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Date : 20191001


Dossier : IMM-5941-18

Référence : 2019 CF 1246

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

OLUGBENGA REMI OLADIHINDE

KAFAYAT OMOBOLAJI KAREEM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’immigration de refuser la demande de résidence permanente de M. Oladehinde.

[2]  M. Oladehinde et Mme Kareem se sont mariés le 18 décembre 2015 au Nigéria. Mme Kareem a demandé l’asile à son arrivée au Canada, le 20 juin 2016. Sa demande d’asile a été acceptée; elle a alors déposé sa demande de résidence permanente en tant que membre de la catégorie de personnes protégées. Sur ce formulaire, elle a indiqué que M. Oladehinde était son conjoint.

[3]  L’agent a refusé la demande de M. Oladehinde à la suite d’une demande de renseignements supplémentaires et d’une lettre relative à l’équité procédurale, pour le motif que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de le convaincre que leur mariage était authentique et qu’il n’avait pas été contracté en vue de l’obtention du statut d’immigrant. La partie clé des notes de l’agent détaillant sa décision énonce ce qui suit :

[traduction]

[J]’ai examiné les sessions de clavardage et les conversations téléphoniques soumises en tant qu’éléments de preuve; il appert que le demandeur appelait parfois la demanderesse au Canada [Mme Kareem] « madame », ce qui me semble une façon plutôt formelle de s’adresser à son épouse. La preuve de communication est de piètre qualité et semble être une communication entre des connaissances. La familiarité des demandeurs dans certaines photos soumises en tant qu’éléments de preuve semble feinte. Après avoir examiné le dossier et son contenu, je ne suis pas convaincu de l’existence d’une relation conjugale authentique et continue entre le demandeur et la demanderesse au Canada. Les éléments de preuve au dossier ne sauraient me convaincre que le demandeur et la demanderesse au Canada formaient un véritable couple avant de se marier en 2015 (quelques mois après que la demanderesse au Canada a reçu son visa de résidente temporaire); en outre, il y a peu d’éléments de preuve qui démontrent que le demandeur et la demanderesse au Canada vivaient ensemble en union de fait avant de se marier. Je conclus que ce mariage a été contracté dans le but d’entrer au Canada. Je ne peux conclure que la relation est authentique. Le demandeur et la demanderesse au Canada semblent être tout au plus des connaissances.

[4]  Les demandeurs prétendent que l’agent a commis deux erreurs fondamentales : i) étant donné qu’il n’a pas précisé dans la lettre relative à l’équité procédurale la raison pour laquelle il doutait de l’authenticité de leur mariage, ils ne connaissaient pas [traduction] « la preuve à réfuter », ce qui constituait un manquement à l’équité procédurale; et ii) l’appréciation par l’agent de la preuve présentée pour étayer l’authenticité du mariage était déraisonnable.

[5]  Bien que la norme de contrôle à l’égard de l’équité procédurale corresponde plus étroitement à la norme de la « décision correcte », en réalité, une cour de révision doit déterminer si le processus était équitable compte tenu de toutes les circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54, [2019] 1 RCF 121. La norme de la décision raisonnable s’applique à l’appréciation de la preuve par l’agent : Gangurean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 286, au paragraphe 9. Le caractère raisonnable de la décision doit être déterminé à la fois en fonction de la lettre de décision et des notes de l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC); ces notes font partie intégrante de la décision : Pathak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 216; Gebrewldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 621, au paragraphe 29.

[6]  Selon le premier argument avancé par les demandeurs, la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent n’était pas adéquate. Les notes dans le SMGC indiquent que, dès les premiers stades de l’examen de la demande, l’agent avait des doutes quant à l’existence d’une relation continue et authentique entre les demandeurs. Le contexte de cette préoccupation découle des faits contextuels suivants.

[7]  Mme Kareem a obtenu un visa de résident temporaire le 25 septembre 2015. Elle a affirmé que les démarches avaient été entreprises par les membres de sa famille, comme elle devait accompagner sa grand-mère lors d’une visite au Canada. En fin de compte, la visite en question n’a pas eu lieu. Au moment de la soumission de sa demande de visa de résidente temporaire, Mme Kareem était dans une union de fait de longue durée avec un autre homme, fait qu’elle avait déclaré dans sa demande de visa. Peu de temps après, cette relation a pris fin, et Mme Kareem a commencé à fréquenter M. Oladehinde. Elle a emménagé dans l’appartement de M. Oladehinde en juin 2015, et ils se sont mariés en décembre 2015. En juin 2016, Mme Kareem a été contrainte de fuir le Nigeria pour des motifs n’ayant rien à voir avec son mariage. Elle est arrivée au Canada munie du visa de résidence temporaire qu’elle avait obtenu précédemment. Un peu plus tard au cours du même mois, elle a revendiqué le statut de réfugié, statut qui lui a subséquemment été accordé. Dans sa demande de statut de réfugié, Mme Kareem a indiqué qu’elle était mariée à M. Oladehinde, et a soumis un certificat de mariage nigérian comme preuve à l’appui.

