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Date : 20000316


Dossier : IMM-2390-99




ENTRE :

     SELIM MOHAMMAD

     demandeur


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION


[1]      La seule question à trancher, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire d"une décision rendue à l"audience le 2 mars 1999 par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, section du statut de réfugié (la " section du statut "), qui a rejeté la revendication du demandeur Selim Mohammad (le " demandeur "), un citoyen de 23 ans du Bangladesh, est celle de déterminer si le comportement de la présidente de l"audience ainsi que de l"autre membre du tribunal chargé d"entendre la revendication était de nature à priver le demandeur d"une audience entière, juste et impartiale. La contestation vise surtout la conduite de la présidente de l"audience.

[2]      Le demandeur dit qu"un examen du comportement de la présidente de l"audience pris dans son ensemble, à savoir ses questions qui sont devenues de plus en plus agressives, les commentaires qu"elle a faits au demandeur à la suite de certaines de ses réponses, sa façon de l"interroger ainsi que le ton qu"elle a adopté pour le faire et les signes qu"elle a faits, mène à une conclusion inéluctable : le climat de l"audience s"en est trouvé tellement gâté que le demandeur a perdu sa concentration au point d"en oublier certains événements, dans ses réponses, et de contredire ce qu"il avait écrit antérieurement dans son formulaire de renseignements personnels (le " FRP ").

[3]      Les avocats des deux parties m"ont invité à écouter l"enregistrement de l"audience, ce que j"ai fait.

B.      LA CONCLUSION DE LA SECTION DU STATUT

[4]      La section du statut a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention; elle a également conclu que sa revendication était dépourvue du minimum de fondement prévu au paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l"immigration. Le tribunal de la section du statut a affirmé qu"il n"avait pu obtenir du demandeur de renseignements qui, d"une façon ou d"une autre, viendraient corroborer ceux contenus dans son FRP quant aux raisons qui lui faisaient craindre son retour au Bangladesh. Le tribunal a dit que le demandeur avait offert [TRADUCTION] " une nouvelle version des événements qui diffère quant à la période couverte et qui contredit celle incluse dans votre FRP ". Le tribunal a noté des omissions de même que des contradictions avec les événements décrits dans le FRP. Le tribunal, en prononçant les motifs de sa décision à l"audience, a dit au demandeur [TRADUCTION] " qu"à plusieurs reprises durant l"audience, vous étiez incapable de vous souvenir d"événements et des dates approximatives d"événements relatés dans votre FRP. Interrogé à plusieurs reprises, vous vous êtes contenté de répondre : "Je ne me souviens pas". " Le tribunal a indiqué qu"il avait remarqué, relativement au début de l"audience, ces réserves et omissions dans le témoignage du demandeur, qu"il lui avait fait part de ses préoccupations et qu"il lui avait mentionné que ces divergences minaient sa crédibilité en général. Le tribunal a noté qu"il avait offert au demandeur de ne pas se presser pour répondre aux questions qu"il lui posait. Le tribunal a également noté qu"il avait donné au demandeur l"occasion de relater les événements qui avaient mené à son départ du Bangladesh, mais que [TRADUCTION] " malheureusement, vous avez été incapable de le faire ".

[5]      Le tribunal a conclu sa décision de la façon suivante :      [TRADUCTION] Le tribunal se rend compte que les demandeurs sont nerveux lorsque nous leur posons des questions et c"est la raison pour laquelle il accepte un certain degré de divergence dans le témoignage des demandeurs. Le tribunal ne peut toutefois pas accepter que ce soit la nervosité qui vous ait fait évoquer toute une nouvelle série d"événements qui ne sont pas relatés dans votre FRP et que vous ayez oublié pratiquement tous ceux qui y sont relatés. Se rendant compte de la difficulté que vous éprouviez à témoigner, le tribunal vous a donné l"occasion de faire votre propre récit dans vos propres mots sans que nous vous posions de questions. Vous avez été incapable de le faire.

