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Date : 20190906


Dossier : IMM-3266-18

Référence : 2019 CF 1145

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

HOMAYOON AHMADI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un citoyen de l’Afghanistan qui est né en décembre 1990. Il prétend qu’en avril 2015, il a été enlevé par les talibans et battu parce qu’il travaillait comme chauffeur pour une entreprise de télécommunications ayant conclu un contrat avec l’armée afghane. Il a pu échapper à ses ravisseurs et puis, avec l’aide de passeurs, il a fui l’Afghanistan quelques mois plus tard et s’est rendu en Allemagne. Il a présenté une demande d’asile dans ce pays, demande qui a été rejetée en avril 2017. Il a aussi présenté une demande d’immigration au Canada en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Sa demande était parrainée par des membres de sa famille élargie qui résident au Québec. Dans les documents qu’il a produits à l’appui de sa demande, le demandeur a affirmé qu’il était exposé à des risques aux mains des talibans en raison de l’emploi qu’il avait occupé par le passé au sein de l’entreprise de télécommunications.

[2]  Le demandeur a été reçu en entrevue par un agent des visas au consulat du Canada à Düsseldorf, en Allemagne, le 13 mars 2018. Après l’entrevue, l’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention et a rejeté la demande. La décision a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 30 avril 2018.

[3]  Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 74(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], au motif que la décision est déraisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas au point de vue du demandeur. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[5]  Nul ne conteste que la décision de l’agent des visas, qui repose sur des conclusions mixtes de fait et de droit, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Gebrewldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 621 au par. 14 [Gebrewldi]). La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne satisfait pas à la définition de réfugié au sens de la Convention est déraisonnable.

[6]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au par. 18). La cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et se demande si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir]). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). Lorsque la cour de révision procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, il ne lui appartient pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ni de substituer à l’issue celle qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61).

[7]  Dans la lettre en date du 30 avril 2018, l’agent des visas a fait savoir au demandeur que sa demande avait été refusée pour des motifs de crédibilité. L’agent affirme que, pendant l’entrevue, le demandeur avait [traduction] « fourni des déclarations contradictoires et incohérentes, particulièrement relativement aux événements qui ont mené à son départ de l’Afghanistan ». L’agent estimait que les contradictions étaient [traduction] « importantes » et entachaient la crédibilité de la demande d’asile du demandeur. Il souligne que le demandeur a été [traduction] « mis en présence » de ces incohérences pendant l’entrevue et que ses réponses ont été prises en compte dans la prise de la décision. Il énonce ensuite sa conclusion en ces termes : [traduction] « Après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve dont je disposais, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que vos déclarations sont plus vraisemblablement fausses que vraies et que vous déclarations ne sont pas crédibles ». L’agent précise que, puisque le demandeur ne répond pas aux conditions du programme en vertu duquel il a fait sa demande, celle-ci avait été refusée.

[8]  Il est reconnu en droit que les notes d’un agent des visas inscrites dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) font partie des motifs de l’agent et qu’elles doivent être prises en compte par la cour de révision (Gebrewldi au par. 29). Il ressort clairement de ces notes que l’agent avait ce qu’il a appelé des [traduction] « préoccupations » au sujet de cinq éléments :

  • a) Dans son récit des événements qui ont mené à son départ de l’Afghanistan, le demandeur a déclaré que son père avait été tué par les talibans en avril 2015, au cours du même incident pendant lequel il (le demandeur) avait été enlevé. Cependant, d’après le formulaire Annexe A - Antécédents/Déclaration signé par le demandeur le 10 mai 2016, le père du demandeur était décédé le 10 juillet 2003.

  • b) Dans le même récit, le demandeur a affirmé qu’il avait été enlevé du domicile de ses parents par des membres des talibans en raison de l’emploi qu’il occupait, mais il a aussi déclaré que ses ravisseurs lui demandaient constamment pour qui il travaillait.