[8]  L’agent a mentionné qu’il y avait [traduction] « guère d’autres éléments de preuve permettant de confirmer l’existence d’une relation continue et authentique ». D’autres renseignements ont été transmis par les demandeurs, mais les préoccupations de l’agent à l’égard de l’authenticité du mariage n’ont pas été dissipées. Le 22 août 2018, l’agent a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale à M. Oladehinde dans laquelle il était indiqué ce qui suit :

[traduction]

En me basant sur les renseignements à ma disposition, je soupçonne que votre union à Kafayat Omobolaji Kareem n’est pas authentique et qu’elle vise principalement l’obtention de la résidence permanente au Canada. La documentation que vous avez fournie dans votre demande ne démontre pas l’existence d’une relation conjugale continue et authentique, et j’ai l’intention de rejeter votre demande.

[9]  La lettre précisait que le demandeur disposait de trente (30) jours pour fournir des renseignements supplémentaires. En réponse à cette lettre, Mme Kareem a soumis une lettre accompagnée de photos, de copies de messages texte et des relevés de conversations par téléphone et par vidéo entre elle-même et M. Oladehinde. Elle a expliqué que, étant donné qu’ils utilisaient l’application WhatsApp pour communiquer, elle était seulement en mesure de fournir une preuve de leurs interactions pour la période de dix jours précédant sa lettre, son téléphone ne conservant aucune conversation au-delà de cette période. L’agent a examiné la documentation fournie, puis a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment de renseignements pour dissiper ses doutes quant à l’authenticité de la relation. La demande a été rejetée pour ce motif.

[10]  L’allégation d’un manquement à l’équité procédurale découle du fait que les notes dans le SMGC précisent que l’agent avait observé que Mme Kareem avait indiqué être dans une union de fait avec un autre homme au moment de soumettre sa demande de visa de résidente temporaire. Ce visa lui avait été accordé en septembre 2015. Elle s’en est alors servi pour entrer au Canada, pour ensuite revendiquer le statut de réfugié en juin 2016. Dans les documents soumis à l’appui de sa demande d’asile, Mme Kareem a désigné M. Oladehinde comme son conjoint. Les demandeurs soutiennent que l’agent aurait dû faire état de sa préoccupation au sujet du visa de résidente temporaire dans la lettre relative à l’équité procédurale, plutôt que de simplement faire mention d’une préoccupation générale au sujet de l’authenticité du mariage. L’omission par l’agent de faire part de cette préoccupation a fait en sorte que les demandeurs n’ont pas eu l’occasion d’y répondre, ce qui est injuste compte tenu des circonstances.

[11]  Je n’en suis pas convaincu. La préoccupation de l’agent était de déterminer si le mariage était authentique ou s’il avait été contracté dans le but d’acquérir le statut d’immigrant, ce qui contrevient au paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Cette préoccupation était clairement exprimée dans la lettre relative à l’équité procédurale. La référence à une union de fait à long terme précédente dans la demande de visa de résidente temporaire de Mme Kareem était à la fois récente et connue de Mme Kareem. Sa lettre en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale fait mention de la relation qu’elle avait développée avec M. Oladehinde ainsi que de son autre relation qui avait pris fin. Elle n’a pas été prise au dépourvu, et elle était au courant du fondement factuel de la préoccupation soulevée par l’agent.

[12]  En outre, j’estime que les notes démontraient que l’agent n’était pas uniquement préoccupé par la référence à une autre relation dans la demande de visa de résidente temporaire. Les notes de l’agent laissent entendre une préoccupation plus générale au sujet de la preuve concernant la relation. Dans les circonstances, je n’estime pas qu’il était injuste de la part de l’agent d’omettre la mention expresse de la demande de visa. Les préoccupations à l’égard de la preuve de l’existence d’une relation authentique et continue ont clairement été exprimées, et l’équité procédurale n’exigeait rien de plus de l’agent dans les circonstances : Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176, au paragraphe 27.

