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Date : 20190927


Dossier : IMM-443-19

Référence : 2019 CF 1243

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

RAY PRINCE ABBA-OKEREKE

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant une demande d’asile présentée par le demandeur, un citoyen du Nigéria. La décision faisant l’objet du contrôle a été rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) le 13 décembre 2018. Il s’agit de l’appel d’une décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 6 décembre 2017.

[2]  Dans sa décision, la SAR a fourni la description suivante à titre d’aperçu :

L’appelant affirme que son cousin, [nom] a été arrêté en septembre 2016 pour avoir commis des actes homosexuels et qu’il est demeuré en détention jusqu’à son décès en janvier 2017. Pendant toute cette période, l’appelant a demandé sans relâche que son cousin soit mis en liberté et il a retenu les services d’un avocat pour l’aider. L’appelant soutient que [son cousin] est mort après avoir été torturé par la police. Après le décès de son cousin, l’appelant a continué d’exercer des pressions sur la police afin de la tenir responsable de cette mort. L’appelant a commencé à se sentir menacé et à vivre de l’insécurité, et il croyait que sa famille et lui étaient suivis par des policiers en civil. La police a également recherché l’appelant à son travail. L’appelant a fui le Nigéria lorsqu’il a commencé à vivre de plus en plus d’insécurité et de vulnérabilité. La SPR a rejeté la demande d’asile, ayant conclu que l’appelant n’était pas un témoin crédible.

[3]  La SAR a souscrit à la conclusion défavorable de la SPR concernant la crédibilité. Elle a examiné deux questions principales : (1) la conclusion de la SPR selon laquelle il y avait une absence de preuve documentaire étayant le lien étroit qui unissait le demandeur et son cousin; (2) le fait que la SPR n’a accordé aucune valeur probante aux pièces justificatives fournies par le demandeur.

[4]  La SAR a formulé les conclusions suivantes aux paragraphes 7 et 8 de sa décision :

La Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a contesté l’absence d’éléments de preuve documentaire relatifs au lien étroit qui unit l’appelant et [son cousin]

7  La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’appelant en raison de l’absence d’éléments de preuve documentaire relatifs à la relation. L’appelant soutient que la SPR n’a pas tenu compte des réalités du Nigéria, où des documents ne sont pas toujours accessibles ou nécessaires.

8  J’estime que la SPR était fondée à entretenir des préoccupations concernant l’absence de document. Selon le propre témoignage de l’appelant, [son cousin] a vécu avec lui pendant environ dix ans, et l’appelant était responsable de la scolarité [de son cousin] durant cette période. Bien que la SPR ait fait mention de l’absence du certificat de naissance ou de documents scolaires [de son cousin], ce ne sont là que des exemples de documents que la SPR pourrait s’attendre à voir être admis en preuve. L’affidavit de l’épouse de l’appelant fait bel et bien état de la relation, affirmant notamment [traduction] « [qu’]il était comme un fils » et [traduction] « je me souviens [le cousin] a gardé tous mes enfants après leur naissance ». Toutefois, il n’y a aucune mention explicite du fait que [le cousin] a vécu avec l’appelant pendant une longue période. Qui plus est, il devrait exister certains éléments de preuve documentaire de cette période. J’estime que l’absence d’élément de preuve documentaire à ce sujet a une incidence défavorable sur la crédibilité de l’appelant.

[Renvois omis.]

[5]  L’analyse de la SAR reproduite ci-dessus n’est pas conforme au droit. La SAR n’a pas traité de l’arrêt Maldonado c M.E.I., [1980] 2 C.F. 302.

[6]  Dans la décision Zakhour c MCI, 2011 CF 1178, la Cour déclare ceci au paragraphe 4 :

J’estime qu’aucun des énoncés d’invraisemblance cités n’est conforme aux règles de droit applicables aux conclusions défavorables, ainsi qu’il est énoncé aux paragraphes 10 et 11 de la décision Vodics c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783 :

En ce qui a trait aux conclusions défavorables sur la crédibilité en général et les conclusions d’invraisemblance en particulier, le juge Muldoon a énoncé, dans la décision Valtchev c. Canada (MCI), 2001 CFPI 776 [aux paragraphes 6 et 7] :

Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.) à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur d’asile le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeurs d’asile proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[Souligné dans l’original]

Il n’est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s’appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu’on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu’une personne n’est pas crédible, c’est dire qu’elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

[7]  Dans la décision Galamb c MCI, 2018 CF 135, la Cour écrit ce qui suit au paragraphe 10 :

