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                                                                                                                         IMM-2547-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 16 MAI 1997

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

 

 

Entre :

 

                                                             SAY, CHEA

                                                    SONG, VOUCH LANG

                                                       SONG, HOK SENG

 

                                                                                                                               requérants,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                                          ORDONNANCE

 

 

 

            LA COUR,

 

            AYANT entendu la demande de contrôle judiciaire en son audience tenue le 7 mai 1997 à Toronto (Ontario),

 

            ORDONNE le rejet de la même demande de contrôle judiciaire.

 

                                                                                                                 Signé : Allan Lutfy           

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                         IMM-2547-96

 

 

Entre :

 

                                                             SAY, CHEA

                                                    SONG, VOUCH LANG

                                                       SONG, HOK SENG

 

                                                                                                                               requérants,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge LUTFY

 

 

            Les trois requérants sont des citoyens du Cambodge, auxquels la section du statut de réfugié (le tribunal) a dénié le statut de réfugié qu'ils revendiquent pour cause d'opinions politiques. Le requérant Chea Say (le requérant) est le mari de la requérante Vouch Lang Song (la deuxième requérante). La requérante Hok Seng Song (la troisième requérante) est la soeur de la deuxième requérante, et la belle-soeur du requérant. Le tribunal a rendu sa décision le 4 juillet 1996, à l'issue d'audiences tenues les 13 février et 5 mai 1995, et 8 et 19 mars 1996.

 

            Le tribunal a conclu que le requérant n'était un témoin ni crédible ni digne de foi. Puisque sa revendication servait de base à celle des deuxième et troisième requérantes, le tribunal a conclu que la crainte de persécution invoquée par les trois n'avait aucun fondement objectif. Qui plus est, il a jugé qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le requérant avait commis un crime contre l'humanité au sens de l'article 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, lequel article prévoit ce qui suit :

 

F.  Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

            Durant la période allant de 1982 à 1993, le requérant faisait partie de la police  cambodgienne, dans laquelle il s'est enrôlé pour se soustraire au service militaire. Il appartenait pendant tout ce temps au groupe de formation de la police. En 1985, après trois années de service à titre d'agent, il en a été nommé le vice-président. Après avoir gravi les rangs en 1990 et 1992, il a été promu major et président du groupe en 1993, peu de temps avant son arrivée au Canada. C'est en 1986 qu'il a appris des choses qui l'ont conduit à conclure que le gouvernement de l'État du Cambodge était, selon ses dires, impitoyable et corrompu.

 

            L'avocat des requérants conteste en particulier l'analyse suivante des faits qui a conduit le tribunal à conclure que le requérant n'était pas un témoin crédible :

 

            [TRADUCTION]

Prié de dire s'il avait subi des conséquences du discours prononcé en janvier 1993 devant des agents, au cours duquel il critiquait ouvertement la corruption et les violations des droits de la personne de la part de la police, le demandeur a répondu qu'il n'avait reçu qu'un avertissement secret. Il n'a jamais été officiellement réprimandé ou soumis à une sanction disciplinaire. En fait, il a été promu au grade de major en juin 1993. Il n'est pas vraisemblable, étant donné la nature et le ton du discours qu'il aurait prononcé devant 90 agents de police venus de toutes les régions du Cambodge, qu'il n'ait pas été officiellement réprimandé ou puni. En conséquence, le tribunal ne pense pas que le demandeur ait prononcé pareil discours comme il le prétend.

 

Le demandeur fait savoir qu'en avril 1992 (sic), il a désobéi à l'ordre qui lui était donné de se rendre dans diverses localités pour y faire des discours à la louange du PPC. Il n'en a subi aucune conséquence. De même, en juin 1992 (sic), il n'a pas obtempéré à l'ordre de détruire certains documents. Malgré ces deux cas de désobéissance, il faisait toujours partie du PPC. En fait, il a été promu au grade de major en juin 1993. Le tribunal ne pense pas que cette histoire soit plausible. En conséquence, il ne juge pas que le témoignage au sujet de ces deux incidents soit digne de foi.

 

            Le tribunal reconnaît que l'année 1992 mentionnée à deux reprises au second paragraphe ci-dessus devrait se lire 1993. Je n'accepte pas l'argument proposé par les requérants que cette erreur vicie l'appréciation par le tribunal des faits en question.

 

            Le tribunal a conclu, au contraire des assertions du requérant, a) que celui-ci n'a pas prononcé en janvier 1993 un discours critiquant la police; b) qu'il n'a pas désobéi à l'ordre de faire des discours à la louange du Parti du peuple cambodgien au printemps 1993; c) qu'il n'a pas refusé de détruire des documents qui auraient pu se révéler embarrassants pour le gouvernement précédent, peu de temps après l'élection.  Selon le tribunal, la promotion du requérant au grade de major et au poste de président du groupe de formation en juin 1993 ne s'accordait pas avec ces trois soi-disant incidents; il n'était donc pas digne de foi sur ce point. Il y a d'autres contradictions mineures dans le témoignage du requérant et, à quelques reprises, le tribunal lui a dit de répondre clairement aux questions.

 

            Les revendications des deuxième et troisième requérantes subissent le contre-coup de la conclusion du tribunal quant à la crédibilité du requérant. En outre, le tribunal a conclu que la deuxième requérante, qui a témoigné brièvement, n'a pas réussi à justifier sa crainte d'être persécutée au cas où elle retournerait au Cambodge.

