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Date : 20191001


Dossier : IMM‑1259‑19

Référence : 2019 CF 1235

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er octobre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

SHU YUAN LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision [décision] par laquelle la Section d’appel de l’immigration [SAI] a confirmé la mesure d’exclusion prise par la Section de l’immigration [SI] contre Mme Li. La SI a jugé que cette dernière était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations, une conclusion qui n’a pas été contestée. La seule question que devait trancher la SAI était celle de savoir s’il fallait faire droit à l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire. La demande est rejetée pour les motifs suivants.

II.  Contexte

[2]  Mme Li, une citoyenne chinoise de 61 ans, est devenue résidente permanente du Canada le 12 juin 2005, avec son époux et sa fille. Un mois après avoir obtenu son droit d’établissement comme résidente permanente, elle est repartie en Chine. Elle est revenue au Canada en juin 2006 et elle est restée jusqu’en janvier 2009. Elle a ensuite vécu en Chine pendant un an en 2009, puis du début de 2011 jusqu’en 2015. Depuis mai 2015, elle vit au Canada avec sa fille, son gendre et deux petits-enfants.

[3]  Durant l’année 2010, la demanderesse, qui habitait au Canada, a présenté une demande de renouvellement de sa carte de résidente permanente; pour gérer sa demande, elle a retenu les services de New Can Consultants Ltd. [New Can] dont elle avait vu des publicités dans des journaux de langue chinoise. New Can était dirigée par un certain Xun « Sunny » Wang, qui a finalement plaidé coupable à plusieurs infractions en matière de fraude, d’impôt et d’immigration et qui a été condamné à sept ans de prison.

[4]  Mme Li a déclaré durant son témoignage avoir signé, dans le cadre de sa première demande, un formulaire vierge de renouvellement de sa carte de résidence permanente. Cette demande contenait des inexactitudes factuelles, notamment en ce qui concerne la période qu’elle avait passée au Canada, ses antécédents de voyage et sa résidence au Canada. Les parties conviennent que Mme Li respectait son obligation de résidence au moment de la demande. Les autorités de l’immigration lui ont envoyé des lettres pour lui faire part de leurs préoccupations au sujet des renseignements figurant dans sa demande. Mme Li ne les a pas reçues puisque les lettres en question avaient été envoyées à une fausse adresse où elle ne résidait pas. Comme elle n’a pas répondu, il a été déterminé que la demande avait été abandonnée.

[5]  Après une période de neuf mois, Mme Li a rencontré Sunny Wang de New Can. Ce dernier a affirmé qu’il avait fait une erreur sur le premier formulaire et il lui a fait signer un nouveau formulaire vierge. Elle a finalement reçu sa carte de résidente permanente renouvelée à l’issue de cette seconde demande. Il s’est avéré que M. Wang était à la tête d’un stratagème frauduleux. Il a été déclaré coupable de plusieurs infractions et a écopé d’une peine substantielle. (Je note en passant qu’il s’agit de l’une des quatre affaires instruites par la Cour sur une période de deux semaines durant le mois d’août 2019. Sunny Wang représentait tous les demandeurs visés par ces différentes demandes d’immigration, qui se sont toutes soldées par des conclusions de fausses déclarations. Les trois autres décisions sont les suivantes : Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1236; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1237; et Gao c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1238).

[6]  Après une enquête subséquente, l’affaire a été déférée à la SI au motif que Mme Li était interdite territoire en raison des fausses déclarations faites dans la première demande. Mme Li a reçu une lettre d’équité de l’Agence des services frontaliers du Canada qui l’avisait de la situation.

[7]  Mme Li a reconnu devant la SI que les antécédents de voyage fournis dans sa demande étaient incorrects et que son adresse résidentielle était fausse. La SI a conclu qu’elle était interdite de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et a pris une mesure d’exclusion.

