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Date : 20190920


Dossier : T‑1695‑17

Référence : 2019 CF 1193

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

KEVIN HARRIS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur sollicite un jugement déclaratoire concernant une procédure et des politiques de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) qui, selon ce qu’il affirme, ont conduit à sa détention arbitraire, inutile et illégale au‑delà de la date de sa libération d’office postsuspension.

[2]  La procédure suivie par la Commission pour appliquer le paragraphe 163(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement] consiste à examiner les dossiers dans l’ordre dans lequel le Service correctionnel du Canada [le SCC] les lui renvoie en application de l’alinéa 135(3)b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, [la Loi].

[3]  Le demandeur soutient que la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience a porté atteinte aux droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [la Charte]. Il affirme que, comme la date de son audience devant la Commission n’a pas été fixée à une date antérieure à la date recalculée de sa libération d’office, soit le 15 septembre 2017, il a été détenu et privé de sa liberté pendant 27 jours de plus que ce qui aurait dû être le cas.

[4]  Plus précisément, le demandeur demande à la Cour de conclure que, lorsqu’elle a décidé de révoquer ou d’annuler sa libération d’office après que son dossier lui eut été renvoyé par le SCC, la Commission a violé ses droits garantis par la Charte en suivant un processus qui établissait l’ordre de priorité de ces décisions en fonction du libellé du paragraphe 163(3) du Règlement, en l’occurrence « dans les 90 jours suivant la date de renvoi du dossier devant elle », étant donné que la date de sa libération d’office était déjà passée avant que l’audience ait lieu et que la décision soit rendue.

[5]  Dans son avis de demande, il sollicite de la Cour un jugement déclarant que le paragraphe 163(3) du Règlement devrait s’interpréter de façon à comprendre les mots additionnels qu’il propose et qui sont soulignés dans l’extrait suivant :

[traduction]

[...] doit être interprété comme limitant le pouvoir discrétionnaire de la Commission de rendre sa décision dans les 90 jours suivant la date du renvoi du dossier devant elle ou la date de l’admission du délinquant dans un pénitencier ou dans un établissement correctionnel provincial si la peine doit y être purgée, selon la date la plus éloignée, mais au plus tard le jour où il a purgé les deux tiers de la part de la partie non purgée de sa peine après sa réincarcération par suite d’une suspension ou d’une révocation en application de l’article 135.

(Souligné dans l’original)

[6]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée. La procédure établie par la Commission pour satisfaire aux dispositions du paragraphe 163(3) du Règlement était raisonnable. Elle ne portait pas atteinte aux droits garantis au demandeur par l’article 7 qui, vu les faits de l’espèce, n’entraient pas en jeu. Toutefois, même s’ils entraient en jeu, la Commission n’a manqué à aucun principe de justice fondamentale.

II.  Les faits à l’origine du litige

[7]  Le 21 octobre 2011, le demandeur a été déclaré coupable et a été condamné à six ans d’emprisonnement pour vol de moins de 5 000 $, séquestration, introduction par effraction et perpétration d’un acte criminel (vol qualifié) et pour avoir été illégalement en liberté.

[8]  La date d’expiration du mandat du demandeur était le 20 octobre 2017. Il s’agit de la date à laquelle le demandeur aurait officiellement fini de purger sa peine, ainsi que la date à laquelle il ne relèverait plus du SCC.

[9]  Le 21 avril 2017, le demandeur a été libéré d’office de l’établissement Warkworth. Dans le cadre de sa libération d’office, il devait vivre au Centre correctionnel communautaire Henry Traill (le Centre). Sa libération était assortie d’un certain nombre de conditions portant sur sa conduite.

[10]  Le 5 juillet 2017, le SCC a suspendu la libération d’office du demandeur parce qu’il avait eu une altercation avec un autre résident du Centre à la suite d’un conflit de jeu. Le demandeur a alors été renvoyé dans un centre de détention fédérale en vertu d’un mandat délivré en application du paragraphe 135(1) de la Loi.

[11]  Dans une évaluation en vue d’une décision datée du 27 juillet 2017, le SCC a recommandé à la Commission d’annuler la libération d’office du demandeur et de lui adresser une réprimande. Le SCC a également recommandé que la libération d’office soit assortie d’une nouvelle condition, en l’occurrence qu’il soit interdit au demandeur de se livrer au jeu.

[12]  L’évaluation en vue d’une décision précisait qu’en cas de révocation de la libération d’office du demandeur, sa nouvelle date de libération d’office serait le 15 septembre 2017. La date d’expiration du mandat du demandeur demeurerait la même, à savoir le 20 octobre 2017.

[13]  Le 13 septembre 2017, l’avocat du demandeur a écrit au SCC pour l’informer qu’il consentait à la révocation de la suspension et à la fixation d’une nouvelle date de libération d’office qui permettrait au demandeur d’être libéré le 15 septembre 2017. Dans cette lettre, l’avocat du demandeur faisait également état d’allégations de détention arbitraire qui violerait la Charte si aucune décision n’était prise au plus tard le 15 septembre 2017.

[14]  Le 14 septembre 2017, la Commission a écrit à l’avocat du demandeur pour l’informer :

  • i) que la Commission disposait de 90 jours après la réception de l’évaluation en vue d’une décision ou la réincarcération du délinquant dans un établissement fédéral, selon la date la plus éloignée, pour prendre une décision;

  • ii) que le mandat dont le demandeur faisait l’objet expirerait avant l’expiration de ce délai de 90 jours;

  • iii) que la Commission ferait tout en son pouvoir pour fixer une date d’audience avant la date d’expiration du mandat délivré contre le demandeur;

  • iv) qu’il convenait de noter que la date de libération d’office recalculée du demandeur, soit le 15 septembre 2017, ne valait que si la Commission décidait de révoquer la suspension.