C.      LE CONTEXTE

     (a)      La revendication du demandeur

[6]      Dans son FRP, le demandeur soutient être un activiste, un membre de Jatiya Juba Sanghati (" JJS "), l"organisme du parti Jatiya pour la jeunesse, et un membre de la Bar-Mardan Youth Organization (" Bar-Mardan "). Il soutient en outre que son oncle, un ecclésiastique local, est un fondamentaliste islamique et qu"il dirige le comité salish local, un membre du parti Jamaat-E-islamique (" Jamaat ") auquel le demandeur est opposé. Le demandeur soutient être devenu la cible de militants du Jamaat et de malfaiteurs du PNB.

[7]      Dans son FRP, le demandeur a relaté les événements suivants :

     (a)      en décembre 1992, un affrontement s"est produit avec des militants du Jamaat qui ont mis fin à une réunion de la Bar-Mardan; le demandeur a reçu des coups, mais la police a refusé d"intervenir;
     (b)      en mars 1993, il a été battu par des militants du Jamaat à la suite d"une protestation publique de son oncle contre la construction d"une école financée grâce à de l"aide internationale;
     (c)      en décembre 1994, le demandeur a réussi à fuir une réunion de protestation du gouvernement en place à laquelle il assistait lorsque la réunion a été interrompue par une descente de police;
     (d)      en janvier 1995, les militants du Jamaat ont incendié l"école que le demandeur avait aidé à construire; le demandeur ainsi que d"autres ont protesté et il a fait l"objet de menaces;
     (e)      en mars 1995, il a été élu président de la Bar-Mardan locale et il a pris publiquement parti contre le comité de fondamentalistes salish;
     (f)      en avril 1995, des malfaiteurs du Jamaat de la localité ont battu le demandeur parce qu"il avait critiqué le mollah local et, finalement,
     (g)      le 27 juillet 1995, il y a eu une manifestation pour protester contre une fausse accusation de meurtre portée contre un membre du parti au cours de laquelle la police est intervenue pour disperser les manifestants et a sauvagement battu et arrêté le frère du demandeur. Le demandeur s"est caché et est demeuré caché. Il soutient que les malfaiteurs du PNB ont continué à attaquer la maison de son père. Le demandeur a fui le Bangladesh le 23 septembre 1995, est arrivé au Canada le 1er octobre 1995, et y a cherché refuge.

     (b)      Le cadre de l"audience

[8]      L"audition de la revendication du demandeur s"est déroulée le 2 mars 1999. Le demandeur était représenté par un conseiller en immigration qui n"était pas avocat. Bien que, dès le début de l"audience, la présidente de l"audience ait invité le conseiller du demandeur à le faire, le conseiller n"a posé au demandeur aucune question se rapportant à son FRP. Il n"a pas procédé à un interrogatoire principal.

[9]      En outre, à l"audience, il n"y avait pas d"agent chargé de la revendication pour aider la section du statut. Le demandeur a témoigné avec l"aide d"un interprète. Les membres du tribunal ont dû eux-mêmes interroger le demandeur sur sa revendication.

[10]      L"audience s"est déroulée sans que le conseiller du demandeur ne soulève d"objection sur la façon dont la présidente de l"audience et l"autre membre du tribunal menaient l"audience. L"autre membre du Tribunal a aussi posé plusieurs questions.

[11]      À la fin de l"audience et avant de lui demander de présenter ses observations, la présidente de l"audience a demandé au représentant du demandeur si son client avait des questions et il a répondu " non ".

[12]      Le conseiller du demandeur a présenté à la section du statut les observations ou conclusions finales suivantes (qui figurent aux pages 410 et 411 de la transcription) :D.[TRADUCTION] Distingués membres du tribunal, vous avez posé des questions au demandeur à propos de son engagement politique au Bangladesh. Mais, il était très clair durant le témoignage du demandeur que celui-ci était très nerveux, même si les membres du tribunal lui ont conseillé de ne pas se presser et s"ils ont pris grand soin de l"aider à surmonter sa crainte ou sa nervosité. Le demandeur n"a toutefois pas réussi à se remettre de son étonnement du début et son témoignage a montré qu"il confondait des choses.
     De deux choses l"une : ou bien le demandeur était véritablement nerveux et ne se rappelait rien, ou bien ce qu"il a écrit ou dit n"était tout simplement pas la vérité.
     Il est maintenant très difficile pour les membres du tribunal de trancher. Je me permets toutefois de suggérer que si les membres du tribunal étaient enclins à penser que le demandeur n"est pas digne de foi, ils devraient d"abord se demander si celui-ci était véritablement nerveux ou perplexe. S"il était perplexe, rejeter sa revendication équivaudrait à lui faire subir une injustice.
     Je me permets de suggérer qu"il existe une forte possibilité que le demandeur ait véritablement été nerveux et effrayé et, dès qu"il a perdu pied, il est tombé en chute libre. Il revient donc aux membres du tribunal de rendre la décision appropriée.