  • c) Le demandeur a prétendu qu’il avait subi une fracture de l’épaule pendant l’enlèvement, mais il a pu défoncer une porte avec une pierre et s’enfuir en escaladant un mur élevé.

  • d) Le montant d’argent que le demandeur prétend avoir payé aux passeurs pour quitter l’Afghanistan dépassait ce qu’il a pu gagner avec son emploi.

  • e) Le demandeur ne possédait aucun document pour corroborer son récit (p. ex. des relevés d’emploi).

[9]  Le demandeur conteste chacun de ces facteurs, soutenant que, pris individuellement ou ensemble, ils ne soutiennent pas raisonnablement la décision de l’agent des visas. Ce n’est pas mon avis. En ce qui concerne les motifs de l’agent énoncés dans la lettre du 30 avril 2018, les notes du SMGC relatives à l’entrevue, et le dossier dans son ensemble, je suis convaincu que la décision répond aux critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir quant au caractère raisonnable.

[10]  Au sujet du dernier facteur énoncé plus haut – l’absence de documents corroborants –, il est loin d’être établi à mes yeux que l’agent des visas s’est fondé sur ce motif pour refuser la demande. Comme il est écrit dans la lettre du 30 avril 2018, l’agent a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur à partir « des déclarations contradictoires et incohérentes » que celui‑ci avait faites. L’agent ne mentionne pas l’absence de documents corroborants comme motif de douter du demandeur. Puisqu’il a communiqué cette « préoccupation » au demandeur pendant l’entrevue, il était tout à fait juste qu’il agisse ainsi. Il n’y a rien qui laisse entendre que l’agent n’a pas cru les explications du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il n’avait plus de documents corroborants (les documents ont été saisis lorsqu’il a été détenu en Ukraine et ne lui ont pas été remis) ou pour lesquelles il n’avait pas pu en obtenir de nouveaux (il n’a plus de famille en Afghanistan).

[11]  Les autres « préoccupations » soulevées par l’agent des visas sont effectivement des incohérences ou des contradictions et, vraisemblablement, ont été invoquées pour refuser la demande. J’estime qu’il n’était pas déraisonnable que l’agent trouve peu convaincantes les réponses du demandeur lorsque celui-ci a été mis en présence de ces préoccupations et qu’il tire des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur à partir de ces considérations.

[12]  Le demandeur prétend qu’il était déraisonnable que l’agent tire une conclusion défavorable à partir d’une différence dans une date. Bien qu’il puisse en être ainsi parfois, cela n’est pas le cas en l’espèce. Le décès du père du demandeur représentait un événement clé dans le récit à l’appui de la demande de statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Le demandeur affirme que son père est décédé en avril 2015. Dans l’Annexe A, toutefois, le décès de son père est inscrit comme étant survenu le 2003‑07‑10 (sous la forme année/mois/jour). Cette différence ne peut pas être raisonnablement expliquée comme étant une simple faute de frappe. Le demandeur a déclaré pendant l’entrevue que c’était son oncle (le frère de son père) qui avait rempli l’Annexe A pour lui, mais il n’a pas pu expliquer pourquoi son oncle aurait inscrit la mauvaise date. Comme l’agent l’a souligné au demandeur, l’oncle devait savoir quand son frère est décédé.

[13]  L’importance de cette différence est aussi évidente si l’on examine le formulaire Annexe 2 du demandeur, que ses parents au Canada ont aussi rempli pour lui, mais que le demandeur a signé le 10 mai 2016. Le demandeur devait inscrire, en ordre chronologique, [traduction] « tous les événements importants qui [l’]ont poussé à fuir [son] pays d'origine », y compris toute mesure ayant été prise contre des membres de sa famille. Le décès de son père aux mains des talibans n’y est pas mentionné (pas plus, d’ailleurs, que son propre enlèvement par les talibans). Le demandeur a tout simplement écrit : [traduction] « Je travaillais à titre de chauffeur pour une entreprise de télécommunications s’appelant Roshan. L’entreprise avait un contrat avec l’armée afghane. Les talibans étaient contre les personnes qui travaillaient pour des entreprises de ce genre. Ils enlevaient et tuaient souvent ces personnes. J’avais peur d’être tué, et c’est pourquoi j’ai quitté le pays. »

