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Date : 20190930


Dossier : IMM-361-19

Référence : 2019 CF 1245

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 30 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

BLESSING EFFIONG EKPENYONG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse a présenté une demande de visa et de permis de travail temporaire au titre du Programme de travailleurs étrangers au Canada [le programme], mais un agent des visas l’a refusée. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Elle affirme que la décision de l’agent des visas était déraisonnable au vu des éléments de preuve crédibles qui allaient dans le sens contraire. Le défendeur est en désaccord.

[2]  Les parties sont aussi en désaccord sur la question de savoir si l’agent des visas aurait dû communiquer avec la demanderesse pour discuter de préoccupations concernant sa demande de visa.

[3]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs exposés ci‑dessous.

II.  Contexte

[4]  La demanderesse, une citoyenne du Nigéria, est née le 22 octobre 1991. De mars 2015 à décembre 2018, elle a travaillé comme préposée au service de garde d’un groupe d’écoles de l’État du Delta, dans la région d’Effurun Sapele au Nigéria.

[5]  Le 14 mai 2018, la demanderesse et son employeur éventuel, un résident de Fort McMurray, en Alberta, ont conclu un contrat employeur‑employé pour la fourniture de soins à domicile dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [le contrat]. Selon les modalités contractuelles, la demanderesse devait travailler à titre d’aide familiale résidente pour les deux jeunes enfants de son employeur éventuel pendant une période de 24 mois dans la maison familiale située à Fort McMurray. Les tâches de la demanderesse comprendraient la garde des enfants, un peu de ménage et la préparation des repas. Le contrat stipulait aussi que la demanderesse travaillerait 44 heures par semaine.

[6]  Le 16 mai 2018, l’employeur éventuel a présenté une demande d’étude d’impact sur le marché du travail [l’ÉIMT] pour le poste que la demanderesse devait occuper. Le 19 juin 2018, Emploi et développement social Canada ou Service Canada lui a envoyé une lettre l’informant qu’elle avait reçu une ÉIMT favorable. La lettre indiquait que [traduction] « l’embauche de travailleurs étrangers dans le secteur professionnel visé et au lieu de travail proposé aura une incidence favorable ou neutre sur le marché du travail canadien ».

[7]  Le 3 août 2018, la demanderesse a sollicité un visa et un permis de travail temporaire au titre du programme afin de commencer son emploi selon les modalités du contrat. Le numéro de l’ÉIMT était inscrit dans le formulaire de demande de visa. Dans sa demande de résidence temporaire, la demanderesse a indiqué qu’elle n’avait voyagé dans aucun pays ou territoire au cours des cinq dernières années. La demande de visa ne contenait pas de renseignements concernant ses biens ou les fonds dont elle disposait.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Dans une lettre datée du 30 novembre 2018, un agent des visas de la Section des visas du Haut‑commissariat du Canada à Londres, au Royaume‑Uni, a avisé la demanderesse que sa demande de visa et de permis de travail temporaire avait été refusée [la décision]. L’agent des visas a conclu que la demande ne répondait ni aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, ni à celles du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], pour les motifs suivants :

[TRADUCTION]

-  Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, selon les dispositions du paragraphe 216(1) du Règlement, en raison de vos antécédents de voyage.

-  Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, selon les dispositions du paragraphe 216(1) du Règlement, en raison des perspectives d’emploi limitées dans votre pays de résidence.

-  Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, selon les dispositions du paragraphe 216(1) du Règlement, en raison de vos biens personnels et de votre situation financière.

[9]  Les notes du Système mondial de gestion des cas [les notes du SMGC] inscrites le jour même à l’appui de la décision de l’agent des visas sont rédigées comme suit :

[traduction]

La demanderesse cherche à travailler comme fournisseuse de soins, elle s’occuperait de deux enfants de moins de deux ans. La demanderesse ne présente pas preuve de fonds/biens ni d’antécédents de voyage. Elle travaille à l’heure actuelle dans la garderie d’une école, elle gagne 20 000 nairas (env. 75 $ CA) par mois. Étant donné les antécédents de voyage de la demanderesse, les fonds et les occasions d’emploi dans le pays d’origine par rapport au Canada, je ne suis pas convaincu que la demanderesse soit suffisamment établie pour être motivée à retourner dans son pays d’origine à la fin de la période de séjour autorisée. Pour ces motifs, la demande est refusée.