     (c)      Le déroulement de l"audience

[13]      La transcription révèle que, dès l"ouverture de l"audience, la présidente a accompli les actes suivants :

     (a)      elle a enjoint à l"interprète de s"assurer que le demandeur comprenait bien ce qu"il lui disait;
     (b)      elle a demandé au demandeur s"il avait signé le FRP, si le FRP était traduit et s"il était d"avis que le document était complet et exact;
     (c)      elle a prévenu le demandeur de ce qui suit : [TRADUCTION] " [Nous] allons vous poser des questions pour clarifier la situation. S"il y a quoi que ce soit que vous ne comprenez pas, n"hésitez pas à nous demander de répéter la question. "

[14]      L"avocat du demandeur a relevé un certain nombre de passages clés dans la transcription qui prouveraient qu"il y a eu injustice.

         (i)      Le premier exemple " [TRADUCTION] " Eh bien, vous allez devoir faire mieux que cela, Monsieur, parce que cette réponse ne me convainc pas ".

[15]      Cette déclaration de la présidente de l"audience se trouve à la page 394 de la transcription. Elle a été faite après une première série de questions que la présidente de l"audience a posées au demandeur, série qu"elle avait fait précéder d"une affirmation selon laquelle il y avait eu un changement de gouvernement au Bangladesh depuis l"arrivée au Canada du demandeur pour lui demander ensuite quel était le fondement de sa peur, dans les circonstances, ce à quoi le demandeur a répondu : " Les malfaiteurs du Jamaat, les malfaiteurs du PNB ". La présidente de l"audience a poussé plus loin son investigation et lui a demandé pourquoi les malfaiteurs voudraient le supprimer. La transcription, aux pages 393 et 394, rapporte l"échange suivant :

Q.      [TRADUCTION] Monsieur, pourquoi les malfaiteurs du PNB voudraient-ils vous supprimer?
R.      Je n"écoute pas bien. Quelle était la question?
LA PRÉSIDENTE (à l"interprète)
Q.      Pourquoi les malfaiteurs du PNB voudraient-ils le tuer?
LE DEMANDEUR
-      J"étais un bon travailleur du parti Jattia (transcription phonétique). Voilà pourquoi ils veulent me tuer.
LA PRÉSIDENTE (au demandeur)
Q.      Mais, Monsieur, je suis certaine que le parti Jattia compte de nombreux bons travailleurs. Pourquoi voudraient-ils vous tuer, vous, en particulier?
  1. .      Ils veulent me tuer parce que j"étais un bon travailleur du parti Jattia et aussi parce que je les ai critiqués lors de réunions et que j"ai discuté de leur cas lors de réunions. Voilà pourquoi.
  2. Q.      Monsieur, tout le monde critique tout le monde dans votre pays. Les membres d"un parti critiquent l"autre parti. Qu"avez-vous dit pour qu"on vous prenne pour cible?
  3. R.      J"ai parlé contre eux et j"ai aussi pris part à des démonstrations contre eux.
  4. Q.      Encore une fois, Monsieur : lorsqu"il y a des réunions, des démonstrations et des rassemblements, de nombreuses personnes y prennent part. Pourquoi le fait que vous y ayez pris part aurait-il fait de vous une cible du PNB?
  5. R.      Parce que j"étais un bon travailleur du parti Jattia, voilà pourquoi.
  6. Q.      Eh bien, vous allez devoir faire mieux que cela, Monsieur, parce que cette réponse ne me convainc pas. Combien de travailleurs le parti Jattia compte-t-il dans ses rangs, Monsieur?
  7. R.      À Guita (transcription phonétique)? 105.
  8. Q.      105. Et vous étiez le seul bon travailleur?
  9. R.      Il y en avait d"autres.
  10. Q.      Que faisiez-vous?
  11. R.      J"étais membre.
  12. Q.      Que faisiez-vous ?
  13. R.      Je critiquais les activités du PNB.
  14. Q.      C"est tout?
  15. R.      Nous tentions de mettre sur pied une école pour les femmes.
  16. Q.      Où avez-vous tenté de mettre sur pied une école pour les femmes?
  17. R.      Dans mon village.
  18. S.      De quel village s"agit-il?
  19. R.      Baharmordun (transcription phonétique).
  20. Q.      Où se trouve ce village?
  21. R.      Dans le district de Molebasar (transcription phonétique).
  22. Q.      Et où se trouve le district de Molebasar?
  23. R.      Près de Silet (transcription phonétique).
  24. Q.      Pourquoi le PNB s"opposerait-il à ce que vous ouvriez une école?
  25. R.      Ils ne veulent pas que le parti Jattia fasse le bon travail.
  26. T.      Pourquoi craigniez-vous les malfaiteurs du Jamat?
  27. R.      Voulez-vous répéter la question?
  28. Q.      Pourquoi les malfaiteurs du Jamat étaient-ils à vos trousses?

