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Date : 20190924


Dossier : IMM-952-19

Référence : 2019 CF 1219

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

KAI WEN JI

LI PING LI

DING MING LI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  La présente affaire concerne Kai Wen Ji (le demandeur principal), son épouse, Li Ping Li, et son beau-fils, Ding Ming Li (connu sous le nom de « Jack »), dont la demande visant l’obtention d’un statut en matière d’immigration a été refusée pour fausses déclarations. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI), qui a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre d’une décision selon laquelle ils étaient interdits de territoire pour fausses déclarations, suivant l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]  Les demandeurs sont tous citoyens de la Chine. En 2005, le demandeur principal a demandé le statut de résident permanent dans le cadre du Programme d’immigration des investisseurs du Québec. Il a eu recours aux services d’un consultant en immigration, M. Wang, pour l’aider à présenter sa demande. Deux événements sont survenus alors que la demande était en cours de traitement. D’abord, le fils du demandeur principal (issu de son premier mariage) est venu en Colombie-Britannique avec un visa d’étudiant pour poursuivre ses études. Puis, le demandeur principal a mis un terme à son premier mariage et il a développé une relation avec Mme Li qui, depuis, est devenue son épouse.

[3]  La demande du demandeur principal au titre de la catégorie des investisseurs a été approuvée, et il a obtenu le droit d’établissement à titre de résident permanent en 2009. Il n’a jamais résidé au Québec, mais il a plutôt effectué un court séjour en Colombie-Britannique avant de retourner en Chine. Il a ensuite épousé Mme Li et présenté une demande afin de la parrainer, ainsi que son nouveau beau-fils. Le demandeur principal a à nouveau fait appel aux services de M. Wang, le consultant en immigration. La demande de parrainage a été acceptée, et Mme Li et son fils sont arrivés au Canada en 2010.

[4]  Les problèmes des demandeurs ont commencé lorsque M. Wang a fait l’objet d’une enquête, puis a été reconnu coupable d’une entreprise de fraude systématique à grande échelle du système d’immigration (pour une analyse à propos du stratagème en cause, voir Liu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 849 [Liu]). À la suite de l’enquête, on a découvert que les demandeurs avaient obtenu un statut grâce à de fausses déclarations. La demande présentait notamment M. Ji comme un résident au Canada au moment de la demande de parrainage, alors qu’il vivait en fait en Chine; l’enquête a également révélé qu’il travaillait au Canada pour une entreprise fictive créée par M. Wang.

[5]  Un rapport en vertu de l’article 44 a été produit contre les demandeurs, puis présenté à la Section de l’immigration. La Section de l’immigration a pris des mesures de renvoi au motif que les demandeurs avaient obtenu un statut par suite de fausses déclarations. La SAI a confirmé cette conclusion dans une décision datée du 20 janvier 2019, dans laquelle elle a également conclu qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant de faire droit à l’appel. Cette décision constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Question en litige et norme de contrôle

[6]  La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAI est déraisonnable. Les demandeurs font valoir deux principaux arguments : premièrement, que les conclusions de la SAI en matière de crédibilité sont déraisonnables; et deuxièmement, que la SAI n’a pas tenu compte de la situation particulière des demandeurs, et en particulier de celle du beau-fils, Jack, dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire.

[7]  La norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 187, aux paragraphes 22 à 26. L’approche de l’examen selon la norme du caractère raisonnable a été exprimée de plusieurs façons depuis qu’elle a été formulée pour la première fois dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Aux fins de la présente affaire, j’aimerais insister sur plusieurs considérations :

  • Le contrôle « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » — compte tenu du dossier et des motifs (Dunsmuir, au paragraphe 47);
  • La question clé est de savoir « [si] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables [peut] se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir, au paragraphe 47);
  • L’évaluation de la crédibilité est au cœur de l’expertise de la SAI, ce qui exige la déférence d’une cour de révision — laquelle n’a pas l’avantage d’observer le témoignage en personne —, ainsi que l’expertise spécialisée que le décideur apporte au processus (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42 [Rahal]);
  • L’octroi de mesures fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est discrétionnaire et exceptionnel; il ne s’agit pas d’un système d’immigration « parallèle », mais plutôt d’une soupape de sécurité permettant de tenir compte des complexités de la vie et des circonstances pouvant survenir. La déférence est également due à pareille décision de la SAI (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, aux paragraphes 23 à 25).

