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Date : 20190924


Dossier : IMM‑460‑19

Référence : 2019 CF 1210

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MUATAZ AWAD ABDELHALIM AHMED

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le présent jugement et les motifs qui l’accompagnent concernent une demande de contrôle judiciaire relative à la décision du 31 décembre 2018 [la décision contestée] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre d’une décision rendue le 19 février 2018 par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SAR a confirmé le rejet par la SPR de la demande d’asile présentée par le demandeur aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, la demande est rejetée, car après avoir examiné les arguments du demandeur, je ne vois aucune raison de conclure que la décision contestée n’appartient pas aux issues acceptables selon la norme de contrôle de la décision raisonnable.

II.  Le contexte

[3]  Le demandeur, Muataz Awad Abdelhalim Ahmed, est un citoyen soudanais né en Arabie saoudite, où il a grandi. Jusqu’à récemment, il vivait et travaillait dans ce pays grâce à un visa de travail parrainé.

[4]  La demande d’asile de M. Ahmed est fondée sur une crainte alléguée de persécution au Soudan, car il prétend que le gouvernement soudanais le perçoit comme un partisan du Mouvement national général d’opposition [Broad National Movement ou BNM]. Il ajoute que cette affiliation remonte à son enfance, alors qu’il aidait son père à organiser des réunions du BNM chez eux. Son père aurait été arrêté et torturé en raison de son engagement; il a donc déménagé en Arabie saoudite, où le demandeur est né. M. Ahmed affirme qu’une fois devenu adulte, il a poursuivi ses activités politiques en Arabie saoudite et au Canada.

[5]  M. Ahmed allègue que les autorités soudanaises l’ont placé en détention et battu pour avoir remis des dons à un membre du BNM au début de janvier 2016, alors qu’il était en vacances au Soudan. Il affirme qu’il a réussi à obtenir un nouveau passeport et d’autres documents avec l’aide d’un agent et qu’il a pu retourner en Arabie saoudite à la fin de janvier 2016.

[6]  En septembre 2016, l’employeur de M. Ahmed l’a avisé qu’il ne renouvellerait pas son contrat, ce qui a entraîné l’annulation de son visa de travail. M. Ahmed a fui l’Arabie saoudite pour ne pas être expulsé au Soudan; puis, en mars 2017, il est entré au Canada par les États‑Unis et a présenté une demande d’asile fondée sur des motifs politiques.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[7]  La présente demande de contrôle judiciaire vise le rejet par la SAR de l’appel interjeté par M. Ahmed à l’encontre du rejet de sa demande d’asile par la SPR. Devant la SAR, M. Ahmed a soumis des éléments de preuve provenant de son père, d’autres activistes et de l’agent qui lui avait procuré des documents, ainsi que des photographies de lui manifestant contre le gouvernement soudanais au Canada. La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve. Elle a fait remarquer que la SPR avait soulevé diverses préoccupations liées à la crédibilité de M. Ahmed à l’audience, notamment des problèmes liés à sa preuve et à l’absence de documents corroborants, et qu’elle n’avait rendu sa décision que trois mois plus tard. Ainsi, la SAR a estimé que M. Ahmed n’avait pas raisonnablement expliqué pourquoi il n’avait pas fourni les nouveaux documents à la SPR avant qu’elle ne rejette sa demande d’asile. La SAR a également estimé que ces documents ne faisaient que reformuler la preuve déjà présentée.

[8]  La SPR a tiré une inférence défavorable en matière de crédibilité, car M. Ahmed n’a pu fournir aucun document corroborant l’engagement de son père au sein du BNM et du parti qui l’avait précédé. Comme M. Ahmed alléguait de longs antécédents familiaux d’activisme au sein de l’opposition politique soudanaise, la SPR a jugé que cette absence de preuve touchait au cœur de sa demande. Elle a rejeté son explication selon laquelle il ne jugeait pas que ces documents corroborants étaient importants parce qu’il s’agissait de ses affiliations politiques qui étaient en cause, et non celles de son père. Elle a également rejeté son explication suivant laquelle la documentation relative à ces activités n’était pas disponible parce que l’Arabie saoudite interdit toute forme d’engagement politique. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR.

