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Date : 19981113


Dossier : IMM-5448-97

ENTRE:

     AMINA NKUMBI

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision rendue le 4 décembre 1997 dans le dossier numéro 3207-1919, par Chantal Duval, conseiller en immigration, conformément à l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration.

[2]      La demanderesse est arrivée au Canada le 1er septembre 1995 avec un permis d"étudiant valable jusqu"au 30 novembre 1996.

[3]      En octobre 1996, la demanderesse a rempli une demande de prolongation de son permis de séjour pour étudiant.

[4]      Le 14 novembre 1996, le gouvernement du Québec a fait parvenir à la demanderesse un certificat d"acceptation du Québec pour poursuivre ses études tout en soulignant qu"il ne s"agissait pas là d"un permis de séjour pour étudiant et que celui-ci devait être demandé directement auprès des autorités canadiennes.

[5]      Le 6 janvier 1997 elle a obtenu le permis de séjour requis, ayant comme date d"expiration le 30 décembre 1997.

[6]      Le 21 novembre 1996, alléguant des problèmes graves d"ordre politique au Zaïre, mettant sa famille en danger, la demanderesse a revendiqué le statut de réfugié au Canada pour une première fois.

[7]      Le 11 décembre 1996, un agent principal concluait que la revendication de la demanderesse était recevable et déférait le dossier à la Section du statut de réfugié.

[8]      Le même jour, le 11 décembre 1996, l"agent principal prenait contre la demanderesse une mesure d"interdiction de séjour puisque son permis d"étudiant était échu; en effet, par l"application des articles 27(2)(a), 19(2)(d) et 9(1) de la Loi, la demanderesse se retrouvait au Canada sans visa. Il semble à la face même du document que la demanderesse n"avait pas été avisée de cette mesure qui ne comportait aucune signature.

[9]      Le 19 décembre 1996, la demanderesse retirait sa revendication de statut de réfugié, suite à des nouvelles de son père indiquant que la situation se rétablissait au Zaïre. Ce faisant, la mesure d"interdiction de séjour prononcée le 11 décembre 1996 devenait exécutoire en vertu de l"article 28(2)(a) de la Loi:

28. (1) S'il conclut à la recevabilité de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la personne à l'encontre de laquelle il prendrait une mesure d'exclusion au titre des paragraphes 23(4) ou (4.01) ou une mesure d'interdiction de séjour au titre du paragraphe 27(4), l'agent principal prend contre elle une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle.

(2) La mesure d'interdiction de séjour conditionnelle ne devient exécutoire que si se réalise l'une des conditions suivantes:

     a) la personne retire sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention;

28. (1) Where a senior immigration officer is of the opinion that a person who aims to be a Convention refugee is eligible to have their claim referred to

the Refugee Division and is a person in respect of whom the senior immigration officer would, but for this section, have made an exclusion order under subsection 23(4) or (4.01) or a departure order under subsection 27(4), the senior immigration officer shall make a conditional departure order against the person.

(2) No conditional departure order made pursuant to subsection (1) against a person who claims to be a Convention refugee is effective unless and until

     (a) the person withdraws the claim to be a Convention refugee;

[10]      Le 22 mai 1997, la demanderesse a été informée par un agent d"immigration qu"elle n"avait plus de statut au Canada, qu"elle devait rentrer dans son pays, mais qu"un sursis de renvoi pour le Zaïre était en vigueur.

[11]      Le 23 mai 1997, n"ayant pas compris les propos de l"agent d"immigration, la demanderesse a téléphoné au bureau d"immigration et on l"informa qu"étant donné que son permis d"étudiant avait été délivré parallèlement à sa revendication de statut de réfugié, en novembre 1996, elle devait faire une nouvelle demande de permis d"étudiant.

[12]      Le 17 juillet 1997, on accusait réception de sa demande, attestant que l"étude de son dossier avait été transférée à Montréal.

[13]      Le 17 novembre 1997, on apprend à la demanderesse que son renouvellement de statut d"étudiant était refusé; on saisit son passeport et son permis d"étudiant valable jusqu"en décembre 1997 et on lui présente un document d"expulsion à signer.