III.  Analyse

A.  Évaluation de la crédibilité

[8]  Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAI est déraisonnable, compte tenu de l’effet cumulatif des lacunes dont celle-ci a fait preuve à l’égard de trois évaluations particulières de la crédibilité qui seront abordées ci‑après. L’argument qui se trouve au cœur de la présente demande des demandeurs est que la SAI a tiré des conclusions sur certains points, sans faire référence à certains témoignages à l’effet contraire. Il était selon eux déraisonnable de tirer ces conclusions sans tenir compte des témoignages visés.

[9]  D’entrée de jeu, il convient de rappeler les principes régissant le contrôle judiciaire des conclusions relatives à la crédibilité, principes si bien résumés par la juge Mary Gleason dans la décision Rahal. Avant tout, « il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité » (au paragraphe 42), parce que le décideur initial a eu l’avantage d’observer les témoins en personne et possède une expertise spécialisée qui peut contribuer à l’évaluation de la crédibilité. De plus, la loi exige que le décideur fournisse les motifs de son évaluation de la crédibilité : « une conclusion générale, imprécise, floue et non motivée quant à la crédibilité pourrait être infirmée par la cour de révision » (Rahal, au paragraphe 46, citant Hilo c Canada (Emploi et Immigration) (1991), 15 Imm LR (2d) 199, [1991] ACF nº 228 (QL) (CAF)).

(1)  La demande à titre d’immigrant investisseur

[10]  Le demandeur affirme que la SAI a erronément omis de faire la distinction entre la demande d’immigrant investisseur et la demande de parrainage. Il n’y a pas eu de conclusion de fausses déclarations relativement à la première demande, et la SAI s’est trompée en confondant les deux.

[11]  Cette affirmation se fonde sur les conclusions tirées par la SAI en ce qui concerne la demande à titre d’investisseur, conclusions selon lesquelles le demandeur principal « était disposé à présenter une demande et à s’engager à se conformer à certaines obligations en sachant qu’il ne s’y conformerait pas », et « n’a[vait] jamais vécu au Québec [ni] fait aucun effort pour s’y établir ».

[12]  Les demandeurs font valoir que ces conclusions ne tiennent pas compte du témoignage du demandeur principal quant au fait qu’il avait l’intention de résider au Québec, mais que, lorsqu’il était arrivé en Colombie-Britannique, son plan avait changé pour les raisons suivantes : (i) son fils ne voulait pas déménager, (ii) il avait découvert que la langue principale au Québec était le français, et (iii) il avait été informé qu’il n’avait pas à vivre au Québec selon les modalités de sa demande au titre de la catégorie des investisseurs. Les demandeurs soutiennent qu’il n’était pas raisonnable pour la SAI de tirer une conclusion sur la crédibilité sans faire expressément référence à ce témoignage.

[13]  Je ne suis pas convaincu. Il n’était pas déraisonnable que la SAI examine la demande antérieure et mesure son incidence sur la crédibilité du demandeur principal. Je ne crois pas que le traitement de la preuve par la SAI soit déraisonnable. Je soulignerai notamment ce qui suit :

  • Le demandeur principal a déclaré avoir lu et signé la demande au titre de la catégorie des investisseurs. Il devait donc être au courant de ce qu’il s’engageait à faire dans le cadre de cette demande, et il a reconnu que cela comprenait le fait d’établir sa résidence au Québec;
  • La demande a été déposée en 2005. Pendant qu’elle était en traitement, son fils est venu au Canada, mais il s’est inscrit à l’école en Colombie-Britannique plutôt qu’au Québec. Il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que ce fait remettait en question le témoignage du demandeur principal au sujet de son intention de respecter les engagements énoncés dans la demande;
  • Le témoignage du demandeur principal concernant son « plan » de résider au Québec était sommaire et ne rendait compte d’aucun effort sérieux pour se conformer aux conditions rattachées à sa demande d’immigration au Canada. Par exemple, il a déclaré qu’il avait appris que le français était la langue principale du Québec seulement lorsqu’il avait obtenu le droit d’établissement au Canada, et il n’a fourni aucune preuve de quelque projet d’établissement ou de démarrage d’une entreprise au Québec. Dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de ne pas analyser en détail ces éléments de preuve dans sa décision.

