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Date : 20060523

Dossier : T‑290‑05

Référence : 2006 CF 632

Toronto (Ontario), le 23 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

WILFRED N. KING, représentant du conseil de la bande Kiashke Zaaging

Anishinaabnek, alias Premières nations de Gull Bay, et KIASHKE ZAAGING

ANISHINAABNEK, alias PREMIÈRES NATIONS DE GULL BAY

demandeurs

 

et

 

SHUNIAH FINANCIAL SERVICES LIMITED et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et le MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de jugement déclaratoire au sujet du droit d’accès d’un groupe de Premières nations à certains dossiers tenus et conservés par le séquestre‑administrateur qui administre pour le compte de la Couronne des fonds qui seraient autrement payables directement à ce groupe de Premières nations.

 

[2]               Les demandeurs sont Wilfred N. King, chef des Premières nations de Gull Bay, et la Première nation de Gull Bay. Depuis très longtemps, la Première nation de Gull Bay doit avoir recours aux fonds que lui verse la Couronne fédérale, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) (ci‑après appelé la Couronne ou le ministre) pour financer le fonctionnement des services publics essentiels destinés à ses membres. Aucune preuve relative au fondement de l’obligation de la Couronne de verser ces fonds n’a été produite dans la présente instance, mais il a toutefois été reconnu que la Première nation de Gull Bay avait signé le Traité Robinson et l’entente d’administration par tierce partie fait référence à des ententes globales de financement.

 

[3]               Jusqu’à l’exercice financier 1995‑1996 de la Première nation de Gull Bay, la Couronne versait directement à cette première nation les fonds destinés à fournir des services essentiels. Des problèmes sont apparus à cette époque à la suite de quoi une entente de cogestion a été conclue de façon à ce que ces fonds soient administrés conjointement par la Première nation de Gull Bay et un cogestionnaire. Cette structure s’est avérée inefficace. En 1997, un séquestre‑administrateur a été nommé par la Couronne et chargé de recevoir et de débourser les fonds qui seraient autrement payables à la Première nation de Gull Bay, dans le but de fournir les services essentiels en question. Au cours des années qui ont suivi, un certain nombre de personnes ont occupé le poste de séquestre‑administrateur. C’est une de ces situations d’administration par tierce partie qui est en litige ici, la défenderesse Shuniah étant la séquestre‑administratrice à l’époque en cause.

 

[4]               Les demandeurs ont reconnu que la nomination des séquestres‑administrateurs avait pour but de protéger la Première nation de Gull Bay, mais aucun de ces administrateurs n’a réussi à réduire la dette écrasante que continue d’avoir la Première nation de Gull Bay. Il semble que l’endettement de la Première nation de Gull Bay s’aggrave. Peu après que Shuniah ait été nommée séquestre‑administratrice, la Première nation de Gull Bay a commencé à s’interroger au sujet de ce qui lui paraissait être une mauvais administration des fonds. La Première nation de Gull Bay et ses avocats ont fait un certain nombre de demandes à Shuniah et au ministre pour qu’ils leur fournissent de l’information et des documents concernant l’administration de ces fonds. À l’époque où la présente instance a été introduite, la Première nation de Gull Bay n’avait reçu que très peu d’information et de documents à ce sujet. Au moment de l’instruction de la présente affaire, la plupart des renseignements et des documents demandés, mais pas tous, avaient été communiqués. De plus, au moment de l’audition, le contrat d’administration par tierce partie de Shuniah avait expiré et un autre administrateur exerçait ces fonctions.

 

La question en litige

[5]               La véritable question en litige ici est de savoir si la Première nation de Gull Bay a le droit d’obliger un séquestre‑administrateur comme Shuniah, directement ou par l’intermédiaire du ministre, à lui communiquer de l’information et des documents concernant l’administration des fonds autrement payables à la Première nation de Gull Bay et, si oui, dans quelles circonstances?

 

L’entente d’administration par tierce partie

[6]               Le 1er avril 2004, la Reine (ministre) et Shuniah ont conclu une entente d’administration par tierce partie. La Première nation de Gull Bay (le conseil) n’est pas partie à cette entente.

 

[7]               Le fondement de l’entente est exposé dans les clauses qui contiennent les « Attendu que » :

                                 [TRADUCTION]

A.                  La Première Nation de Gull Bay (le « Conseil ») et le Ministre ont conclu antérieurement des Ententes globales de financement afin de permettre le transfert de fonds du Ministre au Conseil aux fins de la prestation de programmes et de services aux membres de la collectivité du Conseil, et le Conseil a décidé de ne pas conclure d’Entente globale de financement avec le Ministre pour l’exercice financier 2004‑2005;

 

B.                   Le Ministre a avisé le Conseil qu’en vertu des dispositions sur le manquement et les mesures de redressement contenues dans l’Entente globale de financement, il désignait l’Administrateur;

 

C.                   Le Ministre a désigné l’Administrateur pour administrer, en totalité ou en partie, les fonds qui seraient autrement versés au Conseil et pour honorer les obligations du Conseil conformément à l’Entente globale de financement;

 

D.                  L’Administrateur a convenu d’assurer une saine gestion financière et une prestation efficace et efficiente des programmes et services prévus à la présente Entente.