[15]  Le 28 septembre 2017, le demandeur a été informé par écrit que son audience devant la Commission avait été devancée du 19 octobre 2017 au 12 octobre 2017.

[16]  Le 12 octobre 2017, la Commission a tenu une audience à l’issue de laquelle le demandeur a été libéré d’office. Le 13 octobre 2017, la Commission a fait parvenir au demandeur une feuille de décision dans laquelle elle suivait en grande partie les recommandations du SCC. La décision de la Commission est examinée dans une section distincte des présents motifs.

III.  La procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience

[17]  Le demandeur a obtenu les preuves versées au dossier au sujet de la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience lors de l’interrogatoire de la déposante du défendeur, Mme Thompson. À l’époque, Mme Thompson était gestionnaire régionale intérimaire du Programme de mise en liberté conditionnelle pour la région de l’Ontario et du Nunavut, à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Mme Thompson était essentiellement agente principale de l’examen des dossiers et elle comptait plus d’une vingtaine d’années de service au sein du ministère de la Sécurité publique, où elle avait travaillé dans divers services et organismes.

[18]  Mme Thompson a expliqué que la seule préoccupation qu’avait la Commission lorsqu’il s’agissait de fixer les dates d’audience d’affaires comme celle du demandeur était de s’assurer que la décision puisse être prise dans le délai prévu, à savoir [traduction] « dans les 90 jours suivant la date du renvoi du dossier devant [la Commission] ou la date à laquelle le délinquant est réincarcéré, selon la date la plus éloignée ».

[19]  Mme Thompson a également déclaré que la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience, ainsi que l’ordre dans lequel ces dates sont fixées faisaient intervenir [traduction] « une foule de facteurs ». Elle a notamment mentionné les ressources mises à la disposition des commissaires, le nombre de commissaires requis pour statuer sur une affaire, la question de savoir s’il s’agit d’une audience devant les commissaires ou d’une décision rendue sur dossier, etc., précisant que tous ces facteurs étaient pris en considération. L’objectif était d’entendre les affaires dans le délai de 90 jours prévu par la loi pour rendre une décision.

[20]  Mme Thompson a confirmé que la nouvelle date estimative de libération d’office indiquée dans l’évaluation en vue d’une décision n’est pas prise en compte dans le cadre de cette procédure suivie pour fixer les dates d’audience. On assigne une date aux dossiers selon l’ordre de priorité des délais fixés par la loi pour l’ensemble des décisions et au fur et à mesure que les commissaires sont disponibles pour entendre les affaires selon l’ordre de ces dates.

[21]  À une question concernant la raison pour laquelle la date d’examen du dossier du demandeur n’aurait pas pu être fixée plus tôt, Mme Thompson a répondu que ces dossiers sont classés par ordre de priorité en fonction du délai de 90 jours suivant la réincarcération dans un établissement fédéral ou la réception de l’évaluation en vue d’une décision, selon la date la plus éloignée. Elle a également fait observer qu’il y avait [traduction] « d’autres délais prévus par la loi dont nous devons tenir compte pour d’autres contrevenants qui venaient peut‑être à expiration avant le 15 septembre, date estimative dans le cas du demandeur ».

[22]  Mme Thomson a expliqué qu’on ne tenait pas compte de la nouvelle date estimative de libération d’office du demandeur parce que ce n’était pas une date qui existe « dans les faits », puisque, si la Commission annule la suspension, il n’y a pas de nouvelle libération d’office. En pareil cas, le délinquant est remis en liberté, peu importe que la date soit antérieure ou postérieure à la nouvelle date prévue de sa libération d’office aux termes de l’évaluation en vue d’une décision.

[23]  Il ressort de la preuve que la Commission fixe les dates d’audience en fonction de nombreux facteurs, y compris les besoins des autres délinquants. Les délais prévus par la loi ont une importance capitale, parce que la Commission est dessaisie de l’affaire si l’examen n’a pas eu lieu dans le délai prévu au paragraphe 163(3) du Règlement.

IV.  La décision de la Commission

[24]  Le 12 octobre 2017, la Commission a tenu une audience par vidéoconférence en vue de rendre une décision au sujet de la suspension de la libération d’office du demandeur. Le demandeur a été libéré d’office le jour même. La feuille de décision exposant les motifs de la Commission a été publiée le 13 octobre 2017.

[25]  Après avoir énoncé les critères légaux applicables et avoir accusé réception des observations de l’avocat du demandeur, la Commission a suivi la recommandation du SCC et décidé d’annuler la suspension de la libération d’office du demandeur et de lui adresser une réprimande.

[26]  La Commission a pris note de la recommandation formulée dans l’évaluation en vue d’une décision d’ajouter une condition pour interdire le jeu au demandeur, mais elle a refusé d’ajouter cette condition parce qu’il ne restait que quelques jours avant la date d’expiration du mandat du demandeur.

[27]  Dans sa décision, la Commission a relaté les diverses infractions criminelles commises par le demandeur et énuméré les conditions spéciales dont était déjà assortie sa libération d’office du 21 avril 2017.