[14]  Je ne suis pas d’avis que la SAI a erronément confondu les deux demandes. Les motifs démontrent plutôt que la SAI a simplement traité la demande d’immigrant investisseur en tant qu’élément contextuel pour les fins de son examen de la demande de parrainage. Cela n’était pas déraisonnable, particulièrement compte tenu des faits en l’espèce : (i) deux demandes avaient été déposées; (ii) le demandeur principal était un entrepreneur prospère; et (iii) il connaissait dans une certaine mesure le processus d’immigration et savait que ces formulaires étaient importants. La crédibilité de son témoignage sur la première demande est pertinente par rapport au poids à accorder à son témoignage sur la seconde.

(2)  Absence de remords et rôle dans les fausses déclarations

[15]  Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la SAI selon lesquelles le demandeur principal n’avait pas démontré de remords et que les fausses déclarations étaient « flagrantes » étaient toutes deux déraisonnables.

[16]  La SAI a conclu que le demandeur principal n’avait pas démontré de remords à l’égard des fausses déclarations. Il a plutôt blâmé M. Wang, son consultant en immigration, et a exprimé des regrets ne pas avoir accordé plus d’attention à la demande de parrainage et au travail que M. Wang accomplissait en son nom. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une conclusion déraisonnable, compte tenu du témoignage du demandeur principal.

[17]  Encore une fois, je ne suis pas convaincu. La SAI a examiné la preuve, et elle a rendu une décision qui appartient aux issues raisonnables. Elle a correctement noté les facteurs à prendre en considération, y compris la question de savoir si le demandeur avait démontré des remords concernant les fausses déclarations. Elle a aussi correctement relevé l’historique des diverses interactions du demandeur principal avec le système d’immigration canadien, ainsi que son témoignage concernant la demande de parrainage en particulier. Elle n’était pas tenue d’en faire davantage. Je ne puis souscrire à l’idée que la SAI ait exigé du demandeur principal qu’il utilise une formulation particulière pour exprimer ses remords à l’égard des fausses déclarations, et j’estime que la question des remords a été raisonnablement prise en compte comme un élément de l’analyse globale.

[18]  En ce qui concerne les conclusions relatives à la mesure dans laquelle le demandeur principal a joué un rôle dans le stratagème frauduleux, les demandeurs soutiennent que ce rôle n’était pas [traduction] « répréhensible », en ce sens qu’il n’était pas complice. Cette affirmation se compare à celles d’autres immigrants ayant participé activement à la fraude en matière d’immigration orchestrée par M. Wang; voir, par exemple, les faits dans l’affaire Liu. Le demandeur principal soutient qu’il a plutôt été [traduction] « induit en erreur » et [traduction] « involontairement dupé » par M. Wang.

[19]  La SAI a décrit les fausses déclarations générales comme « flagrantes » dans le contexte du stratagème frauduleux pour lequel M. Wang a été déclaré coupable. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la question importante dont la SAI était saisie concernait la gravité de la conduite du demandeur principal. Je ne suis toutefois pas d’avis que la conclusion de la SAI sur cette question est déraisonnable ou que la preuve laisse croire qu’il a été « dupé » par M. Wang.

[20]  Il est difficile de trouver une faille dans la conclusion selon laquelle les fausses déclarations étaient flagrantes, dans le contexte du stratagème frauduleux dans son ensemble et compte tenu des éléments de preuve. Il convient toutefois de noter que les conclusions de la SAI sur cette question précise sont plus nuancées. Au paragraphe 13 de la décision, la SAI conclut que le demandeur principal « a été négligent ou a fait preuve d’un aveuglement volontaire à l’égard de M. Wang et de la demande déposée en son nom ». Cette conclusion est amplement étayée par la preuve au dossier. Je tiens notamment à souligner ce qui suit :

  • Le demandeur principal était un homme d’affaires prospère qui avait déjà présenté une demande de statut d’immigration au Canada. Il a déclaré avoir lu la précédente demande avant de la signer parce qu’il voulait être certain de l’exactitude de ses renseignements personnels;
  • Il n’a pas vu la demande de parrainage, ni avant qu’elle soit déposée ni peu après, et il a également omis de la signer. Pourtant, il a déclaré qu’il savait que la demande était présentée en son nom;
  • Il a admis avoir été préoccupé par le fait qu’il n’avait pas vu de copie des formulaires soumis par M. Wang, et avoir posé la question à M. Wang à ce sujet, mais n’en avoir jamais reçu de copie;
  • Il a admis qu’il aurait dû être plus au fait des règlements en matière d’immigration, notamment de l’exigence de résider au Canada pour pouvoir parrainer son épouse.