 

[8]               Shuniah (l’administratrice) a convenu de fournir des services pour le compte de la Première nation de Gull Bay (le conseil) :

[TRADUCTION]

2.0           PROGRAMMES ET SERVICES

 

2.1                 L’Administrateur accepte :

 

a)     d’assurer, au nom du Conseil, la prestation des programmes et des services prévus à la Partie D ‑ Budgets des programmes, autorisations et plan de dépenses mensuel de l’Entente globale de financement conformément aux conditions de l’Entente globale de financement, y compris, sans s’y limiter, les exigences de la prestation de programmes et de la production des rapports prévues à la Partie E – Prestation des programmes et exigences de reddition de comptes, ainsi que les délais de présentation des rapports, comme il est prescrit à la Partie C – Calendrier des échéances en matière de rapport, et à toutes les modalités de la présente Entente;

 

b)    d’administrer et de gérer sainement, conformément aux normes applicables à un gestionnaire professionnel et prudent, tous les fonds versés par le Ministre conformément à la présente Entente, y compris des procédures de mise en œuvre pour faciliter la gestion des programmes et appuyer les contrôles financiers, et de rendre compte au Ministre de l’utilisation des fonds avancés et des résultats obtenus en matière de prestation de programmes et services aux membres de la collectivité du Conseil.

 

[9]               Le ministre a convenu que les fonds autrement payables à la Première nation de Gull Bay seraient versés et détenus « en fiducie » :

[TRADUCTION]

4.0           FINANCEMENT

 

4.1                Paiements en espèces

 

4.1.1        Le Ministre versera des paiements à l’Administrateur conformément à la Politique de gestion de la trésorerie du gouvernement fédéral, selon les montants prescrits à la Partie D ‑ Budgets des programmes, autorisations et plan de dépenses mensuel de l’Entente globale de financement.

 

***

 

5.0                OBLIGATIONS DU MINISTRE

 

5.1           Le Ministre doit :

 

a)             fournir à l’Administrateur le financement nécessaire à la gestion des programmes et services dont il est question à la présente Entente; celui‑ci détiendra ces fonds en fiducie aux fins prévues par la présente Entente, sous réserve des conditions applicables;

 

b)            à la demande de l’Administrateur, fournir toute politique de gestion financière, information ou ligne directrice publique produite par le Ministre se rapportant au financement prévu dans la présente Entente.

 

 

[10]           Voici ce que l’entente prévoit au sujet de la communication de documents à la Première nation de Gull Bay (le conseil) :

[TRADUCTION]

6.4           Rapports financiers et non financiers

 

6.4.1        L’Administrateur fera tous les efforts nécessaires pour remettre au Ministre les états financiers consolidés du Conseil aux dates prévues dans l’Entente globale de financement et selon les exigences qui y sont précisées. Ces états financiers consolidés doivent démontrer la comptabilisation des fonds fournis à l’Administrateur conformément à la présente Entente. Si le Conseil a nommé son propre vérificateur à cette fin, l’Administrateur accordera au vérificateur du Conseil l’accès complet à ses dossiers financiers établis conformément à la présente Entente afin d’aider le vérificateur à établir les états financiers consolidés du Conseil. Dans tous les cas, l’Administrateur remettra au Conseil et au vérificateur du Conseil des exemplaires des états financiers vérifiés remis au Ministre conformément à l’article 6.4.2 au plus tard à la date à laquelle ces états financiers vérifiés sont remis au Ministre.

 

6.4.2.           L’Administrateur doit tenir des dossiers financiers en conformité avec les principes de comptabilité généralement reconnus et les exigences de la présente Entente. Il doit remettre au Ministre des états financiers vérifiés à l’égard du financement versé aux termes de la présente Entente, selon les exigences décrites dans l’appendice B, dans les cent vingt (120) jours suivant le 31 mars, et cette obligation demeure en vigueur après la résiliation ou l’expiration de la présente Entente. Si l’Administrateur ne peut pas présenter ces états financiers aux dates indiquées, ou si le Ministre, pour une raison quelconque et à sa discrétion absolue, n’est pas satisfait des états financiers présentés par l’Administrateur, le Ministre peut, aux frais de l’Administrateur, nommer un vérificateur indépendant pour revoir tous les dossiers de l’Administrateur concernant le financement versé aux termes de la présente Entente; l’Administrateur doit permettre à ce vérificateur d’accéder librement à ces dossiers.

 

6.4.3.           L’Administrateur doit remettre au Ministre et au Conseil au moins à chaque trimestre (ou plus souvent selon les exigences du Ministre) des états financiers non vérifiés des recettes et des dépenses pour chacun des programmes et services financés aux termes de la présente Entente, dans les vingt et un (21) jours suivant la fin du trimestre, et des rapports mensuels sur les écarts entre les budgets et les dépenses réelles.

 

6.4.4.           L’Administrateur doit remettre par écrit au Ministre et au Conseil au moins à chaque trimestre (ou plus souvent selon les exigences du Ministre) des rapports d’étape écrits sur toutes les questions découlant de la présente Entente, ce qui pourrait entraîner occasionnellement des rencontres avec le Ministre ou son représentant.

