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Date : 20191009


Dossier : IMM-6282-18

Référence : 2019 CF 1276

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

 

ENTRE :

JENO CSIKLYA

 KATALIN MOLNAR

 DORINA CSIKLYA

 JENO CSIKLYA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision (la décision) d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent), datée du 17 octobre 2018, rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs. Les demandeurs craignent pour leur vie en Hongrie du fait de leur origine ethnique rom.

[2]  Il était raisonnable que l’agent exige davantage que le simple fait d’établir l’origine ethnique rom pour conclure que les demandeurs étaient exposés à un risque de persécution en Hongrie. L’agent a pris en compte les circonstances particulières des demandeurs et les éléments de preuve documentaire relatifs à la situation en Hongrie. De plus, il n’était nullement obligé de tenir une audience. Il est toutefois manifeste que l’agent a commis une erreur en omettant de prendre en compte la question de savoir si la discrimination à laquelle sont exposés les demandeurs équivalait à de la persécution. Qui plus est, l’agent a commis une erreur dans son analyse de la disponibilité d’une protection de l’État.

[3]  Pour les motifs qui suivent, j’annule la décision.

II.  Faits

[4]  Jeno Csiklya (le demandeur principal), sa conjointe de fait Katalin Molnar (la demanderesse associée), et leurs deux enfants Dorina et Jeno Csiklya (les demandeurs mineurs) sont des citoyens de la Hongrie d’origine rom. Les demandeurs craignent d’être persécutés en Hongrie en raison de leur origine ethnique rom. Plus particulièrement, les demandeurs craignent d’être victimes de violence aux mains de groupes comme la Garde hongroise, le parti Jobbik, et les skinheads. De plus, les demandeurs croient qu’ils seront exposés à une grande discrimination et persécution dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement et des soins de santé s’ils sont forcés à retourner en Hongrie.

[5]  Les demandeurs ont présenté une demande d'asile au Canada en décembre 2009. Le 12 janvier 2012, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. La Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a annulé la décision de la SPR. Les demandeurs ne se sont pas présentés à l’audience devant la SPR prévue pour le 18 février 2013. Ils ont par la suite reçu instruction de se présenter à une audience devant la SPR le 5 mars 2013. Les demandeurs ne se sont pas présentés, et la SPR a prononcé le désistement de leur demande.

[6]  Les demandeurs ont quitté le Canada le 15 janvier 2014 et sont rentrés en Hongrie. À leur arrivée en Hongrie, les demandeurs se sont vu refuser l’accès à la maison qu’ils louaient. Leurs meubles avaient été jetés à l’extérieur. Les demandeurs ont constaté que d’autres familles roms avaient aussi été expulsées de leur logement cette année-là. Le gouvernement a menacé de retirer la garde des enfants mineurs à leurs parents si les demandeurs ne trouvaient pas un logement sûr. Les demandeurs mineurs étaient exposés à de l’intimidation à l’école en raison de leur origine ethnique rom. Ils ont fini par être envoyés dans une école fréquentée en majorité par des élèves roms offrant un enseignement de moindre qualité.

[7]  Le demandeur principal a été victime de discrimination dans le cadre de sa recherche d’un emploi. De plus, les demandeurs n’ont pas pu se trouver un logement en raison du refus des propriétaires de louer à des Roms. Ils ont été forcés, pour cette raison, à résider chez des amis et des parents. Puisqu’ils n’avaient pas de domicile fixe, ils ne pouvaient pas recevoir des prestations d’aide sociale ou des soins de santé.

[8]  Les demandeurs ont quitté la Hongrie et sont revenus au Canada le 29 juin 2018. Dès leur retour au Canada, ils ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. L’agent a rendu une décision défavorable à l’égard de leur demande d’ERAR le 17 octobre 2018.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[9]  Dans ses motifs de décision, l’agent a affirmé que les demandeurs n’avaient pas démontré de crainte subjective. Pour tirer sa conclusion, l’agent a souligné que les demandeurs ne s’étaient pas présentés à leurs audiences devant la SPR en février et en mars 2013. De plus, l’agent a fait remarquer que les demandeurs étaient rentrés en Hongrie et s’étaient prévalus de la protection de ce pays. Qui plus est, l’agent a pris en compte le fait que le demandeur principal n’avait pas profité de la possibilité de demander l’asile en Angleterre lorsqu’il s’était rendu dans ce pays pour deux séjours de trois mois en 2015 et 2016.

