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     Date : 19990526

     Dossier : IMM-3095-98

ENTRE :

     XIAO LIAN HE,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas du consulat général du Canada à Hong Kong a conclu que la demanderesse ne remplissait pas les conditions en matière d'immigration au Canada applicables aux immigrants indépendants. La décision de l'agent des visas est datée du 18 mai 1998.

[2]      La décision en question est notamment libellée ainsi qu'il suit :

     [traduction] Suivant les paragraphes 8(1) et 10(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 et ses modifications, les immigrants indépendants doivent être appréciés par rapport à chacun des facteurs mentionnés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement. Ces facteurs sont les études, la préparation professionnelle spécifique, l'expérience, la demande dans la profession, l'emploi réservé ou la profession désignée, le facteur démographique, l'âge, la connaissance de l'anglais et du français et, sur la base d'une entrevue, la personnalité.         
     Je vous ai appréciée par rapport à l'emploi de technologue en génie biologique (CNP 2211-1) et je vous ai attribué les points d'appréciation suivants :         
         Âge 10         
         Demande dans la profession 1
         Préparation professionnelle spécifique 15
         Expérience 6
         Emploi réservé 0
         Facteur démographique 8
         Études 16
         Anglais 6
         Français 0
         Personnalité 4
         Total 66
     Vous n'avez pas obtenu le minimum de points d'appréciation requis pour être admise en tant qu'immigrante indépendante (70). Je considère que les points d'appréciation qui vous ont été attribués reflètent fidèlement votre aptitude à réussir votre installation au Canada.         
     J'ai examiné votre demande par rapport à l'emploi de chimiste (CNP 2112), mais je ne suis pas convaincu que vous avez une expérience de travail dans ce domaine.         
     Il n'y a pas d'autres emplois que votre conjoint ou vous-même êtes en mesure d'occuper et qui permettraient d'accepter votre demande.         

[3]      La demanderesse est une citoyenne de la République populaire de Chine. Le 4 août 1997, elle a présenté, conjointement avec son mari et son fils, une demande de résidence permanente qui a donné lieu à la décision contestée en l'espèce. La demanderesse s'est présentée comme une immigrante indépendante dont l'emploi actuel et envisagé est celui de " chimiste ". La demanderesse a joint à sa demande une copie de son curriculum vitae, une lettre de référence de son employeur qui confirme qu'elle a commencé à travailler comme chimiste (biochimiste) pour la firme Xiaman Taohua Datong Enterprise Co. à Xiaman, Fujian, en juillet 1988. La demanderesse a également joint à sa demande des copies de ses diplômes qui confirment qu'elle est titulaire d'un baccalauréat et d'une maîtrise en sciences qui lui ont été décernés par l'université de Xiaman, en Chine.

[4]      L'agent des visas a interrogé la demanderesse relativement à sa demande le 18 mai 1998. L'entrevue s'est déroulée en anglais sans la présence d'un interprète. Il n'y aurait eu aucun écueil sur le plan linguistique. La demanderesse s'est présentée à l'entrevue en compagnie de son mari.

[5]      L'avocate de la demanderesse fait valoir que l'agent des visas a commis une erreur susceptible de révision lorsqu'il a apprécié l'expérience de la demanderesse compte tenu de son refus d'apprécier celle-ci par rapport à son emploi privilégié, celui de chimiste, de même que de la façon dont il a apprécié la personnalité de la demanderesse, c'est-à-dire en concluant qu'elle n'avait pas fait montre d'adaptabilité et de flexibilité parce qu'elle avait travaillé pour un seul employeur et occupé un seul emploi et parce qu'elle ne s'était pas préparée plus énergiquement en vue de son immigration au Canada.

[6]      Dans l'affidavit qu'il a déposé dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, l'agent des visas atteste notamment ce qui suit :

     [traduction]         

     [...]