 

6.4.5.           L’Administrateur doit présenter au Ministre les rapports exigés dans le Guide national de présentation des rapports des Premières nations et les autres rapports susceptibles d’être exigés par un avis écrit, et il doit respecter les délais de présentation précisés dans l’Entente globale de financement.

 

6.5           Reddition de comptes

 

6.5.1.       L’Administrateur doit tenir relativement aux programmes et aux services qu’il assure aux termes de la présente Entente un système de reddition de comptes aux membres de la collectivité du Conseil qui respecte ou dépasse les exigences établies dans la Partie C – Cadre d’imputabilité de l’Entente globale de financement.

 

6.5.2        L’Administrateur doit faire tous les efforts raisonnables pour tenir le Conseil et les membres de la collectivité informés du progrès accompli aux termes de la présente Entente et doit, pendant la durée de celle‑ci, organiser au moins chaque trimestre, des rencontres avec le Conseil et les membres de la collectivité pour leur présenter des mises à jour sur toute décision ou mesure prise aux termes de la présente Entente.

 

 

[11]           L’entente prévoit donc que les fonds qui seraient autrement payables directement à la Première nation de Gull Bay seront versés à l’administrateur [traduction] « en fiducie » et dépensés [traduction] « au nom du Conseil », l’administrateur étant tenu de fournir au ministre et, dans certaines circonstances, au conseil, des renseignements sur l’administration de ces fonds.

 

[12]           Peu après le début de la période pendant laquelle Shuniah s’est vu confier l’administration de ces fonds, la Première nation de Gull Bay a commencé à s’interroger au sujet de ce qui lui paraissait être une mauvaise administration des fonds. Son avocat a envoyé à Shuniah une lettre datée du 13 décembre 2004 dans laquelle il déclarait notamment ce qui suit :

[TRADUCTION] Nous sommes les avocats qui représentent le conseil de la Première nation de Gull Bay (le conseil). Nous vous écrivons au sujet de l’entente mentionnée ci‑dessus datée du 1er avril 2005 (l’entente d’administration par tierce partie), et en particulier au sujet de l’article 6.4.1 de cette entente. Cette disposition autorise notre client à nommer son propre vérificateur pour qu’il prépare ses propres états financiers vérifiés, états financiers qui comprendront un relevé de l’utilisation de tous les fonds remis par le ministère à votre société aux termes de l’entente d’administration par tierce partie. La présente lettre a pour but de vous informer du fait que notre client a nommé Buset Sarvis LLP, comptables agréés, à cette fin. Vous pouvez communiquer avec les vérificateurs de notre client à l’adresse suivante : Tom Sarvis, Buset Sarvis LLP, 131, rue Archibald Nord, Thunder Bay (Ontario) P7C 3X7.

 

[13]           La Première nation de Gull Bay reçut très peu de renseignements en réponse à cette demande. Les choses se sont envenimées, le ministre est intervenu et des demandes de renseignements supplémentaires et plus précises ont été présentées. Le ministre et Shuniah ont adopté comme position que la Première nation de Gull Bay avait droit à ces renseignements uniquement aux fins exposées à l’article 6.4.1 de l’entente, à savoir [traduction] « afin d’aider le vérificateur [de la Première nation de Gull Bay] à établir les états financiers consolidés du Conseil ». De plus, ils ont décidé qu’ils ne présenteraient aucun autre renseignement avant la production du rapport annuel vérifié de Shuniah. Ce rapport a finalement été remis avec un retard de plusieurs mois et n’a été produit qu’au cours des dernières étapes de la présente instance. Le ministre et Shuniah ont offert de produire d’autres documents, mais à la condition que la Première nation de Gull Bay fasse certaines concessions au sujet des dépens de la présente instance.

 

[14]           La Première nation de Gull Bay soutient qu’elle a non seulement le droit d’obtenir la production de documents et de renseignements de manière raisonnable et opportune selon les modalités prévues par l’entente, mais qu’étant donné qu’elle est la bénéficiaire de l’entente, elle a également celui d’obtenir sur demande raisonnable en ce sens, tout comme le bénéficiaire d’une fiducie dans une situation où s’applique les règles ordinaires de la common law, que le fiduciaire, en l’espèce le séquestre‑administrateur, lui communique de manière raisonnable tous les renseignements et documents se rapportant à l’administration des fonds. La Première nation de Gull Bay fonde sa position sur deux motifs :

 

1.                  selon le principe élargi du lien contractuel, elle peut exiger l’exécution de l’entente comme si elle y était partie;

2.                  le ministre se trouve dans une relation de fiduciaire avec la Première nation de Gull Bay, de sorte que celle‑ci a les mêmes droits qu’un bénéficiaire de fiducie dans des circonstances régies par les règles ordinaires de la common law.

 

[15]           Ces deux questions seront examinées.