[21]  La conclusion précise tirée par la SAI à ce sujet ne m’apparaît pas déraisonnable. La jurisprudence de la Cour est claire et cohérente, tout comme le libellé de l’article 40 de la LIPR. Le demandeur est responsable de toute fausse déclaration faite dans une demande qui pourrait entraîner une erreur dans l’application de la loi, que ce soit « directement ou indirectement ». Le demandeur est en effet responsable de la véracité du contenu de la demande, y compris de tout document présenté en son nom par un représentant autorisé : Haque c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 315. La notion de « fausses déclarations faites de bonne foi » doit être interprétée au sens large afin de tenir compte à la fois de la complexité de l’expérience humaine et des objectifs de politique générale de la loi (voir Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au paragraphe 38).

[22]  Dans Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169, la Cour d’appel fédérale a décrit l’obligation de franchise du demandeur comme un « principe prépondérant de la [LIPR] [...] » (au paragraphe 17). Ce principe doit être pris en compte dans l’évaluation de la preuve en l’espèce, et il éclaire l’approche adoptée par la SAI quant au degré de responsabilité du demandeur principal. En l’espèce, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure que la situation des demandeurs n’entrait pas dans la catégorie, au sens large, des fausses déclarations faites de bonne foi, mais que le demandeur principal avait plutôt été soit négligent, soit volontairement aveugle. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence et aux faits.

(3)  La conclusion concernant le revenu du demandeur principal au Canada

[23]  Les demandeurs font valoir que la SAI a tiré une conclusion déraisonnable selon laquelle la crédibilité du demandeur principal se trouvait réduite par les doutes qu’elle avait quant à l’exactitude de son revenu déclaré au Canada. Le demandeur principal a déclaré qu’il avait contribué aux frais de scolarité et de subsistance de son fils et de son beau-fils; la preuve a démontré qu’il avait payé 7 000 $ pour les frais de scolarité, fourni environ 1 300 $ par mois pour les frais de subsistance de son beau-fils et dépensé environ 20 000 $ pour son autre fils. Pourtant, son revenu déclaré au Canada était de 20 000 $, un montant suffisamment faible pour qu’il ait droit à un crédit d’impôt pour la TPS. La SAI a conclu que le demandeur principal avait [traduction] « déclar[é] probablement un revenu inférieur au revenu réel au Canada ».

[24]  Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est déraisonnable, parce qu’elle ne tient pas compte du témoignage du demandeur principal sur ces points. Celui-ci a déclaré que son revenu avait diminué en raison d’un problème lié à son entreprise, et qu’il avait payé les frais de scolarité et de subsistance à même ses économies.

[25]  Sur cette question, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la conclusion tirée par la SAI n’est pas suffisamment motivée pour satisfaire à l’exigence minimale des motifs appelant un examen selon la norme de la décision raisonnable. La conclusion selon laquelle le demandeur principal ne déclarait probablement qu’une partie de son revenu au Canada était peut‑être fondée, compte tenu de l’évaluation globale de sa crédibilité et des éléments de preuve précis sur ce point. Ce n’est toutefois pas ce qui ressort d’un examen de la décision de la SAI. Le contrôle du caractère raisonnable de la décision de la SAI exige que je fasse une interprétation large de celle-ci, de manière à la comprendre plutôt que de simplement tenter de la décortiquer. Une cour de révision doit aborder les motifs en vue de « les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151, au paragraphe 15, cité avec approbation dans l’arrêt Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, au paragraphe 51.

[26]  Cela dit, je ne juge pas cette erreur suffisante pour rendre la décision déraisonnable dans son ensemble, compte tenu de mes constatations sur les autres questions soulevées par les demandeurs quant aux conclusions de la SAI portant sur la crédibilité. Les autres conclusions de la SAI sont amplement étayées par le dossier, et sont suffisantes pour appuyer sa conclusion générale sur la crédibilité.