IV.  Questions en litige

[10]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

  • 1) Le refus de la demande de visa et de permis de travail de la demanderesse par l’agent des visas était‑il été raisonnable?

  • 2) L’agent des visas a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en s’abstenant de communiquer avec la demanderesse pour lui faire part de ses préoccupations concernant sa demande de visa?

V.  Norme de contrôle

[11]  La première question appelle l’application de la norme de contrôle judiciaire de la décision raisonnable, qui requiert que la décision appartienne « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Lorsqu’elle évalue de cette façon la décision, la Cour doit déterminer si la décision est justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47 [Dunsmuir]).

[12]  L’évaluation que l’agent des visas effectue en vue de la délivrance d’un permis de travail temporaire exige la pondération de nombreux facteurs. Ainsi, les décisions discrétionnaires de ce type doivent se voir accorder un niveau élevé de retenue, étant donné qu’elles renvoient généralement à des questions factuelles et qu’elles sont liées à l’expertise reconnue aux agents des visas (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 894, par. 15 et 16 [Singh]; Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 866, par. 17; Ngalamulume c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1268, par. 16; Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25, par. 19).

[13]  Bien que son obligation d’énoncer des motifs lorsqu’il évalue une demande de visa de résident temporaire soit minimale, l’agent des visas doit néanmoins fournir des motifs adéquats à l’appui de sa décision (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 621, par. 9). Considérés globalement, « les motifs [de l’agent des visas] répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16 [NFLD Nurses]; Sibal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 159, par. 22).

[14]  En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte : Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 861, par. 15; S.C.F.P. c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, par. 100; Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1129, par. 13; Bahr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 527, par. 15; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, par. 53.

[15]  Toutefois, le degré d’équité procédurale pesant sur l’agent des visas est relativement peu élevé, compte tenu de la nature administrative du processus d’examen des demandes de visa (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381, par. 37 [Zhang]; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465, par. 21 [Zhou]).

VI.  Analyse

1)  Le refus de la demande de visa et de permis de travail de la demanderesse par l’agent des visas était‑il raisonnable?

A.  Les principes liés au caractère suffisant des motifs

[16]  La demanderesse affirme que la décision et le raisonnement de l’agent des visas sont problématiques. Elle fait valoir que l’agent des visas n’a pas accordé de poids à son expérience professionnelle au Nigéria ni à sa lettre de recommandation, qu’il a mal interprété la nature de sa demande de permis de travail et qu’il a commis une erreur en tirant une inférence défavorable de son absence d’antécédents de voyage. Pour l’essentiel, la demanderesse soutient que l’agent des visas n’a pas été attentif aux éléments dont il disposait et qu’il n’a pas fourni de motifs suffisants à l’appui de sa décision de refuser la demande de visa qu’elle a présentée.

[17]  Le défendeur soutient que l’agent des visas a pris en compte tous les facteurs applicables et qu’il a rendu une décision raisonnable. Il affirme qu’il était raisonnable de la part de l’agent des visas de prendre compte du faible salaire de la demanderesse au Nigéria, de son statut de femme célibataire et de la situation économique du Nigéria pour refuser sa demande de permis de travail. Le défendeur soutient aussi que les agents des visas n’ont pas l’obligation de fournir des motifs détaillés à l’appui de leurs décisions.

[18]  La première question a trait au caractère suffisant des motifs. Comme la Cour suprême l’a précisé au paragraphe 21 de l’arrêt NFLD Nurses, les questions liées aux « lacunes ou [aux] vices dont seraient entachés les motifs » rendus par un décideur administratif sont étroitement liées au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[19]  De plus, il incombe aux demandeurs de visa de réfuter la présomption selon laquelle ils sont des immigrants cherchant à demeurer au Canada et de convaincre l’agent des visas qu’ils quitteront le Canada à la fin de leur période de séjour (Danioko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479, par. 15; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 791, [2001] ACF no 1144 (QL), par. 35 [Li]; Fakhri Adhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 854, par. 29).