[8]  Mme Li a interjeté appel de la décision de la SI et demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de prendre à son égard des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

III.  Décision faisant l’objet du présent contrôle

[9]  Un tribunal de la SAI constitué de trois commissaires a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas, compte tenu de l’intérêt supérieur des petits-enfants de Mme Li, la prise de mesures spéciales.

[10]  Pour arriver à cette conclusion, la SAI a jugé que les fausses déclarations étaient graves et a rejeté l’argument portant que Mme Li n’était pas personnellement responsable de ces fausses déclarations. Mme Li respectait son obligation de résidence lorsqu’elle a déposé sa demande de renouvellement de carte de résidente permanente en 2010, mais les fausses déclarations n’étaient pas sans conséquence, car Mme Li a présenté sa demande en même temps que son époux et ce dernier ne s’était pas conformé à son obligation de résidence. La SAI a fait remarquer que Mme Li avait faussement déclaré avoir quitté le territoire alors qu’elle se trouvait au Canada et que c’était son mari qui était absent du pays. La SAI ne croit pas qu’il s’agisse d’une coïncidence.

[11]  La SAI a pris en considération les remords exprimés par Mme Li, mais leur a accordé peu de poids étant donné que cette dernière se qualifiait de victime, qu’elle manquait de crédibilité et qu’elle n’avait pas agi en temps opportun après avoir réalisé qu’il y avait peut-être un problème.

[12]  La SAI a reconnu les efforts importants que Mme Li a déployés pour s’établir après son arrivée au Canada, mais a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve démontrant un « lien durable avec le Canada ». La SAI a toutefois conclu que le soutien dont bénéficie Mme Li au sein de sa famille et de la collectivité au Canada constituait un facteur favorable. Même s’il y avait une « préférence marquée » pour que Mme Li demeure au Canada en raison de ses liens étroits avec plusieurs membres de sa famille au Canada, la SAI a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve selon lesquels son renvoi causerait un préjudice indu à Mme Li ou à sa famille.

[13]  S’agissant de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés par la décision, la SAI a reconnu que même s’il était avantageux pour les petites-filles de Mme Li que cette dernière réside au Canada, ce facteur ne l’emportait pas sur les autres considérations de l’appel. Autrement dit, la SAI a conclu que les facteurs défavorables l’emportaient sur les facteurs favorables et elle a confirmé la validité de la mesure d’exclusion.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[14]  L’appréciation des motifs d’ordre humanitaire faite par la SAI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 184, au paragraphe 19; Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 939, au paragraphe 20).

V.  Analyse

A.  Cadre juridique

[15]  L’obligation de franchise imposée aux demandeurs « est un principe prépondérant » de la LIPR (Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169, au paragraphe 70). La Cour a déclaré que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (reproduit intégralement à l’annexe A) a pour objet « de décourager les fausses déclarations et de protéger l’intégrité du processus de l’immigration » (Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, au paragraphe 24). Malgré une conclusion d’interdiction de territoire de la SI, la SAI peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, faire droit à un appel si elle est convaincue qu’il y a, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales (alinéa 67(1)c) de la LIPR, également reproduit à l’annexe A).

[16]  Dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire, la SAI doit également considérer les facteurs établis dans la décision Ribic (Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (Commission d’appel de l’immigration)). Plus particulièrement, dans le contexte des appels fondés sur des conclusions tirées en vertu de l’article 40, les principaux motifs d’ordre humanitaire à examiner sont les suivants : la gravité des fausses déclarations; les remords exprimés par le demandeur; la durée de la période passée par le demandeur au Canada et son degré d’établissement; la famille du demandeur au Canada et les bouleversements qu’elle pourrait subir si le demandeur était renvoyé; l’intérêt supérieur de l’enfant [ISE] directement touché par la décision; le soutien dont bénéficie le demandeur au sein de sa famille et de la collectivité; et l’importance des difficultés que subirait le demandeur s’il était renvoyé du Canada (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Li, 2017 CF 805, aux paragraphes 21 et 22). Ces facteurs ne sont pas exhaustifs et le poids qu’il convient d’accorder à chacun d’eux varie en fonction des circonstances (Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705 [Wang], au paragraphe 18).

