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Date : 20191101


Dossier : T-222-19

Référence : 2019 CF 1374

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

DARRYL MORRIS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le comité d’appel des décisions relatives à l’admissibilité [le comité d’appel] du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [TACRA] a confirmé, le 26 septembre 2018, la décision du comité de révision des décisions relatives à l’admissibilité [le comité de révision] du TACRA, datée du 12 janvier 2017, et refusé au demandeur le droit à une pension pour un infarctus du myocarde lié à son service dans la Force régulière, suivant le paragraphe 21(2) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6, et à son service dans une zone de service spécial, suivant le paragraphe 21(1) de la Loi sur les pensions.

Le contexte

[2]  Le demandeur, M. Darryl Morris, est né le 30 décembre 1968. Il a servi dans la Force régulière des Forces canadiennes de mars 1988 à décembre 2004 et, de novembre 2001 à avril 2002, il a été déployé dans une zone de service spécial (en Afghanistan et dans la région environnante). M. Morris a subi deux infarctus du myocarde (ou crises cardiaques), l’une en juin et l’autre en juillet 2002, alors qu’il était en congé et faisait du camping avec ses enfants. Il était âgé à l’époque de 33 ans.

[3]  Le 19 janvier 2004, le demandeur a présenté une demande de pension d’invalidité. Dans une décision portant la date du 16 juin 2004, le ministère des Anciens Combattants [le Ministère] a refusé sa demande, ayant conclu que même si le demandeur avait reçu un diagnostic d’infarctus du myocarde pendant son service, rien ne prouvait que son affection était apparue ou avait été aggravée par suite de blessures ou de facteurs liés à son service, notamment le stress. Le Ministère a donc conclu que l’affection faisant l’objet de la demande n’était pas survenue au cours du service du demandeur dans une zone de service spécial en Afghanistan et n’était pas attribuable à celui-ci, pas plus qu’elle n’était directement rattachée à son service dans la Force régulière.

[4]  Le demandeur a fait appel de la décision du Ministère. En plus de témoigner à l’audience devant le comité de révision, le demandeur a produit des documents à l’appui de sa demande, dont une déclaration faite par lui le 21 septembre 2016, d’après le timbre qui y est apposé, et une lettre de la Dre Joyce Coles, datée du 15 septembre 2016. Dans sa lettre, la Dre Coles conclut conclu que le stress, le travail par quarts, la « culture » du tabagisme, la dyslipidémie liée aux choix alimentaires offerts, l’obésité abdominale et le mode de vie sédentaire forment un ensemble de facteurs qui sont liés au service militaire du demandeur et qui ont contribué à son affection et l’ont aggravée, dans une proportion de trois cinquièmes. Après examen de la preuve, dont les dossiers médicaux du demandeur liés à son service militaire et les dossiers connexes, le comité de révision a reconnu que le demandeur avait reçu un diagnostic valide d’infarctus du myocarde et que l’affection constituait une invalidité. En revanche, il a estimé que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que son affection était consécutive ou rattachée directement à son service militaire.

[5]  Le comité de révision a en effet jugé non crédible l’opinion médicale de la Dre Coles pour ce qui est du lien de causalité entre le service du demandeur et son affection. En outre, il a estimé que les dossiers conservés par les services de santé à propos du demandeur ne faisaient pas état d’épisodes de stress intense liés au travail, de plaintes à propos du stress lié au service ou d’antécédents de stress lié au service. Le comité de révision n’était pas convaincu que la preuve établissait que le demandeur subissait, du fait de son service, un stress important qui aurait mené à l’apparition de l’affection faisant l’objet de la demande. Selon lui, la preuve montrait que le demandeur fumait depuis de nombreuses années, qu’il avait des antécédents familiaux de cardiopathie précoce et qu’il vivait un divorce difficile – un facteur de stress important de nature personnelle – à l’époque où se sont produites ses crises cardiaques. Le comité de révision a aussi conclu que la preuve ne permettait pas de démontrer que l’alimentation du demandeur ou l’absence d’installations de conditionnement physique à bord des navires de la Marine avaient causé l’affection faisant l’objet de la demande ou contribué à son apparition, surtout si on compare ces éléments aux autres facteurs de risque que présentait le demandeur. En conséquence, le comité de révision a confirmé la décision du Ministère et refusé au demandeur le droit à une pension. Le demandeur a interjeté appel de la décision du comité de révision devant le comité d’appel. C’est la décision rendue par le comité d’appel qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Le comité d’appel a d’abord signalé que, suivant le paragraphe 28(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [Loi sur le TACRA], le demandeur avait choisi la tenue d’une audience sur pièces.