 

1)  Le principe du lien contractuel

[16]           La Cour suprême du Canada a déclaré dans deux affaires récentes, London Drugs et Fraser River, que le principe strict du lien contractuel ne s’applique pas dans tous les cas et que, lorsqu’il est manifestement prévu qu’un tiers est le bénéficiaire d’un contrat, le tiers en question peut avoir le droit de faire exécuter les clauses du contrat stipulées à son profit.

 

[17]           Dans London Drugs Limited c. Kuehne & Nagel International, [1992] 3 R.C.S. 299, le juge Iacobucci, parlant au nom de la Cour, procède à un examen détaillé du principe du lien contractuel en droit canadien. Il a déclaré aux pages 416 et 417 :

Voici les arrêts qui sont le plus souvent cités, devant les tribunaux canadiens, à l’appui du principe du lien contractuel : Tweddle c. Atkinson (1861), 1 B. & S. 393, 121 E.R. 762, Dunlop Pneumatic Tyre Co. c. Selfridge & Co., [1915] A.C. 847 (H.L.), Scruttons Ltd. c. Midland Silicones Ltd., précité, Canadian General Electric, précité, et Greenwood Shopping Plaza, précité. Ces arrêts ainsi que d’autres décisions confirment que le principe du lien contractuel est un principe établi du droit des contrats. Ce principe n’est cependant pas ancien. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans Greenwood Shopping Plaza, à la p. 237, ce principe « n’a pas toujours été appliqué [. . .] avec la rigueur que l’on connaît aujourd’hui ». En fait, plusieurs ont souligné des décisions antérieures, dans la common law anglaise, où on a permis à des tiers bénéficiaires de faire exécuter des contrats conclus à leur profit : voir par exemple, l’historique que fait le juge Windeyer dans Coulls c. Bagot’s Executor and Trustee Co., [1967] Aust. Argus L.R. 385 (H.C.), aux pp. 407 à 409, R. Flannigan, « Privity ‑‑ The End of an Era (Error) » (1987), 103 L.Q. Rev. 564, aux pp. 565 à 568, et Carver’s Carriage by Sea (13e éd. 1982), aux pp. 241 à 247. On admet généralement que le droit applicable en la matière n’a pas été « établi » avant le milieu du XIXe siècle. On accepte également qu’il existe certaines exceptions, comme la fiducie et le mandat, au principe du lien contractuel : voir Greenwood Shopping Plaza, précité, aux pp. 238 à 241, et ITO‑‑International Terminal Operators, précité, aux pp. 784 à 794.

 

Et il a déclaré aux pages 438 et 439 :

Comme nous l’avons vu antérieurement, le principe du lien contractuel a fait l’objet d’attaques virulentes parce qu’il ne reconnaît pas à un tiers bénéficiaire le droit de faire exécuter des dispositions contractuelles stipulées à son profit. Des réformateurs du droit, des commentateurs et des juges ont souligné les écarts qui existent parfois entre la théorie des contrats, d’une part, et la réalité commerciale et la justice, d’autre part. Nous avons également vu que bien des ressorts dans le monde, dont le Québec et les États‑Unis, ont tôt fait (aussitôt que le principe est devenu « établi » en common law anglaise) de reconnaître les droits des tiers bénéficiaires dans certaines circonstances. Comme l’a fait remarquer l’appelante, la common law reconnaît certaines exceptions à l’application du principe, telles celles du mandat ou de la fiducie, qui permettent aux tribunaux, dans les circonstances appropriées, d’atteindre des résultats conformes aux intentions véritables des parties contractantes et à la réalité commerciale. Toutefois, comme plusieurs l’ont fait remarquer, la possibilité de recourir à ces exceptions ne satisfait pas toujours à leurs besoins. En conséquence, notre Cour ne devrait pas être empêchée de faire évoluer la common law de manière à reconnaître une autre exception au principe du lien contractuel, pour le simple motif que certaines exceptions existent déjà.

 

 

[18]           Ce principe a été examiné à nouveau, encore une fois par le juge Iacobucci parlant au nom de la Cour, dans l’arrêt Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can‑Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108. Aux paragraphes 28, 31 et 32, il explique que les observations formulées dans l’arrêt London Drugs ne valent pas uniquement pour les cas où il est question d’une relation employeur‑employé. La Cour entendait que l’exception découle de l’intention des parties. Il a déclaré :

Pour établir une distinction entre de simples étrangers à un contrat et des tiers bénéficiaires, la Cour a d’abord fixé la condition préliminaire selon laquelle les parties au contrat doivent avoir voulu que la disposition pertinente confère un avantage au tiers. En d’autres termes, un employeur et son client peuvent convenir d’étendre expressément ou implicitement aux employés l’application d’une clause de limitation de responsabilité. Dans l’affaire London Drugs, le client savait parfaitement que les services d’entreposage prévus au contrat seraient fournis non seulement par l’employeur, mais aussi par les employés. En l’absence d’indications contraires manifestes, la Cour a conclu que l’intention nécessaire d’inclure la protection des employés ressortait implicitement du texte de l’entente. Les employés pouvaient donc, en tant que tiers bénéficiaires, chercher à invoquer la clause de limitation de responsabilité en vue d’échapper à toute responsabilité pour la perte du bien du client.

