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Date : 19990603

Dossier : IMM-5115-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 JUIN 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

Entre :     

Lucian jumatate, Directeur économique, domicilié actuellement au 17, rue Drumul Tabarei, appt. 23, secteur 6, Bucarest (Roumanie)

demandeur,

et

lE ministre de la citoyenneté et de l"immigration, a/s

Ministère de la Justice, Complexe Guy-Favreau, 200 boul. René-Lévesque ouest, Tour Est, 5e étage, Montréal (Québec), H2Z 1X4

défendeur.

ordonnance

     Vu les motifs de mon ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Max M. Teitelbaum


JCFC

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.


Date : 19990603

Dossier : IMM-5115-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 JUIN 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

Entre :     

Lucian jumatate, Directeur économique, domicilié actuellement au 17, rue Drumul Tabarei, appt. 23, secteur 6, Bucarest (Roumanie)

demandeur,

et


lE ministre de la citoyenneté et de l"immigration, a/s

Ministère de la Justice, Complexe Guy-Favreau, 200 boul. René-Lévesque ouest, tour Est,

5e étage, Montréal (Québec), H2Z 1X4

défendeur.

motifs de l"ordonnance

le juge teitelbaum

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision prise le 8 septembre 1998 par Terry David Brown, agent du service extérieur et Troisième secrétaire à l"Ambassade du Canada à Bucarest, par laquelle il rejetait la demande de résidence permanente du demandeur au Canada, Lucian Jumatate.

Exposé des faits

[2]      Le 30 janvier 1998, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant qu"immigrant indépendant. La demande a été déposée auprès de l"Ambassade du Canada à Bucarest (Roumanie) qui en a accusé réception le 19 mars 1998.

[3]      Le demandeur a demandé qu"on évalue sa demande sous les trois rubriques professionnelles suivantes :

     - économistes, recherchistes et analystes des politiques économiques (CNP 4162.0)

     - politicologues (CNP 4169.6)

     - consultants/consultantes en gestion (CNP 1122.1)

[4]      Une lettre de l"Ambassade du Canada, datée du 4 mai 1998 et signée par le Deuxième secrétaire, M. Gilles Perrault, demandait une évaluation des titres de compétence du demandeur par l"Université de Toronto ainsi que des descriptions de fonctions du ministère de la Défense depuis 1990.

[5]      Dans une lettre du 29 juin 1998, l"avocat du demandeur, Me David Schwalb de Montréal, avisait l"Ambassade du Canada que sa demande d"évaluation avait été transmise au Comparative Education Services Department de l"Université de Toronto.

[6]      L"Ambassade du Canada, dans une lettre datée du 8 septembre 1998 et signée par Terry Brown, Troisième secrétaire, Immigration, informait le demandeur qu"elle avait évalué puis rejeté sa demande du fait qu"elle ne satisfaisait pas aux exigences.

[7]      Le 9 septembre 1998, l"avocat du demandeur a informé Terry Brown par écrit que l"évaluation de l"Université de Toronto avait été récemment envoyée.

[8]      Le 11 septembre 1998, Terry Brown a répondu qu"il tiendrait compte de l"évaluation si elle avait une incidence sur sa décision.

[9]      Le 17 septembre 1998, l"agent des visas a reçu, en même temps qu"une lettre datée du 17 septembre 1998, l"évaluation de l"Université de Toronto datée du 31 août 1998.

[10]      Le demandeur n"a reçu, depuis, aucune autre lettre ou communication de l"Ambassade du Canada et un avis de demande de contrôle judiciaire a été déposé le 5 octobre 1998.