[7]  Le comité d’appel a d’abord fait état de la déclaration écrite du demandeur accompagnant sa demande de pension d’invalidité datée du 19 janvier 2004 et de sa déclaration écrite du 21 septembre 2016, puis il a repris le résumé du témoignage donné par le demandeur devant le comité de révision. Il a ensuite résumé les renseignements figurant dans les dossiers médicaux du demandeur et pris note du nouvel élément de preuve déposé à l’appui de l’appel, à savoir un rapport médical du Dr Nicholas Giacomantonio, cardiologue et spécialiste de la prévention des maladies cardiovasculaires et de la réadaptation au QEII Health Sciences Centre d’Halifax, daté du 17 mai 2017.

[8]  Après avoir précisé qu’il s’agissait d’une audience de novo, le comité d’appel a reconnu être tenu, conformément à l’article 39 de la Loi sur le TACRA, de tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur, d’accepter tout élément de preuve non contredit qui lui semble vraisemblable et de trancher en faveur du demandeur toute incertitude. Toutefois, citant à l’appui une certaine jurisprudence, le comité d’appel a rappelé qu’il incombait toujours au demandeur de faire la preuve des faits nécessaires qui sous-tendent sa demande et que le comité d’appel n’était pas tenu d’accepter les éléments de preuve du demandeur qu’il ne jugeait pas crédibles, même s’ils n’étaient pas contredits (Macdonald c Canada (Procureur général), 164 FTR 42, 1999 CanLII 7645, aux par. 22 et 29 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126, aux par. 5 et 6 [Wannamaker]; Rioux c Canada (Procureur général), 2008 CF 991, au par. 32).

[9]  Le comité d’appel a précisé que, pour déterminer si les rapports médicaux étaient crédibles, il tiendrait compte de ce qui suit :

  • Le médecin a une connaissance spécialisée de l’affection faisant l’objet de la demande.
  • Le médecin présente au comité d’appel des éléments de preuve impartiaux.
  • Le médecin présente tous les aspects liés à l’affection, y compris les renseignements qui sont favorables et défavorables pour la demande de l’appelant.
  • Le médecin indique tout élément qui est en dehors de son domaine de spécialité.
  • Le médecin présente un historique détaillé du traitement de l’affection.
  • Le médecin a examiné et commenté les rapports médicaux contemporains.
  • Le médecin explique en détail comment il est arrivé à sa conclusion.
  • Le médecin indique toute ressource utilisée dans la préparation du rapport médical.

[10]  Le comité d’appel a ensuite procédé à l’analyse des lettres constituant les opinions médicales de la Dre Coles et du Dr Giacomantonio.

[11]  S’agissant de la Dre Coles, le comité d’appel a conclu que le lien que celle-ci avait établi dans sa lettre entre l’infarctus du myocarde du demandeur et son service militaire n’était pas crédible, qu’elle était le médecin de famille du demandeur et qu’elle n’avait pas de connaissances spécialisées en cardiologie. Il a ajouté que son rapport reposait sur des renseignements que lui avait transmis le demandeur, notamment en ce qui concerne la qualité des aliments servis à bord des navires de la Marine et les choix alimentaires proposés au demandeur, plutôt que sur des renseignements indépendants. Par ailleurs, la Dre Coles n’a pas renvoyé aux renseignements médicaux contemporains, car son rapport faisait abstraction d’un important facteur de stress sans lien avec la carrière militaire du demandeur, à savoir son divorce acrimonieux. Elle n’a pas non plus expliqué en détail comment elle était arrivée à la conclusion selon laquelle le service militaire du demandeur avait contribué dans une proportion de trois cinquièmes à son affection cardiaque.

[12]  S’agissant du Dr Giacomantonio, le comité d’appel a conclu que le lien que celui-ci avait établi dans sa lettre entre l’affection du demandeur et son service militaire n’était pas non plus crédible. Le comité d’appel a reconnu que le Dr Giacomantonio était cardiologue, mais il a déclaré que son rapport était bref et qu’il était impossible d’affirmer avec certitude que le Dr Giacomantonio était au courant de l’ensemble des circonstances de l’affaire, car il n’a pas parlé du divorce acrimonieux que le demandeur vivait à l’époque de sa crise cardiaque. Le comité d’appel a estimé que le rapport du Dr Giacomantonio n’était pas clair, car il a reconnu que l’alimentation, le stress [TRADUCTION« qui est, du moins en partie, allégé par l’usage du tabac… » et d’autres facteurs avaient tous contribué à l’insuffisance coronaire du demandeur. Le Dr Giacomantonio n’a pas examiné ni commenté les données médicales contemporaines, pas plus qu’il n’a fourni une analyse détaillée de sa conclusion selon laquelle le service militaire du demandeur avait contribué à son affection, sans en être la cause. En outre, il n’a pas expliqué son allusion au [TRADUCTION« service militaire exigeant », qui avait selon lui contribué à l’affection faisant l’objet de la demande.