 

***

 

Tout d’abord, je souligne que, dans l’arrêt London Drugs, précité, la Cour n’avait pas l’intention de limiter l’application de la méthode fondée sur des principes aux cas où il n’est question que d’une relation employeur‑employé. Le fait que l’analyse a porté sur la nature de cette relation traduit simplement le principe jurisprudentiel prudent qui veut qu’une affaire soit décidée strictement en fonction de son contexte factuel immédiat.

 

Pour ce qui est d’élargir la méthode fondée sur des principes de manière à créer une nouvelle exception à la règle du lien contractuel qui s’applique aux circonstances du pourvoi, il faut tenir compte de l’accent mis, dans London Drugs, sur le fait qu’une nouvelle exception doit d’abord et avant tout être subordonnée à l’intention des parties contractantes. Par conséquent, si on extrapole à partir des exigences particulières énoncées dans l’arrêt London Drugs, la décision générale repose sur deux facteurs cruciaux et cumulatifs : a) les parties au contrat avaient‑elles l’intention d’accorder le bénéfice en question au tiers qui cherche à invoquer la disposition contractuelle? et b) les activités exercées par le tiers qui cherche à invoquer la disposition contractuelle sont‑elles les activités mêmes qu’est censé viser le contrat en général, ou la disposition en particulier, là encore compte tenu des intentions des parties?

 

[19]           En l’espèce, il existe une entente d’administration par tierce partie. Le séquestre‑administrateur a été placé entre le ministre et la Première nation de Gull Bay pour améliorer l’efficacité de l’administration des fonds qui auraient autrement été versés directement à la Première nation de Gull Bay pour la prestation de services essentiels. Il est évident que le ministre et l’administrateur avaient l’intention de faire de la Première nation de Gull Bay la bénéficiaire de l’entente. Certaines clauses de l’entente prévoient clairement que certains renseignements doivent être communiqués à la Première nation de Gull Bay à certaines fins et dans certains cas. Les preuves indiquent que le ministre et l’administrateur ont pratiquement reconnu que la Première nation de Gull Bay pouvait exiger, exactement comme si elle était partie à l’entente, que l’administrateur lui fournisse des renseignements conformément aux dispositions de l’entente.

 

[20]           J’estime que la Première nation de Gull Bay a le droit d’exiger l’exécution des clauses de l’entente qui ont été adoptées pour son bénéfice et que ce que l’on a appelé le principe strict du lien contractuel n’interdit pas l’exécution de ces clauses.

 

2)  L’obligation de fiduciaire

[21]           La Cour suprême du Canada a examiné récemment l’obligation qu’a la Couronne envers les premières nations comme celle de Gull Bay dans des arrêts comprenant notamment Guerin, Sparrow, Wewaykum, Gladstone et Nation haïda. On peut dire que le statut actuel des considérations liées aux « rapports fiduciaires » est encore en cours d’élaboration. Dans certaines circonstances, la Couronne assume une obligation fiduciaire envers un groupe ou un membre d’une première nation, mais le seul fait que la Couronne ait une certaine forme de relation avec un membre ou un groupe d’une première nation ne donne pas nécessairement naissance à une obligation fiduciaire.

 

[22]           Le juge Dickson a d’abord déclaré dans l’arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, ce qui suit aux pages 383 et 384 :

[L]e Parlement a conféré à Sa Majesté le pouvoir discrétionnaire de décider elle‑même ce qui est vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Tel est l’effet du par. 18(1) de la Loi.

 

Ce pouvoir discrétionnaire, loin de supplanter comme le prétend Sa Majesté, le droit de regard qu’ont les tribunaux sur les rapports entre Sa Majesté et les Indiens, a pour effet de transformer l’obligation qui lui incombe en une obligation de fiduciaire. Le professeur Ernest Weinrib soutient dans son article intitulé The Fiduciary Obligation (1975), 25 U.T.L.J. 1, à la p. 7, que [TRADUCTION] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». À la page 4, il exprime ce point de vue de la manière suivante :

 

[TRADUCTION] [Lorsqu’il y a une obligation de fiduciaire] il existe un rapport dans lequel la manière dont le fiduciaire se sert du pouvoir discrétionnaire qui lui a été délégué peut avoir des répercussions sur les droits du commettant qui sont donc subordonnés à l’utilisation qui est faite dudit pouvoir. L’obligation de fiduciaire est le moyen brutal employé en droit pour contrôler ce pouvoir discrétionnaire.

 

Je ne me prononce pas sur la question de savoir si cette description est de portée assez large pour comprendre toutes les obligations de fiduciaire. J’estime toutefois que, lorsqu’une loi, un contrat ou peut‑être un engagement unilatéral impose à une partie l’obligation d’agir au profit d’une autre partie et que cette obligation est assortie d’un pouvoir discrétionnaire, la personne investie de ce pouvoir devient un fiduciaire. L’equity vient alors exercer un contrôle sur ce rapport en imposant à la personne en question l’obligation de satisfaire aux normes strictes de conduite auxquelles le fiduciaire est tenu de se conformer.