Décision de l"agent des visas

[11]      La lettre de Terry Brown, en date du 8 septembre 1998, dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

         ... Vous avez été évalué selon les exigences du poste d"économiste (CNP 4162.0).
         Vous avez obtenu les notes d"appréciation suivantes :
         Âge                          00
         Facteur métier/profession              01
         FEF                          17
         Expérience dans le métier ou la profession      00
         Facteur démographique              08
         Études                          15
         Connaissance de la langue anglaise          09
         Connaissance de la langue française          06
         Boni                          00
         Qualités personnelles                  ??
         Total                          56
         Nous vous rappelons qu"il faut un minimum de 70 points pour être admissible au Canada à titre d"immigrant.
         Vous n"avez pas obtenu le nombre requis de points d"appréciation pour être admissible à l"immigration au Canada. Également, le paragraphe 11(1) du Règlement sur l"immigration n"autorise pas la délivrance d"un visa d"immigrant aux demandeurs qui n"ont obtenu aucun point d"appréciation pour "l"expérience acquise dans la profession pour laquelle ils possèdent les compétences voulues et qu"ils sont prêts à exercer au Canada", à moins que l"immigrant n"ait un emploi réservé au Canada et ne possède une attestation écrite de l"employeur éventuel confirmant qu"il est disposé à engager une personne inexpérimentée pour occuper ce poste, et que l"agent des visas ne soit convaincu que l"intéressée accomplira le travail voulu sans avoir nécessairement de l"expérience. Vous ne satisfaites pas aux exigences du facteur expérience parce que vos fonctions passées et présentes ne correspondent pas à celles d"un économiste, comme les définit la Classification nationale des professions. Par conséquent, vous ne justifiez pas de l"année d"expérience exigée d"un économiste. Vous avez également été évalué en tant que politicologue (CNP 4169.6), conseiller en gestion (CNP 1122.1) et directeur de publications (CNP 0512), mais vous ne répondez pas non plus aux critères d"immigration pour ces emplois. Par conséquent, vous vous classez parmi les personnes non admissibles aux termes de l"alinéa 19(2)d) de la Loi sur l"immigration, et votre demande a été rejetée.

         ...

         J"ai réfléchi à la possibilité d"utiliser positivement mon pouvoir discrétionnaire en vertu de l"alinéa 11(3)a) du Règlement sur l"immigration, 1978. À mon avis, le nombre de points d"appréciation qui vous ont été attribués reflète vos possibilités, ainsi que celles des personnes à votre charge, de vous établir avec succès au Canada. C"est pour cela qu"une utilisation positive du pouvoir discrétionnaire ne s"applique pas, selon moi, à votre cas.

[12]      Au paragraphe 34 de son affidavit, Terry Brown, parlant de l"évaluation qu"il a reçue de l"Université de Toronto, déclare :

[TRADUCTION]

         Cette information ne m"a pas amené à changer d"avis puisqu"il demeure que le demandeur n"a pas d"expérience en tant qu"économiste, ni d"offre d"emploi attestée. Je n"ai pas rouvert le dossier comme le réclamait l"avocat.


Questions en litige

[13]      Comme l"a déclaré l"avocate du demandeur dans ses observations orales et écrites, le demandeur conteste essentiellement :

             "      le fait que la décision ait été prise le 8 septembre 1998 sans attendre plus longtemps l"évaluation des diplômes;
             "      le fait que l"agent des visas n"ait pas cherché à obtenir plus de renseignements du demandeur;
             "      le fait que le demandeur n"ait pas obtenu l"entrevue à laquelle il prétend être "légitimement en droit de s"attendre";
             "      le degré d"expérience de l"agent des visas;
             "      le temps qu"a consacré l"agent des visas le 26 août 1998 à l"examen du dossier avant de prendre sa décision;
             "      le fait qu"il ait conclu que le demandeur n"avait pas d"expérience dans les domaines professionnels envisagés;
             "      le fait qu"il ait décidé de ne pas exercer positivement son pouvoir discrétionnaire en vertu de l"alinéa 11(3)a) du Règlement.

Observations du demandeur

[14]      Les observations écrites et orales du demandeur sont très détaillées : 12 pages, à simple interligne, pour le document écrit et environ 1 h 30 pour l"exposé oral. J"ai donc fait de mon mieux pour recueillir les déclarations les plus pertinentes du demandeur.

[15]      L"avocate déclare qu"on a privé le demandeur de l"occasion de faire valoir pleinement ses antécédents scolaires, l"ensemble et l"applicabilité de son expérience professionnelle ainsi que son aptitude à s"établir avec succès au Canada.

[16]      Elle allègue que l"agent des visas n"a pas examiné le dossier de façon exhaustive et appropriée et qu"il avait, de fait, formé prématurément sa décision bien qu"il n"eût pas encore reçu l"évaluation demandée qu"il savait être en cours de préparation.

