Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190816


Dossier : T-1196-18

Référence : 2019 CF 1079

Ottawa (Ontario), le 16 août 2019

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

SAID EGUEH-ROBLEH

demandeur

et

INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur, Said Egueh-Robleh, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 23 mai 2018 par la Commission canadienne des droits de la personne [Commission], dans laquelle la Commission rejette, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP], la plainte qu’il a déposée contre son employeur, les Instituts de recherche en santé du Canada [IRSC]. Dans sa plainte qui fait suite à la décision des IRSC de mettre fin à son emploi, M. Egueh-Robleh allègue avoir été victime de discrimination en raison d’une déficience, en violation des articles 7 et 15 de la LCDP.

[2]  M. Egueh-Robleh soutient que la Commission a manqué à son devoir d’équité procédurale en refusant d’interroger un des témoins qu’il a proposé. De plus, il soutient que la décision rendue est incompatible avec les éléments de preuve au dossier et le principe de l’obligation d’accommodement.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

A.  Emploi aux IRSC

[4]  En 2011, M. Egueh-Robleh est embauché comme spécialiste de productions de données aux IRSC.

[5]  Souffrant de glaucome sévère au niveau des deux (2) yeux et de faible vision, M. Egueh-Robleh subit une première chirurgie à l’œil droit en 2012. Après la chirurgie, il souffre de double vision.

[6]  En août 2013, M. Egueh-Robleh prend un congé de maladie durant lequel il subit une chirurgie à l’œil gauche pour corriger son glaucome. Ce n’est qu’en juin 2014 qu’il effectue un retour progressif au travail. M. Egueh-Robleh soumet à son employeur un billet médical dans lequel son médecin recommande qu’on lui procure un ordinateur portable avec un écran plus grand. Suite à la réception de ce billet médical, l’employeur procède à une évaluation ergonomique de la station de travail de M. Egueh-Robleh. À l’issue de celle-ci, un bras moniteur est installé en guise d’alternative à l’ordinateur portable. En août 2014, M. Egueh-Robleh signe un formulaire dans lequel il atteste être satisfait des ajustements administrés.

[7]  En décembre 2014, M. Egueh-Robleh est informé par ses gestionnaires qu’un plan d’amélioration de rendement [PAR] a été instauré à son endroit. Le PAR est d’une durée de six (6) mois, soit de décembre 2014 à juin 2015.

[8]  En avril 2015, les gestionnaires de M. Egueh-Robleh effectuent une évaluation formelle de fin d’exercice pour laquelle M. Egueh-Robleh reçoit la cote de rendement « réussi – ». À l’été 2015, il est informé que le PAR est prolongé jusqu’au mois de décembre 2015.

[9]  En septembre 2015, M. Egueh-Robleh subit une autre chirurgie à l’œil droit. Il retourne au travail en octobre 2015, soit après trois (3) semaines de convalescence.

[10]  Le 3 décembre 2015, une rencontre a lieu entre les membres de l’équipe de gestion ainsi que la conseillère en relation de travail au cours de laquelle la décision est prise de mettre fin à l’emploi de M. Egueh-Robleh au motif qu’il ne remplissait pas les exigences professionnelles de son poste.

[11]  M. Egueh-Robleh consulte un médecin le 11 décembre 2015, qui le réfère en psychiatrie pour une évaluation. Dans sa demande de consultation, le médecin mentionne que M. Egueh-Robleh éprouve des symptômes de dépression progressive qui auraient commencé en 2013 et qui se seraient aggravés depuis quatre (4) mois. Le médecin fait également mention des problèmes de vision de M. Egueh-Robleh. M. Egueh-Robleh n’informe pas son équipe de gestion de la demande de consultation.

[12]  Constatant que M. Egueh-Robleh semble préoccupé par sa maladie des yeux, la chef d’équipe de M. Egueh-Robleh lui suggère de prendre des vacances supplémentaires pour qu’à l’issue de celles-ci, il se sente mieux. M. Egueh-Robleh ne l’informe pas de son état de santé dépressif.

[13]  M. Egueh-Robleh est officiellement congédié de son poste le 7 janvier 2016.

[14]  Suite à son congédiement, M. Egueh-Robleh dépose un grief en février 2016. Ce grief est rejeté au dernier palier le 22 avril 2016.