R.      Il y a Angio Brack (transcription phonétique)...

-      M'hm.

Q.      ... ils essayaient d"aider notre école...

     [Non souligné dans l"original]

     (ii)      L "échange entre la présidente de l"audience et l"interprète

[16]      Après le premier échange (reproduit ci-dessus) entre la présidente de l"audience et le demandeur, l"échange suivant, tel qu"il est consigné à la page 395 de la transcription, est intervenu entre la présidente et l"interprète :

[TRADUCTION] LA PRÉSIDENTE (à l"interprète)

-      Mme Dowa, quel est le problème?
R.      Je lui demande de... parce que je n"arrive pas à comprendre ses mots. C"est...
Q.      Vous entendez ce qu"il dit, mais quel est...
R.      Ça n"a pas de sens... Je veux dire, la phrase...
Q.      Ses bouts de phrase...
R.      ...bouts de phrase ne sont pas cohérents. Je ne trouve pas la phrase...

LE MEMBRE (au demandeur)

-      Monsieur, nous vous recommandons de ne pas vous presser. Prenez quelques instants avant de répondre.

LA PRÉSIDENTE (au demandeur)

-      Nous avons tout l"après-midi, Monsieur. Prenez votre temps.

     (iii)      Le deuxième exemple " " Croyez-vous que cela a du sens? "

[17]      Cette phrase de la présidente se trouve à la page 399 de la transcription et elle a été prononcée dans le contexte suivant :

[TRADUCTION] LA PRÉSIDENTE (au demandeur)

Q.      Pourquoi aviez-vous l"impression qu"ils représentaient une menace pour vous?
R.      Parce que certaines de ces personnes sont si dangereuses que même si... pensais qu"elles ne se trouvent pas au pouvoir, elles sont très agressives, elles veulent nous faire du mal.
Q.      Encore une fois, je vous pose la question : Pourquoi voudraient-ils vous faire du mal? Vous avez manifesté en 1992, en juillet 1992. Mais, il y a sept ans de cela, monsieur. Pourquoi voudraient-ils vous faire du mal aujourd"hui?
R.      Parce que j"avais protesté plus tôt contre leurs agissements. Voilà pourquoi.
Q.      Que voulez-vous dire par " plus tôt "?
R.      En 92.
Q.      Les avez-vous critiqués après 92?
R.      Non.
Q.      Vous ne les avez jamais plus critiqués après 92?
R.      Non.
Q.      Et ils vous en veulent toujours depuis 92? Ils vous en voudraient toujours?
R.      Oui, ils m"en veulent toujours, parce que mon père dit qu"ils viennent encore chez nous.
Q.      Pourquoi iraient-ils chez vous si vous n"y êtes plus?
R.      Ils m"y cherchent parce qu"ils pensent que je pourrais y retourner.
Q.      Trois ans plus tard, ils vous cherchent toujours?
R.      Oui ils me cherchent toujours. Je ne sais pas pourquoi, mais mon père a dit qu"ils viennent encore voir si je suis là.
Q.      Monsieur, vous avez critiqué le parti Jamat en 1992, vous avez quitté votre pays à la fin de 95 et ils vous cherchent toujours?
R.      Oui.
Q.      Croyez-vous que cela a du sens?
R.      Oui, mais c"est ce qui se passe.