[9]  La SPR a également soulevé des préoccupations quant à l’absence de preuve concernant la transaction qui s’est soldée par l’arrestation de M. Ahmed. Ce dernier a déclaré avoir été arrêté alors qu’il remettait des dons à un membre du BNM au Soudan, mais il n’a pu fournir aucun détail corroborant au sujet de la transaction ou de l’individu à qui il avait remis l’argent. La SPR a estimé que son témoignage était vague, et elle a rejeté son explication portant qu’il ne connaissait pas personnellement celui qui avait reçu l’argent et qu’il ignorait où il se trouvait. La SPR a examiné les documents sur les conditions dans le pays décrivant les activités du BNM au Soudan et les mauvais traitements que les autorités réservaient à ses membres, mais elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’allégation de M. Ahmed selon laquelle il avait remis des fonds au BNM au Soudan. En appel, M. Ahmed a soutenu que la SPR s’était montrée sélective dans son examen des documents sur le pays et qu’elle avait commis une erreur en ne mentionnant aucun élément de preuve documentaire précis.

[10]  La SAR a confirmé les conclusions de la SPR. Elle a fait remarquer que rien ne permettait de réfuter la présomption suivant laquelle la SPR avait examiné la preuve dont elle disposait, et elle a conclu que la preuve relative aux conditions dans le pays était insuffisante pour établir l’allégation de M. Ahmed. La SAR était elle aussi préoccupée par le fait que M. Ahmed n’avait pu fournir aucun détail précis au sujet de la transaction, de la personne qui avait reçu les fonds ou du BNM en général.

[11]  La SPR avait également des préoccupations en matière de crédibilité liées au fait que M. Ahmed avait réussi à obtenir un nouveau passeport et à quitter le pays quelques jours après avoir été détenu au Soudan. Elle a estimé que son témoignage était contradictoire quant à la date et aux modalités d’obtention du certificat d’enregistrement civil [le certificat] délivré par la police, ainsi qu’à la question de savoir si le passeport de M. Ahmed avait été contrôlé lorsqu’il a quitté le pays en janvier 2016. La SPR a ensuite examiné les documents sur les conditions dans le pays, qui indiquent que tous ceux qui souhaitent quitter le Soudan doivent, suivant la loi, détenir un visa de sortie et que ce type de visa n’est pas accordé aux personnes qui sont accusées d’une infraction. En appel, M. Ahmed a fait valoir que la SPR avait commis une erreur en n’évaluant pas les explications qu’il avait fournies, selon lesquelles son ami, qui avait agi comme son agent, s’était procuré les documents pertinents et avait soudoyé un fonctionnaire à l’aéroport.

[12]  La SAR s’est dite en accord avec la SPR et n’a pas jugé crédible qu’un agent puisse obtenir un passeport authentique, un certificat (délivré par la police), ainsi qu’un visa de sortie pour M. Ahmed, si celui-ci avait été détenu comme il le prétendait. Elle n’a également pas jugé crédible que M. Ahmed ait pu quitter le pays quelques jours à peine après avoir été arrêté et soumis à des conditions strictes liées à l’obligation de se présenter, comme il le prétendait. Elle a rejeté son explication selon laquelle personne n’a contrôlé son passeport à l’aéroport du Soudan, étant donné que le document en question comportait un tampon de sortie portant la date de son départ de l’aéroport.

[13]  La SAR a examiné les activités politiques de M. Ahmed au Canada, mais a fait remarquer qu’il n’avait pas contesté l’analyse et la conclusion de la SPR sur ce point. En se basant sur la preuve, la SAR a affirmé que M. Ahmed n’avait pas démontré que ses activités au Canada faisaient de lui une cible.