[17]      Dans sa lettre du 14 mai 1998, M. Perrault conclut en disant : [TRADUCTION}"si, au cours des trois prochains mois, nous n"avons reçu aucune autre communication de votre part ou de celle de votre consultant, nous évaluerons votre demande à la lumière des documents versés au dossier" (non souligné dans le texte).

[18]      En réalité, il y avait eu communication le 29 juin 1998 lorsque le consultant du demandeur a avisé que la demande d"évaluation avait été effectivement envoyée, mais qu"elle demeurait sans réponse; cette communication se conforme à la lettre du 14 mai 1998 de M. Perrault. Des descriptions de fonctions avaient également été envoyées.

[19]      L"agent Terry Brown déclare au paragraphe 7 de son affidavit que [TRADUCTION] "le décompte des trois mois commençait, définitivement , à partir de cette date", c-.à-d. le 14 mai 1998 (non souligné dans le texte).

[20]      Rien dans la note de M. Perrault n"indique que le délai de trois mois était "définitif". L"agent Terry Brown a donc interprété à sa façon la note de M. Perrault et a ainsi privé effectivement le demandeur du droit à l"examen complet de son dossier à ce stade initial et capital.

[21]      En outre, on peut inférer de la demande précédente de l"agent des visas que l"entrevue serait fixée en fonction de l"évaluation des diplômes du demandeur, plutôt que de l"examen de son expérience professionnelle.

[22]      De là naît chez le demandeur, l"expectative raisonnable et légitime qu"on l"autoriserait non seulement à présenter pleinement sa demande, mais qu"une entrevue ne serait fixée qu"après réception et examen de l"évaluation des diplômes.

[23]      La doctrine de l"expectative légitime ne peut pas créer des droits fondamentaux, mais plutôt des droits procéduraux et, de ce fait, elle s"applique en l"espèce étant donné que ceux du demandeur n"ont pas été respectés ou reconnus.

[24]      L"agent, qui remplit des fonctions administratives, est assujetti au devoir d"équité, ce qui comprend l"obligation de considérer tous les éléments de la preuve.

[25]      L"agent Terry Brown n"a fait aucun effort pour communiquer avec le consultant, le Comparative Education Service de l"Université de Toronto ou le demandeur pour savoir quand l"évaluation pourrait raisonnablement être faite et présentée.

[26]      L"agent, affirme-t-on, croyait à la sincérité du demandeur quant à la description de ses fonctions et de sa longue expérience professionnelle, et le voilà qui essaie, simultanément, de le glisser dans une description de fonctions qui correspond à celles normalisées de la CNP.

[27]      De son propre aveu, l"agent a peut-être passé une demi- heure à examiner ce dossier incomplet, et pourtant inhabituel; ce dossier mérite réellement un examen plus approfondi et équitable à la lumière de ce qui précède.

[28]      L"évaluation du Comparative Education Service de l"Université de Toronto, en date du 31 août 1998, déclare que la licence de M. Jumatate équivalait [TRADUCTION] "à la norme requise pour un baccalauréat de quatre ans et pourrait la dépasser quelque peu; mais de savoir jusqu"à quel point son diplôme serait supérieur à un baccalauréat en économie ou en administration des affaires ne pourrait être déterminé que par l"examen approfondi du cursus et sa comparaison avec les exigences d"une université canadienne donnée".

[29]      L"agent n"a pas fait preuve de la moindre curiosité pour savoir si les cours suivis correspondraient à ceux d"un niveau universitaire canadien plus élevé. Il est tout à fait clair que les titres de compétence du demandeur étaient appropriés et d"un grade effectivement avancé justifiant que le demandeur soit convoqué à une entrevue conformément à la demande et à l"annotation de M. Perrault. Ledit agent ne l"a pas fait, privant ainsi le demandeur de l"expectative d"une entrevue.

[30]      Bien que l"agent ait reçu, le 2 septembre 1998, l"évaluation sur l"équivalence des diplômes du demandeur, il avait pris sa décision le 26 août 1998, sans revoir le dossier et sans nullement y inclure l"évaluation. En prenant sa décision avant de recevoir ces renseignements, l"agent avait failli au devoir d"équité.