[14]  Je vois du même œil les autres incohérences ou contradictions qu’a relevées l’agent des visas. Elles ont toutes été portées à l’attention du demandeur pendant l’entrevue. L’agent a noté les réponses du demandeur. Ce dernier n’a pas pu expliquer pourquoi ses ravisseurs avaient des raisons de le prendre pour cible ou pourquoi, s’ils l’avaient pris pour cible, comme il le prétendait, à cause de l’entreprise pour laquelle il travaillait, ils continuaient à lui poser des questions sur son employeur. Le demandeur s’est contenté de répondre qu’il disait la vérité. Il a affirmé qu’il avait pu s’enfuir en dépit d’une fracture à l’épaule parce que c’était une question de vie ou de mort. Il a déclaré que son frère lui avait donné l’argent pour payer les passeurs. L’agent a pris en compte ces réponses pour rendre sa décision. Il n’était pas déraisonnable qu’il ait ces préoccupations ou qu’il conclue que les réponses du demandeur n’atténuaient pas ces préoccupations. De plus, même si aucune des incohérences ou des contradictions relevées par l’agent n’aurait suffi, en soi, pour justifier le rejet de la demande, prises ensemble, il n’était pas déraisonnable que l’agent conclue que le récit du demandeur n’était pas crédible. L’agent était le mieux placé pour apprécier la crédibilité du demandeur. Sa décision appelle la retenue. Je n’ai aucune raison de modifier sa décision.

[15]  Enfin, le demandeur prétend qu’il était déraisonnable que l’agent des visas ne tienne pas compte des risques auxquels il était exposé en Afghanistan en tant que membre du groupe ethnique des Hazaras pour établir s’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention. Ce n’est pas mon avis.

[16]  Contrairement à la décision Safdari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1357 [Safdari], qu’invoque le demandeur, en l’espèce, l’agent n’avait aucune raison de croire que le demandeur avait une crainte subjective de persécution fondée sur ce motif (voir, particulièrement, la décision Safdari aux par. 34 à 39). Le demandeur n’a mentionné son appartenance au groupe ethnique des Hazaras nulle part sur sa demande initiale remplie en mai 2016. Il y est mentionné que sa crainte se rapportait exclusivement à son travail. De la même façon, le récit livré par le demandeur pendant l’entrevue qui a eu lieu en mars 2018 se rapportait uniquement à ce qui lui était arrivé en Afghanistan à cause de son travail. Le demandeur n’a jamais affirmé que ses craintes quant à son retour en Afghanistan reposaient aussi sur son appartenance ethnique. Après avoir interrogé le demandeur au sujet de son enlèvement et de sa fuite de l’Afghanistan, l’agent a demandé : [traduction] « Y a-t-il eu d’autres cas de menaces, de violence, de ciblage ou autre chose du genre? ». Le demandeur a répondu par la négative. Il n’a mentionné son appartenance au groupe ethnique des Hazaras qu’après que l’agent lui eut demandé : [traduction] « Quelqu’un vous a-t-il déjà pris pour cible en raison des groupes auxquels vous appartenez, de votre religion, de votre race? » Le demandeur a répondu : [traduction] « Je me fiche de […]. J’ai toujours entendu les gens dire "tu es un Hazara" ». Il est malheureux que la transcription de la réponse du demandeur à cette dernière question ne soit pas plus claire ou plus exhaustive. Toutefois, à la lumière de l’ensemble du dossier, il n’est pas déraisonnable que l’agent n’ait pas poussé ses questions plus loin.

[17]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[18]  Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3266-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’octobre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3266-18

 

INTITULÉ :

HOMAYOON AHMADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MArS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 SeptembrE 2019

 

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena R. Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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