     5.      J'ai demandé à la requérante [durant l'entrevue] de parler de son expérience de travail. Les réponses qu'elle a données aux questions touchant directement l'application de ses connaissances en chimie étaient vagues et ne donnaient pas à penser que la requérante avait une vaste expérience comme chimiste. Elle a déclaré que son travail consistait à préparer des enzymes, des bactéries et des acides aminés servant à fabriquer des sauces pour les aliments et des épices, en cultivant des bactéries et en extrayant les bactéries et les enzymes voulues.         
     [...]         
     12.      La description de son expérience de travail qui figure dans l'affidavit [que la demanderesse a joint à la présente demande] est beaucoup plus complète et détaillée que celle qu'elle a faite durant l'entrevue, et elle correspond davantage à l'expérience d'un chimiste. Au cours de l'entrevue, toutefois, les renseignements que la requérante a fournis concernant son expérience de travail correspondaient beaucoup moins à cette expérience. Par conséquent, si je l'avais appréciée comme chimiste, je ne lui aurais attribué aucun point pour l'expérience.         
     13.      Au cours de l'entrevue, la demanderesse ne m'a pas convaincu qu'elle avait une expérience de travail en tant que chimiste au sens où on l'entend dans la CNP. D'après ce qu'elle m'a dit pendant l'entrevue, sa seule expérience était celle d'une technologue chargée d'effectuer des procédures de laboratoire courantes. Elle n'avait aucune expérience directe ou valable dans les domaines de la recherche et de l'expérimentation menant à la création de nouveaux composés ou de synthèses de composés, ou supposant des travaux de recherche en biochimie, fonctions qui sont décrites dans la CNP comme étant celles d'un chimiste.         
     14.      La description des fonctions exercées par la demanderesse correspondait à l'emploi de technologue en biologie (CNP 2221-1), c'est-à-dire une personne qui fait des tests biologiques, microbiologiques et biochimiques au soutien du contrôle de la qualité dans la production alimentaire. [...]         
     15.      Pour apprécier la personnalité de la demanderesse en vue d'une immigration au Canada, j'ai tenu compte du fait qu'elle avait été affectée à l'emploi qu'elle occupait en Chine, emploi qu'elle a exercé de façon ininterrompue pendant neuf ans. Une telle carrière ne dénote ni flexibilité ni adaptabilité. L'adaptabilité à un marché de l'emploi ouvert comme celui du Canada était également un facteur. La demanderesse n'a fait aucun effort particulier pour se préparer à immigrer au Canada, par exemple suivre des cours pour perfectionner son anglais ou se renseigner sur les possibilités d'emploi au Canada. Cet état de fait ne dénote pas une grande motivation ni un esprit d'initiative marqué. Je n'ai relevé dans ses antécédents personnels et professionnels aucune manifestation particulière de caractéristiques personnelles comme l'ingéniosité, la flexibilité ou l'adaptabilité, qui pourraient l'aider à réussir son installation au Canada. J'ai donc conclu que sa personnalité est plus faible que la moyenne et j'ai attribué quatre points pour le facteur personnalité. J'ai fait part de mes craintes à la requérante et je lui ai donné la possibilité de me détromper. Elle a répondu qu'elle se mettrait à la recherche d'un emploi une fois rendue au Canada et qu'elle continuerait de déménager, si nécessaire, tant qu'elle n'aurait pas trouvé du travail.         

[7]      Ainsi qu'il est mentionné plus haut, la demanderesse a joint à sa demande une lettre de référence de son employeur. Cinq sphères de responsabilité de la demanderesse sont mentionnées dans cette lettre. Ces sphères de responsabilité se rapprochent assez des fonctions de chimiste qui sont mentionnées dans la CNP. Rien n'autorise la Cour à conclure que l'agent des visas a tenu compte de cet énoncé de responsabilités. Ce dernier se serait plutôt fondé entièrement sur l'entrevue. Dans les paragraphes de l'affidavit de l'agent des visas qui viennent d'être cités, l'agent des visas reconnaît qu'il n'a pas apprécié la demanderesse par rapport à l'emploi de chimiste. Il était dans l'obligation de le faire1. S'il l'avait fait, il aurait été obligé de tenir compte de la lettre de référence.