LE MEMBRE (au demandeur)

Q.      Monsieur, quand avez-vous critiqué le Jamat? Vous avez dit que c"était en juillet 92?
R.      Oui.
Q.      Et à quelle occasion cela s"est-il produit?
R.      Il y a eu une autre fois.
Q.      Monsieur, en juillet 92, à quelle occasion cela s"est-il produit?
R.      Cette fois-là, c"est parce que nous acceptions de l"aide d"un organisme étranger et ils ont dit que ces étrangers ne devraient pas nous aider, que cela est contraire à l"islam. Cette fois-là.
-      Alors c"est parce que vous receviez de l"aide d"un organisme étranger.

LA PRÉSIDENTE (au demandeur)

Q.      Il s"agit de Brack?
R.      Oui.
Q.      C"était en juillet 92?
R.      Oui.
Q.      Et c"est la raison pour laquelle les Majats veulent se venger de vous?
R.      Et aussi la femme du village, Morjina. Cet incident.

     [Non souligné dans l"original]

     (iv)      Le troisième exemple " l"intervention de l"autre membre du tribunal

[18]      L"échange qui suit, consigné à la page 400 du dossier certifié, s"est déroulé entre l"autre membre du tribunal et le demandeur :

[TRADUCTION] LE MEMBRE (au demandeur)

-      Monsieur, j"aimerais procéder par ordre chronologique parce que les dates me posent un problème. Et je vais vous dire pourquoi. Vous avez mentionné un incident survenu en juillet 1992 qui ne figure pas à votre formulaire de renseignements personnels. Vous avez dit qu"en juillet 1992, vous aviez critiqué... en fait, le Jamat voulait vous battre parce que vous receviez de l"aide d"un organisme étranger. Mais, votre FRP ne parle pas de juillet mais plutôt de mars 1993.
     Alors, peut-être que nous devrions revenir en arrière et essayer de clarifier ces dates.
R.      Parce que je suis très inquiet, je n"arrive pas à me rappeler toutes les dates.
-      Monsieur, c"est pour cette raison que nous vous avons demandé depuis le tout début de prendre votre temps et de réfléchir avant de répondre. C"est pourquoi nous avons prévu tout un après-midi.
Q.      Bon. Alors vous avez mentionné juillet 1992. Que s"est-il passé en juillet 1992? Prenez votre temps et tâchez de me donner une réponse. Prenez votre temps et tâchez de me donner une réponse.
R.      Je ne me souviens pas.
Q.      De quel autre incident vous souvenez-vous? Y a-t-il eu d"autres incidents en 1992? Examinons la situation une année à la fois. D"accord?
R.      Oui.
Q.      Quand, en 1992?
R.      Juillet.
Q      D"accord. Et (incompréhensible)? Pouvez-vous sans vous presser expliquer ce qui s"est passé exactement?
R.      (...)
Q.      Voulez-vous prendre une autre année? Peut-être devrions-nous examiner 1993.
R.      Oui.
Q.      Alors, de quoi vous souvenez-vous de 1993?
R.      Je ne me souviens pas.

     (v)      Le quatrième exemple " la déclaration sur le problème de crédibilité

[19]      La déclaration suivante est consignée à la page 406 de la transcription :

[TRADUCTION] LA PRÉSIDENTE (au demandeur)

-      De toute évidence, Monsieur, nous sommes en présence d"un grave problème de crédibilité. J"ai l"impression, Monsieur, que vous avez peut-être un récit à nous faire. Mais, à ce point-ci, ou bien vous êtes très déconcerté, ou bien le récit que vous voulez nous faire n"est pas celui qui est relaté dans votre formulaire de renseignements personnels.

     Lorsque quelqu"un décide de quitter son pays pour sauver sa vie, c"est qu"il s"est produit quelque chose de très traumatisant. Quelque chose, Monsieur, que même une personne déconcertée ne peut oublier.