[31]      L"avocate soutient que l"agent n"avait pas vraiment d"expérience, surtout en ce qui a trait à la documentation et à la formation générale des Roumains qui veulent émigrer au Canada. L"agent a extrapolé et a restreint la définition du terme économiste que donne la CNP (CNP 4162) à trois mots, "recherche, analyse et prévision", ce qui, à ses dires, résume correctement cette définition (page 37 du contre-interrogatoire). À la page 38, l"agent dit qu"un demandeur peut en faire plus que cela et qu"il serait capable d"accomplir quelques-unes des fonctions décrites dans la CNP, sinon toutes.

[32]      Il fait valoir que le demandeur a, en fait, exécuté une partie de ces tâches, qu"il est impossible de mesurer le "temps" qu"il y a passé, que le critère retenu par l"agent n"est pas le bon et qu"il aurait dû convoquer le client à une entrevue pour déterminer, s"il le jugeait opportun, quels étaient les travaux réellement accomplis et le temps qu"il y a consacré.

[33]      Il est évident que trente minutes ne suffisent pas à examiner les documents d"un dossier et l"analyse des professions présente une incohérence.

[34]      L"agent a clairement entravé son pouvoir discrétionnaire du fait qu"il a limité la portée de l"examen de ce dossier et qu"il avait définitivement arrêté sa décision avant de recevoir les documents importants demandés qui auraient pu sensiblement influer sur l"évaluation de la demande du demandeur.

[35]      Il a limité encore plus son pouvoir discrétionnaire et fait fi de ses obligations en refusant d"exercer positivement toute prérogative de cette sorte alors que cela aurait dû, bien sûr, être fait, et par les soins d"un agent supérieur.

[36]      Il n"a pas convenablement examiné [TRADUCTION] "tous les éléments du dossier" (ce qu"il est impossible de faire en trente minutes) et, plus précisément, l"invitation faite par l"Université York au demandeur, ses compétences administratives de niveau international, sa participation, entre autres, au maintien de la paix, tous indices éloquents, de son aptitude à s"établir avec succès au Canada.

[37]      Rien n"indique que l"agent ait tenu compte des aspirations professionnelles de M. Jumatate; le terme même utilisé par l"agent peut mener à croire que seul un face-à-face pourrait déterminer les "aspirations" professionnelles d"un individu, ce qui a été refusé, en l"espèce, au demandeur.

Observations du défendeur

[38]      Bien qu"il n"y fût pas obligé, l"agent des visas a donné l"occasion au demandeur de compléter son dossier. Dans une lettre, datée du 14 mai 1998, l"agent a demandé une évaluation des diplômes et des descriptions de fonctions; il a donné trois mois au demandeur pour lui remettre les renseignements demandés. Le demandeur avait donc jusqu"au 14 août pour obtempérer.

[39]      Dans sa lettre du 29 juin 1998, le demandeur n"a pas demandé une prolongation du délai pour remettre l"évaluation demandée de son diplôme.

[40]      Il n"a pas respecté l"échéance du 14 août 1998 et l"agent des visas n"était pas tenu de se mettre en quête de renseignements additionnels.

[41]      Le 26 août 1998, presque deux semaines après l"échéance du 14 août 1998, l"agent des visas, qui n"avait plus eu de nouvelles du demandeur ni reçu une demande de prolongation du délai, a terminé l"examen des documents et rédigé sa décision le 8 septembre 1998.

[42]      Même à cette date tardive, le demandeur aurait pu remettre l"évaluation de ses diplômes, datée du 31 août 1998 et reçue par son représentant le 4 septembre 1998, étant donné que la lettre de rejet n"a été rédigée et envoyée que le 8 septembre 1998. Cependant, ce n"est finalement que le 17 septembre 1998 que le demandeur a déposé l"évaluation en question. Dans de telles circonstances, on ne peut accuser l"agent des visas de n"avoir pas respecté un principe de justice naturelle ni l"impartialité de la procédure, ou d"avoir commis une erreur de droit en ne cherchant pas à obtenir des renseignements additionnels.