[27]  Dans l’ensemble, j’estime que la décision est raisonnable. Compte tenu des faits et du droit, elle appartient tout à fait aux issues raisonnables possibles. Je ne suis pas d’avis que le témoignage contredisant les conclusions tirées par la SAI ait été suffisamment direct ou convaincant pour nécessiter une analyse particulière dans la décision. Selon l’orientation tirée de Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), 157 FTR 35, 1998 CanLII 8667 (CF), chaque élément de preuve contradictoire n’a pas à être analysé par un décideur. Il convient de rappeler la conclusion précise ainsi énoncée dans ce jugement :

[17]  Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[28]  Compte tenu des motifs exposés ci-dessus, je ne considère pas que le témoignage du demandeur principal soit si précis ou si convaincant que le défaut de la SAI d’en discuter de chaque point en plus grand détail soit déraisonnable. De plus, j’estime que la SAI a justifié ses décisions relatives à la crédibilité. Ses motifs ne s’appuient pas sur le langage « généralisé, imprécis et flou » qui avait été jugé inadéquat dans l’affaire Rahal.

B.  Motifs d’ordre humanitaire

[29]  Les demandeurs font valoir que la SAI n’a pas tenu compte de la situation particulière des demandeurs, et surtout de la situation de Jack, le beau-fils à charge. La SAI a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré un degré d’établissement important au Canada ni qu’ils éprouveraient des difficultés à leur retour en Chine. Les demandeurs soutiennent que la SAI n’a pas tenu compte du fait que Jack a vécu au Canada pendant de nombreuses années et qu’il a terminé ses études supérieures au pays. En n’évaluant pas sa situation personnelle, la SAI a tiré une conclusion déraisonnable relativement aux motifs d’ordre humanitaire.

[30]  Je ne suis pas convaincu que la décision de la SAI soit déraisonnable. Elle tient compte de la situation du demandeur principal et de son épouse, ainsi que de celle du beau-fils à charge, Jack. La preuve corrobore les conclusions selon lesquelles Jack avait reçu une éducation en Chine et était encore capable de converser en mandarin. Le tribunal de la SAI a reconnu que Jack préférait rester au Canada, et qu’il entretenait des liens avec ce pays. Toutefois, il a également tenu compte du fait que les demandeurs n’avaient pas d’autres membres de leur famille ici, que le demandeur principal avait une entreprise et des actifs importants en Chine et que lui et son épouse avaient fait leurs études en Chine et parlaient mandarin.

[31]  J’estime que la décision de la SAI fait état d’un examen des circonstances individuelles des demandeurs, ainsi que d’un examen particulier de la situation du beau-fils, Jack. Cette composante de la décision est raisonnable, tout comme elle fait partie des issues raisonnables eu égard à la preuve.

IV.  Conclusion

[32]  Pour ces motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire. La décision de la SAI est raisonnable.

[33]  Il se peut que les demandeurs estiment injuste que leur recours à un consultant en immigration malhonnête leur ait causé cause du tort, mais cela ne rend pas la décision déraisonnable pour autant. La loi, telle qu’elle a été libellée par le législateur et interprétée par la Cour, est claire : il incombe aux demandeurs de fournir des renseignements honnêtes et complets à l’appui de leur demande de statut d’immigration. Cela est nécessaire à l’atteinte des objectifs de la LIPR et au maintien de la confiance du public dans l’intégrité du système d’immigration. Les demandeurs n’ont pas fait preuve de diligence raisonnable; leur cas ne fait pas partie de la catégorie très restreinte et exceptionnelle des fausses déclarations au sens de la LIPR qui auraient été « faites de bonne foi ». Ils n’ont pas non plus convaincu la SAI qu’ils satisfaisaient aux exigences relatives à la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[34]  Les principales conclusions de la SAI en matière de crédibilité sont raisonnables et, à la lumière du témoignage particulier sur les points pertinents, j’estime qu’il était raisonnable, pour la SAI, d’en arriver aux conclusions qu’elle a tirées sans analyser en profondeur ledit témoignage. La décision est raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35]  Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-952-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour d’octobre 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-952-19

INTITULÉ :

KAI WEN JI, LI PING LI, DING MING LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 24 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

POUR LES DEMANDEURS

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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