B.  Plainte à la Commission

[15]  Le 10 juin 2016, M. Egueh-Robleh dépose une plainte contre les IRSC à la Commission pour discrimination fondée sur une déficience, en violation des articles 7 et 15 de la LCDP. Il reproche notamment à son employeur de ne pas s’être informé de sa condition médicale – son état dépressif – lors de son emploi afin de déterminer si celle-ci avait une incidence sur son rendement au travail et de ne pas l’avoir réintégré dans ses fonctions lorsqu’il a pris connaissance de sa déficience.

[16]  Dans un rapport d’enquête complété le 24 janvier 2018, l’enquêteur recommande, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, que la Commission rejette la plainte de M. Egueh-Robleh. L’enquêteur estime qu’il y a absence de preuve permettant de lier la cessation d’emploi à la déficience de M. Egueh-Robleh. Dans son analyse, il affirme que la preuve recueillie démontre que l’employeur a mis fin à l’emploi de M. Egueh-Robleh puisqu’il n’était pas en mesure d’exécuter toutes les fonctions liées à son poste. L’enquêteur souligne également qu’au moment de la cessation d’emploi, l’employeur n’avait aucune raison de croire que M. Egueh-Robleh souffrait d’une dépression et que celle-ci avait un impact sur son rendement, étant donné l’absence de preuve décrivant ses incapacités eu égard à sa disposition à effectuer son travail convenablement. Il précise que même si l’on accepte les allégations de M. Egueh-Robleh qu’il souffrait d’une dépression non diagnostiquée ou traitée depuis 2013, ce dernier n’a jamais signalé cette condition à son employeur sur une période s’étalant sur deux (2) ans. Dans les circonstances, l’obligation de l’employeur d’enquêter sur la condition médicale de M. Egueh-Robleh ne pouvait prévaloir sur l’obligation de M. Egueh-Robleh d’informer adéquatement son employeur de celle-ci. Il ajoute que l’employé est tenu d’aviser son employeur de l’existence d’une déficience pour que l’obligation de prendre des mesures d’accommodation soit déclenchée. L’enquêteur juge donc l’explication de l’employeur raisonnable et détermine qu’une enquête plus approfondie n’est pas nécessaire.

[17]  À l’issue de l’enquête, l’enquêteur transmet son rapport à M. Egueh-Robleh et aux IRSC pour commentaires. M. Egueh-Robleh transmet ses commentaires à l’enquêteur le 16 février 2018. Ceux de l’employeur sont acheminés le 12 mars 2018.

[18]  Dans une lettre datée du 23 mai 2018, la Commission rejette la plainte. Elle informe M. Egueh-Robleh qu’elle a examiné le rapport de l’enquêteur ainsi que les observations qui ont été déposées en réponse et qu’elle est d’avis, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP, que l’examen de celle-ci n’est pas justifié.

[19]  M. Egueh-Robleh sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Comme il a été mentionné au début des présents motifs, M. Egueh-Robleh soutient que la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant d’interroger un témoin qu’il a proposé et que la décision est déraisonnable dans la mesure où la preuve au dossier établit un lien entre la déficience du demandeur, ses problèmes de rendement au travail et son congédiement, établissant ainsi une preuve prima facie de discrimination. M. Egueh-Robleh avance également que l’omission de communiquer à l’employeur la présence et l’impact d’une déficience pendant la durée de l’emploi n’empêche pas la possibilité de remédier rétroactivement à l’effet discriminatoire du congédiement d’un employé.

III.  Analyse

A.  Norme de contrôle

[20]  Les parties conviennent que la Commission exerce des fonctions d’administration et d’examen préalable lorsqu’elle détermine si une plainte doit être déférée au Tribunal canadien des droits de la personne [Tribunal] selon le paragraphe 44(3) de la LCDP. Son rôle consiste à déterminer si, aux termes des dispositions de la LCDP et eu égard à l’ensemble des faits, il existe une preuve suffisante justifiant le renvoi de la plainte au Tribunal. La Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire et elle jouit d’un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable lorsqu’elle reçoit un rapport d’enquête. Il ne lui appartient pas de décider si la plainte est bien fondée, et ce même en tenant compte du fait que la décision de rejeter la plainte est une décision qui empêche la poursuite de la plainte (Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 au para 53; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879 à la p 899; Wong c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2017 CF 633 aux para 27, 45; Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114 au para 38 [Ritchie CAF]; Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117 au para 48 [Keith]; Ritchie c Canada (Procureur général), 2016 CF 527 aux para 35-36 [Ritchie CF], citant Alkoka c Canada (Procureur général), 2013 CF 1102 au para 40, lequel cite Syndicat canadien des employés de la fonction publique (division du transport aérien) c Air Canada, 2013 CF 184 aux para 60-61).