 

On dit parfois que la nature des rapports fiduciaires est établie et définie complètement par les catégories habituelles de mandataire, de fiduciaire, d’associé, d’administrateur, etc. Je ne partage pas cet avis. L’obligation de fiduciaire découle de la nature du rapport et non pas de la catégorie spécifique dont relève l’acteur. Comme en matière de négligence, il faut se garder de conclure que les catégories de fiduciaires sont exhaustives.

 

 

[23]           Dans l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la page 1108, le juge en chef (Dickson), parlant au nom de la Cour, a fait le commentaire suivant au sujet de l’arrêt Guerin :

Dans l’affaire Guerin, précitée, la bande indienne Musqueam avait cédé des terres réservées à Sa Majesté pour que celle‑ci les loue à un club de golf. Les conditions du bail consenti par Sa Majesté étaient beaucoup moins favorables que celles approuvées par la bande à l’assemblée de la cession. Notre Cour a statué que Sa Majesté a envers les Indiens une obligation de fiduciaire en ce qui concerne leurs terres. La nature sui generis du titre indien de même que les pouvoirs et la responsabilité historiques de Sa Majesté constituent la source de cette obligation de fiduciaire. À notre avis, l’arrêt Guerin, conjugué avec l’arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d’interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.

 

[24]           Dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, la Cour suprême a toutefois signalé que dans de nombreuses circonstances, l’obligation de fiduciaire comportait des limites. Le juge Binnie, parlant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 81 à 83 :

L’« obligation de fiduciaire » est toutefois assortie de limites. Les appelantes semblent parfois invoquer cette obligation comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes. C’est aller trop loin. L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens. En l’espèce, ce sont des terres qui sont en jeu, et les terres jouent généralement un rôle central dans les économies et cultures autochtones. Des terres étaient également en jeu dans les affaires Ross River (« les terres occupées par la Bande ») et Bande indienne de la rivière Blueberry et Guerin (aliénation de réserves existantes). Jusqu’à présent, notre Cour n’a pas élargi la protection de l’obligation de fiduciaire applicable aux actes accomplis par la Couronne à l’égard de droits fonciers autochtones (notamment la création de réserves) à d’autres intérêts des Indiens, à l’exception de terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Depuis l’arrêt Guerin, les tribunaux canadiens sont inondés de demandes de tous ordres présentées par des bandes indiennes et fondées sur l’« obligation de fiduciaire », par exemple :

 

***

Je ne ferai aucun commentaire sur le bien‑fondé, eu égard aux faits qui leur sont propres, des décisions rendues dans les affaires susmentionnées, dont aucune ne fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant nous, mais il convient selon moi que la Cour confirme le principe, mentionné plus tôt, selon lequel les obligations liant des parties ayant des rapports fiduciaires n’ont pas toutes un caractère fiduciaire (Lac Minerals, précité, p. 597), et que ce principe s’applique aux rapports entre la Couronne et les peuples autochtones. Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire.

 

 

[25]           Dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique, [2004] 3 R.C.S. 511, la juge en chef (McLachlin) a présenté un résumé des conclusions formulées dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 18 :

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances. Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, par. 79. Le contenu de l’obligation de fiduciaire peut varier en fonction des autres obligations, plus larges, de la Couronne. Cependant, pour s’acquitter de son obligation de fiduciaire, la Couronne doit agir dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des intérêts autochtones en jeu. Comme il est expliqué dans Wewaykum, par. 81, l’expression « obligation de fiduciaire » ne dénote pas un rapport fiduciaire universel englobant tous les aspects des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones :

 

... [considérer l’] « obligation de fiduciaire » [. . .] comme si elle imposait à la Couronne une responsabilité totale à l’égard de tous les aspects des rapports entre la Couronne et les bandes indiennes[, c’est] aller trop loin. L’obligation de fiduciaire incombant à la Couronne n’a pas un caractère général, mais existe plutôt à l’égard de droits particuliers des Indiens.

 

En l’espèce, des droits et un titre ancestraux ont été revendiqués, mais n’ont pas été définis ou prouvés. L’intérêt autochtone en question n’est pas suffisamment précis pour que l’honneur de la Couronne oblige celle‑ci à agir, comme fiduciaire, dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de l’objet du droit ou du titre.

 

[26]           Le juge Major, parlant au nom de la Cour dans l’arrêt Gladstone c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 325, a brièvement abordé la notion d’obligation de fiduciaire au paragraphe 23 :

On a également prétendu que la Couronne avait une obligation fiduciaire envers les intimés. Cet argument ne saurait être retenu. Premièrement, il y a lieu de noter que le statut d’autochtone des intimés n’est pas évoqué dans la question formulée par les parties. Deuxièmement, même s’il y était évoqué, cela ne changerait rien à l’issue du présent pourvoi. Bien que la Couronne ait, dans bien des cas, une obligation fiduciaire envers la population autochtone, c’est la nature des rapports, et non la catégorie d’acteurs en question, qui donne naissance à une obligation fiduciaire. Les situations mettant en cause des autochtones et la Couronne ne donnent pas toutes naissance à une obligation fiduciaire. Voir l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, par. 18, la juge en chef McLachlin. Les dispositions de la Loi sur les pêches portant sur la restitution des objets saisis sont des dispositions d’application générale. Je conviens avec le juge de première instance et la Cour d’appel qu’à elle seule l’ascendance autochtone n’est pas suffisante pour donner naissance à cette obligation dans le cas qui nous occupe.