[28]  La décision de la Commission relatait également en détail les faits à l’origine de la suspension de la libération d’office du demandeur, notamment ses habitudes de jeu et son comportement agressif. La feuille de décision décrivait plusieurs problèmes de comportement du demandeur, tels que ses crises de colère et ses épisodes d’agitation excessive. La Commission a toutefois conclu que ce comportement pouvait en partie s’expliquer par le trouble affectif bipolaire dont était atteint le demandeur et par le fait qu’il ne prenait pas de médicaments. Le demandeur refusait en effet de prendre ses médicaments. Les résultats des analyses d’urine étaient négatifs lors de chacun des deux tests de dépistage de drogue et d’alcool qu’il a subis.

[29]  La Commission a fait observer que, pour pouvoir annuler la suspension de la libération d’office du demandeur, elle devait être convaincue qu’une récidive du demandeur avant l’expiration de sa peine ne présenterait pas un risque inacceptable pour la société. Le demandeur avait soumis un plan de libération et s’était dit intéressé à conserver un emploi ou un autre. La Commission a fait observer qu’il n’avait plus de problème d’alcool ou de drogue depuis 2010.

[30]  La Commission a conclu que le demandeur ne présenterait pas de risque inacceptable pour la société s’il était libéré d’office. Elle a conclu que sa libération faciliterait sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

V.  Les questions en litige

[31]  Il y a deux questions préliminaires à trancher.

A.  L’affaire devrait‑elle être instruite malgré son caractère théorique?

[32]  Les parties reconnaissent que l’affaire est devenue théorique depuis que le demandeur a été libéré d’office le 12 octobre 2017.

[33]  Elles demandent néanmoins à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de procéder au contrôle judiciaire parce qu’il arrive fréquemment qu’il ne reste que 120 jours ou moins à écouler avant la date d’expiration du mandat des délinquants, qui perdent alors leur libération d’office. Il serait utile pour cette raison que la Cour se prononce sur la question.

[34]  Pour décider s’il y a lieu d’instruire une affaire théorique, on applique le critère en deux étapes énoncé dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski].

[35]  La première étape consiste à déterminer si l’affaire est théorique. Pour les parties à l’instance, il ne fait aucun doute que c’est effectivement le cas. Tout litige concret entre les parties a cessé d’exister dès le moment où le demandeur a été libéré.

[36]  À la seconde étape, la Cour doit décider si elle exerce ou non son pouvoir discrétionnaire pour juger l’affaire malgré le fait que celle‑ci est théorique. Pour aider le tribunal à déterminer s’il y a lieu d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, l’arrêt Borowski propose une analyse à plusieurs volets fondée sur les trois raisons d’être de la doctrine du caractère théorique. La demande a été plaidée sur cette base.

[37]  Il me faut tout d’abord déterminer si la tenue d’un débat contradictoire est nécessaire pour trancher la question. Ce facteur est important pour s’assurer que les parties débattent à fond la question en litige. Les avocats de chacune des parties se sont dits préoccupés par le fait que cette situation était récurrente et qu’il fallait la régler.

[38]  Les faits ne sont pas contestés. Le litige porte sur une question bien précise. Je suis convaincue que la demande a été plaidée énergiquement comme si elle n’était pas théorique, ce qui milite en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont je dispose pour instruire l’affaire.

[39]  Deuxièmement, je dois tenir compte de l’impératif que constitue l’économie des ressources judiciaires. On m’informe – et j’admets – que la possibilité qu’un délinquant se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur n’obtienne pas de décision de la Commission avant l’expiration de la date recalculée de sa libération d’office proposée dans l’évaluation en vue d’une décision est un problème récurrent. Le SCC a 30 jours pour préparer l’évaluation en vue d’une décision et la Commission, 90 jours pour examiner le dossier, à moins que le délinquant ne demande et n’obtienne un ajournement. La période maximale qui s’écoule habituellement entre la date de la révocation de la libération d’office et la date à laquelle la Commission doit trancher la question correspond au total du délai accordé au SCC et du délai dont dispose la Commission, c’est‑à‑dire 120 jours. Il s’agit donc effectivement d’un problème qui revient souvent, mais qui ne se pose que pendant une période de temps très courte. Ces considérations militent donc en faveur de l’instruction de l’affaire.

[40]  Le troisième et dernier facteur est la nécessité pour la Cour de se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans le cadre de notre structure politique. Cette question d’interprétation législative concerne un office fédéral qui applique une loi fédérale en mettant en œuvre un processus ou un protocole particulier. Cette question relève de la compétence de la Cour, qui peut accorder une réparation en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. En procédant à l’examen de la question, la Cour ne renonce pas à son rôle traditionnel d’arbitre. Je signale par ailleurs que l’avocat du défendeur, le procureur général du Canada, a exhorté la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire en décidant d’instruire l’affaire.

[41]  Pour les motifs qui ont été exposés, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et décide d’examiner la présente demande même si la question en litige est théorique.

B.  La demande est‑elle prématurée?

[42]  Avant l’instruction de la présente affaire, la Cour a soulevé la question de savoir si l’affaire était « prématurée » ou « pas encore mûre », étant donné que le demandeur n’avait pas interjeté appel de la décision de la Commission.

[43]  Le paragraphe 147(1) de la Loi offre aux délinquants la possibilité d’interjeter appel de la décision de la Commission auprès de la Section d’appel de la Commission. L’article 168 du Règlement exige que l’appel soit interjeté par écrit dans les deux mois de la décision de la Commission. L’avis d’appel doit exposer les motifs d’appel et être accompagné de tous les renseignements et documents à leur appui.

[44]  Le paragraphe 147(4) de la Loi énumère les décisions que la Section d’appel peut rendre au terme de la révision :

Décision

(4) Au terme de la révision, la Section d’appel peut rendre l’une des décisions suivantes :

a) confirmer la décision visée par l’appel;

b) confirmer la décision visée par l’appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

d) infirmer ou modifier la décision visée par l’appel.