[20]      La remarque de la présidente de l"audience a été faite après que l"échange qui suit fut intervenu entre l"autre membre du tribunal et le demandeur :

[TRADUCTION] LE MEMBRE (au demandeur)

Q.      Vous avez mentionné qu"en janvier 95 les malfaiteurs du PNB vous avaient battu devant l"école. Étant donné cette déclaration, de deux choses l"une : ou bien vous ne l"avez pas écrit dans votre formulaire de renseignements personnels, ou bien il s"est produit un autre incident en janvier 95 et peut-être avez-vous par erreur confondu les deux incidents pour ce qui est du FRP. Alors, laquelle de ces possibilités est la bonne?
R.      En fait, j"ai oublié.
Q.      Monsieur, vous écrivez que vous êtes le président de la Barharmardun Youth Organization. Est-ce exact?
R.      Encore.
Q.      Que vous êtes le président de la Barharmardun Youth Organization. Est-ce exact?
R.      Oui.
Q.      Alors, quand êtes-vous devenu président?
R.      Décembre 96.

-      Monsieur, je... ceci est aussi pour ma collègue : nous avons un grave problème. Toutes les dates que vous nous citez ne correspondent pas à celles qui figurent dans votre formulaire de renseignements personnels. Et les événements relatés dans votre formulaire de renseignements personnels ne semblent pas correspondre avec ce que vous dites. Monsieur, dans votre formulaire de renseignements personnels, vous avez indiqué que c"était en mars 95 que vous aviez été élu président. Je pense que le Tribunal peut comprendre si on parle d"une divergence d"un mois. Mais ici, il s"agit d"une divergence d"un an et demi. Et en décembre 96, vous étiez au Canada.

D.      ANALYSE

[21]      La question des limites de l"intervention permise (quand, comment, de quelle façon et dans quel but) par les membres d"un tribunal de la section du statut qui entendent une revendication du statut de réfugié a fait l"objet de plusieurs décisions de la Cour, tant en première instance qu"en appel.

[22]      Le fondement juridique permettant l"annulation d"une décision de la section du statut qui outrepasse les limites convenables provient de deux sources : premièrement, l"impartialité et l"apparence d"impartialité des décideurs qui entendent une revendication du statut de réfugié et, deuxièmement, la façon de diriger l"audience, pour ce qui est de l"équité procédurale et de la justice naturelle.

[23]      Le critère d"impartialité fondé sur la crainte raisonnable de partialité est consacré par les propos du juge De Grandpré dans l"arrêt Committee for Justice and Liberty c. L"Office national de l"énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, consignés aux pages 394 et 395 comme suit :

... " à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?    "...

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d"accord avec la Cour d"appel fédérale qui refuse d"admettre que le critère doit être celui d"" une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ".

[24]      Pour ce qui est de la nature de l"équité procédurale, la Cour suprême du Canada s"est prononcée sur la question à de nombreuses reprises, la dernière étant l"arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817.

[25]      La jurisprudence entourant la question qui nous occupe évoque indifféremment l"un ou l"autre de ces deux principes juridiques distincts en dépit du fait qu"il existe une tendance à qualifier les déclarations, observations ou commentaires faits par les membres du tribunal à l"égard d"un demandeur ou de la preuve donnée par un demandeur comme étant davantage liés au principe d"impartialité par opposition aux questions du comment, quand et de quelle façon l"interrogatoire s"est déroulé qui relèvent du concept du droit à une audience juste et équitable.

[26]      Le règlement de cette question a aussi un fondement dans la loi. Le paragraphe 67(2) de la Loi sur l"immigration (la " Loi ") prévoit que la section du statut et chacun de ses membres sont investis des pouvoirs d"un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes et peuvent, dans le cadre d"une audience, (a) faire prêter serment et interroger sous serment, (b) par commission rogatoire ou requête, faire recueillir des éléments de preuve au Canada et (c) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruction approfondie de l"affaire. Il est pris acte également des dispositions de l"article 68 de la Loi. Le paragraphe 68(2) prévoit que, dans la mesure où les circonstances et l"équité le permettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité. Le paragraphe 68(3) prévoit en outre que la section du statut n"est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu"elle juge crédibles ou dignes de foi en l"occurrence et fonder sur eux sa décision.

[27]      La démarcation entre ce qui est, pour un membre de la section du statut, un comportement permis et ce qui ne l"est pas, y compris l"étendue de l"interrogatoire et la façon d"y procéder, dépend des faits propres à chaque cause. Les affaires mentionnées ci-après illustrent où il y a lieu de fixer des limites.