 

[27]           Pour appliquer ces principes aux circonstances de la présente espèce, il faut tenir compte de l’arrêt qu’a prononcé la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Choken c. Bande indienne de Lake St. Martin, 2004 CAF 248. Dans cette affaire, la Cour d’appel examinait une situation d’administration par tierce partie semblable à celle de la présente espèce, mais devait trancher la question de savoir si les fonds versés par la Couronne à l’administrateur pour qu’il administre les programmes de la bande pouvaient être saisis‑arrêtés par un tiers. Le juge Décary, au nom de la cour, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 27 à 29 :

Le terme « fiducie » que l’on trouve à l’alinéa 5.1a) et au paragraphe 6.2.1 de l’EATP doit être placé en contexte. L’EATP parle d’un « compte en fiducie », à savoir un compte établi par la première personne (l’administrateur) pour y détenir des fonds à l’usage de la deuxième personne (la bande). Le compte en fiducie a pour but d’éviter la confusion entre les fonds propres de l’administrateur et ceux versés par le ministre (voir l’alinéa 6.1.1e) de l’EATP). L’utilisation d’une fiducie n’est pas déterminative à l’égard du rapport entre la première personne et la seconde (voir Air Canada c. M & L Travel Ltd., [1993] 3 R.C.S. 787), mais elle tend à indiquer que le titulaire du compte ne réclame aucun intérêt personnel dans les fonds détenus. Ceci est cohérent avec le fait que les fonds conserveraient leur caractère de fonds publics, au moins jusqu’à ce qu’ils aient été utilisés par l’administrateur aux fins expressément prévues dans l’EATP (voir l’alinéa 6.1.1a)).

 

Dans ces circonstances, les fonds avancés par le ministre à l’administrateur et détenus par ce dernier dans son compte conservent leur statut de fonds publics. Ils ne peuvent donc faire l’objet d’une saisie‑arrêt.

 

La bande a‑t‑elle légalement droit au paiement sans condition?

 

Même si l’on concluait que les fonds en cause ne sont plus des fonds publics, on ne pourrait conclure qu’ils constituent une créance échue due à la bande, au sens de la règle 449. La documentation démontre clairement que la bande n’a aucun droit inconditionnel aux fonds en cause. La bande n’a pas de contrat avec l’administrateur et elle n’a donc aucun droit contractuel d’exiger qu’il lui verse les fonds. C’est avec le ministre que la bande a un contrat. Le fait que les fonds doivent être dépensés au bénéfice des membres de la bande ne les transforme pas en créance.

 

[28]           La question en litige ici est différente; il ne s’agit pas de savoir qui a droit à ces fonds à un moment donné, mais qui a le droit d’obtenir la communication de documents concernant l’administration de ces fonds. L’administration de ces fonds a été retirée à la Première nation de Gull Bay et confiée à une tierce partie par la Couronne. À ce sujet, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a très bien formulé ses obligations sur son propre site Web :

Un précédent suffit à nous convaincre qu’une telle obligation existe. Il s’agit de l’arrêt Guerin. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada avait condamné la Couronne à réparer le préjudice causé à une bande indienne pour avoir commis une faute de gestion dans la location, à un club de golf, de certaines terres de la bande. La Cour a jugé que la nature du titre ancestral à la terre et le fait que la terre ne pouvait être cédée qu’à la Couronne, doublé des dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à la cession, produisaient une relation fiduciaire particulière entre la Couronne et les Indiens pour ce qui est des terres indiennes cédées. Cette relation fiduciaire impose à la Couronne des responsabilités de gérance qui l’obligent à agir avec la plus entière bonne foi et le plus grand soin, dans l’intérêt des Indiens qui sont visés par ses actes.

 

Le principe établi dans l’arrêt Guerin s’appliquait en l’occurrence à des terres indiennes cédées, mais il semble avoir une portée plus large. Certains des actes dont la Couronne fut jugée responsable dans cette affaire s’étaient produits avant que la terre en question ne fût cédée par la bande. Quoi qu’il en soit, la Cour suprême du Canada énonça plus tard le principe en des termes beaucoup plus larges dans l’arrêt Sparrow, qui portait sur des restrictions législatives imposées au droit ancestral de pêche :

 

À notre avis, l’arrêt Guerin, conjugué avec l’arrêt R. v. Taylor and Williams (1981), 34 O.R. (2d) 360, justifie un principe directeur général d’interprétation du par. 35(1), savoir, le gouvernement a la responsabilité d’agir en qualité de fiduciaire à l’égard des peuples autochtones. Les rapports entre le gouvernement et les autochtones sont de nature fiduciaire plutôt que contradictoire et la reconnaissance et la confirmation contemporaines des droits ancestraux doivent être définies en fonction de ces rapports historiques.