[17]  Les mesures spéciales octroyées au titre de l’alinéa 67(1)c) ayant été qualifiées d’exceptionnelles et de discrétionnaires, la Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la SAI (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 57 et 137 [Khosa]; Wang, aux paragraphes 19 et 29; Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au paragraphe 58 [Semana]).

B.  La décision de la SAI était-elle raisonnable?

[18]  Mme Li conteste plusieurs aspects de la décision de la SAI qui, selon elle, la rendent déraisonnable. Pendant l’audience, l’avocat de Mme Li a utilement simplifié les arguments de cette dernière et les erreurs en cause relativement aux cinq motifs suivants :

1)  Gravité des fausses déclarations

[19]  Mme Li fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure que ses fausses déclarations étaient graves. Elle ajoute que la SAI a retenu une interprétation erronée et déraisonnable de son témoignage en concluant qu’elle n’assumait pas la responsabilité des fausses déclarations. Mme Li fait remarquer qu’elle a bel et bien reconnu cette responsabilité.

[20]  En réponse à la conclusion de la SAI quant à la nature des fausses déclarations, Mme Li soutient que la preuve établit clairement qu’il s’agissait d’une erreur de bonne foi, même si ces déclarations ont été faites avec insouciance, puisqu’elle avait passé le nombre de jours requis au Canada et qu’elle avait donc droit à sa carte de résidente permanente [RP]. Mme Li pensait que Sunny Wang était un professionnel réputé sur lequel elle pouvait se fier et souligne l’absence de preuve établissant qu’elle était au courant de la nature frauduleuse de l’opération qu’il dirigeait. Pour renforcer ces arguments, Mme Li mentionne son faible niveau d’études, ses aptitudes médiocres en anglais et le fait qu’elle a accordé sa confiance à quelqu’un qui s’est présenté comme un professionnel lorsqu’il a déposé ses deux demandes — bien que la seconde, d’après les explications de Sunny Wang, ait dû être déposée parce qu’il avait lui-même commis des erreurs.

[21]  Je ne trouve pas ces arguments convaincants. Mme Li a bel et bien reconnu qu’elle avait signé un formulaire de demande vierge, mais elle a également déclaré durant son témoignage qu’elle [TRADUCTION] « n’avait rien fait de mal » et elle s’est décrite comme une victime du stratagème frauduleux de Sunny Wang. Son témoignage était hésitant à cet égard. Il était donc loisible à la SAI de rejeter la prétention selon laquelle elle n’était pas responsable des fausses déclarations. Cependant, même Mme Li avait pleinement accepté sa responsabilité, la principale conclusion tirée par la SAI quant à la gravité des fausses déclarations était que Mme Li avait sciemment signé deux formulaires de demande vierges et qu’elle avait ensuite autorisé son consultant en immigration à les déposer sans les vérifier.

[22]  Mme Li fait remarquer, à juste titre, que même si la nature des fausses déclarations — c’est‑à‑dire, s’il s’agit d’un acte délibéré ou de bonne foi — est sans importance lorsque vient le temps de prendre une décision relative à l’interdiction de territoire dans le cadre du contrôle judiciaire, elle peut très bien s’avérer pertinente pour déterminer son degré de gravité dans le cadre de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire (voir, par exemple, Semana, au paragraphe 7). Compte tenu des circonstances entourant les fausses déclarations, les motifs de la SAI s’accordaient avec ce principe. La SAI a conclu que Mme Li était responsable et a fait remarquer qu’elle « a[vait] fait preuve de négligence en signant un formulaire vierge et en n’examinant pas le formulaire rempli avant qu’il soit présenté ». J’estime que la SAI a raisonnablement conclu que le fait de signer un formulaire de demande vierge et de laisser un consultant le remplir sans le vérifier soi-même suffit à conférer un caractère grave aux fausses déclarations.