[14]  Dans l’ensemble, la SAR a conclu que M. Ahmed n’avait pas prouvé de manière crédible ses allégations de persécution découlant de son profil politique réel ou perçu, ni établi qu’il était connu ou recherché par les autorités soudanaises. La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle M. Ahmed n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV.  Les questions à trancher et la norme de contrôle

[15]  Le demandeur soumet la liste suivante de questions à l’examen de la Cour :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en procédant à un examen microscopique de questions accessoires?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’absence de preuve corroborante?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve?

  4. La conclusion de la SAR quant à la crédibilité de l’allégation selon laquelle le demandeur aurait remis des fonds au BNM était-elle erronée?

  5. La SAR a-t-elle commis une erreur en confirmant l’examen sélectif par la SPR des documents relatifs au pays?

  6. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le témoignage du demandeur au sujet du BNM était très vague?

  7. La SAR a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité compte tenu du nouveau passeport, du certificat et du fait que le demandeur avait quitté le pays?

[16]  Toutes ces questions sont assujetties à la norme de la décision raisonnable.

V.  Analyse

A.  La SAR a-t-elle commis une erreur en procédant à un examen microscopique de questions accessoires?

[17]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en fondant ses conclusions en matière de crédibilité sur une analyse microscopique de questions accessoires, c’est-à-dire en se concentrant sur les activités de son père au sein du BNM. Il fait valoir que la SAR a en fait traité son père comme s’il était un demandeur d’asile, et qu’elle n’a pas tenu compte de son observation selon laquelle les renseignements concernant l’engagement politique de son père n’étaient fournis qu’à titre de mise en contexte de sa propre demande d’asile.

[18]  J’estime que cette observation n’a aucun fondement. La SAR a explicitement relevé l’argument du demandeur portant que les antécédents de sa famille au sein de l’opposition politique étaient uniquement accessoires au regard de sa demande d’asile. La SAR a rejeté cet argument au motif que le demandeur a fait valoir de longs antécédents familiaux d’activisme au sein de l’opposition politique, qui s’étalent sur de nombreuses années, tant au Soudan qu’en Arabie saoudite. La SAR a souligné que le demandeur avait allégué que son père et lui s’étaient engagés au sein de l’opposition politique ensemble lorsqu’ils étaient en Arabie saoudite. À ce titre, il appert clairement que la SAR a examiné l’argument du demandeur. Elle l’a simplement rejeté et a expliqué pourquoi elle ne considérait pas que l’engagement de son père était accessoire au regard de sa demande d’asile. Rien ne permet de conclure que cet aspect de la décision de la SAR est déraisonnable.

B.  La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’absence de preuve corroborante?

[19]  La SAR a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en raison de l’absence de preuve corroborante concernant 1) l’engagement du père du demandeur au sein du BNM et 2) l’allégation selon laquelle le demandeur aurait remis des fonds au BNM au Soudan. Le demandeur conteste ces deux aspects de l’analyse et fait valoir qu’en l’absence de preuve contraire, le fait de tirer des inférences défavorables de l’absence de corroboration constitue une erreur susceptible de contrôle. Il ajoute que la SAR n’a pas tenu compte de l’explication qu’il a fournie pour justifier l’absence de preuve corroborante (voir également Magyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 750, aux par. 40 à 43).

[20]  Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il fait valoir que la décision défavorable concernant la crédibilité ne découlait pas seulement de l’absence d’éléments de preuve corroborants. La SAR a jugé vague le témoignage du demandeur concernant la prétendue remise de fonds au BNM, l’individu qui les aurait reçus et le BNM lui-même. La SAR avait également des doutes à l’égard du témoignage du demandeur selon lequel il avait obtenu le certificat et un nouveau passeport et avait pu quitter le pays quelques jours après sa remise en liberté assortie de conditions liées à l’obligation de se présenter. J’examinerai ci-après les arguments du demandeur quant au caractère raisonnable de ces conclusions. Cependant, sous réserve de cette analyse, le raisonnement par lequel la SAR s’est appuyée sur l’absence de preuve corroborante pour tirer des inférences défavorables ne va pas à l’encontre de la jurisprudence applicable.