[43]      Un agent des visas n"est pas tenu d"accorder une entrevue à un demandeur lorsque celui-ci n"a pas obtenu 60 points d"appréciation.

[44]      Par conséquent, un demandeur qui souhaite être convoqué à une entrevue doit impérativement remettre une demande aussi complète et convaincante que possible.

[45]      En outre, rien n"indique dans le dossier qu"une entrevue lui avait été promise, contrairement à ce qu"il affirme dans son exposé. Pour cette raison, cet argument doit être rejeté.

[46]      Il incombait au demandeur de démontrer qu"il possédait l"expérience professionnelle correspondant aux fonctions à l"égard desquelles il réclamait l"évaluation de sa demande de visa et dont celle-ci faisait mention.

[47]      Le demandeur a soumis des descriptions de postes détaillant les fonctions qu"il avait remplies. À partir de ces détails et des descriptions des tâches afférentes aux fonctions, répertoriées dans la CNP, et à l"égard desquelles le demandeur veut que sa demande soit appréciée, l"agent des visas a conclu qu"aucune des fonctions décrites par le demandeur ne satisfaisait pratiquement aux exigences de la CNP.

[48]      Le demandeur prétend que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a omis de prendre en compte sa longue expérience professionnelle et qu"il s"est fié plutôt à la CNP. Le défendeur soutient que les éléments que contient la CNP sont impératifs. Ainsi, la CNP ayant évalué entre autres facteurs celui de l"expérience, il n"est pas loisible à l"agent des visas de passer outre à ces éléments pour leur en préférer d"autres.

[49]      Même si le demandeur possédait une vaste expérience dans divers domaines, l"agent des visas ne pouvait lui accorder aucun point d"appréciation pour son expérience étant donné que la preuve présentée à ce sujet ne montrait pas qu"il l"avait acquise dans l"exercice des principales fonctions décrites dans la CNP pour les postes à l"égard desquels il voulait que sa demande soit évaluée.

[50]      Le défendeur allègue que l"agent des visas, dont la compétence juridique n"est pas mise en question, avait reçu la formation professionnelle nécessaire à l"exercice de ses fonctions, qu"il avait acquis de l"expérience en travaillant à Pretoria et à Bucarest avant d"être saisi du dossier du demandeur et qu"il a une bonne connaissance des politiques, des procédures et du mode de fonctionnement de l"immigration du fait qu"il a travaillé comme adjoint à la formation à Ottawa. Avant de rejoindre son poste à Bucarest, il avait demandé à un agent des visas, affecté précédemment à Bucarest, de lui tracer un portrait d"ensemble des demandeurs de visas au bureau de Bucarest.

[51]      Qu"il faille ou non infirmer la décision d"un agent des visas ne dépend pas de son degré d"expérience.

[52]      Le défendeur déclare que le temps passé à examiner un dossier ne détermine pas si la décision doit être retenue ou pas.

[53]      Pour ces motifs, le demandeur n"avait aucune expectative légitime quant à sa convocation à une entrevue.

[54]      En outre, il a eu l"occasion de présenter d"autres éléments de preuve, ses descriptions de fonctions et l"évaluation de ses diplômes, que l"agent des visas a tous pris en compte.

[55]      Cependant, comme l"a expliqué l"agent des visas, cette évaluation n"ayant pas influé sur sa décision, fondée plutôt sur le manque d"expérience et l"absence d"une offre d"emploi certifiée que sur les carences de la scolarité ou de la formation du demandeur, il n"a pas rouvert le dossier.

[56]      Le demandeur prétend que l"agent des visas s"est contredit en déclarant que c"était l"expérience du demandeur qui l"a conduit à examiner la fonction de directeur de publications alors qu"il lui attribuait zéro point à cet égard.

[57]      Le défendeur répond qu"il n"y a pas de contradiction et que même si l"on pouvait voir là une erreur, ce n"en était pas une qui aurait influé sur la décision vu que le demandeur n"aurait pu obtenir un visa à l"égard de cette fonction non répertoriée par la LOG et pour laquelle il n"a obtenu aucun point d"appréciation au titre du facteur professionnel.