[23]  En ce qui concerne sa déclaration selon laquelle elle ignorait les détails relatifs à la résidence et/ou à la demande de son époux, également soumise par Sunny Wang, elle soutient que les conclusions défavorables tirées par la SAI en matière de crédibilité ne sont pas étayées par la preuve, en ce qu’il était déraisonnable de s’appuyer uniquement sur la fausse inscription qui figurait dans sa demande et qui concordait avec les absences de son mari pour inférer qu’il existait un lien entre les deux demandes. Le ministre n’a pas exploré le lien allégué entre les demandes des époux puisqu’il n’a pas produit la demande du mari ni contre-interrogé ce dernier.

[24]  Encore une fois, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans les conclusions tirées par la SAI en matière de crédibilité. La SAI a raisonnablement jugé que Mme Li n’était pas crédible lorsqu’elle a affirmé qu’elle n’était pas au courant de la résidence et de la demande de son mari et qu’elle n’avait pas communiqué avec lui à ce sujet. Cette conclusion de fait n’a été tirée qu’après avoir entendu et minutieusement examiné les témoignages de Mme Li et de sa fille. Les motifs de la SAI à cet égard sont transparents et appellent la retenue.

[25]  Enfin, les arguments de Mme Li concernant la demande de son mari ne sont pas convaincants. Il incombe aux demandeurs d’établir que les considérations d’ordre humanitaire justifient l’octroi de mesures spéciales. Après avoir examiné l’affaire dans son ensemble et tenu compte des témoignages admis en preuve, la SAI a raisonnablement conclu que les réponses données par Mme Li sur le fait qu’elle ne savait absolument rien de la demande et de la résidence de son époux n’étaient pas crédibles. Si Mme Li avait voulu faire témoigner son époux, elle aurait pu. En fin de compte, c’est à elle de prouver ses arguments, et non au tribunal de les réfuter.

2)  Remords

[26]  Mme Li soutient que la SAI s’est appuyée sur une preuve insuffisante et a minimisé ses remords. Plus particulièrement, elle fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAI de s’attendre à ce qu’une personne dans sa situation contacte les autorités de l’immigration dès qu’elle a connaissance du stratagème frauduleux, surtout si l’on considère qu’elle avait respecté son obligation de résidence et qu’elle croyait n’avoir rien à se reprocher.

[27]  Par ailleurs, je souligne que Mme Li a déclaré devant la SAI que, lorsqu’elle a appris que l’entreprise de Sunny Wang était frauduleuse, elle s’est dit qu’elle [traduction] « aurait peut-être des ennuis », mais elle « n’a rien fait » parce qu’elle estimait « qu’elle n’avait rien à se reprocher » et qu’elle était « aussi une victime ». À mon avis, le tribunal pouvait donc à bon droit accorder moins de poids aux remords exprimés par Mme Li.

3)  Établissement au Canada

[28]  Mme Li fait valoir que la conclusion de la SAI portant qu’elle avait établi une « maison et non un foyer » au Canada était déraisonnable, notamment parce qu’elle a tenu compte de ses nombreuses absences du pays avant 2015. Mme Li soutient d’ailleurs que la SAI a ignoré la preuve de son établissement depuis sa première entrée au Canada, et plus particulièrement depuis le printemps 2015.

[29]  Encore une fois, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle. La SAI a reconnu les « efforts importants » que Mme Li a déployés pour s’établir au Canada, et a considéré le facteur d’établissement comme un facteur favorable. La SAI n’était toutefois pas tenue de mentionner dans sa décision chaque élément de preuve se rapportant à ce facteur. Elle pouvait également tenir compte de certaines circonstances, telles que les absences de Mme Li du Canada, pour déterminer son degré d’établissement.

