]  Le traitement déraisonnable par la SPR d’une preuve de cette nature a entraîné l’annulation d’une décision emportant perte de l’asile dans l’affaire Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 923 [Yuan]. La Cour a conclu que la SPR avait tiré des conclusions contradictoires quant à la mesure dans laquelle le demandeur avait évité le Bureau de la sécurité publique [le BSP] à son retour en Chine. Le juge Boswell s’est demandé comment le demandeur pouvait réellement et intentionnellement s’être réclamé de nouveau de la protection de la Chine tout en craignant et en évitant activement les entités chargées de cette responsabilité (au par. 36). Compte tenu des conclusions contradictoires de la SPR sur le sujet, la Cour a jugé que sa décision était déraisonnable.

[22]  Je remarque que l’analyse effectuée dans la décision Yuan, qui porte sur la preuve des efforts déployés par le demandeur pour éviter le BSP, concerne à la fois l’intention de ce dernier de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine ainsi que l’obtention réelle de cette protection. Cependant, il se peut qu’il convienne mieux d’analyser la preuve concernant les efforts déployés par un réfugié pour éviter son agent de persécution en tenant compte de son intention (la deuxième exigence du critère de l’alinéa 108(1)a)), puisque des décisions de jurisprudence donnent à penser que le fait d’obtenir effectivement la protection du pays de nationalité (la troisième exigence du critère) concerne surtout la question de savoir si un passeport a véritablement été délivré par le pays en question. Le juge O’Reilly a expliqué en ces termes le critère au paragraphe 13 de la décision Cerna :

13  Le fait que le réfugié ait obtenu ou renouvelé un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité crée une présomption réfutable selon laquelle le réfugié avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 459, au paragraphe 39). Si le réfugié se procure le passeport pour retourner dans son pays d’origine, comme l’a fait M. Cerna, alors il a aussi effectivement obtenu la protection de cet État. Dans ces circonstances, à moins que le réfugié n’ait réfuté la présomption d’intention, il ne reste qu’à déterminer s’il s’est procuré volontairement son passeport.

[Non souligné dans l’original.]

[23]  Dans le même ordre d’idées, la juge Walker a déclaré ce qui suit au paragraphe 60 de la récente décision Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1060 :

60  Il n’est pas convaincant de la part de la demanderesse d’assimiler l’obligation de renoncer à la pratique du Falun Gong afin d’obtenir un passeport chinois à la persécution. Elle semble confondre la protection de l’État découlant du motif pour lequel elle a présenté sa demande d’asile et la protection diplomatique, qui s’applique au moment de déterminer si la personne s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays. La demanderesse a effectivement bénéficié d’une protection lorsqu’elle a décidé de se rendre en Chine et aux États‑Unis, alors qu’elle comptait sur la protection diplomatique internationale de son pays d’origine.

[Non souligné dans l’original.]

[24]  Même si cela n’est pas pertinent au regard du troisième élément du critère relatif à l’alinéa 108(1)a), je n’ai aucune hésitation à conclure que les efforts déployés par un réfugié pour éviter son agent de persécution, qu’il soit public ou privé, sont pertinents quant au deuxième volet du critère, à savoir s’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. Par conséquent, je conclus en l’espèce que le défaut de la SPR d’analyser la preuve sur le sujet rend sa décision déraisonnable, si bien qu’elle doit être annulée et que l’affaire doit lui être renvoyée pour nouvelle décision.

[25]  Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’argument du défendeur portant qu’il n’était pas nécessaire que la SPR examine dans quelle mesure la demanderesse avait dû se cacher durant ses voyages, étant donné qu’elle avait conclu qu’aucune circonstance exceptionnelle ou impérieuse n’avait obligé cette dernière à se procurer son passeport ou à faire les voyages en question. Cependant, le défendeur n’a cité à la Cour aucun précédent qui, à mon avis, étaye cette proposition. D’ailleurs, je constate que dans la décision Yuan, la SPR n’avait relevé aucune circonstance atténuante qui aurait forcé le demandeur à demander un passeport chinois (au par. 12). Cette conclusion n’a pas empêché le juge Boswell d’annuler la décision au motif que la SPR n’avait pas raisonnablement examiné la preuve de la clandestinité du demandeur lorsqu’il était en Chine.

VII.  Arguments constitutionnels

[26]  Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire que la Cour examine les autres motifs de contrôle invoqués par la demanderesse; et, s’agissant des arguments constitutionnels qu’elle soulève, les intérêts de la retenue judiciaire exigent qu’ils ne soient pas examinés (voir, p. ex., Yuan, au par. 37). J’aimerais noter un point qui a été abordé à l’instruction de la présente demande, à savoir que l’application de l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR, dont la demanderesse conteste la constitutionnalité, n’était pas une question dont la SPR était saisie. Ce n’est pas tant que la demanderesse n’a pas soulevé les questions constitutionnelles devant la SPR, mais plutôt que celle‑ci était chargée d’appliquer l’article 108 de la LIPR, et non l’alinéa 46(1)c.1), lequel s’applique par effet de la loi une fois que la SPR a rendu sa décision au titre de l’article 108.

[27]  Ce raisonnement soulève la question de savoir si une demande de contrôle judiciaire visant la décision emportant perte de l’asile au titre de l’article 108 est le bon moyen de contester la constitutionnalité de l’alinéa 46(1)c.1). Indépendamment de cette question, il n’est pas nécessaire que je tire une conclusion en la matière étant donné que les intérêts de la retenue judiciaire exigent que la Cour n’aborde pas les arguments constitutionnels en l’espèce. Je voulais néanmoins engager une réflexion sur le sujet au cas où la Cour est saisie à l’avenir d’affaires semblables.

VIII.  Questions certifiées

[28]  La demanderesse a proposé plusieurs questions à certifier aux fins d’un appel, toutes contestées par le défendeur. Compte tenu de l’issue de la présente demande, qui porte sur le traitement par la SPR de la preuve propre à la présente affaire, aucune des questions proposées par la demanderesse ne permettrait de régler un appel. Par conséquent, je refuse de certifier les questions proposées.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑370‑19

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé en l’espèce est modifié de manière à ce que le défendeur soit correctement désigné comme « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ».

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour nouvelle décision.

  3. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’octobre 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑370‑19

INTITULÉ :

TSIURI PEIQRISHVILI c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 SEPTEMBRE 2019

JUGEmENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Geraldine Sadoway

POUR La demanderesse

Jamie Todd

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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