[21]  Il est bien établi que la décision de la Commission de rejeter une plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la LCDP soulève des questions mixtes de fait et de droit. Elle est donc susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Cette norme comporte un degré élevé de déférence et « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14-18; Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 au para 17; Wong c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2018 CAF 101 aux para 19, 24 [Wong CAF]; Ritchie CAF au para 16; Miakanda-Batsika c Bell Canada, 2016 CAF 278 aux para 14, 19; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au para 47 [Sketchley]; Keith aux para 47-48; Ritchie CF aux para 27-29; Ouellet c Canada (Procureur général), 2006 CF 1541 au para 30 [Ouellet]).

[22]  Si la Commission fait siennes les recommandations de l’enquêteur et ne fournit pas de motifs, comme en l’instance, le rapport de l’enquêteur pourra être considéré comme les motifs de la Commission (Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 au para 60; Sketchley au para 37; Dubé c Société Radio-Canada, 2015 CF 78 au para 15 [Dubé]; Dupuis c Canada (Procureur général), 2010 CF 511 au para 15; Ouellet au para 27).

[23]  En ce qui a trait à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a souligné qu’une enquête de la Commission « ne peut être annulée pour manquement à l’équité procédurale qu’en cas d’omissions déraisonnables, comme l’omission par l’enquêteur d’examiner des éléments de preuve manifestement essentiels » (Wong CAF au para 14, citant Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574 (QL) [Slattery]).

B.  Manquements allégués à l’équité procédurale

[24]  M. Egueh-Robleh soutient que la Commission a commis un manquement à l’équité procédurale en n’interrogeant pas Linda Gagnon, sa collègue de travail. Cette dernière aurait pu traiter : a) du niveau de travail que M. Egueh-Robleh faisait à l’époque; b) des difficultés qu’il avait avec son ordinateur; c) des problèmes de vue qu’il éprouvait lors de la période du PAR; et d) des plaintes qu’il a faites concernant ses problèmes de vision à son chef d’équipe. Selon M. Egueh-Robleh, cette défaillance constitue une omission de preuves cruciales.

[25]  Dans Wong CAF, la Cour d’appel fédérale a rappelé que « l’omission d’interroger des témoins importants faisant partie des ‘principaux participants’ peut équivaloir à un défaut d’examiner des éléments de preuve manifestement essentiels, mais que, selon Slattery, il ne peut être conclu au manque de rigueur d’une enquête simplement parce que l’enquêteur n’a pas interrogé chaque témoin dont le nom a été fourni par une partie » (Wong CAF au para 14, citant Slattery au para 69; Sanderson c Canada (Procureur général), 2006 CF 447 aux para 49, 55-58; Gravelle c Canada (Procureur général), 2006 CF 251 aux para 37, 40; voir aussi Dubé aux para 26, 29; Ouellet aux para 32-34, 36).

[26]  En l’instance, l’enquêteur conclut qu’il n’était pas nécessaire d’interroger Mme Gagnon au motif qu’il n’est pas du rôle de la Commission de s’ingérer dans les questions de gestion de rendement des employés ni de se prononcer au sujet des méthodes de travail préconisées par l’employeur.

[27]  M. Egueh-Robleh fait valoir que cette explication est incohérente avec la conclusion de l’enquêteur selon laquelle la preuve démontrait que l’on avait mis fin à son emploi en raison de son rendement insuffisant et son incapacité d’exécuter toutes les fonctions liées à son poste.

[28]  La Cour est du même avis. Lorsque l’enquêteur examine la justification fournie par l’employeur, il se trouve nécessairement à se pencher sur des questions de gestion de rendement liées à M. Egueh-Robleh.

[29]  Toutefois, cette incohérence dans la décision n’est pas déterminante pour les motifs suivants.

[30]  Premièrement, il n’a pas été démontré que Mme Gagnon était l’un des « principaux participants » dans les événements qui ont mené à la plainte de M. Egueh-Robleh (Wong CAF au para 14). Ce dernier ainsi que ses gestionnaires étaient les témoins « clés » qui auraient et qui ont eu une incidence fondamentale sur la résolution de la plainte.

[31]  Deuxièmement, Mme Gagnon ne pouvait témoigner du caractère discriminatoire du congédiement et, plus particulièrement, du lien entre la cessation d’emploi et la dépression de M. Egueh-Robleh. L’omission d’interroger Mme Gagnon n’équivaut donc pas à un défaut d’examiner un élément de preuve manifestement essentiel (Dubé au para 26).