Decision on appeal

(4) The Appeal Division, on the completion of a review of a decision appealed from, may

(a) affirm the decision;

(b) affirm the decision but order a further review of the case by the Board on a date earlier than the date otherwise provided for the next review;

(c) order a new review of the case by the Board and order the continuation of the decision pending the review; or

(d) reverse, cancel or vary the decision.

[45]  Le défendeur soutient qu’il n’est pas manifeste que la Section d’appel pouvait se déclarer compétente pour entendre l’appel. Le demandeur n’est pas en désaccord avec le résultat de la décision, puisqu’il correspond à ce à quoi il a « consenti », mais il objecte plutôt que le traitement de la demande a pris trop de temps, même si le délai prévu par la loi a été respecté.

[46]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’il ne disposait d’aucune voie de recours réaliste. Aucune des mesures énumérées au paragraphe 147(4) de la Loi n’aurait pu permettre au demandeur d’obtenir réparation. Le demandeur voulait qu’une décision soit rendue au plus tard le 15 septembre 2017 pour pouvoir être libéré ce jour‑là. Une fois cette date passée, rien ne pouvait être fait en appel pour remédier à la situation.

[47]  Le demandeur sollicite un jugement déclarant que la procédure suivie par la Commission violait les droits que lui garantit la Charte. La Section d’appel n’a pas le pouvoir légal de rendre un tel jugement déclaratoire. Pour cette seule raison, elle n’aurait pas pu instruire l’affaire.

[48]  Pour les motifs qui ont été exposés, je suis convaincue que la demande n’est pas prématurée.

C.  La question à trancher

[49]  Le demandeur a bien précisé lors de l’instruction de la présente affaire qu’il ne contestait pas la constitutionnalité du paragraphe 163(3) du Règlement, qui oblige la Commission à rendre une décision dans les 90 jours suivant la date du renvoi du dossier devant elle par le SCC. Il allègue que les droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte ont été enfreints en raison de l’interprétation qu’a adoptée la Commission en décidant de traiter les dossiers qui lui sont renvoyés par le SCC dans l’ordre dans lequel elle les reçoit plutôt qu’en fonction de la date de la libération d’office du demandeur.

[50]  Le défendeur nie qu’il y ait eu violation de la Charte puisque la procédure suivie respectait le délai prévu par la loi. S’il y a effectivement eu violation de la Charte, il n’y a pas eu de manquement aux principes de justice fondamentale.

[51]  Le demandeur soutient par ailleurs, à titre subsidiaire, que la procédure suivie par la Commission est déraisonnable parce qu’elle ne répond pas aux critères de justification, d’intelligibilité et de transparence énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[52]  Bien que cet argument ait été mentionné dans les observations écrites, il n’a été ni développé ni même abordé à l’audience. La Cour ne se prononce donc pas à son sujet.

VI.  La norme de contrôle

[53]  Le demandeur soutient que la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience découle d’une interprétation du paragraphe 163(3) de la Loi par laquelle la Commission s’attribue le droit de violer les droits qui lui sont garantis par la Charte. Le demandeur ne conteste pas directement la décision de la Commission, mais il affirme que le processus suivi pour fixer la date de son audience porte atteinte à son droit à la liberté garanti par l’article 7 et constitue un manquement aux principes de justice fondamentale.

[54]  Les parties conviennent toutes les deux que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission en cas de manquement allégué à la Charte est celle de la décision correcte.

[55]  Je ne suis pas de cet avis.

[56]  Les parties citent toutes les deux l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 200, aux paragraphes 61 à 64, à l’appui de l’application de la norme de contrôle de la décision correcte. Or, au paragraphe 62, la Cour d’appel a expressément prévu une exception dans le cas qui nous intéresse en l’espèce :

Cette présomption est toutefois inapplicable si une affaire porte sur une question constitutionnelle (autre que la question de savoir si l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire viole la Charte ou est contraire aux valeurs qu’elle consacre), une question d’intérêt général pour le système juridique qui n’est pas du ressort d’un décideur spécialisé, la détermination des compétences respectives d’au moins deux décideurs administratifs ou une question qui intéresse « véritablement » la compétence : Dunsmuir, aux paragraphes 58 à 61; Smith, au paragraphe 26; Mowat, au paragraphe 18; Alberta Teachers, au paragraphe 30; MBAC, au paragraphe CX; CN, au paragraphe 55.

(Non souligné dans l’original)

[57]  Les mémoires déposés dans la présente affaire ont été rédigés avant que la Cour suprême rende son arrêt, publié à 2018 CSC 31, par lequel elle a confirmé la décision de la Cour d’appel. La Cour suprême a rappelé l’importance de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive. Au paragraphe 54, la Cour suprême a expressément conclu, à l’instar de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, que la norme de la décision raisonnable s’appliquait. Elle n’a pas modifié la conclusion précitée tirée par la Cour d’appel.

[58]  En l’espèce, la Loi est la loi habilitante de la Commission. La norme de la décision raisonnable s’applique lorsque le décideur administratif exerçant un pouvoir discrétionnaire en vertu de sa loi constitutive est, de par son expertise et sa spécialisation, particulièrement au fait des considérations opposées en jeu dans la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, au paragraphe 6 [Doré]).

[59]  La norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Commission concernant la libération d’office d’un délinquant après réception d’une évaluation en vue d’une décision du SCC est la norme de la décision raisonnable; il s’agit d’une question mixte de faits et de droit qui commande l’interprétation de la loi habilitante de la Commission (Eakin c Canada (Procureur général), 2017 CF 394, au paragraphe 14; Dunsmuir, au paragraphe 47).