Analyse

[58]      Il s"agit de savoir si l"agent des visas a commis une erreur qui lui est imputable en prenant une décision hâtive du fait qu"il n"a pas attendu l"évaluation des diplômes qui devait lui parvenir incessamment, comme il le savait. D"après les faits, il appert qu"il savait qu"il la recevrait bientôt et que l"avocate du demandeur n"avait pas passé outre à la demande de M. Perrault vu qu"il avait suivi la question avec l"ambassade, comme en témoigne sa lettre du 29 juin 1998, où il l"informait que l"évaluation avait été demandée; il a joint à cette lettre des descriptions de fonctions.

[59]      Cela étant dit, cependant, cette erreur évidente de l"agent des visas, Terry Brown, n"est pas déterminante dans les circonstances actuelles étant donné qu"il a déclaré dans son affidavit qu"il tiendrait compte de l"évaluation si elle influait sur la décision. L"évaluation, reçue le 17 septembre 1998, ne l"a pas amené à changer d"avis puisqu"il n"en demeurait pas moins que le demandeur n"avait pas d"expérience en tant qu"économiste et qu"il n"avait pas une offre d"emploi certifiée.

[60]      Par conséquent, l"évaluation de l"Université de Toronto a été prise en compte par l"agent des visas et elle ne lui a pas fait changer d"avis. Cette question à elle seule ne justifie pas l"intervention de la Cour dans la décision, apparemment raisonnable, de l"agent.

[61]      Quant à la question de savoir si l"agent des visas aurait dû demander des renseignements additionnels au demandeur, je crois que le paragraphe 8(1) de la Loi sur l"immigration est très clair sur ce point; il s"énonce ainsi :


     8.(1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu"il en a le droit ou que le fait d"y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.         
     8.(1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.         

[62]      Dans l'affaire Duan c. M.C.I. (18 décembre 1995), Calgary IMM-1278-95 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a répondu en ces termes à un argument semblable à celui du demandeur :


L'avocat du requérant a allégué que l'agent des visas aurait dû lui-même prendre l'initiative de chercher à obtenir d'autres éléments de preuve en regard desquels la formation et l'expérience du requérant auraient été mieux appréciées. Cette responsabilité n'incombait pas à l'agent des visas mais plutôt au requérant, comme l'indique le paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, précité.

[63]      Par conséquent, l"argument du demandeur n"est pas recevable et l"agent des visas n"a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

[64]      L"avocate du demandeur a également contesté le fait que l"agent des visas n"a pas accordé une entrevue à son client et, de ce fait, l"a privé d"une expectative légitime. La réponse à cet argument se trouve aussi dans le Règlement tel que l"a interprété la Cour. Dans l"affaire Mohammad c. M.C.I. (1995), 90 F.T.R. 310, le juge Rothstein, dans le cas d"un demandeur qui cherchait à être admis au Canada en tant que "parent aidé", a déclaré :


Le requérant a obtenu 54 points. Conformément au sous-alinéa 11.1a)(ii) du Règlement, l'agent des visas n'était pas obligé de tenir une entrevue avec le requérant en l'espèce après avoir établi qu'il n'avait pas obtenu au moins 55 points d'appréciation. Il s'ensuit que l'agent des visas n'a pas accordé d'entrevue au requérant et a rejeté sa demande.

[65]      Étant donné que le demandeur actuel a obtenu 56 points d"appréciation au total, aucune obligation légale n"existait, et rien, d"après les faits, ne permettait de déduire que l"agent des visas avait laissé croire au demandeur qu"une entrevue lui serait accordée.

[66]      Dans l"affaire Mokhtar Bendahmane c. M.C.I. (1989) 3 C.F.16, à la page 31, le juge Hugessen explique :

         Le principe applicable est parfois énoncé sous la rubrique "expectative raisonnable" ou "expectative légitime". Il a une importante histoire dans le droit administratif, et le Conseil privé l"a énoncé avec fermeté dans l"affaire Attorney General of Hong-Kong v. Ng Yuen Shiu1. Dans cette affaire, Ng était un immigrant illégal ayant gagné Hong-Kong à partir de Macao, comme plusieurs milliers d"autres. Le gouvernement a publiquement promis que chaque immigrant illégal aurait droit à une entrevue et que chaque cas serait traité selon ses propres faits. Malgré cela, Ng, dont le statut illégal n"était pas contesté, a fait l"objet d"une ordonnance d"expulsion sans avoir la possibilité d"expliquer pourquoi le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé en sa faveur pour des raisons humanitaires et autres. Le Conseil privé a statué que en agissant ainsi, les autorités, ont rejeté les expectatives raisonnables de Ng fondées sur les propres déclarations du gouvernement.