[10]  L’agent a reconnu que les demandeurs appartiennent au groupe ethnique rom. Il a toutefois conclu que les demandeurs ne pouvaient pas se borner à invoquer des éléments de preuve généraux se rapportant à la situation dans le pays pour appuyer leur demande d’ERAR. Les demandeurs devaient plutôt démontrer que la façon dont ils avaient été traités dans leur situation particulière équivalait à de la persécution. L’agent a souligné l’affirmation des demandeurs selon laquelle les Roms en Hongrie sont persécutés dans une large mesure, mais a conclu que cette affirmation ne se rapportait pas expressément à eux.

[11]  L’agent a conclu que l’affirmation des demandeurs était [traduction] « générale, vague et dénuée de précisions et d’éléments de preuve corroborants ». Par exemple, les demandeurs n’ont pas corroboré leur affirmation selon laquelle ils avaient reçu des soins de santé de qualité inférieure. De la même façon, ils n’ont pas fourni suffisamment de précisions relativement à leur affirmation selon laquelle le gouvernement avait menacé de leur retirer leurs enfants mineurs. De plus, les demandeurs ont omis de produire des éléments de preuve corroborants à l’appui de leur affirmation selon laquelle ils avaient été expulsés injustement de leur appartement en Hongrie en raison de leur origine ethnique rom.

[12]  L’agent a noté que le demandeur principal avait pu trouver du travail pendant de brèves périodes et qu’il n’y avait pas d’élément de preuve montrant que cette situation le rendait incapable de subvenir aux besoins de sa famille. De plus, il a souligné que les demandeurs avaient pu trouver à se loger auprès de membres de leur famille et inscrire leurs enfants à l’école. Il a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment de précisions à l’appui de leur affirmation selon laquelle la piètre qualité de l’instruction offerte à leurs enfants équivalait à de la persécution. Il a ensuite apprécié les éléments de preuve objectifs, lesquels montraient que la Hongrie avait pris des mesures importantes pour améliorer les résultats scolaires des élèves d’origine rom.

[13]  L’agent a passé en revue les éléments de preuve objectifs et a conclu que la Hongrie déployait des efforts considérables pour protéger les Roms contre la persécution. De plus, il a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve voulant que les demandeurs ne pourraient pas se prévaloir de la protection de l’État. Qui plus est, le demandeur principal n’a demandé qu’une seule fois l’aide de la police et n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. L’agent a ensuite pris en compte la disponibilité d’une aide auprès de diverses organisations. Il a conclu que de multiples organisations offraient une aide sociale aux Roms en Hongrie.

[14]  L’agent a conclu que les demandeurs seraient exposés à rien de plus qu’une simple possibilité de persécution s’ils étaient renvoyés en Hongrie. De plus, il a conclu qu’il n’était pas probable que les demandeurs seraient exposés au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités. L’agent a rejeté la demande d’ERAR des demandeurs.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[15]  Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

  3. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[16]  La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait des agents d’ERAR, aux conclusions fondées sur les faits et le droit et à la prise en considération de la preuve (Selduz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 361, aux par. 9 et 10).

[17]  Au cours des dernières années, les tribunaux ont appliqué la norme de la décision correcte pour examiner les questions d’équité procédurale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79, [2014] 1 RCS 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux par. 59 et 61, [2009] 1 RCS 339 au par. 43). Comme l’a récemment fait observer la Cour d’appel fédérale : « même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie, cet exercice de révision est [TRADUCTION] « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée. » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au par. 54, [2018] ACF no 382). Dans une affaire récente, le juge Russell a affirmé : « Même si l’approche de l’appréciation de l’équité procédurale [selon la norme de la décision correcte] s’inscrit dans le respect de décisions récentes, il ne s’agit pas d’une approche judicieuse sur le plan doctrinal. Il est préférable de conclure qu’aucune norme de contrôle ne s’applique à la question de l’équité procédurale. » (Fedee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 88 au par. 29). Dans le même ordre d’idées, le juge Boswell a statué : « Le cadre analytique n’est pas tant celui de la décision correcte ou raisonnable que le principe de l’équité et de la justice fondamentale. » (Asiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1025 au par. 13).

[18]  Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier. » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 au par. 74, [2002] 1 RCS 249). Au lieu de procéder à un examen de l’équité procédurale selon la norme de la décision correcte, la Cour examinera les procédures dont peuvent se prévaloir les demandeurs et établira si le processus a été équitable dans son ensemble.

V.  Analyse

A.  Lien avec un des motifs prévus dans la Convention pour établir la persécution aux termes de l’art. 96 de la LIPR

[19]  Les demandeurs prétendent que le simple fait d’être Rom en Hongrie établit la persécution aux termes de l’art. 96 de la Loi. Ils demandent à la Cour de ne pas tenir compte des éléments subjectifs de leur affirmation et de se fonder uniquement sur leur situation générale de Rom en Hongrie. Le défendeur riposte, à bon droit, que le fait d’établir l’appartenance ethnique rom ne suffit pas pour démontrer la persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR.