[14]      La demanderesse prétend qu"elle n"a jamais eu connaissance qu"une mesure d"interdiction de séjour aurait été émise contre elle, même après avoir eu une copie de son dossier d"immigration en septembre 1997.

[15]      Le 26 novembre 1997, la demanderesse fait une nouvelle demande revendiquant le statut de réfugié ayant appris que suite au renversement du pouvoir au Zaïre de Mobutu par Laurent Désiré Kabila en mai 1997, la maison de son père avait été pillée, que des menaces de mort et des mauvais traitements ont provoqué la fuite de toute sa famille.

[16]      Suite au dépôt de la demande revendiquant le statut de réfugié déposée le 26 novembre 1997, Madame C. Duval, conseiller en immigration, expédiait une lettre en date du 4 décembre 1997 expliquant à la demanderesse qu"elle ne peut déposer une demande de revendication du statut de réfugié en vertu de l"article 44(1) de la Loi sur l"immigration puisqu"elle est frappée d"une mesure de renvoi qui n"a pas été exécutée.

[17]      La lettre mentionne en effet qu"une mesure d"interdiction de séjour a été prononcée le 11 décembre 1996 et que cette dernière mesure n"a pas été exécutée.

[18]      Suite à la réception de cette lettre, la demanderesse a décidé de déposer une demande de contrôle judiciaire à l"encontre de ladite lettre.

[19]      La demanderesse allègue que la lettre de Madame Duval du 4 décembre 1997, constitue une décision rendue par un agent d"immigration.

[20]      La demanderesse allègue que la mesure d"interdiction de séjour mentionnée dans la lettre de Madame Duval n"a pas été signée par la personne autorisée à le faire et qu"en conséquence, elle n"a pas été prononcée; de plus, qu"elle n"a pas reçu signification d"une telle mesure et le cas échéant, qu"une telle mesure ne pouvait être émise à la date invoquée et qu"en conséquence, la décision attaquée devrait être cassée et son avis de revendication traité conformément à la Loi.

[21]      Il est important de noter à ce stade-ci que la demanderesse ne demande pas l"annulation de la mesure d"interdiction de séjour, comme elle aurait pu le faire à mon avis, mais demande de renverser la décision rendue par Madame C. Duval, agent d"immigration, laquelle a écrit la lettre datée du 4 décembre 1997.

[22]      Le procureur de la demanderesse a exposé de façon très détaillée que la nullité de la mesure d"interdiction de séjour, telle qu"elle apparaît au dossier, entraîne la nullité de la décision rendue par Madame Duval et que toute la question devrait être retournée à la Section du statut de réfugié pour une évaluation de sa demande de revendication suivant l"inexistence de la mesure d"interdiction de séjour.

[23]      En effet, le procureur de la demanderesse mentionne que les différentes irrégularités constatées à la face même de la mesure d"interdiction de séjour la rendent nulle et de nul effet et la rendent suivant sa propre expression "inexistante".

[24]      Le procureur de la demanderesse allègue au surplus que la demanderesse "était en statut implicite d"étudiante puisqu"elle avait logé avant la fin de son permis d"étudiant une demande de prolongation du dit statut qui lui fut confirmé par délivrance du CAQ et du permis de séjour pour étudiant valide jusqu"au 31-12-97".

[25]      Le procureur de la demanderesse allègue subsidiairement en conséquence que si une mesure d"interdiction de séjour "non conditionnelle" avait été valablement prononcée, le respect des règles d"équité procédurale exigeait que la demanderesse soit rencontrée avant l"émission d"une telle mesure étant donné qu"elle était sujette à un renouvellement de ses conditions de séjour, en autres choses, selon l"article 27.2.1, et tel que confirmé d"ailleurs par l"immigration elle-même qui émettra un nouveau permis de janvier 1997 à décembre 1997.

[26]      Quant au procureur du défendeur, cette dernière rappelle à juste titre que la mesure d"interdiction de séjour qu"elle soit régulière ou non, qu"elle soit entachée d"erreurs ou non, constituait une mesure tout à fait normale dans les circonstances, puisque conformément au paragraphe 27(4) de la Loi, l"agent principal prenait contre la demanderesse une mesure d"interdiction de séjour.