[32]  Troisièmement, Mme Gagnon n’était pas compétente pour témoigner des problèmes de rendement au travail de M. Egueh-Robleh, celle-ci ne faisant pas partie de l’équipe de gestion à qui M. Egueh-Robleh se rapportait.

[33]  Quatrièmement, les problèmes oculaires qu’éprouvait M. Egueh-Robleh ne sont pas contestés par l’employeur.

[34]  Cinquièmement, M. Egueh-Robleh a eu l’opportunité de commenter le rapport de l’enquêteur. Il aurait pu à ce moment chercher à introduire une déclaration assermentée de Mme Gagnon en guise de preuve pour appuyer sa plainte.

[35]  En résumé, la Cour considère que l’omission d’interroger Mme Gagnon ne constitue pas une erreur déterminante. M. Egueh-Robleh n’a pas démontré que le témoignage de Mme Gagnon aurait ajouté à la question que devait trancher la Commission, c’est-à-dire, l’existence d’une preuve suffisante permettant de lier la cessation d’emploi à la dépression de M. Egueh-Robleh et pouvant justifier le renvoi de la plainte au Tribunal.

[36]  Ainsi, la Cour ne peut conclure que l’enquêteur a omis de respecter les critères de neutralité et de rigueur en refusant d’interroger Mme Gagnon ou qu’il y a eu atteinte aux droits de M. Egueh-Robleh en matière d’équité procédurale.

C.  Caractère raisonnable de la décision

[37]  M. Egueh-Robleh soutient que la conclusion de l’enquêteur et, par extension, celle de la Commission, selon laquelle il n’y avait aucun lien entre son état de santé dépressif et son rendement au travail, est déraisonnable.

[38]  Pour appuyer son argument, M. Egueh-Robleh fait valoir qu’il a reçu une note d’évaluation satisfaisante en avril 2015, que la période pertinente pour son congédiement était d’avril à décembre 2015 et que durant cette période, il a subi un épisode de dépression. Alors que la concentration et le souci du détail constituaient des exigences importantes dans le cadre de son travail, plusieurs erreurs ont été commises dans cette période, démontrant ainsi qu’il ne comprenait pas ou ne suivait pas les instructions de la gestion. Selon M. Egueh-Robleh, ces erreurs peuvent être directement expliquées par les défaillances dans sa concentration.

[39]  M. Egueh-Robleh reproche à l’enquêteur de ne pas avoir abordé la question de savoir si sa dépression était la cause de son congédiement ou y aurait contribué. Selon lui, le fait de ne pas avoir signalé à l’employeur ses problèmes de dépression ne l’empêche pas de demander réparation. Bien qu’il reconnaisse que l’employeur ne puisse être tenu responsable de remédier à une situation dont il n’était pas au courant, M. Egueh-Robleh plaide que lorsque l’employeur a pris conscience de sa déficience, il avait l’obligation légale d’évaluer rétroactivement si des mesures d’accommodements étaient possibles et si ces mesures constitueraient une contrainte excessive. À cet égard, il insiste beaucoup sur le fait que la maladie mentale est à la fois difficile à discerner du point de vue externe et fait également l’objet de stigmatisation extrême. M. Egueh-Robleh reproche notamment à l’enquêteur de ne pas avoir fait cette analyse.

[40]  Après examen du dossier, la Cour estime que la conclusion de la Commission est raisonnable.

[41]  À ce stade, il importe de rappeler le rôle de la Commission. Lorsqu’elle détermine si une plainte doit être déférée au Tribunal selon le paragraphe 44(3) de la LCDP, son rôle consiste à déterminer s’il existe une preuve suffisante de discrimination prima facie justifiant le renvoi de la plainte au Tribunal.

[42]  En l’espèce, il était loisible pour la Commission de suivre la recommandation de l’enquêteur selon laquelle le renvoi de la plainte au Tribunal n’était pas justifié au motif que la preuve ne démontrait pas que la dépression de M. Egueh-Robleh était liée à son congédiement. Il s’agissait là d’un des trois (3) éléments que doit démontrer un plaignant afin de faire la preuve prima facie de discrimination (Moore c Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 au para 33).

[43]  L’enquêteur a raisonnablement souligné l’absence de rapport et/ou d’expertise médicale décrivant les incapacités de M. Egueh-Robleh eu égard à sa disposition à effectuer son travail convenablement. Le seul document que l’on retrouve au dossier est la note datée du 11 décembre 2015, qui n’a été remise à l’employeur que dans le contexte du grief déposé le 5 février 2016. Or, cette note est brève, peu détaillée et vise principalement à diriger M. Egueh-Robleh vers un psychiatre à partir de décembre 2015. La note ne traite pas de l’étendue de sa dépression en 2013 ni de l’étendue de sa dépression au début du PAR en décembre 2014. De manière plus significative, elle ne fait aucun lien avec l’état de santé dépressif de M. Egueh-Robleh et ses problèmes de rendement ou son incapacité à exécuter les fonctions de son emploi. La Cour souligne également l’absence de preuve au dossier faisant état de la consultation en psychiatrie qui a suivi la note du 11 décembre 2015.