[20]  Comme il est indiqué dans la décision Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 992, au paragraphe 13,

Il y a plusieurs lignes de conduite clairement établies pour cette analyse : (1) il existe une présomption légale selon laquelle toutes personnes qui cherchent à entrer au Canada sont présumées être des immigrants, que le demandeur doit réfuter : Danioko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 479 au paragraphe 15; (2) il n’incombe pas à la Cour de réévaluer la preuve; (3) l’agent est présumé avoir examiné toute la preuve sauf indication contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF)) et n’est pas tenu de mentionner tous les documents soumis (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (QL) (CAF); Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465 au paragraphe 20; (4) les motifs de la décision de l’agent incluent le formulaire et la lettre, ainsi que les notes du SMGC préparées pour l’affaire.

B.  L’application de ces principes à la présente affaire

[21]  Les motifs rendus par l’agent des visas, qui travaille de Londres, pour justifier le refus du visa sont succincts et utilisent des formules toutes faites. Pour l’essentiel, l’agent des visas a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de démontrer qu’elle quitterait le Canada à la fin de son contrat de travail. Cette conclusion a été tirée sur le fondement de l’absence d’éléments de preuve présentés par la demanderesse quant aux fonds dont elle dispose et à ses antécédents de voyage et des faibles perspectives d’emploi au Nigéria.

[22]  J’admets qu’il est devenu courant que les agents des visas utilisent des gabarits pour rendre leurs décisions, en particulier lorsqu’ils sont saisis d’un nombre élevé de demandes. Je ne vois en principe aucun problème à ce qu’ils trouvent des moyens efficaces d’effectuer leur travail. J’admets également qu’ils jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour rendre leurs décisions et qu’ils peuvent tenir compte de critères objectifs (Zhang, par. 37; Zhou, par. 21).

[23]  Toutefois, lorsqu’ils utilisent des gabarits, les agents des visas devraient y apporter les modifications nécessaires ou rendre des motifs qui révéleraient leur raisonnement de manière intelligible, et ils devraient traiter des éléments de preuve pouvant contredire d’importantes conclusions factuelles. En l’espèce, en se contentant d’énoncer des conclusions objectives, l’agent des visas n’a pas établi le fondement qui nous permettrait de comprendre comment il a interprété les éléments de preuve pour arriver à sa décision.

[24]  Les motifs de l’agent des visas sont plutôt expéditifs et ne permettent pas d’expliquer le raisonnement qui sous‑tend sa décision de refuser le visa de travail. Par exemple, j’ai fait remarquer à l’avocat du défendeur que la décision renvoyait au paragraphe 216(1) du Règlement, lequel porte sur les permis d’études, au lieu de l’article 200 du Règlement qui, lui, porte sur les permis de travail. Il se pourrait très bien que l’agent des visas ait simplement oublié de modifier le gabarit afin que celui‑ci reflète le renvoi à la bonne disposition législative. Bien que cela puisse indiquer un manque d’attention et une façon de procéder expéditive, cela ne porte pas en soi un coup fatal à la décision, car les commentaires qui ressortent des notes du SMGC semblent correspondre aux critères régissant les demandes de permis de travail.

[25]  Cela étant dit, la décision contient toutefois un certain nombre de lacunes.

[26]  Premièrement, l’agent des visas n’a pas accordé suffisamment de poids aux éléments de preuve établissant que la demanderesse avait une expérience professionnelle raisonnable au Nigéria. Il y a une mention succincte de l’emploi de la demanderesse au Nigéria dans les notes du SMGC [traduction] (« travaille à l’heure actuelle dans la garderie d’une école [...] »). Toutefois, l’agent ne dit pas comment ce fait a une incidence défavorable sur ses perspectives d’emploi, en particulier au regard de la lettre de recommandation favorable que la demanderesse a obtenue de son employeur actuel; l’agent des visas ne fait pas non plus mention des certificats attestant les formations suivies par la demanderesse ni de l’emploi qu’elle occupe au Nigéria depuis plus de trois ans. Ces facteurs sont tous importants et peuvent fort bien permettre d’écarter une conclusion selon laquelle la demanderesse avait de faibles perspectives d’emploi au Nigéria. Étant donné que l’agent des visas a accordé de l’importance aux prétendues perspectives d’emploi limitées au Nigéria, l’agent des visas aurait dû, à mon avis, traiter expressément de l’expérience professionnelle actuelle de la demanderesse.