[20]  Bien qu’il reconnaisse les mauvais traitements subis par les Roms en Hongrie et les conditions défavorables qui règnent dans le pays, le juge Shore a conclu : « Une demande d’asile valable comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective. La crainte objective ne doit pas être évaluée dans l’abstrait. » (Csonka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1056 au par. 70). Par conséquent, l’argument des demandeurs doit être rejeté.

B.  Prise en compte des éléments de preuve

[21]  Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas pris en compte des éléments de preuve documentaire qui démontrent que les Roms en Hongrie subissent une discrimination généralisée qui équivaut à de la persécution. Ils précisent que l’agent n’a pas effectué une analyse de la persécution fondée sur des motifs cumulés. En revanche, le défendeur affirme que l’agent a bel et bien tenu compte des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays après avoir apprécié la situation personnelle des demandeurs.

[22]  Il existe une présomption selon laquelle l’agent a examiné les éléments de preuve à sa disposition et il n’est pas tenu de mentionner chaque élément qu’il a examiné (Matute Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074 au par. 64). Les demandeurs invoquent la proposition voulant que le décideur a une obligation élevée d’analyser les éléments de preuve pertinents qui contredisent ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 au par. 17). Toutefois, l’obligation de citer expressément une preuve contradictoire s’applique à la preuve qui est propre au demandeur, et non pas aux éléments de preuve documentaire de nature générale (Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1001 au par. 6; Quinatzin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 937 (CanLII), au par. 29).

[23]  En l’espèce, même si les demandeurs ont produit une quantité considérable d’éléments de preuve, soit 158 pages en tout, sur le traitement réservé aux Roms en Hongrie, il s’agissait d’éléments de preuve documentaire d’ordre général. Par conséquent, l’agent n’a pas commis d’erreur en omettant de renvoyer expressément aux éléments de preuve contradictoires.

[24]  Toutefois, en ce qui concerne la question de savoir si l’agent a commis une erreur en omettant d’apprécier l’effet cumulatif de la discrimination équivalant à de la persécution, je conclus qu’il y a une erreur susceptible de contrôle. L’examen de la décision révèle que l’agent a omis de prendre en compte comme il se devait la question de savoir si les effets de la discrimination subie par les demandeurs dans le cadre de leur expérience personnelle équivalaient à de la persécution. Dans la décision, l’agent examine tous les aspects de la situation personnelle des demandeurs, dont : la façon dont la fille des demandeurs a été traitée à l’hôpital; la menace de l’État de retirer leurs enfants aux demandeurs s’ils devaient devenir sans-abri; la situation des demandeurs au chapitre du logement à leur retour en Hongrie, en 2014; les difficultés vécues par le demandeur principal dans le domaine de l’emploi; la qualité de l’instruction fournie aux enfants des demandeurs; et l’interaction des demandeurs avec la police. Par la suite, l’agent fournit une explication qui décrit le contexte dans lequel la discrimination équivaut à de la persécution, mais omet d’expliquer les raisons pour lesquelles la discrimination à laquelle sont exposés les demandeurs ne constitue pas de la persécution.

[25]  Même si le défendeur affirme que l’agent a relevé des problèmes concernant [traduction] « le caractère suffisant des éléments de preuve », je ne suis pas convaincu par cet argument. L’agent semble accepter les éléments de preuve relatifs à la situation personnelle des demandeurs lorsqu’il affirme qu’il [traduction] « ne conteste pas les déclarations du demandeur principal au sujet du traitement subi par sa famille et lui ». Toutefois, dans chaque aspect des déclarations des demandeurs, l’agent déplore que les demandeurs n’aient pas produit d’éléments de preuve corroborants et souligne que les déclarations [traduction] « ne sont pas étoffées » et sont [traduction] « extrêmement vagues ». En dépit du fait que l’agent n’a pas soulevé directement des préoccupations quant à la crédibilité, il s’agissait pour lui d’une façon voilée de souligner qu’il ne croyait pas les déclarations des demandeurs sans éléments de preuve corroborants et de conclure qu’il estimait que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants (Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147 aux par. 23 à 25). Cette analyse n’était ni claire, ni logique, ni transparente.

C.  Caractère adéquat de la protection de l’État

[26]  Les demandeurs prétendent que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique pour apprécier la protection de l’État. Ils affirment que l’agent était tenu de prendre en considération le caractère adéquat de la protection de l’État, mais qu’il ne l’a pas fait. Plus précisément, ils déclarent que l’agent a analysé les programmes et les politiques visant à améliorer la situation, mais n’a pas véritablement pris en compte la question de savoir si le gouvernement hongrois les avait bien mis en œuvre.