[8]      De plus, le motif fondé sur le cheminement professionnel de la demanderesse que l'agent des visas a invoqué pour étayer la conclusion selon laquelle la carrière de la demanderesse ne dénotait ni flexibilité ni adaptabilité a fait l'objet de remarques négatives de la part de la Cour dans des contextes similaires. Dans l'affaire Tam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, le juge Rouleau a écrit à la page 209 :

     D'abord, il est évident que l'agent des visas a tiré une conclusion négative du fait que le requérant n'avait exercé qu'un seul emploi au cours de son expérience de travail. Cependant, à mon avis, ce fait n'indique pas que "son esprit d'initiative, sa faculté d'adaptation et sa motivation étaient très faibles", comme le soutient l'agent des visas.         

Il convient de tirer une conclusion similaire dans la présente espèce, surtout compte tenu de la preuve dont l'agent des visas a été saisi, à savoir que la demanderesse avait, pendant un certain temps, été chef de famille monoparentale et avait malgré tout continué d'exercer les fonctions de son poste durant toute cette période, en dépit des difficultés qu'entraînait de toute évidence une telle situation.

[9]      D'autre part, il a été statué que l'assurance donnée par l'agent des visas au paragraphe 15 de l'affidavit précité, à savoir qu'il avait " fait part de [ses] craintes à la requérante [concernant la motivation, l'esprit d'initiative, l'ingéniosité, la flexibilité et l'adaptabilité] et [lui avait] donné la possibilité de [le] détromper " ne constitue pas une assurance suffisante du caractère équitable de l'entrevue. Dans l'affaire Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, le juge Evans a écrit au paragraphe 42 :

     J'ajouterais également que la pratique suivie par l'agente des visas qui avait l'habitude de demander à un immigrant à la fin de l'entrevue s'il souhaitait ajouter autre chose ne suffit pas pour satisfaire à l'obligation de poser des questions raisonnables qu'impose l'obligation d'agir équitablement. Cette pratique ne permet pas d'informer un demandeur des préoccupations qu'un agent des visas peut entretenir de façon à lui donner une possibilité raisonnable de dissiper ses préoccupations particulières relativement à la demande. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [...], le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :         
         [...] lorsque l'agent des visas a commencé à craindre que le requérant ne possède peut-être pas les qualités requises [...] elle aurait dû l'interroger expressément sur chacun des critères séparément. Le fait pour elle d'avoir simplement exprimé une crainte de façon générale et de s'être attendue ensuite à une réponse significative n'est pas compatible, selon moi, avec les exigences de l'équité en matière de procédure. [Renvois omis.]                 

En l'espèce, l'affidavit de l'agent des visas ne donne pas l'assurance que la possibilité qu'il a donnée à la demanderesse de dissiper ses craintes était compatible avec les exigences de l'équité en matière de procédure qui s'appliquaient à l'entrevue.

[10]      Compte tenu des remarques qui précèdent, et sans égard à plusieurs autres questions davantage axées sur la procédure que l'avocate de la demanderesse a soulevées au cours de l'audience et dans des observations écrites qui ont été déposées dans le cadre de la présente demande, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[11]      Aucun des avocats n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

                                 " Frederick E. Gibson "

                                         Juge

Winnipeg (Manitoba)

Le 26 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-3095-98

INTITULÉ :                      XIAO LIAN HE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :          Le 26 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  26 mai 1999

COMPARUTIONS :

Mira J. Thow                          pour le demanderesse

Joel Katz                          pour le défendeur

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zaifman Associates                      pour la demanderesse

191, av. Lombard, 5e étage

Winnipeg (Manitoba)

R3B 0X1

Morris Rosenberg                      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      Voir Issaeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1996), 37 Imm L.R. (2d) 91, aux pages 95 et 96 (C.F. 1re inst.) et Birioulin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 222, aux paragraphes 34 à 38 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

     2      (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 207 (C.F. 1re inst.).

     3      [1998] A.C.F. no 1538 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

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