[27]      Conformément au paragraphe 28(1) de la Loi, la mesure d"interdiction de séjour était de nature conditionnelle et ne devenait exécutoire que suite à la réalisation de l"une des conditions prévues au paragraphe 28(2) de la Loi:

28. (1) S'il conclut à la recevabilité de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la personne à l'encontre de laquelle il prendrait une mesure d'exclusion au titre des paragraphes 23(4) ou (4.01) ou une mesure d'interdiction de séjour au titre du paragraphe 27(4), l'agent principal prend contre elle une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle.

28. (1) Where a senior immigration officer is of the opinion that a person who aims to be a Convention refugee is eligible to have their claim referred to

the Refugee Division and is a person in respect of whom the senior immigration officer would, but for this section, have made an exclusion order under subsection 23(4) or (4.01) or a departure order under subsection 27(4), the senior immigration officer shall make a conditional departure order against the person.

(2) La mesure d'interdiction de séjour conditionnelle ne devient exécutoire que si se réalise l'une des conditions suivantes:

     a) la personne retire sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention;

(2) No conditional departure order made pursuant to subsection (1) against a person who claims to be a Convention refugee is effective unless and until

     (a) the person withdraws the claim to be a Convention refugee;

[28]      Il est indéniable que par lettre datée de la même journée où l"agent principal concluait que la revendication de la demanderesse était recevable, la demanderesse retirait sa demande de statut de réfugié.

[29]      Suivant la réception de cette lettre, la Section du statut de réfugié confirmait le 19 décembre 1996, la renonciation de revendication demandée par la demanderesse.

[30]      C"est donc conformément à l"alinéa 28(2)(a) de la Loi que la mesure d"interdiction de séjour prononcée le 11 décembre 1996, devenait exécutoire suite au retrait de revendication du statut de réfugié.

[31]      Le procureur du défendeur soutient qu"il revenait à la demanderesse d"attaquer la mesure d"interdiction de séjour prononcée par l"agent principal du 11 décembre 1996 et non la lettre du 4 décembre 1997 du conseiller qui, de l"avis du défendeur, ne constitue pas une décision mais bien une simple explication de la Loi applicable en la matière.

[32]      La lettre du conseiller Madame Duval du 4 décembre 1997, ne fait qu"expliquer qu"en raison des dispositions législatives du paragraphe 44(1) de la Loi, la demanderesse ne peut présenter une revendication du statut de réfugié.

[33]      Il n"est manifestement pas de la responsabilité du conseiller d"évaluer, de modifier ou d"annuler la mesure d"interdiction de séjour qui apparaît au dossier.

[34]      Il est tout aussi clair que la mesure d"interdiction de séjour prise le 11 décembre 1996, ne l"a pas été par Madame Duval qui a signé la lettre du 4 décembre 1997.

[35]      Le procureur du défendeur allègue que la lettre de Madame Duval du 4 décembre 1997 ne constitue pas une décision pouvant faire l"objet d"une révision dans le cadre d"une demande d"autorisation.

[36]      Le procureur du défendeur cite la décision du juge McKeown dans le dossier Carvajal1 où il est mentionné:

The applicants seek judicial review of a decision of Ms. Perreault and other unknown immigration officers dated December 2, 1992 denying the applicants permanent resident status. In the event the applicants are successful on the first judicial review, they seek a stay of the Board hearing scheduled as a result of the credible basis decision as they do not wish to proceed with the second judicial review. The respondent seeks dismissal of the second judicial review in any event.

I agree with the respondent that there is no decision on December 2, 1992. The document in question is an informational letter from Ms. Perreault, an immigration officer. Permanent residence status had been denied the applicant on June 26, 1987 because of the ineligibility of Mrs. Carvajal pursuant to paragraph 19(2)(d) of the Immigration Act. No judicial review of the June 26, 1987 decision has ever been requested.

In her letter of December 2, 1992, Ms. Perreault was just reminding the applicants of the June 26, 1987 decision wherein permanent residency status was not granted. She also was not a person authorized to refer a credible basis hearing to the Refugee Tribunal. Under the Immigration Act only the adjudicator or a member of the Refugee Board or both could refer the matter to the Refugee Tribunal. See Russo v. M.E.I., [1977] 1 F.C. 325 and subsection 43(4) of the transitional provisions in the Immigration Act. Furthermore an informational letter cannot be reviewed by way of certiorari. See Demirtas v. Canada (Minister of Employment and Immigration (C.A.)), [1993] 1 F.C. 602. There is no decision on December 2, 1992 to be reviewed.