[21]  Nous ne pouvons pas dire non plus que la SAR n’a pas tenu compte des explications du demandeur relativement à l’absence de documents corroborants. S’agissant de la participation de son père aux activités politiques de l’opposition, la SAR a pris note du témoignage du demandeur selon lequel il n’avait pas jugé important de présenter des documents corroborants et n’avait pas pu s’en procurer, étant donné que l’Arabie saoudite n’autorise aucune forme d’engagement politique. La SAR a toutefois rejeté ces explications, qu’elle a jugé déraisonnables, estimant qu’il serait normal de s’attendre à ce que certains documents viennent attester ces prétendus longs antécédents d’activisme politique, le père du demandeur étant censé notamment avoir été un membre officiel et actif de deux partis politiques et avoir organisé des réunions chez lui pendant plusieurs années.

[22]  Le demandeur conteste également le fait que la SAR a confirmé l’inférence défavorable de la SPR fondée sur l’absence du [TRADUCTION] « moindre » document corroborant. Selon lui, cette conclusion ne tient pas compte du fait qu’il a déposé un document justificatif sous la forme d’une lettre rédigée par le président du BNM, dans laquelle ce dernier l’identifie comme un membre du parti et précise qu’il a été arrêté de manière arbitraire et torturé par les autorités soudanaises en 2016. Je conviens avec le défendeur qu’une lecture attentive de la décision contestée n’étaye pas cet argument. La conclusion pertinente tirée par la SAR tenait à l’absence de documents corroborant les antécédents familiaux du demandeur au sein du parti de l’opposition. En d’autres termes, cette partie de la décision portait sur la preuve corroborant l’engagement du père du demandeur, un élément que n’abordait pas la lettre rédigée par le président du BNM au sujet du demandeur lui-même.

C.  La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre la nouvelle preuve?

[23]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR autorise l’introduction de nouveaux éléments de preuve en appel devant la SAR à condition que les éléments en question soient survenus depuis le rejet de la demande d’asile de l’appelant par la SPR, qu’ils n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, que l’appelant n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[24]  Le demandeur souhaitait introduire des éléments de preuve provenant de sa famille et de ses amis en Arabie saoudite et au Soudan, ainsi qu’une preuve concernant sa participation à des activités au Canada. La SAR a fait remarquer que la SPR avait précisément soulevé au moment de l’audience différentes préoccupations relatives à la crédibilité du demandeur, notamment des problèmes liés à sa preuve et à l’absence de documents corroborants, et que le demandeur avait eu trois mois après l’audience pour fournir de tels documents avant que la SPR ne rejette sa demande d’asile. La SAR a donc estimé que les exigences prévues par la loi aux fins de l’admission de nouveaux éléments de preuve n’avaient pas été remplies.

[25]  Le demandeur conteste cette conclusion et fait remarquer que la SPR n’a pas réclamé d’autres renseignements ou documents propres à dissiper les préoccupations en matière de crédibilité ou de corroboration qui ont abouti aux inférences défavorables. À la fin de l’audience, la SPR a plutôt demandé au conseil du demandeur de ne présenter que des observations très succinctes au sujet de la Réponse à une demande d’information concernant la présence du BNM au Soudan.

[26]  Je conviens que la SPR n’a pas demandé au demandeur de fournir des renseignements ou des documents additionnels comme ceux qu’il a ensuite tenté d’introduire en appel. Cependant, la SAR a estimé que les questions pertinentes avaient été soulevées à l’audience devant la SPR, durant le témoignage du demandeur, et donc il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il fournisse ces documents à la SPR. Je ne relève rien de déraisonnable dans l’analyse que la SAR a effectuée quant au fait que la SPR n’est pas revenue sur ces questions à la fin de l’audience. La SAR a également examiné et rejeté l’argument alors avancé par le demandeur et attribuant son défaut de produire de tels documents à l’incompétence de son conseil.

D.  La conclusion de la SAR quant à la crédibilité de l’allégation selon laquelle le demandeur aurait remis des fonds au BNM était-elle erronée?