4)  Difficultés

[30]  La SAI a noté que Mme Li aide sa fille à préparer les repas et à s’acquitter des tâches ménagères, ce qui a permis à cette dernière de s’inscrire à un programme d’études. Elle a toutefois tiré la conclusion suivante après avoir examiné la preuve, notamment en ce qui a trait à la maison de ville où réside Mme Li lorsqu’elle est au Canada, aux trois autres immeubles de placement qu’elle loue ainsi qu’à ses « importants comptes de placement au Canada » :

Même si la fille de l’appelante a déclaré qu’elle n’a aucune famille élargie au Canada et que, par conséquent, elle ne pourrait poursuivre ses objectifs scolaires et professionnels sans l’aide de l’appelante, elle n’a fourni aucune explication raisonnable justifiant pourquoi tel était le cas, en particulier compte tenu de l’importante capacité financière permettant d’obtenir l’aide requise. Même si le tribunal estime qu’il y a une préférence marquée pour que l’appelante demeure au Canada en raison de ses liens étroits avec sa famille ici, peu d’éléments de preuve ne démontraient que si l’appelante n’était pas au Canada, cela occasionnerait d’importantes conséquences d’un point de vue personnel et professionnel pour sa famille. Le tribunal conclut qu’il y a peu d’éléments de preuve établissant un préjudice indu. (Décision, au paragraphe 24)

[31]  La SAI a aussi conclu que Mme Li pouvait retourner chez son époux en Chine, où elle a passé beaucoup de temps depuis qu’elle est venue au Canada la première fois, et qu’elle y a donc de la famille immédiate. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, les conclusions qu’a tirées la SAI à l’égard des difficultés n’étaient pas déraisonnables.

5)  Intérêt supérieur de l’enfant [ISE]

[32]  La SAI doit être « attentive, réceptive et sensible » à l’ISE, lequel doit être bien défini. Elle doit accorder un poids considérable à cet intérêt et l’examiner avec soin et attention à la lumière de l’ensemble de la preuve (Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 435, aux paragraphes 21 et 22, citant Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]).

[33]  Mme Li fait valoir que l’approche adoptée par la SAI à l’égard de l’ISE était incompatible avec l’arrêt Kanthasamy. Plus particulièrement, elle soutient que la SAI n’a pas accordé un poids considérable à l’ISE, auquel elle n’a consacré qu’un seul paragraphe. À l’appui de cet argument, Mme Li souligne que dans les faits, c’est principalement elle qui prend soin de ses deux petites-filles depuis leur naissance et que les deux petites ont besoin d’elle.

[34]  Bien que l’ISE doive se voir accorder un poids considérable, ce facteur ne détermine pas à lui seul l’issue d’une analyse des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, plutôt que de simplement indiquer qu’elle avait pris en considération les petits-enfants de Mme Li, la SAI a analysé leur intérêt supérieur et tenu compte de leurs âges, de la durée de la résidence de chacune d’elles au Canada et de l’importance qu’avaient pour elles les soins prodigués par leur grand-mère.

[35]  En fin de compte, la SAI a conclu que les soins de Mme Li étaient bénéfiques pour les enfants et a considéré ce facteur comme un facteur favorable. Cependant, compte tenu de la conclusion portant que ses soins « n’étaient pas essentiels à leur bien-être », la SAI pouvait raisonnablement conclure que les fausses déclarations de Mme Li l’emportaient sur l’intérêt supérieur des enfants (voir, par exemple, Wang, au paragraphe 27). Après tout, il ne s’agit pas d’une situation où un enfant serait séparé de l’un de ses parents ou renvoyé vers un pays qu’il ne connaît pas. La Cour a d’ailleurs indiqué que la séparation entre un enfant et un parent éloigné comme un grand-parent n’est pas suffisante, à elle seule, pour justifier la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire (Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 210, au paragraphe 11).