[27]  Deuxièmement, l’agent des visas semble avoir tiré une inférence défavorable du salaire de la demanderesse au Nigéria. Dans les notes du SMGC, l’agent des visas écrit que la demanderesse gagne [traduction« 20 000 nairas (env. 75 $ CA) par mois », sans fournir d’autre explication quant à savoir si ce salaire est suffisant pour maintenir un niveau de vie raisonnable dans le lieu de résidence de la demanderesse. Certes, les agents des visas peuvent se servir de leurs connaissances et de leur expertise générale lorsqu’ils tirent des conclusions, mais il n’y a rien dans les notes du SMGC qui permette de mettre en contexte le salaire de la demanderesse au Nigéria au regard du niveau de vie dans ce pays.

[28]  Bien que les perspectives de meilleures occasions d’emploi au Canada soient un facteur à prendre en compte relativement à la question de son retour au Nigéria après son emploi, je dirais que c’est le cas pour la majorité des demandeurs dans des situations semblables qui viennent de pays ayant un niveau de vie fort inférieur à celui du Canada. Les simples mention du salaire de la demanderesse, sans autre commentaire, et affirmation qu’il y a des perspectives d’emploi limitées au Nigéria, sans égard à la preuve relative à l’expérience professionnelle stable de la demanderesse, font en sorte qu’il est très difficile de considérer la conclusion de l’agent des visas comme justifiée, transparente et intelligible et ne me permettent pas de déterminer si la conclusion ainsi tirée appartient aux issues acceptables.

[29]  Troisièmement, l’agent des visas évoque aussi les fonds limités dont disposerait la demanderesse à son arrivée comme étant un facteur justifiant le refus de la demande de visa, sans toutefois mentionner qu’à son arrivée au Canada, la demanderesse aurait un emploi et la possibilité de gagner 598,40 $ par semaine et de bénéficier des avantages que constituent le logement et les repas inclus. Je ne peux pas évaluer le raisonnement de l’agent des visas sans autre commentaire de sa part sur les raisons pour lesquelles l’emploi que la demanderesse a obtenu au Canada ne répondrait par ailleurs pas au critère du caractère suffisant des fonds.

[30]  J’admets que d’autres commentaires ne seraient pas nécessaires dans le cas d’un permis d’études au titre du paragraphe 216(1) du Règlement, mais je pense qu’ils seraient utiles en l’espèce.

[31]  Quatrièmement, l’évaluation des antécédents de voyage de la demanderesse par l’agent des visas, mentionnée comme autre motif à l’appui du refus de la demande, n’était pas raisonnable. La Cour fédérale a constamment décidé que l’absence d’antécédents de voyage d’un demandeur de permis de travail devrait être traitée comme étant un facteur neutre en ce qui a trait à sa probabilité de retourner dans le pays dont il possède la citoyenneté (voir Ogunfowora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 471, par. 42; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 135, par. 13; Adom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 26, par. 15).

[32]  L’agent des visas commet donc une erreur lorsqu’il considère l’absence d’antécédents de voyage de la demanderesse comme un facteur défavorable quant à la question de savoir si elle ne quittera pas le Canada après son emploi.

[33]  Bien que je souscrive à l’avis du défendeur qu’il est du ressort de l’agent des visas d’accorder du poids aux éléments de preuve, je dois dire que l’agent des visas aurait dû, en l’espèce, formuler ne serait-ce que des motifs succincts afin de permettre à la Cour d’évaluer si « l’issue générale correspond bien au principe de justification, de transparence et d’intelligibilité » (Singh, par. 21).

[34]  Dans l’ensemble, je conclus que l’agent des visas n’a pas été attentif à la nature et au contenu de la demande de permis de travail de la demanderesse. Bien que je comprenne ce que dit l’agent des visas, je ne comprends pas pourquoi il le dit; or, il est important que je le comprenne.