[13]  Selon le deuxième argument avancé par les demandeurs, l’appréciation de la preuve par l’agent est déraisonnable parce qu’il aurait fait fi nombreux faits importants :

  • Mme Kareem a fui le Nigeria peu de temps après son mariage et a demandé l’asile au Canada; sa demande a été acceptée.

  • Les photos soumises en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale étaient accompagnées d’explications claires et démontraient que leur relation était publique et connue des membres de leur famille.

  • L’agent souligne l’utilisation occasionnelle du terme [traduction] « madame » dans les messages texte, estimant qu’il s’agit d’une [traduction] « façon [...] formelle de s’adresser à son épouse », mais il fait toutefois abstraction des multiples références au terme « Ife Me », qui signifie « mon amour » dans la langue du couple.

Les demandeurs prétendent que la décision est déraisonnable parce que trop d’éléments de preuve pertinents ont été écartés.

[14]  Le défendeur prétend que l’agent a manifestement tenu compte de tous les éléments de preuve, tel qu’il est démontré par les références précises aux photos et aux mots employés dans les messages texte. Il incombe aux demandeurs de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre l’agent de l’authenticité de leur mariage. Il s’agit d’une enquête intrinsèquement factuelle et propre au contexte qui relève de l’expertise de l’agent. L’agent n’est pas tenu d’énumérer chaque élément de preuve au dossier, tant et aussi longtemps que l’analyse est transparente et raisonnable au regard des faits et du droit : Onwubolu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 19, aux paragraphes 18 à 22; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 840, aux paragraphes 18 à 21.

[15]  Bien que je ne souscrive pas à tous les commentaires formulés par l’agent à l’égard de la preuve, cela ne rend pas, en soi, la décision déraisonnable. La question clé dans un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable est résumée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, [2016] 2 RCS 80 :

[18]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit. Le raisonnement doit démontrer « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Le résultat concret et les motifs, examinés ensemble, doivent servir à démontrer que le résultat appartient aux issues possibles (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Nerre [sic]‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Si l’insuffisance des motifs d’un tribunal administratif ne justifie pas à elle seule le contrôle judiciaire, il faut néanmoins que les motifs « expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (Newfoundland Nurses, par. 18, citant Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, par. 163 (le juge Evans, dissident), inf. par 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572).

[16]  En d’autres termes, dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme déférente de la raisonnabilité, il s’agit notamment de déterminer si le processus et la décision indiquent que le décideur a réellement « analysé » la preuve, en appliquant le critère juridique approprié. La norme ne commande pas la perfection. Il faut se rappeler que le législateur a confié à l’agent la tâche de réaliser une enquête initiale sur les faits. Il faut faire preuve d’une certaine retenue à l’égard d’un décideur, particulièrement dans un contexte où l’enquête est principalement factuelle et qu’elle relève du champ d’expertise du décideur, lorsqu’une plus grande exposition aux subtilités de la preuve ou une meilleure connaissance du contexte des politiques peut procurer un avantage. Si le raisonnement du décideur peut être compris, et s’il démontre que ce type d’analyse a eu lieu, la décision sera généralement jugée raisonnable : voir Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431.

[17]  Dans le cas qui nous occupe, je suis en mesure de suivre le raisonnement de l’agent; les notes et la décision indiquent que l’agent a effectivement analysé les éléments de preuve pertinents et qu’il a été guidé par la loi pertinente. Voilà tout ce que la norme de la décision raisonnable exige. Il ne revient pas à un juge siégeant en contrôle judiciaire d’infirmer une décision simplement parce qu’une autre appréciation de la preuve était possible, ou qu’un autre résultat aurait pu être obtenu. L’agent s’est vu confier la tâche d’évaluer la preuve en première instance par le législateur, et l’approche adoptée par notre Cour à l’égard de l’examen de la décision ne doit pas perdre ce fait de vue.

[18]  Je suis quelque peu sensible aux arguments invoqués par les demandeurs, et je peux comprendre pourquoi ils sont d’avis que le décideur aurait pu tirer une conclusion différente. Cependant, compte tenu de la loi et des éléments de preuve susmentionnés, je ne saurais conclure que la décision est déraisonnable.

[19]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT au dossier IMM-5941-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale aux fins de certification.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5941-18

 

INTITULÉ :

OLUGBENGA REMI OLADIHINDE, KAFAYAT OMOBOLAJI KAREEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 juillet 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

Pour les demandeurs

Suzon Létourneau

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Valois & Assoc.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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