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Date : 20011016

Dossier : IMM-1551-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1117

ENTRE :

                                                         GIKOTSHI PATRIC MUSEGHE

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                              - et -

                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                   Défendeur

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [ci-après le « tribunal » ] rendue le 2 mars 2001 selon laquelle le demandeur ne rencontre pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » .


FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 15 février 1978 à Boma dans la province du Bas-Congo et est citoyen de la République démocratique du Congo (RDC).

[3]                 Le demandeur était un chef de clan impliqué dans le mouvement scout depuis 1993. Il s'est joint au mouvement de son propre gré. Le but et la philosophie du mouvement étant de donner une éducation physique et morale afin de servir la société.

[4]                 Le demandeur a quitté son pays par crainte de représailles parce que sa famille était réputée avoir des liens avec les Rwandais.

[5]                 Le frère aîné du demandeur, Gimwanga Muesghe, a été tué le 14 septembre 1998 par des miliciens en raison de sa ressemblance physique avec un Tutsi- Rwandais.

[6]                 La soeur du demandeur, Marie-Ange Museghe, a été reconnue comme réfugiée selon la Convention lors de son audience le 9 mai 2000 à cause de sa ressemblance physique avec les Tutsi-Rwandais.

[7]                 Le 12 août 2000, l'adjoint du bourgmestre de la Commune s'est présenté à la réunion du demandeur et de son équipe dans le but de s'adresser aux membres scouts pour les persuader de s'enrôler dans les forces armées congolaises.

[8]                 Le demandeur a réagi en lui disant que le moment n'était pas opportun. En s'opposant, le demandeur a reçu une suspension du mouvement des scouts. Il a été accusé d'être contre le gouvernement et d'être alors un Rwandais.

[9]                 Le 1 septembre 2000, le demandeur a été arrêté et amené au poste de police de la Commune. En raison de ses opinions précitées, le demandeur a été giflé et fouetté à vingt reprises en plus d'être emprisonné pendant deux jours et deux nuits.

[10]            Le 4 octobre 2000, le demandeur a réussi à quitter la RDC pour arriver au Canada le lendemain et a revendiqué le statut de réfugié le 9 octobre 2000 pour les motifs d'opinion politique et de son appartenance à un groupe social, sa famille.

[11]            Il s'est servi d'un faux passeport français sous le nom de Anglebert Moulaymia.


QUESTIONS EN LITIGE

[12]            1.        La Commission de l'immigration et du statut de réfugié - Section du statut de réfugié a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

2.        La Commission de l'immigration et du statut de réfugié - Section du Statut de réfugié a-t-elle commis une erreur en droit en omettant de se prononcer sur tous les éléments de preuve spécifique au demandeur?

ANALYSE

1.        La Commission de l'immigration et du statut de réfugié - Section du Statut de réfugié a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

Norme de contrôle judiciaire applicable

[13]            Dans l'affaire Aguebor c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 732, la Cour d'appel fédérale a indiqué les circonstances justifiant une intervention judiciaire relativement aux conclusions d'un tribunal au sujet de la crédibilité d'un demandeur:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[14]            Dans Razm c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 373, il fut indiqué:


Il est reconnu, et de fait il est maintenant de droit constant, que la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Étant donné que les motifs de la décision qu'elle a rendue au sujet de la crédibilité doivent être énoncés en des termes clairs et explicites, cette cour n'interviendra que dans des circonstances exceptionnelles.

En dernier lieu, dans l'affaire Cepeda-Gutierrez c. MCI, [1998] A.C.F. No. 1425, le juge Evans a confirmé le fait que la Cour ne devrait pas intervenir dans une décision prise par la Section du Statut de réfugié sauf si elle est manifestement déraisonnable :

Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]".

Article de journal daté le 9 janvier 2001, Le Potentiel, presses congolaises

[15]            Il était exagéré, selon moi, que le tribunal ait mis en question l'implication du demandeur dans le mouvement scout en raison de son ignorance d'un seul événement survenu postérieurement à son départ du RDC. Le demandeur a fait état de ses connaissances du mouvement scout lors de l'audience et sa méconnaissance d'un événement ne devrait pas miner la totalité de son témoignage.


[16]            Il n'est pas réaliste de la part du tribunal d'exiger que le demandeur se tienne au courant de tous les développements au RDC avec le même niveau de dévotion une fois arrivée au Canada, étant donné que le demandeur venait juste d'arriver au Canada. Je trouve aussi que les mots utilisés dans la rédaction de la décision à cet effet sont trop forts:

Sa méconnaissance des activités nationales de son mouvement, ses hésitations et son incapacité à fournir une seule réponse crédible lorsque confronté, permettent au tribunal de ne pas croire cette version du témoignage.