[28]      La question dans Mahendran c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1992), 134 N.R. 316 (C.A.F.) visait la nature de l"interrogatoire mené par un membre de la section du statut après que l"avocate eut terminé l"interrogatoire de son client et que l"agent d"audience eut posé ses questions. Le juge Heald parlant au nom de la Cour a dit que si un membre de la Commission éprouvait des problèmes avec le témoignage donné, " il pouvait mener son propre interrogatoire dans l"exercice approprié de ses fonctions telles qu"il les perçoit. " Le juge Heald a conclu, après avoir soigneusement relu la transcription, qu"il qualifierait l"interrogatoire mené par le membre " d"intervention énergique visant à clarifier certaines contradictions dans la preuve. On y décèle également un certain sentiment de frustration face à l"impossibilité de bien comprendre l"objet général de la preuve présentée. " [Non souligné dans l"original].

[29]      Dans l"arrêt Kanagasekarampillai c. Canada (Secrétaire d"État) (1994), 169 N.R. 119, au paragraphe 12, le juge Stone de la Cour d"appel fédérale, en traitant des interventions d"un membre, a repris le principe de l"arrêt Mahendran précité dans les termes suivants :

En l"absence d"un agent d"audience, il était raisonnable que les deux membres tentent de clarifier ou d"assurer la concordance de certains points du témoignage et, pour le président, d"intervenir comme il l"a fait pour préserver le bon ordre de l"audience comme, par exemple, lorsque l"avocat a essayé de poser une nouvelle question sans donner à l"appelant la possibilité de répondre à la question précédente. Cette Cour a jugé qu"il faut accorder à un tribunal qui instruit une revendication du statut de réfugié, une latitude raisonnable, compatible avec le mandat que lui accorde la loi, lorsqu"il interroge un revendiquant...

     [Non souligné dans l"original]

(Voir aussi Bagdassarian c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 343.)

[30]      Il y a plusieurs affaires où les commentaires, les questions ou les interruptions d"un membre de la section du statut ont été jugés inacceptables par la Cour. L"arrêt Kumar c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1988] 2 C.F. 14 (C.A.F.), portait sur des interventions faites par la personne qui présidait l"audience lors de l"interrogatoire principal du demandeur du statut de réfugié par son avocat. Le juge Mahoney a cité divers extraits de la transcription se rapportant à ces interventions et en est arrivé à la conclusion suivante :

Je me vois dans l"obligation de conclure que le caractère gênant et intimidant des interventions du président a, dans une grande mesure, empêché le requérant de présenter adéquatement sa cause.

     [Non souligné dans l"original]

[31]      La décision de mon confrère le juge Nadon dans Del Castillo c. M.E.I. (1994), 79 F.T.R. 207 (1re inst.) va dans le même sens.

[32]      L"arrêt De Freitas c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1989), 8 Imm.L.R. (2d) 60 (C.A.F.) traitait d"un commentaire fait par le président du tribunal qui s"était adressé au demandeur dans les termes suivants : [TRADUCTION] " pour ma part, j"ai lu votre dossier deux fois... Je trouve cette affaire tellement frivole que je me demande parfois combien de personnes recourent abusivement au système ". La décision de la section du statut a été annulée aux motifs que les commentaires du président étaient excessifs et soulevaient une crainte raisonnable de partialité.

[33]      L"arrêt de la Cour d"appel fédérale dans Yusuf c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1992] 1 C.F. 629, a établi les principes suivants :

     (1) Les membres de la section du statut ont le droit de contre-interroger les témoins qu"ils entendent, mais il y a des limites (page 633);

     (2) Les interruptions durant l"interrogatoire principal de nature à apporter des précisions aux réponses données sont permises (page 633);

     (3) Le ton et le contenu des questions doivent être judicieux (page 633);

     (4) Les remarques harcelantes auprès du témoin et les questions injustes ne sont pas acceptables; ce genre de contre-interrogatoire ne serait pas permis lors d"une procédure accusatoire (page 636).