[27]  Lorsqu’elle a confirmé les préoccupations en matière de crédibilité soulevées par la SPR relativement à la prétention du demandeur selon laquelle il aurait remis des fonds au BNM en janvier 2016 au Soudan puis été arrêté, la SAR a conclu que son témoignage sur le sujet était vague. Le demandeur conteste cette analyse et fait valoir que la SAR a indûment exigé de lui qu’il soit en mesure d’expliquer les actes ou les motifs du prétendu agent de persécution (voir Varatharasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 11, au par. 18). Il invoque une partie de la transcription de son témoignage, durant lequel la SPR lui a posé plusieurs questions quant à la raison pour laquelle il aurait été arrêté pour avoir eu de l’argent sur lui.

[28]  Cependant, la décision contestée n’indique pas que la SAR était préoccupée par l’incapacité du demandeur à expliquer les motifs animant les autorités soudanaises. La SAR a plutôt noté qu’il n’avait pas pu fournir de détails précis au sujet de la transaction, de l’individu qui aurait reçu l’argent et du BNM lui-même. J’estime, après avoir examiné la transcription, qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la SAR d’avoir ainsi décrit le témoignage fourni par le demandeur sur ces questions. Par exemple, la SAR mentionne que le demandeur s’est montré vague durant son témoignage en ce qui touchait la taille du BNM au Soudan et qu’il a été incapable de préciser ou d’estimer le nombre de ses adhérents et de nommer des leaders du BNM en dehors du chef de cette organisation. Les autres arguments soumis par le demandeur pour faire valoir que la SAR avait eu tort de conclure que son témoignage au sujet du BNM était vague seront examinés ci-après, lorsque je me pencherai précisément sur cette question.

E.  La SAR a-t-elle commis une erreur en confirmant l’examen sélectif par la SPR des documents relatifs au pays?

[29]  Le demandeur a fait valoir devant la SAR que la SPR avait entrepris un examen sélectif des documents sur les conditions dans le pays et que son défaut de mentionner des éléments de preuve documentaire précis constituait une erreur susceptible de contrôle. La SAR n’a pas souscrit à cet argument : faisant remarquer que la SPR est présumée avoir examiné les éléments dont elle disposait, elle n’a relevé aucune preuve à l’effet contraire. Après avoir examiné le témoignage du demandeur, qu’elle a qualifié de vague, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi établissant qu’il avait remis de l’argent au BNM au Soudan, ainsi qu’il le prétendait. Par ailleurs, la preuve relative aux conditions dans le pays ne suffisait pas à établir une telle allégation.

[30]  Le demandeur conteste cette conclusion. Il reconnaît que la SPR est présumée avoir examiné la preuve dont elle disposait; il fait remarquer à juste titre que cette présomption est réfutable et soutient que la SAR a commis une erreur en n’expliquant pas ce qui l’avait amenée à conclure que l’examen de la preuve documentaire par la SPR n’était pas sélectif. Dans son mémoire des arguments soumis à la SAR, le demandeur mentionne plusieurs éléments de preuve portant sur les conditions dans le pays qui décrivent les mauvais traitements réservés aux dissidents (y compris aux membres du BNM) ainsi que d’autres atteintes aux droits de la personne commises par les autorités soudanaises. Il a fait valoir devant la SAR que cette preuve étayait de manière objective sa demande d’asile et que la SPR avait commis une erreur en ne l’abordant pas.

[31]  À mon avis, le raisonnement suivi par la SAR lorsqu’elle a rejeté cet argument figure de manière transparente dans sa décision et appartient aux issues acceptables, selon la norme de la décision raisonnable. Le demandeur n’a fourni aucun fondement probatoire permettant de réfuter la présomption selon laquelle la SPR avait examiné les documents sur les conditions dans le pays. Même s’il est possible que des parties de la preuve documentaire concordent avec les allégations du demandeur, le rejet par la SPR de ces allégations découlait des lacunes de la preuve même du demandeur. La preuve relative aux conditions dans le pays ne suffisait pas à établir la demande d’asile.