[44]  L’enquêteur a de plus raisonnablement noté qu’il y avait une incohérence dans les arguments avancés par M. Egueh-Robleh. D’une part, M. Egueh-Robleh affirme dans sa plainte avoir un bon rendement, qu’il est tout à fait normal de faire des erreurs de temps en temps et que l’employeur n’avait aucune raison de mettre fin à son emploi. D’autre part, il avance que sa dépression avait une incidence sur son rendement au travail et que son employeur aurait dû tenir compte de ses problèmes de santé psychologique.

[45]  De plus, M. Egueh-Robleh indique dans sa plainte qu’il « sombre dans la dépression » en apprenant la possibilité qu’il perde possiblement la vue dans l’œil droit. Il apprend cette possibilité en septembre 2015. Il ne semble pas alléguer dans sa plainte qu’il souffrait de dépression en 2013. Or, selon la demande de consultation en psychiatrie, M. Egueh-Robleh souffrait de cette condition médicale depuis 2013.

[46]  Par ailleurs, même si la Cour reconnait que la maladie mentale peut être difficile à discerner et qu’elle peut faire l’objet de stigmatisation extrême faisant en sorte qu’une personne souffrant d’une telle maladie puisse avoir des réserves à communiquer cette information, elle ne peut souscrire à l’argument de M. Egueh-Robleh selon lequel son employeur aurait dû être au courant de son état de santé dépressif. Les membres de l’équipe de gestion rencontrés par l’enquêteur ont confirmé ignorer que M. Egueh-Robleh souffrait de dépression. Les gestionnaires de M. Egueh-Robleh ont indiqué à l’enquêteur s’être renseignées à de nombreuses reprises sur le bien-être général de M. Egueh-Robleh après qu’il a reçu l’annonce qu’il était possible qu’il perde éventuellement l’usage de son œil droit. Les discussions qu’elles ont eues avec lui suggéraient qu’il se sentait bien. M. Egueh-Robleh n’alimentait pas la discussion malgré le fait qu’il avait été très honnête dans le partage des informations liées à sa maladie des yeux. Même lorsqu’il a été question que M. Egueh-Robleh prenne des vacances supplémentaires en décembre 2015 parce que sa chef d’équipe le sentait préoccupé par sa maladie des yeux, il n’a pas été question de son état de santé dépressif. Les gestionnaires de M. Egueh-Robleh ont indiqué à l’enquêteur que la seule déficience connue était celle liée à sa maladie des yeux et que celle-ci ne pouvait être considérée comme un facteur expliquant le mauvais rendement de M. Egueh-Robleh puisque ses difficultés se situaient davantage au niveau de sa compréhension des requêtes des clients, des demandes de ses gestionnaires et de sa capacité à produire des rapports de qualité. Selon elles, il ne s’agissait pas de simples erreurs d’inattention.

[47]  À la lumière de ce qui précède, la Cour est d’avis que la Commission pouvait raisonnablement conclure, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la preuve permettant d’étayer une plainte de discrimination n’était pas suffisante pour justifier la tenue d’une enquête plus approfondie par le Tribunal, et ce, eu égard à l’ensemble des faits découlant du dossier et de la preuve qui lui a été présentée.

[48]  Considérant que M. Egueh-Robleh n’a pas présenté une preuve suffisante pour établir de manière prima facie l’effet discriminatoire de son congédiement, l’enquêteur n’avait pas l’obligation de procéder à une analyse des obligations d’accommodement ni de la contrainte excessive de ces mesures.

IV.  Conclusion

[49]  Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. M. Egueh-Robleh n’a pas démontré que la Commission a omis de prendre en considération des éléments de preuve manifestement essentiels de manière à constituer un manquement à l’équité procédurale ou que sa décision est par ailleurs déraisonnable.


JUGEMENT au dossier T-1196-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1196-18

INTITULÉ :

SAID EGUEH-ROBLEH c INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 février 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 16 août 2019

COMPARUTIONS :

Yavar Hameed

Pour le demandeur

Sarah Chênevert-Beaudoin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hameed Law

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.