[17]            Le demandeur a répondu dans son affidavit:

Je souhaite porter à l'attention de cette Cour que le motif principal de la décision négative est la conclusion qui met en doute mon implication dans le mouvement scout sur la base de mon ignorance des informations contenues dans la pièce A-5. [...] Or, la pièce A-5 fait référence à des informations qui sont postérieures à mon départ. En effet, la pièce A-5, est un article de journal daté du 9 janvier 2001. On ne m'a pas demandé si j'avais garder contact avec le mouvement en RDC depuis mon départ.

[18]            Par rapport à ce motif, je trouve que le tribunal a exagéré l'importance de ce fait.

Faux passeport français


[19]            Selon le témoignage du demandeur, il a transité au Canada par la France en utilisant un faux passeport français. Le demandeur a remis ce document au propriétaire sans faire une copie. Lors de la prise de sa décision, il est évident que le tribunal a tiré une conclusion défavorable.

[20]            Or, je trouve qu'il est raisonnable que le tribunal ait voulu examiner ce document. Le demandeur a, en effet, privé le tribunal d'un élément de preuve important pour juger sa crédibilité :

Q.           Pourquoi vous l'avez retourné (le faux passeport français)?

R.           Parce que le propriétaire devait l'utiliser par après.

-              J'ai pas compris.

R.           Le propriétaire du passeport devait l'utiliser, il en avait aussi besoin et il devait l'avoir.

Q.           Vous n'avez pas pensé que ça aurait pu confirmer ou infirmer vos allégations que vous avez voyagé avec un passeport ne vous appartenant pas, en faisant des copies ou bien de conserver ce passeport?

R.           C'était un risque à prendre et j'ai ...

-              Mais vous avez déjà pris le risque.

R.           Je n'ai pas...pas en un seul instant, j'avais, je savais que c'était pas mon passeport...

[21]            Dans l'affaire Elazi c. MCI, [2000] A.C.F. No. 212, le juge Nadon a énoncé :


J'en profite pour ajouter qu'il est tout à fait raisonnable pour la Section du Statut de donner une grande importance au passeport d'un demandeur ainsi qu'à son billet d'avion. Ces documents, à mon avis, sont des documents essentiels pour démontrer l'identité d'un demandeur et son périple pour venir au Canada. À moins de présumer qu'un demandeur du statut de réfugié est effectivement un réfugié, il m'apparaît déraisonnable d'excuser la perte de ces documents à moins de motifs sérieux. Il est trop facile, à mon avis, pour un demandeur de simplement affirmer qu'il a soit perdu ces documents ou que le passeur les a repris. Si la Section du Statut insiste à ce que ces documents soient produits, il est possible que les passeurs auront à changer leurs méthodes.

[22]            Il est clair que le demandeur en retournant le faux passeport, a limité les paramètres de l'examen de la preuve par le tribunal. Conséquemment, je trouve que la décision du tribunal à cet égard, était raisonnable.

Aucune ressemblance physique à un Tutsi-Rwandais

[23]            À plusieurs reprises, le demandeur concède qu'il ne ressemble aucunement à un Tutsi. Mais, il allègue craindre la persécution parce que sa famille est réputée avoir des liens avec les Rwandais.

Q.           Quoique dans votre cas à vous, vous semblez pas ressembler à un Rwandais.

R.           Oui, c'est ça.

-              C'est-à-dire ça semble pas être une problématique dans votre cas.

[24]            Pour que le tribunal trouve qu'il y a risque de persécution si un demandeur retourne dans son pays d'origine, le critère à appliquer est celui de « possibilité raisonnable » en vertu de l'affaire Adjei c. MCI, [1989] 2 C.F. 680, ce qui a été modifié dans l'affaire Chan c. MCI, [1995] 3 R.C.S. 593, comme étant une « possibilité sérieuse » :


On a décrit le critère applicable comme étant l'existence d'une "possibilité raisonnable" ou, plus justement à mon avis, d'une "possibilité sérieuse".

[25]            En l'espèce, il n'a pas de « possibilité raisonnable » ni de « possibilité sérieuse » que le demandeur soit sujet à la persécution s'il fallait qu'il retourne à la RDC, car il ne ressemble pas physiquement à un Rwandais. De plus, la majorité de la famille du demandeur, notamment ses parents, son frère et sa soeur, qui ont des ressemblances physiques avec les Tutsis, y vivent toujours.