[67]      Je ne constate aucun engagement semblable de la part de l"agent des visas et, par conséquent, la doctrine de l"expectative légitime ne s"applique pas en l"espèce étant donné que l"entrevue ne constitue pas un droit procédural qui aurait été nié.

[68]      Le demandeur a également allégué qu"il incombe à l"agent des visas d"examiner l"ensemble de la preuve. Ce principe est admis, mais les faits indiquent en l"occurrence que l"agent des visas a en fait pris en considération toute la preuve, y compris l"évaluation de l"Université de Toronto, mais celle-ci ne l"a pas porté à modifier sa décision et à rouvrir le dossier.

[69]      Étant donné que l"évaluation des diplômes se rapporte au facteur éducation et formation et que la décision de l"agent des visas se fondait sur le manque d"expérience et l"absence d"une offre d"emploi certifiée, il n"y a pas lieu de croire que l"agent des visas ne l"a pas convenablement étudiée.

[70]      Le degré d"expérience de l"agent des visas et le temps qu"il a consacré, le 26 août 1998, à l"examen du dossier avant de former sa décision, ne sont pas des considérations pertinentes au regard de l"examen d"une telle décision, à moins qu"une anomalie flagrante ne soit constatée, ce qui n"est pas le cas en l"espèce.

[71]      Le demandeur doute qu"on ait équitablement évalué ses compétences et il conteste le fait que l"agent des visas a conclu qu"il n"avait pas l"expérience requise pour occuper les fonctions qu"il envisageait.

[72]      Étant donné les éléments de preuve dont disposait l"agent des visas et la description des fonctions à l"égard desquelles le demandeur voulait que sa demande soit évaluée, et qui figurent dans la CNP, j"adopte l"avis du juge Pinard dans l"affaire Tang c. M.C.I., IMM-2071-98, 5 janvier 1999, où il déclare :

         À mon avis, compte tenu de la preuve administrée, les définitions précitées tirées de la CCDP et du degré élevé de retenue dont les tribunaux font preuve en ce qui concerne les conclusions de fait tirées par les agents des visas, il n"était pas manifestement déraisonnable de conclure que la demanderesse ne remplissait pas les conditions requises pour être considérée comme une secrétaire de direction (voir l"arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada et al., [1982] 2 R.C.S.2). Le fait que la demanderesse remplissait certaines des conditions de la profession de secrétaire de direction ne signifie pas qu"elle satisfaisait à toutes les exigences de cette profession (voir le dossier Cai c. M.C.I. (17 janvier 1997), IMM-883-96).

[73]      C"est pourquoi cette allégation doit, elle-aussi, être rejetée.

Conclusion

[74]      Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire de la décision d"un agent des visas est rejetée.

[75]      J"ajouterais que j"ai tenté d"examiner la jurisprudence qui serait, à mon avis, pertinente en l"espèce. Seules les décisions citées ici m"ont paru y correspondre le plus, considérant les faits en cause.

[76]      Aucune des deux parties n"avait de questions à certifier.


Max M. Teitelbaum


JCFC

OTTAWA (ONTARIO)                             
Le 3 juin 1999.                             

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L


cour fédérale du canada

section de première instance


avocats et procureurs inscrits au dossier

no du greffe                  Imm-5115-98
intitulé de la cause :              Lucian Jumatate c. M.C.I
Lieu de l"audience :              Montréal (Québec)
date de l"audience :              27 mai 1999
motifs de l"ordonnance par :      M. le juge Teitelbaum
en date du :                  3 juin 1999

ont comparu

Cheryl Ann Buckley                  pour le demandeur
Michèle Joubert                      pour le défendeur

Procureurs inscrits au dossier

Cheryl Ann Buckley

Montréal (Québec)                      pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              pour le défendeur
__________________

1      [1983] 2 C.A. 629.

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