Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040721

Dossier : IMM-5224-03

Référence : 2004 CF 1020

ENTRE :

                                                               SULTAN AHMAD

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PHELAN

[1]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Tribunal) a rejeté la demande de M. Ahmad au motif que les éléments de preuve qu'il a fournis comprenaient plusieurs incompatibilités et au motif que la protection de l'État existe au Pakistan.

[2]                M. Ahmad dit que les conclusions du Tribunal sont manifestement déraisonnables. Je ne suis pas d'accord.

Contexte

[3]                M. Ahmad est un musulman chiite, citoyen du Pakistan et il est âgé de 25 ans. Il prétend que dans son village des musulmans sunnites, secondés par des agences gouvernementales, ont menacé et agressé des adeptes de sa religion; il prétend également avoir été victime de persécution, tout comme certains membres de sa famille. Il prétend également que de proches associés ont été tués, qu'il a lui-même été enlevé et qu'avant d'être relâché, on l'a encore menacé de mort.

[4]                M. Ahmad est venu au Canada en passant par les États Unis. À son arrivée ici, il a prétendu avoir une crainte fondée de persécution en raison de sa religion, c'est-à-dire de ses croyances musulmanes chiites.

[5]                Le Tribunal a rejeté sa demande, statuant que son récit n'était pas crédible ou vraisemblable et qu'il n'avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l'État.

[6]                Le Tribunal était particulièrement préoccupé du fait qu'un certain nombre d'incidents qui sont ressortis du témoignage du demandeur à l'audience n'étaient même pas mentionnés dans son FRP ou alors, ils étaient décrits d'une manière très différente, notamment :


(1)         L'omission de mentionner que sa maison avait été la cible d'une attaque et de mentionner les dommages causés pendant les émeutes qui ont eu lieu à l'instigation de sunnites;

(2)        L'omission de mentionner qu'il avait porté plainte à la police relativement à l'attaque et aux dommages, et que la police avait refusé de déposer un premier rapport d'information;

(3)         L'omission de mentionner qu'il s'était rendu au poste de police avec des aînés chiites pour porter plainte concernant le meurtre de ses deux associés, et que la police avait agressé et maltraité à la fois le demandeur et les aînés;

(4)        Les descriptions différentes que le demandeur a données de son enlèvement, surtout en ce qui a trait à la question de savoir s'il a été emmené à un endroit en particulier, ou si on l'a promené en voiture sans destination précise.

(5)        L'omission de mentionner qu'il avait joué un rôle de leader bien en vue au sein de la communauté chiite.

(6)        Les incompatibilités comprises dans les raisons expliquant l'explosion et l'incendie de la maison de son associé;

[7]                M. Ahmad se plaint également que le Tribunal n'a accordé aucun poids à une lettre préparée par son père. Le Tribunal a dit que la lettre n'était pas datée et que son père n'était pas une personne impartiale. Pour ces raisons, le Tribunal en a rejeté le contenu.

[8]                Le Tribunal a également rejeté le rapport d'un psychologue faisant état du syndrome de stress post-traumatique vécu par M. Ahmad au motif que ce rapport était fondé sur des faits fournis par M. Ahmad, faits que le Tribunal avait jugé ne pas être crédibles.

[9]                Enfin, M. Ahmad avance que le Tribunal a commis une erreur en concluant que les chiites pouvaient obtenir la protection de l'État. Le coeur de cette récrimination est que le Tribunal a ignoré des éléments de preuve tirés du rapport préparé par le Département d'état des États-Unis pour 2002 DOS, lequel fait état de la violence religieuse continue, alors que le Tribunal avait tenu compte de la version de ce rapport préparée pour l'année 2001.

[10]            M. Ahmad soutient que ces motifs, surtout leur effet cumulatif, diminuent la retenue dont il faut faire preuve envers le Tribunal. Il demande que la décision soit écartée.

Analyse


[11]            Il s'agit d'un cas classique qui repose sur la crédibilité. Même si la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est tenue de présumer que le demandeur dit la vérité, elle n'est pas tenue d'ignorer des incompatibilités, des invraisemblances, ou de faire abstraction du bon sens et de sa propre expertise.

[12]            Même si en matière de conclusions sur la crédibilité la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable, lorsqu'il s'agit du cadre d'analyse du Tribunal, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Selon le demandeur, le Tribunal s'est livré à un examen microscopique des éléments de preuve et a fait preuve d'un zèle excessif dans la recherche de contradictions.