[26]            En somme, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la décision du tribunal, dans son ensemble, était déraisonnable et justifiait l'intervention de cette Cour. Par rapport au motif relatif à l'article de journal, il est difficile de justifier pourquoi l'article de journal publié après le départ du demandeur a pu amener le tribunal à conclure comme il l'a fait. Il est difficile de croire que le tribunal s'attend à ce que le demandeur se tienne au courant des événements scouts depuis qu'il est au Canada. Or, le tribunal avait raison de conclure comme il l'a fait en ce qui concerne le faux passeport français et l'absence de persécution à cause du fait que le demandeur ne ressemble pas à un Tutsi-Rwandais.

[27]            Et donc, en tenant compte des trois motifs en l'espèce, je ne peux pas conclure que la décision du tribunal était manifestement déraisonnable.


2.        La Commission de l'immigration et du statut de réfugié - Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur en droit en omettant de se prononcer sur tous les éléments de preuve spécifique au demandeur?

[28]            Non, le tribunal n'a pas commis une erreur en omettant de se prononcer sur tous les éléments de preuve spécifique au demandeur. Dans l'affaire Cepeda-Gutierrez, supra, le juge Evans explique que:

La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2e) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[29]            Le demandeur reproche au tribunal d'avoir omis de se prononcer sur trois éléments de preuve: en premier lieu, le certificat de décès de son frère Gimwanga Muesghe; en deuxième lieu, la décision de la Section du statut de réfugié reconnaissant le statut de réfugié à sa soeur, Marie-Ange Museghe; et en troisième lieu, le FRP de Marie-Ange Museghe.

[30]            Les faits dans l'affaire Nzuzi c. MCI, [1999] A.C.F. no 556, ressemblent énormément aux fait en l'espèce. Dans Nzuzi, la demanderesse revendiquait le statut de réfugié pour les motifs d'opinion politique et d'appartenance à un groupe social, sa famille. Le tribunal dans cette affaire a conclu que la demanderesse n'était pas victime de persécution et a donc rejeté sa demande de contrôle judiciaire. Par rapport à la preuve, le juge Rouleau a statué:

The Board is entitled to rely on documentary evidence in preference to that of the claimant; the Board is under no obligation to refer to all items in the documentary evidence it relied upon in arriving to its conclusion.

There is no general obligation on the Board to point out specifically any and all items of documentary evidence on which it might rely or which it might reject.

Certificat de décès du frère du demandeur

[31]            Le tribunal n'a jamais mis en doute le décès du frère du demandeur, il n'avait d'ailleurs aucun intérêt à commenter de façon précise le contenu de ce document.


Revendication du statut de réfugié de la soeur du demandeur, Marie-Ange Museghe, et le FRP de cette dernière

[32]            La soeur s'est fondée sur ses traits Tutsis pour revendiquer le statut de réfugié. Cet élément n'est pas applicable au demandeur, qui n'a pas de tels traits et qui fondait sa revendication sur des faits étrangers à la revendication de sa soeur, à savoir son militantisme au sein du mouvement scout et son appartenance à un groupe social, sa famille.

[33]            Une décision dans le cadre d'une revendication d'un membre de la même famille ne saurait être déterminante, car il s'agit du cas par cas. À cet effet, le juge Nadon a affirmé dans l'affaire Rahmatizadeh c. MCI, [1994] A.C.F. no 578 :

Avant de conclure, par ailleurs, je désire faire les commentaires suivants. Au paragraphe 31 de son mémoire, le requérant allègue que la Section du statut a reconnu le bien-fondé de la revendication de sa soeur par une décision en date du 9 avril 1992. Le fait de simplement prouver que sa soeur avait été déclarée réfugiée ne porte pas beaucoup de poids puisque les membres de la Section qui ont rendu cette décision l'ont rendue compte tenu des faits au dossier. Pourquoi le requérant n'a-t-il pas fait témoigner sa soeur et son beau-frère pour démontrer sa nationalité Kurde? La Section n'était pas liée par une décision rendue par un autre panel puisqu'il est possible que l'autre panel ait rendue une décision erronée.

[34]            Dans Addullahi c. MCI, [1996] A.C.F. no 1433, le juge Gibson a énoncé:

Le tribunal a ensuite constaté que la femme et la fille du requérant avaient obtenu le statut de réfugiées au sens de la Convention au Canada. Il a conclu que ce fait avait une valeur probante limitée. Il a cité le jugement Rahmatizadeh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration.

[35]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[36]            Aucun des procureurs n'a soumis de question pour certification.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 16 octobre 2001

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