[34]      Dans cette affaire, la décision de la section du statut a été annulée parce qu"un membre de la section du statut avait fait des " remarques sexistes, déplacées et fort mal à propos... de nature à créer une apparence de partialité chez leur auteur. "

[35]      Dans Sivaguru c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 374 (C.A.F.), on a soulevé la question de savoir si les questions étaient exagérées et inappropriées. La Cour d"appel fédérale a décidé que les questions étaient posées dans un but inapproprié. Le juge Stone a conclu que les questions du membre n"avaient pas pour but de clarifier ou même de concilier les éléments incohérents du témoignage. La Cour a décidé que la Loi n"autorisait pas un membre de la Commission à se mettre en quête d"éléments de preuve comme il a été le cas en l"espèce, à savoir, " à entreprendre secrètement une enquête susceptible de confirmer une impression qu"il aurait formée à partir d"éléments de preuve déjà présentés " (page 390). Le juge Stone a conclu que le seul objectif du membre en procédant à l"interrogatoire " était de tendre un piège. " (page 391).

[36]      Dans Chung c. Canada (M.C.I.) (1998), 161 F.T.R. 146 (1re inst.), le juge Denault de notre Cour a annulé la décision d"un agent des visas parce que celui-ci s"était montré hostile à l"égard du demandeur.

E.      APPLICATION À LA PRÉSENTE AFFAIRE

[37]      Après avoir examiné la transcription et eu l"occasion d"écouter l"enregistrement sonore de l"audience, je conclus qu"il n"y a pas lieu d"opérer un contrôle judiciaire. Je suis d"avis que la présidente de l"audience et l"autre membre qui a pris part à l"interrogatoire ont posé leurs questions et fait leurs commentaires tout à fait dans le cadre d"une intervention adéquate et avec pour seul objectif d"aider le demandeur et de lui permettre de faire tout son récit, de surmonter sa nervosité et de clarifier les points de son témoignage qui semblaient incohérents ou contradictoires. Sur ce ruban, je n"ai rien entendu d"agressif, d"intimidant ou d"hostile quant au ton des questions de chacun des membres. J"ai plutôt trouvé que chacune des questions que les membres ont adressées au demandeur était posée calmement, précisément et poliment, ce qui ne soutient pas la prétention du demandeur que la façon dont les membres l"ont interrogé a gâté le climat de l"audience et tellement déconcentré le demandeur qu"il en a oublié le fondement de sa crainte de persécution. Il est vrai que les membres du tribunal ont posé plusieurs questions au demandeur et que certaines des questions étaient répétitives. À mon avis, ces questions et leur répétition avaient pour unique but d"aller au fond du récit du demandeur, dont les réponses étaient vagues et imprécises. On ne peut dire qu"en procédant de cette manière les membres sont devenus des poursuivants ou des adversaires du demandeur.

[38]      La transcription ne révèle pas de commentaire sarcastique ou inapproprié qui dénoterait l"existence de partialité ou d"iniquité. Le commentaire " vous allez devoir faire mieux que cela parce que cette réponse ne me convainc pas " n"a pas été fait de façon hostile ou intimidante, mais honnêtement et directement afin de faire part au demandeur, de façon neutre, des problèmes qu"éprouvait le tribunal face à son témoignage et de lui donner l"occasion de régler ses réponses en conséquence. Je place le commentaire " [C]royez-vous que cela a du sens? " sur le même pied que la déclaration sur la crédibilité du demandeur.



F. DISPOSITIF

[39]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.




         " François Lemieux "

    

                                             J.C.F.C.


OTTAWA (ONTARIO)

Le 16 mars 2000





Traduction certifiée conforme


Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Section de première instance

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER DE LA COUR NO :          IMM-2390-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          SELIM MOHAMMAD c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 4 JANVIER 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE

PRONONCÉS PAR :              LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                  16 MARS 2000

ONT COMPARU :                 
                         M e Jean-Michel Montbriand
                             pour le demandeur
                         M e Claude Provencher
                             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER      
                         M e Jean-Michel Montbriand
                         Doyon, Guertin, Montbriand & Plamondon
                             pour le demandeur
                         M e Morris Rosenberg
                         Sous-procureur général du Canada
                             pour le défendeur

     Date : 20000316

     Dossier : IMM-2390-99

Ottawa (Ontario), le jeudi 16 mars 2000

En présence de Monsieur le juge Lemieux


ENTRE :

     SELIM MOHAMMAD

     demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur





     ORDONNANCE

Pour les motifs exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                                         " François Lemieux "
                                             J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Suzanne Gauthier, LL.L., Trad. a.

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