F.  La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que le témoignage du demandeur au sujet du BNM était très vague?

[32]  S’agissant en particulier de la conclusion de la SAR selon laquelle son témoignage au sujet du BNM était vague, le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne définissant pas la norme à laquelle sa connaissance du BNM était comparée ou en fixant une norme trop stricte (voir, par exemple, Yilmaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 844, au par. 5 [Yilmaz]; Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 FCT 137, au par. 4).

[33]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision contestée contient une telle erreur. Dans la décision Yilmaz, le tribunal avait commis l’erreur d’exiger un degré de connaissance politique habituellement observé chez un membre actif du parti, plutôt qu’un simple partisan. En l’espèce, la décision contestée conclut d’après moi que le demandeur n’avait pas le degré de connaissance attendu d’une personne revendiquant son profil, c’est-à-dire quelqu’un qui prétendait avoir été un membre actif du BNM pendant plusieurs années.

[34]  Je ne souscris pas non plus à l’observation du demandeur selon laquelle la SAR a déraisonnablement qualifié de vague son témoignage sur la question. La SAR a tiré cette conclusion parce que le demandeur a décrit le BNM à la fois comme un [TRADUCTION] « grand » parti et [TRADUCTION] « pas un grand » parti, mais le demandeur soutient que la lecture de la transcription montre qu’il expliquait simplement que l’organisation était de grande envergure, mais pas autant que les autres partis. Il note également que les renseignements qu’il a fournis au sujet du chef du parti concordent avec la preuve documentaire. Cependant, cet argument obligerait la Cour à outrepasser le mandat qui lui est confié lors du contrôle judiciaire et à revenir sur l’évaluation de la preuve effectuée par la SAR. Compte tenu de mon examen de la partie pertinente de la transcription, j’estime que la conclusion de la SAR portant que les connaissances du demandeur étaient vagues et limitées appartient aux issues raisonnables.

G.  La SAR a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité compte tenu du nouveau passeport, du certificat et du fait que le demandeur avait quitté le pays?

[35]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que celui qui détient un passeport authentique et un certificat ne sera pas confronté aux obstacles décrits dans la preuve documentaire pour quitter le Soudan. Même si la SAR s’est basée sur le fait que le demandeur avait réussi à obtenir un passeport et un certificat pour conclure qu’il n’avait pas été réellement détenu par les autorités soudanaises, il fait valoir que le seul fondement probatoire fourni à l’appui de cette conclusion tenait au fait qu’il avait réussi à obtenir un visa de sortie. Le demandeur affirme également que la SAR n’a pas examiné sa preuve portant qu’il avait engagé un agent pour l’aider à quitter le pays.

[36]  Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans cette partie de l’analyse de la SAR. Cette dernière a tenu compte de l’explication du demandeur portant qu’il avait engagé un agent pour lui procurer le passeport authentique et le certificat, mais elle a estimé que son témoignage était vague et elle a conclu qu’il n’était pas crédible. De plus, le demandeur avait déclaré durant son témoignage que personne n’avait demandé à voir son passeport à l’aéroport, même si le passeport en question comportait un tampon de sortie portant la date de son départ de l’aéroport. Le demandeur prétend ignorer comment le tampon de sortie s’est retrouvé dans son passeport. J’estime que la conclusion de la SAR, selon laquelle l’explication du demandeur n’était pas convaincante, appartient aux issues raisonnables.

VI.  Conclusion

[37]  Ayant examiné les arguments du demandeur, je ne vois aucune raison de conclure que la décision contestée est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et aucune question n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑460‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour d’octobre 2019

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑460‑19

INTITULÉ :

MUATAZ AWAD ABDELHALIM AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 4 septembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge southcott

DATE DES MOTIFS :

le 24 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Christina Maria Gural

Allison Grandish

pour Le demandeur

Nicole Rahaman

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Toronto (Ontario)

pour Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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