[60]  Est raisonnable la décision justifiée qui a été rendue à la suite d’un processus décisionnel transparent et intelligible, qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Selon ces paramètres, il peut y avoir plusieurs conclusions possibles et raisonnables (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[61]  Je constate que le demandeur ne pourrait pas non plus obtenir gain de cause si l’on appliquait la norme de contrôle de la décision correcte, étant donné que, pour les motifs qui suivent, les droits garantis au demandeur par l’article 7 de la Charte n’entrent pas en jeu. Par conséquent, ni la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience ni le maintien en détention du demandeur n’étaient arbitraires, de sorte qu’aucun manquement aux principes de justice fondamentale n’a été commis.

VII.  La position du demandeur

A.  La thèse du demandeur

[62]  La Commission n’a tenu une audience et examiné l’évaluation en vue d’une décision que le 12 octobre 2017, longtemps après que le demandeur eut consenti à la recommandation, le 13 septembre 2017.

[63]  Le demandeur souligne que l’évaluation en vue d’une décision précisait que, si la Commission révoquait sa libération d’office, sa nouvelle date de libération d’office serait le 15 septembre 2017. C’est la date qu’il retient pour affirmer que son incarcération a été injustement prolongée de vingt‑sept jours.

[64]  Le demandeur affirme qu’en rendant sa décision le 12 octobre 2017 plutôt que le 15 septembre 2017 comme il l’avait d’abord indiqué, le SCC l’a privé injustement de sa liberté et a violé les droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte.

B.  Les moyens tirés de la Charte

[65]  L’article 7 de la Charte dispose : « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Le demandeur affirme que ses droits garantis par l’article 7 ont été violés parce que la procédure suivie par la Commission s’est soldée par sa détention arbitraire, ce qui constitue un manquement aux principes de justice fondamentale.

[66]  Le demandeur a avancé un certain nombre de motifs pour appuyer sa théorie selon laquelle la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience était arbitraire. Il a notamment fait valoir que :

  • - la Commission ne prend pas connaissance d’office des dates de mise en liberté antérieures à l’expiration du délai de 90 jours qui lui est imparti pour prendre une décision;

  • - l’objectif de la Commission de traiter les dossiers dans le délai prescrit par la loi constitue un abus de procédure parce que le demandeur était d’accord avec la recommandation contenue dans l’évaluation en vue d’une décision et, à titre subsidiaire, parce qu’il a consenti à ce que sa libération d’office soit révoquée, alors que la Commission n’a rien fait pour éviter que sa détention se prolonge indûment, témoignant ainsi du fait qu’elle n’accordait aucune importance à son droit à la liberté;

  • - par la procédure qu’elle suit pour fixer les dates d’audience, la Commission abuse du créneau de 90 jours que lui accorde le paragraphe 163(3), faisant ainsi preuve d’une attitude injuste et d’une insensibilité qui choqueraient la conscience de citoyens neutres et bien informés;

  • - la méthode suivie par la Commission va également à l’encontre de la décence et de la justice sociales fondamentales, ce qui remet en question l’intégrité de tout le système de libération conditionnelle et du système de justice pénale dans son ensemble.

[67]  Le demandeur affirme qu’après qu’il lui eut précisé qu’il ne contesterait pas la recommandation du SCC, la Commission disposait de ce qui équivalait à un « consentement commun » du SCC et de lui‑même. La Commission aurait dû accepter ce consentement lorsque la lettre du 13 septembre 2017 lui a été adressée. Si elle l’avait fait, le demandeur aurait été libéré à la date fixée dans l’évaluation en vue d’une décision.

VIII.  La position du défendeur

[68]  Le défendeur soutient que le maintien en détention du demandeur après sa réincarcération était légal. Tant que la Commission n’a pas rendu de décision sur le fond, la suspension de la libération d’office demeure en vigueur.

[69]  Le défendeur renvoie la Cour aux alinéas 107(1)b), c) et d) de la Loi, qui prévoient que la Commission a toute compétence et latitude pour : (1) mettre fin à la libération d’office ou la révoquer; (2) annuler la suspension, la cessation ou la révocation de la libération d’office; (3) examiner le cas du délinquant qui lui a été déféré en application de l’article 129 et rendre une décision à son égard.

[70]  Le défendeur affirme que, tant que la Commission ne révoque pas la libération d’office, la date calculée par le SCC ne peut s’appliquer au demandeur. À cet égard, le demandeur ne pouvait donner son consentement ou son accord à quoi que ce soit.

[71]  De plus, le paragraphe 135(5) de la Loi permet de maintenir le demandeur en détention jusqu’à ce que la Commission rende une décision « au cours de la période prévue par règlement », c’est‑à‑dire dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 163(3) du Règlement.

[72]  Pour ce qui est des principes de justice fondamentale, le défendeur affirme que la Commission n’en a violé aucun.

[73]  Le défendeur affirme tout d’abord que la Commission n’a pas agi de façon arbitraire. Il soutient qu’elle a agi dans le respect des paramètres établis par le régime législatif applicable.

[74]  Deuxièmement, les mesures prises par la Commission n’avaient pas une portée excessive. Elles ne concernaient que les délinquants qui n’avaient pas respecté les conditions de leur libération d’office et pour lesquels il fallait rendre une décision au titre du paragraphe 135(5) de la Loi.

