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                                                                                                                                  Date : 20040630

                                                                                                                       Dossier : IMM-3006-03

                                                                                                                     Référence : 2004 CF 924

ENTRE :

                                                          EHAB ALHAJYOUSEF

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD


[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 26 mars 2003, statuant que le demandeur n'est ni un « réfugié » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » suivant les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]         Ehab Alhayousef (le demandeur) est un Palestinien qui allègue avoir une crainte bien fondée de persécution sur la base de sa nationalité et de ses opinions politiques imputées. Le demandeur craint d'être tué par l'armée israélienne et par les membres de la Brigade Al Aqsa.

[3]         La CISR a conclu que le demandeur n'est pas un « réfugié » au sens de la Convention, son récit n'étant pas crédible en raison de nombreuses incohérences et invraisemblances. La CISR a aussi noté que le comportement du demandeur était incompatible avec sa crainte alléguée.

[4]         À l'audition devant moi, j'ai pris sous réserve la demande verbale de confidentialité du présent dossier présentée par le procureur du demandeur. Cette demande est rejetée parce qu'elle aurait pu et dû être présentée formellement beaucoup plus tôt et que, de toute façon, le préjudice invoqué est purement spéculatif.


[5]         Le demandeur s'en prend fondamentalement à l'appréciation des faits faite par le tribunal. Or, la CISR a jugé invraisemblable le fait que le demandeur n'ait jamais informé ses parents de ses problèmes, considérant leurs positions influentes au sein de l'Organisation pour la libération de la Palestine depuis de nombreuses années. De plus, la CISR a reproché au demandeur de n'avoir présenté aucune preuve démontrant qu'il est personnellement visé par les autorités militaires israéliennes. La CISR a aussi noté que le demandeur communiquait régulièrement avec ses parents qui n'ont pas eu de problèmes depuis son départ, ce qui indique que le demandeur ne serait pas particulièrement visé par les membres de la Brigade Al Aqsa. Une lecture attentive des motifs de la décision ainsi que des notes sténographiques des audiences démontre que la CISR a tenu compte des explications du demandeur au sujet de ces incohérences et de ces invraisemblances, mais qu'elle les a simplement jugées insatisfaisantes.

[6]         Le demandeur a souligné que la preuve documentaire sur laquelle s'appuie la CISR pour conclure que de nombreux jeunes se portent volontaires pour participer aux opérations martyres a été composée par un membre de la Brigade et que la CISR a ignoré la preuve documentaire au sujet des châtiments réservés par la population palestinienne aux personnes désignées comme étant des traîtres. Même s'il est vrai que la preuve documentaire fait état de la violence infligée par les Palestiniens envers ceux qui sont soupçonnés être traîtres, le demandeur n'a pas établi qu'il était soupçonné d'être traître à la cause palestinienne.


[7]         Selon le demandeur, le fait que la CISR ne mentionne pas sa requête en récusation dans ses motifs va à l'encontre de son devoir de motiver sa décision et donne l'impression d'une crainte de partialité. Je ne suis pas d'accord. La CISR est simplement tenue d'expliquer le pourquoi du refus de la revendication, ce qu'elle a bien fait en l'espèce (voir Mehterian c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) et Tekin c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 506 (C.F. 1re inst.) (QL)). Comme le soumet le défendeur, l'article 169 de la Loi prévoit que la CISR ne se doit pas de motiver ses décisions interlocutoires, telle une décision rendue au sujet d'une requête en récusation. Une lecture des notes sténographiques de l'audience révèle que le procureur du demandeur a fait valoir ses objections au sujet du fait que la commissaire a commencé à interroger le demandeur avant qu'il ait fait toutes ses modifications au Formulaire de renseignements personnels et au sujet du fait que la commissaire n'a pas exhibé la carte d'identité au demandeur avant de l'interroger à ce sujet. La commissaire a répondu aux préoccupations du procureur dans les deux cas, et rien ne démontre que ces deux incidents aient donné lieu à une apparence de partialité de la part de la CISR. En ce qui concerne l'allégation du demandeur voulant qu'il y ait une apparence de partialité du fait que le demandeur n'a pas pu consulter le dossier de l'Ambassade du Canada, je suis d'avis que cette allégation est aussi sans fondement. Il importe de remarquer que la CISR a confronté le demandeur avec les informations contenues dans ce dossier au sujet de sa demande de visa d'étude et que le demandeur a pu répondre aux soucis de la commissaire. Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, la Cour suprême du Canada a développé le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité à la page 394 :

[. . .] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. . . . ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[8]         De plus, dans l'arrêt Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée ainsi :


[8]      [. . .] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. [. . .]

[9]         Appliquant ces principes au présent cas, il y a lieu de rejeter l'allégation de partialité faite par le demandeur.

[10]       Enfin, la CISR a noté que le demandeur possédait un passeport depuis le 18 novembre 2000, qu'il a obtenu un visa canadien le 18 décembre 2001, après avoir complété toutes les démarches pour venir étudier dans une institution d'enseignement supérieur au Canada, et que toutefois le demandeur a attendu encore cinq mois avant de quitter son pays, sans revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée au Canada. Selon la CISR ces délais portent atteinte à la crédibilité de sa crainte subjective. Selon la jurisprudence de cette Cour, un tel délai est un indice significatif du caractère bien fondé de la crainte de persécution alléguée et la CISR pouvait ainsi conclure à un manque de crédibilité de la crainte subjective du demandeur (Ilie c. Canada (M.C.I.), [1994] A.C.F. no 1758 (C.F. 1re inst.) (QL)). En l'espèce, la CISR a effectivement tenu compte des explications du demandeur mais elle les a rejetées. À mon sens, la CISR pouvait alors raisonnablement conclure que le comportement du demandeur était incompatible avec sa crainte subjective alléguée.


[11]       Bien que j'aurais moi-même apprécié certains faits différemment, notamment au sujet de la date de la première rencontre du demandeur avec Abu Al-Haija et au sujet de la fréquence de ses visites au Centre culturel du camp Al Ama'ri, de façon générale la décision du tribunal spécialisé que constitue la CISR m'apparaît fondée sur des éléments de preuve sérieux. Aucune erreur de droit n'étant par ailleurs démontrée, l'intervention de cette Cour n'est donc pas justifiée.

[12]       En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                     

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 juin 2004


                                                               COUR FÉDÉRALE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       IMM-3006-03

INTITULÉ :                                                      EHAB ALHAJYOUSEF c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 10 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                          Le 30 juin 2004            

COMPARUTIONS :

Me Denis Girard                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Sherry Rafai Far                                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Denis Girard                                                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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