[13]            Le Tribunal et les parties ont accordé beaucoup d'attention à la question de savoir quel degré d'importance revêtaient ces incompatibilités. Le demandeur souligne avec raison que le FRP ne représente qu'un bref énoncé de la demande et ne sert pas à documenter la demande en entier. Voir Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1034.

[14]            Toutefois, la formule FRP dit qu'un demandeur doit [traduction] « fournir des renseignements importants » . Dans Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, la Cour, reconnaissant qu'un demandeur puisse très bien omettre des événements mineurs du FRP, a bien reconnu que les incidents importants doivent être relatés. Dans la présente affaire, les contradictions et les incompatibilités étaient-elles importantes?

[15]            L'omission de mentionner les deux incidents où la police était intervenue revêt une grande importance. Premièrement, si les événements se sont produits, ils montrent des aspects de la persécution pour des motifs religieux, surtout dans les cas où les aînés chiites ont été agressés et maltraités. Deuxièmement, de tels événements se rapportent à la question de la protection de l'État et sont importants lorsqu'il s'agit de réfuter la présomption de protection de l'État.

[16]            M. Ahmad avait un avocat; son FRP aurait pu être modifié jusqu'au début de l'audience mais il ne l'a pas été. L'omission de mentionner ces événements, lorsque des plaintes concernant les actes ou l'inaction de la police se retrouvent fréquemment au coeur des demandes d'asile, est une omission de mentionner un événement important.

[17]            Les descriptions différentes de l'enlèvement soulèvent également une question « importante » . Selon l'une des versions, on a bandé les yeux de M. Ahmad et on l'a promené en auto sans arrêt. Selon l'autre version, on l'a amené à un endroit inconnu et il y a eu une discussion entre ses ravisseurs concernant sa libération. Vu l'existence de ces deux versions, il n'était pas déraisonnable que la Commission remette en question la vraisemblance des événements.

[18]            Puisque toutes les circonstances dont on a tenu compte concernant la crédibilité et la vraisemblance étaient raisonnables et pertinentes, la conclusion finale de la Commission ne peut être considérée comme manifestement déraisonnable.

[19]            Le poids accordé au rapport du psychologue relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Le rapport explique que son auteur s'est fondé sur la description que M. Ahmad avait faite des événements. Si on conclut que ces événements ne sont pas crédibles, alors la valeur du rapport est diminuée. Il appartient au Tribunal et non au psychologue de tirer des conclusions sur la crédibilité parce que c'est une des fonctions du Tribunal de rechercher l'exactitude des faits. Le psychologue ne peut s'approprier cette recherche.

[20]            On a accordé peu de poids à la lettre du père de M. Ahmad pour deux raisons. Si le Tribunal a commis une erreur quelconque, c'est de ne pas avoir accepté l'explication fournie quant à l'absence de date sur la lettre. La raison de ne pas apposer de date sur une lettre est une question de normes culturelles. On a raison de considérer que la lettre préparée par un parent pour le compte de son enfant est loin d'être objective.

[21]            Enfin, en ce qui concerne la protection de l'État, la question doit être tranchée en fonction de la norme de la décision raisonnable simpliciter Cihal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 577.


[22]            Si le Tribunal s'était fondé exclusivement sur le rapport préparé par le Département d'État des États-Unis pour 2001 et avait ignoré des faits détaillés dans la version de 2002, la décision relativement à cette question serait problématique. Toutefois, le Tribunal s'est fondé sur l'évaluation faite par le ministère de l'Intérieur de la Grande-Bretagne, en date d'avril 2002, qui renvoyait à plusieurs des situations énoncées dans le rapport préparé par le Département d'État des États-Unis pour 2002.

[23]            En dernier lieu, la conclusion concernant la protection de l'État repose également sur la crédibilité accordée au récit de M. Ahmad en ce qui concerne les incidents où la police était intervenue. Puisque la crédibilité était remise en question, il était raisonnable que le Tribunal tire la conclusion que M. Ahmad n'avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l'état.

[24]            Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[25]            Les parties reconnaissent qu'il n'y a aucune question à certifier.

                                                                                                                           « Michael L. Phelan »          

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5224-03

INTITULÉ :                                                    SULTAN AHMAD

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 JUILLET 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Joseph S. Farkas                                               POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph S. Farkas                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.