[27]  En revanche, le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur dans l’appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État. Il affirme qu’il était raisonnable que l’agent conclue que les demandeurs avaient relaté en termes vagues leur unique tentative de solliciter la protection de l’État et qu’ils auraient dû être en mesure de produire des éléments de preuve documentaire.

[28]  Je conviens avec les demandeurs que le déploiement de simples efforts pour améliorer la situation n’établit pas le caractère adéquat de la protection de l’État. En fait, il convient d’apprécier l’efficacité opérationnelle des programmes, des politiques et des dispositions législatives pour en établir l’incidence réelle (Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1394 au par. 11 [Boakye]; Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 296). Comme l’a écrit la juge Strickland dans la décision Boakye [non souligné dans l’original] :

[U]ne protection de l’État adéquate nécessite davantage que de faire de « sérieux efforts » en vue de résoudre des problèmes et de protéger les citoyens (De Araujo Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 79). L’accent doit plutôt être mis sur la situation réelle dans le pays, c’est‑à‑dire sur la preuve concernant la protection réelle ou sur le terrain, et non sur ce que l’État a entrepris de mettre en place (Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, au paragraphe 5).

[29]  En l’espèce, la décision de l’agent ne permet pas d’établir si ce dernier a perçu l’efficacité opérationnelle comme étant le bon critère pour établir la protection de l’État. L’agent énumère plusieurs aspects de la protection de l’État et souligne que la Hongrie est une république dotée d’une démocratie parlementaire. Après avoir souligné la protection inscrite dans la Constitution contre la détention et l’arrestation arbitraires en Hongrie, et des affirmations sur les services de police hongrois, l’agent affirme : [traduction] « Comme l’indiquent les éléments de preuve objectifs, l’État déploie des efforts sérieux pour faire en sorte que les Roms aient accès à la protection ». Cette déclaration montre que l’agent n’a aucunement pris en compte les expériences vécues par les Roms qui ont tenté, en vain, de se prévaloir de la protection de l’État, et n’a pas compris qu’il devait s’assurer que les Roms pouvaient se prévaloir de la protection de la police au niveau opérationnel.

D.  Aucun manquement à l’équité procédurale

[30]  Les demandeurs affirment que l’agent a manqué à l’équité procédurale en omettant de tenir une audience. L’agent chargé d’apprécier une demande d’ERAR a le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience et fonde sa décision à cet égard sur les facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 qui est libellé en ces termes :

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and;

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[31]  Selon les demandeurs, une audience aurait dû avoir lieu parce que la crédibilité était au cœur du rejet de leur demande d’ERAR par l’agent. Les demandeurs invoquent la décision Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1207 [Ahmed] et la décision Prieto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253 [Prieto] à l’appui de cet argument.

[32]  Le défendeur affirme que l’agent n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité. Selon le défendeur, l’agent n’a pas refusé de croire les demandeurs, mais a plutôt trouvé, tout simplement, que leurs éléments de preuve étaient vagues et n’étaient pas corroborés. Dans un tel cas, le défendeur estime que l’agent n’était pas tenu de tenir une audience.

[33]  Les décisions Ahmed et Prieto ne sont d’aucun secours aux demandeurs. Dans la décision Ahmed, le juge O’Keefe a établi qu’une audience était nécessaire parce que l’agent avait refusé de croire le témoignage fait sous serment par le demandeur (au par. 43). Dans la décision Prieto, le juge Norris a conclu qu’une audience aurait dû être tenue parce que l’agent s’était fondé sur les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR (par. 36 à 38). En l’espèce, l’agent n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité. Il a plutôt estimé que les affirmations des demandeurs étaient vagues et non corroborées. Par conséquent, l’agent n’était pas tenu de tenir une audience.

VI.  Question certifiée

[34]  Les avocats des deux parties ont été appelés à dire s’il y avait des questions à certifier. Ils ont tous les deux affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, et je suis d’accord avec eux.

VII.  Conclusion

[35]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’agent a commis une erreur en omettant d’apprécier l’effet cumulatif de la discrimination équivalant à de la persécution. De plus, l’agent a commis une erreur en omettant d’appliquer l’efficacité opérationnelle en tant que critère approprié pour la protection de l’État. Pour ces motifs, la décision est déraisonnable et susceptible de contrôle.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6282-18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’octobre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-6282-18

 

INTITULÉ :

JENO CSIKLYA KATALIN MOLNAR DORINA CSIKLYA JENO CSIKLYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUIN 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

John Salam

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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