[75]  Enfin, la décision de la Commission de respecter le délai de 90 jours prévu par la loi pour rendre une décision n’était pas extrême au point de constituer une mesure exagérément disproportionnée par rapport à tout intérêt légitime du gouvernement. L’article 100.1 de la Loi prévoit que, dans tous les cas, la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission. La Commission devait en tenir compte et en a tenu compte pour décider de la suite à donner relativement à la libération d’office du demandeur.

IX.  Analyse

[76]  Pour obtenir gain de cause en l’espèce, le demandeur doit démontrer que la mise en œuvre par la Commission de la procédure adoptée pour rendre une décision dans le délai de 90 jours prévu par le paragraphe 163(3) du Règlement contrevenait aux droits que lui garantit l’article 7 en le privant de sa liberté et que cette privation était contraire aux principes de justice fondamentale (Cunningham c Canada, [1993] 2 RCS 143, à la page 148).

[77]  Si la Cour conclut que le demandeur a été privé de sa liberté contrairement aux principes de justice fondamentale, le défendeur doit alors démontrer que la violation des droits du demandeur était justifiée par l’article premier de la Charte.

[78]  Le demandeur exhorte la Cour à conclure que la procédure adoptée par la Commission pour statuer sur les dossiers en matière de libération d’office dans l’ordre dans lequel elle les reçoit tout en respectant le délai prescrit par la Loi violait les droits que lui garantit l’article 7, ajoutant que ce processus est arbitraire et qu’il va à l’encontre de l’article 9 de la Charte et des principes de justice fondamentale.

[79]  L’article 9 énonce trois grands principes de justice fondamentale qui interdisent : (i) l’arbitraire; (ii) la portée excessive et (iii) la disproportion exagérée.

[80]  L’analyse portera sur le principe de l’arbitraire, étant donné que le demandeur l’a mentionné et qu’il n’a pas formulé d’observations sur la portée excessive ou sur la disproportion exagérée.

A.  L’arbitraire et la Charte

[81]  En ce qui concerne la détention et l’incarcération en général, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’emprisonnement d’un individu ne peut être considéré comme « arbitraire » lorsqu’« on se rend vite compte que non seulement l’incarcération est [...] autorisée par la loi, mais que les dispositions pertinentes définissent une catégorie restreinte de délinquants à l’égard desquels ces dispositions peuvent être légitimement invoquées, et qu’elles prescrivent en des termes on ne peut plus précis à quelles conditions [l’incarcération peut avoir lieu] » (R c Lyons, [1987] 2 RCS 309, au paragraphe 62 [Lyons]).

[82]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 [Bedford], la Cour suprême a déclaré que, pour déterminer si une disposition est arbitraire, le tribunal doit se demander s’il existe un lien direct entre son objet et les faits allégués par l’intéressé.

[83]  Le degré ou la nature du lien de causalité entre la mesure prise par le gouvernement et le préjudice subi en l’espèce par le demandeur constitue un « lien de causalité suffisant ». Pour répondre à cette définition, le lien doit être réel et non spéculatif.

[84]  Il incombe au demandeur de démontrer l’existence d’un lien suffisant entre, d’une part, l’exigence du délai de 90 jours prévu paragraphe 163(3) du Règlement qui s’est concrétisé par la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience et, d’autre part, le fait que le demandeur n’a pas été libéré d’office le 15 septembre 2017, date prévue dans l’évaluation en vue d’une décision.

B.  Le maintien en détention du demandeur n’était pas arbitraire

[85]  Le demandeur affirme qu’il n’a pas été libéré le 15 septembre 2017 parce que la Commission n’a pas voulu statuer sur l’affaire en temps utile. Il soutient qu’à compter du 16 septembre 2017, sa détention devenait arbitraire.

[86]  L’arrêt Lyons établit que la détention du demandeur n’est pas arbitraire si elle répond aux critères suivants : (1) elle est autorisée par la loi; (2) la loi définit une catégorie restreinte de délinquants à l’égard desquels elle peut légitimement être invoquée; (3) la loi prescrit à quelles conditions cette détention peut avoir lieu.

[87]  Au départ, le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans pour avoir commis des actes criminels. Son emprisonnement était autorisé par le Code criminel, LRC 1985, c C‑46.

[88]  Il a par la suite été autorisé à vivre en liberté dans la collectivité dans un établissement résidentiel après avoir été libéré d’office en vertu de l’article 127 de la Loi.

[89]  Le SCC a suspendu le droit du demandeur de demeurer en liberté et de vivre dans la collectivité après qu’il eut violé les conditions de sa libération d’office. Un mandat d’arrestation a alors été délivré en vertu des paragraphes 135(1) et 135(1.2) de la Loi. Le mandat a été exécuté quelques heures plus tard et le demandeur a été réincarcéré.

[90]  Le comportement que le demandeur a eu au Centre a donné lieu à l’application des dispositions de la Loi et du Règlement. Il n’y avait rien d’arbitraire dans le fait de le garder détenu en attendant l’examen de l’évaluation en vue d’une décision. Son maintien en détention était autorisé par la Loi. Le maintien en détention visait expressément une catégorie restreinte de délinquants, en l’occurrence ceux qui ont été libérés d’office et dont la mise en liberté a été suspendue.

[91]  On trouve d’autres garanties et protections contre la détention arbitraire à l’alinéa 135(3)b) de la Loi, qui exige qu’une fois que le délinquant a été réincarcéré, la suspension de sa libération d’office doit être annulée ou son dossier doit être renvoyé à la Commission dans les 30 jours suivants. Tout renvoi doit être accompagné par une évaluation en vue d’une décision indiquant les conditions auxquelles le délinquant pourrait raisonnablement être libéré d’office de nouveau.

