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Date : 20001122

Dossier : IMM-5639-99

ENTRE :

KHAN ASAD ULLAH

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]                Khan Asad Ullah (le demandeur) est un citoyen du Pakistan qui fait partie de la minorité chi'ite. Il a cherché à être admis au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention. Par suite d'une audition tenue devant la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), M. Raza Naqvi de la Commission a rendu une décision, datée du 21 septembre 1999, dans laquelle il concluait que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur cherche maintenant à obtenir le contrôle judiciaire de cette conclusion ainsi qu'une ordonnance annulant la décision de la Commission.


[2]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et elle a tiré, dans ses motifs, des conclusions défavorables en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. Ces conclusions défavorables en matière de crédibilité portaient principalement sur la connaissance que le demandeur avait des doctrines de principe du chi'isme, notamment sa connaissance des détails biographiques des principaux personnages de cette religion. La Commission a conclu que le demandeur ne pratiquait pas sa religion.

[3]                En outre, la Commission a conclu que le demandeur n'avait jamais subi de problèmes aux mains du Sapah-e-Sahaba of Pakistan (S.S.P.) et qu'il n'avait jamais été arrêté par la police. La Commission a douté de l'authenticité de la carte d'identité que possédait le demandeur ainsi que du rapport d'un médecin daté du 31 juillet 1999. En bref, la Commission a conclu que comme le témoignage du demandeur n'était pas crédible en ce qui concerne les principaux éléments de sa revendication, ce dernier avait omis d'établir qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté en raison de sa religion ou pour tout autre motif prévu par la Convention.


[4]                Le demandeur soulève un certain nombre de questions litigieuses dans le cadre de la présente demande. Il dit que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a négligé de tenir compte de la preuve dont elle disposait ou l'a mal interprétée. Deuxièmement, il dit que la conclusion selon laquelle les documents à l'appui avaient été créés dans le seul but d'étayer sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention était manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve produite, et qu'on ne devait lui accorder aucun poids. Le demandeur dit également que la conclusion de la Commission en ce qui concerne son manque de connaissance de la religion chi'ite était indûment stricte et déraisonnable, et qu'il a été apprécié au regard d'une norme trop sévère..

[5]                De façon subsidiaire, le demandeur soutient que dans le cas où ni l'un ni l'autre de ces motifs ne constituait en soi une erreur de droit, l'effet cumulatif de ces erreurs constituait, de fait, une erreur de droit.

[6]                Il ressort de la transcription de l'audition tenue devant la Commission que les principales questions à examiner portaient sur la crédibilité du demandeur, les détails de sa connaissance de sa religion et pratique religieuse, et les incidents à l'occasion desquels il aurait été persécuté dans son pays en raison de sa religion[1].

[7]                La question secondaire à examiner à l'audition de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention était de savoir quelle était la nature du lien entre le demandeur et le Pakistan's People Party (P.P.P.) et si ce lien étayait une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.


[8]                Je traiterai d'abord des arguments concernant la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'a pas établi qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté en raison de sa religion.

[9]                La Commission a interrogé le demandeur au sujet de sa connaissance de sa religion, notamment sa connaissance des principaux personnages de cette religion. La Commission a conclu que le demandeur n'a pas démontré qu'il possédait une connaissance suffisante de sa religion afin d'établir qu'il était effectivement un chi'ite, ce qui lui aurait permis d'étayer sa prétention qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté en raison de sa religion. La personne qui cherche à être admise au Canada en tant que réfugiée au sens de la Convention doit établir qu'elle a une crainte fondée d'être persécutée pour l'un des motifs énumérés; voir Seifu c. Commission d'appel de l'immigration, [1983] A.C.F. no 34, (A-277-822, daté du 12 janvier 1983), où le juge Pratte a dit :

... [P]our appuyer la conclusion qu'un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il « avait été ou serait l'objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d'être persécuté pour l'une des raisons énoncées dans la Loi.

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c.-à-d., une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.


[10]            On a déjà établi que les conclusions en matière de crédibilité relèvent de la compétence de la Commission; voir : Giron c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1992] 143 N.R. 238 (C.A.F.) et Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1993] A.C.F. no 732. Les circonstances dans lesquelles un tribunal peut infirmer de telles conclusions sont limitées. Cependant, l'intervention judiciaire est justifiée lorsque ces conclusions ont été tirées sur un fondement inapproprié.

[11]            En l'espèce, la Commission paraît avoir appliqué une norme trop sévère à la connaissance que le demandeur avait de sa religion; voir : Flores c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1994] A.C.F. no 565. Bien que le président de l'audience ait publiquement mentionné qu'il avait une connaissance spécialisée de la religion chi'ite, sans que le demandeur ne fasse de remarques à ce sujet, j'ai l'impression que c'est à tort que la Commission s'attendait à ce que le demandeur lui fournisse des réponses à des questions sur sa religion qui équivaudraient à la connaissance qu'elle avait elle-même de cette religion. En effet, à un certain moment, la Commission a avisé le demandeur, lors de son interrogatoire, que [TRADUCTION] « il ne s'agit pas d'un tribunal de première instance » [2]. Cette remarque laisse entendre que la Commission a apprécié de façon erronée le témoignage du demandeur à l'instance en y appliquant une norme plus sévère que celle qu'il convenait d'appliquer.


[12]            Deuxièmement, je fais remarquer que la Commission a tiré une conclusion très générale au sujet de l'omission du demandeur d'établir qu'il avait une crainte fondée d'être persécuté pour des raisons politiques. La question secondaire a été soulevée par le demandeur à son audition. Voici ce que la Commission a dit :

[TRADUCTION] Comme la formation a conclu que le témoignage du revendicateur n'est pas crédible en ce qui concerne les principaux éléments de sa revendication, elle conclut qu'il n'a pas établi qu'il a une crainte fondée d'être persécuté en raison de sa religion ou pour tout autre motif prévu par la Convention[3].

[13]            Le demandeur a mentionné ses opinions politiques en tant que motif secondaire pour lequel il revendiquait le statut de réfugié au sens de la Convention. La Commission n'a pas expressément traité de cette question dans ses motifs. Il semble qu'elle n'a pas apprécié la preuve produite par le demandeur qui aurait pu étayer sa prétention selon laquelle il avait une crainte fondée d'être persécuté en raison de ses opinions politiques.

[14]            Pour ces motifs, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. L'affaire sera renvoyée à la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'une formation différemment constituée l'entende à son tour.


[15]            Les avocats m'ont informée que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève aucune question qui mérite d'être certifiée.

                                                                                   « E. Heneghan »                    

                                                                                               J.C.F.C.                       

Ottawa (Ontario)

Le 22 novembre 2000.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 20001122

Dossier : IMM-5639-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 22 NOVEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

KHAN ASAD ULLAH

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                       ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'une formation différemment constituée l'entende à son tour.

            « E. Heneghan »            

       J.C.F.C.                

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                 IMM-5639-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Khan Asad Ullah c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 8 novembre 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE PAR: Madame le juge Heneghan

EN DATE DU :                                    22 novembre 2000

ONT COMPARU :                             

M. John Savaglio                                                                                   pour le demandeur

Mme Lori Hendriks                                                                               pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. John Savaglio                                                                                   pour le demandeur

Pickering (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                                            pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1]Dossier du tribunal, à la page 162.

[2]Dossier du tribunal, à la page 167.

[3]Dossier du tribunal, à la page 10.

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