(L"emphase est de l"intimé)

[37]      Le procureur du défendeur cite également la cause Demirtas2 de la Cour d"appel fédérale où l"honorable juge Létourneau précise:

L"appelant soutient que le juge de première instance a erré en droit en qualifiant de "décision" révisable par certiorari la lettre du 11 juillet 1990 du Directeur du Centre adressée au procureur des intimés et je crois qu"il a raison. Même en faisant preuve d"une grande ouverture d"esprit, je n"arrive pas à voir comment l"on peut qualifier de "décision", par surcroît attributive ou négative de droits, une simple lettre d"information d"un fonctionnaire administratif par laquelle, en réponse à une demande qui lui est faite, il attire l"attention de son correspondant sur l"existence de dispositions législatives transitoires et sur le fait qu"un nouvel organisme quasi-judiciaire est déjà saisi des dossiers que le correspondant veut voir transférer. D"ailleurs la nouvelle Commission de l"immigration et du statut de réfugié, dans les jours précédant l"échange de correspondance entre le directeur et le procureur des intimés, avait déjà informé les intimés qu"elle était saisie de leurs demandes et qu"elle s"apprêtait à fixer une date d"audition. Si le procureur des intimés entendant contester la juridiction de la Commission sur les demandes de ses clients, il se devait de le faire par objection présentée devant celle-ci et non par une demande à un fonctionnaire de faire transférer les dossiers dans un autre département.

(L"emphase est de l"intimé)

[38]      Après avoir révisé le dossier en profondeur et analysé les arguments des deux parties, la Cour doit déterminer si la lettre de Madame Duval du 4 décembre 1997 constitue une décision révisable par une demande de contrôle judiciaire.

[39]      Il m"apparaît utile ici de rappeler un article de doctrine qui démontre l"expédition d"une lettre par un agent d"immigration, qui relève plutôt de l"exercice d"un pouvoir lié:

Le titulaire du pouvoir lié rend une décision dès que l"administré répond aux conditions objectives fixées par la loi ou le texte réglementaire. Le contenu de la décision à rendre s"impose donc au titulaire dès que des conditions objectives, fixées par le législateur, sont réunies. L"application de ces conditions ne soulève ni problème d"appréciation ni problème d"interprétation. La décision ne fait donc pas (ou fait peu) appel au jugement du décideur. Il ne rend pas une décision qui permet de faire des choix. En ce sens, il n"exerce pas de véritable pouvoir décisionnel.

La délivrance de permis fait généralement appel à l"exercice d"un pouvoir lié. En matière municipale, par exemple, un permis de rénovation sera délivré dès que le demandeur satisfait aux conditions objectives déterminées par la municipalité. L"organisme qui est saisi de la demande dans une telle situation n"a aucune liberté de choix à l"égard de la décision à rendre.3

[40]      La Cour en vient donc à la conclusion que la lettre de l"agent d"immigration, Madame Duval, du 4 décembre 1997, ne constitue pas une décision qui puisse être révisée par une demande de contrôle judiciaire.

[41]      Il apparaît de façon très claire que la décision qui aurait pu être attaquée dans les circonstances est la mesure d"interdiction de séjour, ce sur quoi la Cour ne peut se prononcer, puisque ce n"est pas ce document qui est attaqué en l"instance.

[42]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[43]      Comme les deux procureurs n"ont pas suggéré de question grave de portée générale, en conséquence, aucune question ne sera certifiée.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 13 novembre 1998

__________________

1      Carvajal c. M.E.I. (1994) 82 F.T.R. 241 (C.F.).

2      M.E.I. c. Demirtas [1993], 1 C.F. 602 (C.A.F.).

3      Collection de droit 1997-1998, Droit public et administratif, Volume 7, par Me Jean-Pierre Villagi, Cowansville, les Éditions Yvon Blais Inc., 1997, p. 24.

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