2)  L’agent des visas a‑t‑il manqué à l’équité procédurale en s’abstenant de communiquer avec la demanderesse pour lui faire part de ses préoccupations concernant sa demande de visa?

[35]  Citant la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 258 [Wang], la demanderesse soutient que l’agent des visas aurait au moins dû lui téléphoner pour lui permettre de dissiper ses préoccupations concernant sa demande de visa avant de la rejeter.

[36]  Je note d’abord que, dans le cadre d’une demande de visa, le processus se situe au plus bas de l’échelle pour ce qui est des détails à fournir et des formalités à respecter, et que l’obligation d’équité dans le processus de la demande de visa est relativement peu élevée. Comme la Cour d’appel fédérale [la CAF] l’a expliqué au paragraphe 31 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345, plusieurs facteurs expliquent cette obligation d’équité limitée, notamment, « l’absence d’un droit reconnu par la loi d’obtenir un visa; l’obligation pour le demandeur de visa d’établir son admissibilité à un visa; les conséquences moins graves en général du refus d’un visa pour l’intéressé, contrairement à la suppression d’un avantage, par exemple la suppression du droit de résider au Canada ». La CAF a ensuite averti que la Cour doit « se garder d’imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter » (par. 32).

[37]  Une communication additionnelle avec un demandeur de visa peut être adéquate dans certaines circonstances, par exemple lorsque l’agent des visas nourrit des doutes quant à la crédibilité de la preuve fournie ou quant à l’authenticité des témoignages, ou s’il se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques ne faisant pas partie de son expertise générale ou sur de grandes généralisations ou des idées préconçues (voir Salman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 877, par. 12; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, par. 24).

[38]  Wang est l’une de ces affaires où un appel téléphonique aurait très bien pu être suffisant. Dans cette affaire‑là, la Cour a conclu que l’agent des visas aurait dû, en plus d’aviser le demandeur [que l’agente des visas] avait des doutes sur la « sincérité de l’offre de soutien de sa cousine et sur son statut réel de visiteur temporaire au Canada, lui donner la possibilité de s’expliquer » (Wang, par. 13).

[39]  L’agent des visas devrait aussi informer le demandeur de ses réserves lorsqu’il obtient des éléments de preuve extrinsèques pouvant être utilisés à l’appui de sa décision définitive (Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7681 (CF), par. 20).

[40]  La Cour a aussi décidé que les agents des visas ne pouvaient pas justifier leurs décisions en faisant appel à des généralisations culturelles ou régionales sans permettre au demandeur d’y répondre : Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1356, par. 12; Hernandez Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, par. 25 à 27.

[41]  En ce qui concerne ces exceptions, la Cour a constamment rejeté l’argument selon lequel le demandeur a le droit d’apporter des précisions à sa demande ou de contester le fond de la décision de l’agent : Ling c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1198, par. 16; Li; Wen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1262.

[42]  Les circonstances factuelles de l’espèce n’appartiennent pas à l’une des exceptions donnant naissance à une obligation d’équité accrue. Rien n’indique que l’agent des visas avait des doutes quant à la crédibilité, la véracité ou la sincérité des éléments de preuve de la demanderesse, ou qu’il s’est fondé sur de grandes généralisations quant aux caractéristiques personnelles de la demanderesse ou à son pays d’origine.

[43]  Par conséquent, je conclus que l’agent des visas n’a pas commis d’erreur en s’abstenant de fournir à la demanderesse l’occasion de justifier davantage sa demande de visa.

[44]  Somme toute, je conclus toutefois que l’agent des visas n’a pas expliqué suffisamment clairement le fondement de sa décision et que les motifs donnés ne me permettent pas de déterminer si la conclusion à laquelle il est arrivé appartient à l’éventail des issues acceptables.

VII.  Conclusion

[45]  Pour ces motifs, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire. La décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-361-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’octobre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-361-19

 

INTITULÉ :

BLESSING EFFIONG EKPENYONG c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 septembre 2019

 

Jugement ET MOTIFS :

Le juge PAMEL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 30 septembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Marie-Maude R. Beauvais

Idorenyin E. Amana

 

Pour la demanderesse

Lynne Lazaroff

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet d’avocats Amana

Cornwall (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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