 

[29]           Dans ces circonstances, j’estime que la Couronne (ministre – AINC) assume une obligation de fiduciaire envers la Première nation de Gull Bay de sorte que celle‑ci est tenue de veiller à ce que l’administrateur communique intégralement et adéquatement les renseignements et documents demandés, en allant au‑delà de ce qu’exigent les termes de l’entente, de façon à permettre à ce que les questions relatives à l’administration de ces fonds ou au caractère insuffisant des renseignements et documents communiqués soient examinées rapidement, ouvertement et complètement, sans retard ni complication.

 

La conclusion

[30]           La plupart des renseignements et documents dont la Première nation de Gull Bay a demandé la communication lui ont été transmis, à l’exception de certains éléments en raison de conditions que la Couronne et l’administrateur voulaient imposer relativement aux dépens. Les parties doivent communiquer intégralement et rapidement tous les renseignements et documents demandés, sans imposer de conditions au sujet des dépens.

 

[31]           De plus, la Première nation de Gull Bay a le droit d’obtenir un jugement déclarant (1) qu’elle a le droit d’exiger la communication des documents et renseignements nécessaires conformément aux termes de l’entente comme si elle y était partie et (2) qu’elle a le droit d’obtenir communication de tous les documents et renseignements dont elle peut raisonnablement avoir besoin pour répondre aux questions légitimes qu’elle se pose au sujet de l’administration des fonds par l’administrateur.

 

[32]           La Première nation de Gull Bay a droit à ses dépens de la part de la Couronne qui seront taxés selon la valeur médiane des unités prévues à la colonne III. Shuniah s’est trouvée prise dans cette affaire sans l’avoir vraiment voulu, mais elle a néanmoins traité les demandes de communication de documents de façon assez méprisante et n’y a donné suite que très lentement. Shuniah ne sera pas condamnée aux dépens et n’en obtiendra pas non plus.

 

[33]           Au début de l’audience, la Couronne a présenté une requête en rejet de la demande pour le motif qu’elle était devenue théorique, étant donné que les renseignements demandés avaient, pour la plupart, été déjà communiqués. Comme cela est expliqué dans les présents motifs, la communication des documents n’a pas été effectuée complètement et, de toute façon, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire dont l’application ne se limitera pas à une seule instance. La requête est rejetée avec dépens aux demandeurs, aucuns dépens n’étant adjugés à Shuniah ou contre elle.


JUGEMENT

 

            VU la demande présentée à la Cour le mercredi 17 mai 2005 en vue d’obtenir un jugement déclaratoire relatif à la communication de certains renseignements par le séquestre‑administrateur au sujet de l’administration de fonds et un jugement déclaratoire concernant l’obligation de la Couronne de demander cette communication et le droit des demandeurs de demander également cette communication;

 

APRÈS avoir examiné les dossiers déposés dans la présente instance et entendu les avocats des parties;

 

APRÈS avoir entendu la requête présentée par la Couronne en vue d’obtenir le rejet de la demande parce que celle‑ci est devenue théorique;

 

POUR les motifs prononcés ici;

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La requête en rejet de la demande présentée par la Couronne est rejetée avec dépens aux demandeurs en la présente instance, qui seront taxés selon la colonne III, aucuns dépens n’étant adjugés en faveur de Shuniah ou contre elle;

 

2.                  Il est déclaré que la demanderesse, la Première nation de Gull Bay, a le droit de faire exécuter, comme si elle était partie à l’entente d’administration par tierce partie, les clauses en matière de communication de renseignements prévus par cette entente;

 

3.                  Il est déclaré que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien assume une obligation de fiduciaire envers la Première nation de Gull Bay et est tenu de demander que le séquestre‑administrateur communique rapidement à la Première nation de Gull Bay les renseignements concernant son administration des fonds conformément à ladite entente, de manière à répondre aux préoccupations légitimes de la Première nation de Gull Bay, même si cette communication va au‑delà des termes de l’entente d’administration par tierce partie;

 

4.                  La Première nation de Gull Bay a le droit d’obtenir de la part de la Couronne les dépens qui seront taxés selon la colonne III. Aucuns dépens ne seront adjugés à Shuniah ou contre elle.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T‑290‑05

 

 

INTITULÉ :                                             WILFRED N. KING ET AL.

                                                                  c.

                                                                  SHUNIAH FINANCIAL SERVICES LIMITED ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 17 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 23 MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Etienne G.D. Esquega

 

    POUR LES DEMANDEURS

Michael Harris

 

    POUR LA DÉFENDERESSE (SHUNIAH     FINANCIAL SERVICES LIMITED)

 

Michael Roach

    POUR LA DÉFENDERESSE (SA MAJESTÉ     LA REINE DU CHEF DU CANADA)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Erickson & Partners

Thunder Bay (Ontario)

 

    POUR LES DEMANDEURS

Cheadles LLP

Thunder Bay (Ontario)

 

    POUR LA DÉFENDERESSE (SHUNIAH     FINANCIAL SERVICES LIMITED)

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

    POUR LA DÉFENDERESSE (SA MAJESTÉ     LA REINE DU CHEF DU CANADA)

 

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