En ce qui concerne l’exigence de présenter des éléments de preuve corroborants, la publication en ligne de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulée Évaluation de la crédibilité lors de l’examen des demandes d’asile, Services juridiques, 31 janvier 2004, déclare ce qui suit sur l’état du droit :

2.4.3. Preuve corroborante À moins qu’elle n’ait des motifs valables de douter de la crédibilité du demandeur, la SPR commet une erreur si elle exige une preuve documentaire corroborant les allégations du demandeur. En d’autres termes, la SPR ne peut rejeter la preuve du demandeur simplement parce que celui-ci n’a présenté aucune preuve documentaire ou autre corroborant son témoignage donné de vive voix. Ainsi, l’omission de présenter des preuves documentaires ne peut être liée à la crédibilité du demandeur en l’absence d’éléments de preuve contredisant les allégations. Dans Kaur [Kaur v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 21 Imm. LR (2d) 301 (1re inst.)], la Cour fédérale a dit que, si le tribunal a jugé qu’il n’était pas nécessaire de faire comparaître un témoin pour corroborer le témoignage du demandeur, il ne peut pas ensuite conclure à l’absence de crédibilité de ce dernier parce qu’il n’y a pas eu corroboration de son témoignage.

(https://irb-cisr.gc.ca/fr/legales-politique/ressources-juridiques/Pages/Credib.aspx#243)

[Renvois omis.] [Non souligné dans l’original.]

[8]  La publication de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié citée dans la décision Galamb ainsi que l’extrait reproduit ci-dessus figurent toujours sur le site Web de la Commission à l’adresse <https://irb-cisr.gc.ca/fr/legales-politique/ressources-juridiques/Pages/Credib.aspx#243>.

[9]  Les décisions Maldonado et Zakhour démontrent que les conclusions quant à l’invraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire lorsque les faits débordent le cadre de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre. Dans la décision Galamb, la Cour a déclaré que la SPR commettait une erreur en exigeant des éléments de preuve corroborants. Dans la présente affaire, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur concernant son lien étroit avec son cousin était invraisemblable et qu’une preuve documentaire devait être fournie pour corroborer ce lien étroit. La SAR a omis de relever ces erreurs commises par la SPR.

[10]  Ensuite, la SAR a tiré les conclusions suivantes aux paragraphes 9 et 10 de sa décision :

La Section de la protection des réfugiés n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle n’a accordé aucune valeur probante aux documents à l’appui

[9]  La SPR n’a accordé aucune valeur probante au certificat de décès, au rapport de l’hôpital, à diverses photos et aux documents d’inhumation. L’appelant soutient que les questions de la SPR concernant ces documents [traduction] « illustrent une partialité préoccupante à l’égard de l’appelant ».

[10]  J’estime que la SPR ne s’est pas trompée. Après examen des conclusions de la SPR, je ne vois aucune preuve de partialité; j’estime plutôt que la SPR a tiré des conclusions significatives et correctes quant à la crédibilité que, selon moi, elle était fondée à tirer. Les documents en question ne permettent pas d’établir l’orientation sexuelle du cousin ni les causes de son décès, et la SPR était fondée à tenir compte des éléments de preuve et à en étudier la pertinence. La SPR a jugé que les documents avaient été fabriqués. Je ne partage pas cet avis, mais, comme il a été mentionné précédemment, l’appelant n’a pas démontré en quoi ces documents se rapportent au fondement de sa demande d’asile, et son argument doit être rejeté.

[Non souligné dans l’original]

[11]  Il ressort clairement de l’examen rapide du rapport d’hôpital que ce document a une grande valeur probante.

[12]  Le rapport d’hôpital indique que le cousin du demandeur est décédé le 16 février 2017 et que la cause du décès était la suivante :

[traduction]

Cause principale : CHOC HÉMORRAGIQUE

Cause secondaire : TRAUMATISME À L’ABDOMEN

(Dossier certifié du tribunal, p. 48)

[13]  Le rapport d’hôpital aide donc à établir les raisons pour lesquelles le cousin du demandeur est décédé et touche le cœur même de la demande du demandeur.

[14]  Par conséquent, les erreurs fondamentales décrites ci-dessus rendent la décision de la SAR déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-443-19

LA COUR STATUE que, pour les motifs donnés, la décision faisant l’objet du contrôle est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour d’octobre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-443-19

 

INTITULÉ :

RAY PRINCE ABBA-OKEREKE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 27 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Monique Ann Ashamalla

POUR LE DEMANDEUR

Suzanne M. Bruce

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ASHAMALLA LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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