[92]  La Commission a examiné et jugé le dossier dans le délai de 90 jours prévu au paragraphe 163(3) du Règlement. La décision de la Commission a eu pour effet de rétablir la libération d’office du demandeur, qui a alors été immédiatement remis en liberté.

[93]  L’incarcération initiale était autorisée par la loi. La catégorie de délinquants était restreinte par la loi et ne visait que ceux ayant enfreint une des conditions de leur libération d’office. En outre, la Loi et le Règlement définissent avec précision les conditions auxquelles leur libération d’office peut être suspendue, terminée, révoquée ou rendue inopérante.

[94]  Le SCC et la Commission ont respecté le processus prévu par la loi, y compris l’obligation de rendre une décision dans un délai de 90 jours. Le demandeur n’a fait état d’aucun élément permettant de conclure que sa détention était arbitraire au sens de la Charte.

C.  La détention du demandeur n’a pas été « prolongée indûment »

[95]  Le demandeur affirme que sa détention a été « prolongée indûment » parce que son audience devant la Commission n’a pas eu lieu au plus tard le 15 septembre 2017. Il affirme en fait qu’il avait le droit d’être mis en liberté à la date provisoire recalculée de sa libération d’office prévue dans l’évaluation en vue d’une décision.

[96]  On ne trouve pas l’expression « prolongation indue de la détention » dans la Loi ou le Règlement. C’est une expression employée en droit criminel pour désigner le défaut de la police de relâcher la personne arrêtée « le plus tôt possible ». Je crois comprendre que le demandeur veut dire que sa détention a été prolongée indûment en ce sens qu’il est resté en prison après l’expiration du délai pendant lequel il pouvait être légalement détenu. Par exemple, s’il devait être libéré d’office et que, sans autorisation légale, il ne l’a pas été, il pourrait s’agir d’une détention prolongée indûment. Ou, s’il avait atteint la date d’expiration de son mandat, mais avait été gardé en prison, il serait détenu après la date de sa libération obligatoire.

[97]  Ni l’un ni l’autre de ces deux scénarios ne s’applique dans le cas du demandeur. Il a été libéré le 12 octobre 2017, huit jours avant la date d’expiration de son mandat. Il a été libéré d’office le jour où la Commission a statué sur son dossier et a annulé la suspension de sa libération d’office, rétablissant ainsi sa libération d’office.

D.  Le demandeur ne pouvait pas consentir à la date de libération du 15 septembre 2017 et il ne pouvait pas obliger la Commission à accepter cette date

[98]  La thèse avancée par le demandeur pour affirmer qu’il aurait dû être libéré le 15 septembre 2017 repose essentiellement sur le fait que, dans sa lettre du 13 septembre 2017, il avait accepté cette date. Il affirme qu’il a consenti à la révocation de sa libération d’office, de sorte que son maintien en détention après cette date le privait illégalement de sa liberté.

[99]  Le droit du délinquant à la libération d’office est énoncé au paragraphe 127(1) de la Loi, qui prévoit que le délinquant a le droit d’être mis en liberté « à la date fixée conformément au présent article », c’est‑à‑dire à la date à laquelle il a purgé les deux tiers de sa peine. Ce paragraphe débute toutefois par les mots suivants : « sous réserve des autres dispositions de la présente loi ».

[100]  Le paragraphe 128(2) de la Loi énonce que le délinquant qui bénéficie d’une libération d’office a le droit d’être en liberté aux conditions fixées à moins que sa libération d’office ne soit suspendue, annulée ou révoquée :

Mise en liberté

(2) Sauf dans la mesure permise par les modalités du régime de semi-liberté, il a le droit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, d’être en liberté aux conditions fixées et ne peut être réincarcéré au motif de la peine infligée à moins qu’il ne soit mis fin à la libération conditionnelle ou d’office ou à la permission de sortir ou que, le cas échéant, celle-ci ne soit suspendue, annulée ou révoquée.

Freedom to be at large

(2) Except to the extent required by the conditions of any day parole, an offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence is entitled, subject to this Part, to remain at large in accordance with the conditions of the parole, statutory release or unescorted temporary absence and is not liable to be returned to custody by reason of the sentence unless the parole, statutory release or unescorted temporary absence is suspended, cancelled, terminated or revoked.

[101]  À la suite de la suspension de sa libération d’office, le demandeur n’avait plus le droit d’être en liberté. Il a légalement été réincarcéré en vertu de la Loi en attendant l’examen de l’évaluation en vue d’une décision.

[102]  Le calcul que le SCC a fait le 15 septembre 2017 dans l’évaluation en vue d’une décision pour réviser la date de la libération d’office du demandeur a été fait en vertu de l’alinéa 127(5)a) de la Loi. Ce calcul ne valait qu’en cas de révocation de la libération d’office du demandeur :

Droit à la libération d’office après la révocation

(5) Sous réserve des paragraphes 130(4) et (6), la date de libération d’office du délinquant dont la libération conditionnelle ou d’office est révoquée est celle à laquelle il a purgé :

a) soit les deux tiers de la partie de la peine qu’il lui restait à purger au moment de la réincarcération qui a suivi la suspension ou la révocation prévue à l’article 135;

(Non souligné dans l’original)

If parole or statutory release revoked

(5) Subject to subsections 130(4) and (6), the statutory release date of an offender whose parole or statutory release is revoked is

(a) the day on which they have served two thirds of the unexpired portion of the sentence after being recommitted to custody as a result of a suspension or revocation under section 135;

(my emphasis)

[103]  Comme la Commission n’a pas révoqué la libération d’office du demandeur, la date du 15 septembre 2017 n’était rien de plus qu’une hypothèse formulée au sujet de ce qui aurait pu se produire.