 

            Il ressort de la transcription de l'audience du tribunal que celui-ci était en droit de rendre la décision qu'il a rendue. Ses conclusions s'expriment en termes généralement clairs et sans équivoque. Ni la lecture de la transcription ni les arguments proposés par les requérants ne me permettent de juger que ses conclusions en matière de crédibilité étaient abusives ou arbitraires de quelque façon que ce soit.

 

            De même, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire dans l'analyse à l'issue de laquelle le tribunal a conclu qu'il y avait des raisons sérieuses de penser que le requérant avait commis un crime contre l'humanité, au sens de l'article 1Fa). Le requérant s'est enferré lui-même dans son témoignage sur ce point. Au milieu des années 1980, il avait pour travail d'enseigner aux officiers et agents de police le sens de la nouvelle législation sur les crimes contre l'État. En sa qualité de vice-président du groupe de formation, il assistait aux réunions des hauts fonctionnaires du ministère de la Sécurité nationale. Dès 1986, il a appris dans ces réunions que les personnes chargées de l'application de cette loi, c'est-à-dire les agents que lui-même ou ses subordonnés avaient formés, auraient pour attributions d'identifier, d'arrêter, d'interroger, de torturer et d'exécuter les opposants du régime. Le groupe de formation qu'il dirigeait avait la charge d'enseigner cette loi à plusieurs centaines d'agents. Le requérant savait que 85 p. 100 des personnes arrêtées seraient punies sans autre forme de procès. N'empêche qu'il a poursuivi sa carrière dans la police, et au sein du ministère de la Sécurité nationale.

 

            Le tribunal a régulièrement pris en compte la décision du requérant d'entrer dans la police et d'y demeurer, son rôle et son grade, sa connaissance des atrocités commises par d'autres agents du ministère de la Sécurité nationale, et la possibilité qu'il avait de se dissocier de la police. Le tribunal résume ses conclusions comme suit :

 

            [TRADUCTION]

Le demandeur, s'il n'approuvait pas la teneur des ordres reçus, ne l'a jamais dit à ses supérieurs. Il ne leur a jamais dit qu'il s'opposait aux violations des droits de la personne, commises par certains officiers et agents qu'il avait formés, il n'a pas non plus refusé les promotions qu'on lui proposait. Il a témoigné qu'il était promu parce qu'il n'y avait eu aucune plainte au sujet de son travail.

 

Il se peut qu'il ait changé d'avis avec l'arrivée de l'APRONUC au Cambodge en mars 1992, lorsqu'il a acquis des notions de droits de la personne, mais cela ne l'innocente pas du rôle qu'il jouait dans la police, élément des services de sécurité nationale, pendant dix ans.

 

Il se peut qu'il ne fût pas présent lorsque ses anciens stagiaires commettaient ces violations des droits de la personne; cependant, compte tenu des six facteurs de complicité notés ci-dessus, le tribunal estime qu'il peut être considéré comme un complice qui partage l'objectif commun de sécurité nationale du gouvernement du Cambodge.

 

            Ces conclusions sont dans la droite ligne des principes dégagés par le juge MacGuigan dans Ramirez c. Canada, [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.), page 318, au sujet du degré de complicité :

 

Selon moi, le simple fait de regarder, comme c'est le cas, par exemple, lors d'exécutions publiques, sans entretenir de rapports intrinsèques avec le groupe se livrant aux actes de persécution, ne peut jamais, quelque humainement répugnant qu'il nous paraisse, constituer une forme de participation personnelle. Cependant, un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de simple spectateur. Les membres d'un groupe peuvent à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits.

 

Je crois que, dans de tels cas, la complicité dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en ont.

 

            Chaque cas d'espèce doit être jugé à la lumière des faits de la cause. Le requérant s'appuie notamment sur la cause Aden c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 625 (C.F., 1re inst.), où il a été jugé qu'un haut fonctionnaire somalien du régime Barré était « loin des lieux où les actes de persécution ont été commis et [...] des conseils de guerre au cours desquels les décisions relatives aux actes de persécution ont été prises ». Dans Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (C.F., 1re inst.), il a été jugé qu'un officier de l'armée salvadorienne qui enseignait les tactiques de lutte anti-guérilla et participait à des opérations militaires mais sans avoir blessé personne de ses propres mains, tombait sous le coup de l'article 1Fa).

 

            L'affaire en instance pourrait bien se trouver à mi-distance entre Aden et Penate. Toujours est-il qu'à mon avis, le tribunal n'a commis aucune erreur de fait ou de droit dans ses conclusions sur la complicité et l'objectif commun, bien qu'un autre tribunal puisse tirer des conclusions différentes.

 

            Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

            Ni l'un ni l'autre des avocats en présence n'a soumis une question à certifier.

 

                                                                                                                 Signé : Allan Lutfy           

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

Ottawa (Ontario),

le 16 mai 1997

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.             


 

 

                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   IMM-2547-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Say, Chea et al.

 

                                                            c.

 

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 7 mai 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

 

 

LE :                                                    16 mai 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Peter D. Stephens                          pour le requérant

 

 

M. David Tyndale                                           pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

M. Peter D. Stephens                          pour le requérant

Toronto (Ontario)

 

 

M. George Thomson                                       pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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