[36]  Lorsque le grand-parent est le seul ou le principal fournisseur de soins de l’enfant, et surtout lorsqu’il n’y a pas d’autres options raisonnables pour la garde des enfants, il arrive que la Cour intervienne (voir, par exemple, Benyk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 950 [Benyk]). Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce, comme ce n’était pas le cas dans Gutierrez Ortiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 339 [Gutierrez Ortiz], où la Cour a refusé d’intervenir, car Mme Gutierrez Ortiz n’était pas la principale fournisseuse de soins même si elle prenait soin de ses petits-enfants (Gutierrez Ortiz, au paragraphe 25). En l’espèce, je reproduis un extrait pertinent de l’analyse de l’intérêt supérieur des petits-enfants de Mme Li :

La fille de l’appelante a déclaré que non seulement ses filles se perçoivent comme des Canadiennes, mais aussi que la qualité de l’air et de la nourriture au Canada est à son avis nettement supérieure à celle en Chine et qu’elle veut que ses filles continuent à être élevées au Canada. Le tribunal reconnaît le rôle bénéfique que la plupart des grands-parents ont dans la vie de leurs petits‑enfants. Le tribunal est d’avis que même si les petites-filles ont bénéficié des soins prodigués par l’appelante, ces soins ne sont pas essentiels à leur bien-être continu. Bon nombre d’enfants canadiens doivent habiter loin de leurs grands-parents. Nous estimons que même si le fait que l’appelante continue de résider au Canada était bénéfique pour ses petites-filles, ce fait ne l’emporte pas sur les autres éléments pris en considération en l’espèce. (Décision, au paragraphe 27)

[37]  Certes, dans un monde idéal, la SAI aurait pu s’étendre davantage sur l’ISE dans la section prévue à cet effet. Cependant, la perfection n’est pas la norme du contrôle judiciaire applicable (voir l’opinion dissidente du juge Evan dans Alliance de la fonction publique du Canada c Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au paragraphe 163, invoquée par la Cour suprême lorsqu’elle a fait droit à l’appel dans 2011 CSC 57, au paragraphe 1). Par ailleurs, en l’espèce, le caractère succinct de l’analyse de l’ISE ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle vu le contexte factuel exhaustif et les autres sections de la décision traitant des soins et de la supervision des enfants, dont l’analyse des difficultés effectuée par la SAI et décrite plus haut.

[38]  Dans l’ensemble, je suis convaincu que la SAI s’est montrée attentive, réceptive et sensible aux considérations liées à l’ISE et je ne relève aucune incohérence par rapport aux directives formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, ni aucun autre élément ayant donné lieu à une analyse déraisonnable de la preuve présentée.

VI.  Conclusion

[39]  Suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour doit faire preuve de retenue. Je ne dois donc pas apprécier de nouveau les différents motifs d’ordre humanitaire examinés par la SAI, ou substituer ma propre appréciation de l’affaire. Je dois simplement déterminer si la décision est justifiée, transparente et intelligible, si elle appartient aux issues raisonnables et je ne dois intervenir que si la décision n’est pas étayée par la preuve ou si le tribunal a tenu compte de facteurs inappropriés.

[40]  En l’espèce, la SAI a fourni une évaluation équilibrée des motifs d’ordre humanitaire. Essentiellement, Mme Li est mécontente de la façon dont la SAI a pondéré ces motifs et rédigé certaines parties de la décision. Le contrôle judiciaire ne peut servir de recours pour obtenir une nouvelle pondération de la preuve, mais il ne peut pas non plus servir de prétexte pour faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & papiers Irving Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54).

[41]  Dans l’ensemble, la décision de la SAI est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1259‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Aucune question n’a été soumise aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour d’octobre 2019

Mylène Borduas, traductrice


Annexe A

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L.C. 2001, ch. 27

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Fausses déclarations

Misrepresentation

 

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Fondement de l’appel

Appeal allowed

 

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1259‑19

 

INTITULÉ :

SHU YUAN LI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑bRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Andrew Wlodyka

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brett J. Nash

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Direction Legal, LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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