[104]  Le demandeur laisse également entendre qu’en fait, la Commission aurait dû se contenter d’entériner d’office son « accord » ou son « consentement » à l’évaluation en vue d’une décision. Il compare cette formalité à ce qu’on appelle, à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, une « motion omnibus ». Aux termes des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la procédure équivalente est celle de la requête écrite présentée sur consentement en vertu de l’article 369. Le demandeur n’a cité aucune disposition de la Loi ou du Règlement, ni procédure du SCC ou de la Commission à l’appui de sa thèse.

[105]  En tout état de cause, il n’y a pas eu de « motion omnibus » ou de requête sur consentement nécessitant l’intervention de la Commission. Le SCC a formulé une recommandation à l’intention de la Commission dans l’évaluation en vue d’une décision. Le SCC serait normalement bien au fait de la possibilité que la Commission ne soit pas d’accord avec la recommandation contenue dans l’évaluation en vue d’une décision. En réalité, en fin de compte, la Commission n’a pas entièrement suivi la recommandation, puisqu’elle a décidé de ne pas retenir l’interdiction faite au demandeur de s’adonner au jeu.

[106]  La Commission a, selon les alinéas 107(1)b) et c) de la Loi, toute compétence et latitude pour : (1) mettre fin à la libération d’office ou la révoquer; (2) annuler la suspension, la cessation ou la révocation de la libération d’office. Le SCC ne pouvait pas obliger la Commission à prendre une décision déterminée.

[107]  En résumé, la Commission n’était pas liée par la présumée acceptation, par le demandeur, de la recommandation du SCC. L’évaluation en vue d’une décision ne renfermait pas d’offre susceptible d’être acceptée par le demandeur. Si on la présente sous son jour le meilleur et le plus favorable au demandeur, sa lettre du 13 septembre 2017 était une tentative de conclure un marché avec la Commission en se fondant sur une lecture déformée de l’évaluation en vue d’une décision et sans tenir compte des dispositions législatives applicables.

E.  La Commission n’a pas agi arbitrairement en fixant la date d’audience du demandeur

[108]  À la date de sa lettre du 13 septembre 2017, la libération d’office du demandeur avait été suspendue en attendant que la Commission rende une décision en vertu du paragraphe 163(3) du Règlement. Comme le demandeur ne bénéficiait pas d’une libération d’office, son incarcération était légale.

[109]  Le défaut de la Commission de fixer la date de l’audience du demandeur dans le délai de deux jours qui lui a été accordé le 13 septembre 2017 n’a pas eu pour effet de priver de nouveau ou davantage le demandeur de son droit à la liberté. Il n’avait pas le droit d’être libéré le 15 septembre 2017.

[110]  Dans la lettre qu’elle a adressée en réponse au demandeur, la Commission a précisé qu’elle ferait [traduction] « tout en son pouvoir pour fixer une date d’audience antérieure à la date d’expiration du mandat », le 20 octobre 2017. L’audience a eu lieu le 12 octobre 2017 et le demandeur a été libéré le même jour.

[111]  Le témoignage de Mme Thomson concernant la façon dont la Commission fixe les dates d’audience était clair. Le facteur déterminant est le délai de 90 jours prévu au paragraphe 163(3) du Règlement, qui oblige la Commission à « rendre sa décision dans les 90 jours suivant la date de renvoi ».

X.  Conclusion

[112]  Compte tenu de l’obligation pour le demandeur de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience et la privation de son droit à la liberté, je suis convaincue qu’il n’a établi ni l’un ni l’autre.

[113]  La procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience ne s’est pas soldée par une incarcération du demandeur pour une période plus longue que celle de sa peine initiale. L’évaluation en vue d’une décision a été renvoyée à la Commission le 27 juillet 2017, soit 90 jours avant le 25 octobre 2017. Le demandeur a été libéré le 12 août 2017, donc avant le 20 octobre 2017, date d’expiration de son mandat, et avant l’expiration du délai de 90 jours.

[114]  À la réponse no 118 qu’elle a donnée lors de son interrogatoire, Mme Thomson a fourni une explication raisonnable et logique en ce qui concerne la raison d’être de cette procédure. Cette procédure s’appuie selon elle sur une loi précise, sur les réalités opérationnelles du gouvernement et sur une évaluation globale de l’univers de délinquants susceptibles d’être touchés par une décision de la Commission dans le délai de 90 jours dont dispose la Commission pour examiner le dossier du demandeur et pour rendre une décision à son sujet.

[115]  Compte tenu de la preuve et des dispositions législatives, je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience était arbitraire au sens de la Charte.

[116]  Le demandeur n’a pas réussi à établir l’existence d’un lien suffisant entre, d’une part, le délai obligatoire de 90 jours prévu au paragraphe 163(3) du Règlement, qui s’est concrétisé par la procédure suivie par la Commission pour fixer les dates d’audience et, d’autre part, le fait qu’il n’a pas été libéré d’office le 15 septembre 2017, date prévue dans l’évaluation en vue d’une décision. Comme je l’ai déjà expliqué dans les présents motifs de jugement, le demandeur n’a pas été libéré d’office le 15 septembre 2017 parce que sa libération d’office n’avait pas été révoquée.

[117]  La demande est rejetée, le tout sans frais.


JUGEMENT dans le dossier T‑1695‑17

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, le tout sans frais.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er novembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

T‑1695‑17

INTITULÉ :

KEVIN HARRIS c. PROCUREUR GÉNÉRAL DUCANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS ::

LA JUGE ELLIOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Brian A. Callender

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Bond

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Callender Law Office

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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