[13]  Le comité d’appel a déclaré que pour pouvoir accorder un droit à pension, il doit d’abord être convaincu que les conditions suivantes sont remplies pour chaque affection en cause :

  1. Le demandeur doit avoir reçu un diagnostic établissant qu’il souffre actuellement de l’affection faisant l’objet de la demande;

  2. L’affection faisant l’objet de la demande doit constituer une invalidité;

  3. Le service doit avoir causé l’affection faisant l’objet de la demande, y avoir contribué ou l’avoir aggravée.

[14]  En ce qui concerne l’existence d’un diagnostic établissant que le demandeur souffre actuellement de l’affection faisant l’objet de la demande, le comité d’appel a déclaré qu’il ne remettait pas en question le fait que le demandeur avait subi un infarctus du myocarde et que cet infarctus avait été documenté, mais il a fait observer qu’il n’y avait aucune preuve d’un diagnostic établissant que le demandeur souffre actuellement d’une affection. Le comité d’appel a conclu que le demandeur avait fourni des renseignements sur les effets que son affection avait eus sur lui en 2004 sans fournir de preuve que cette affection entraînait actuellement une incapacité.

[15]  Quant à savoir si le service du demandeur avait causé l’affection faisant l’objet de sa demande, y avait contribué ou l’avait aggravée, le comité d’appel a souligné que la crise cardiaque du demandeur était survenue alors qu’il était en camping avec ses enfants, pour ensuite conclure que l’apparition de l’affection n’était pas liée à son travail. En outre, il a noté que les divers dossiers médicaux du demandeur ne révélaient pas de problèmes de stress liés à son service, ni de problèmes cardiaques, mais qu’on y recensait certains facteurs contributifs, comme le tabagisme, une tension artérielle élevée et des antécédents familiaux de maladie du cœur. De plus, le dossier ne comportait pas de preuve indépendante de l’absence d’équipement de conditionnement physique ou du fait que la nourriture servie à bord des navires de la Marine pendant la période où le demandeur avait effectué son service en mer était malsaine. Le comité d’appel a admis que le service militaire pouvait par moments être très stressant, mais il a affirmé que le demandeur avait attribué à l’expérience qu’il avait vécue durant l’opération Apollo une note de [TRADUCTION« 7 ou 8 sur 10 » et qu’il avait [TRADUCTION« [b]ien aimé ».

[16]  Le comité d’appel a répété que le demandeur n’avait pas produit d’opinion médicale crédible reliant ses problèmes cardiaques à son service militaire, ajoutant qu’il fumait depuis longtemps, qu’il avait des antécédents familiaux de cardiopathie et que son affection s’était manifestée alors qu’il était en vacances. En définitive, il a jugé ne pas être en mesure de conclure que le service militaire du demandeur avait causé son affection, y avait contribué ou l’avait aggravée, et il a donc refusé son droit à pension.

Les questions en litige et la norme de contrôle

[17]  Le demandeur soutient que le comité d’appel a commis une erreur en concluant que la preuve médicale de la Dre Coles et du Dr Giacomantonio n’était pas crédible et en appliquant incorrectement la définition d’invalidité énoncée à l’article 3 de la Loi sur les pensions. Selon lui, le comité d’appel a aussi manqué à son obligation d’équité procédurale en infirmant la conclusion du comité de révision selon laquelle il est invalide, sans l’en informer et sans lui donner la possibilité de présenter des arguments à cet égard.

[18]  Le défendeur soutient que la question qui se pose en l’espèce est de savoir si la décision du comité d’appel de refuser au demandeur la pension prévue aux paragraphes 21(1) et 21(2) de la Loi sur les pensions était raisonnable. Plus précisément, il s’agit de déterminer s’il était raisonnable pour le comité d’appel de conclure que la preuve médicale produite par le demandeur n’était pas crédible, de procéder à un nouvel examen de la preuve et de conclure à l’absence de lien causal entre l’affection faisant l’objet de la demande et le service militaire du demandeur.

[19]  À mon avis, les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision était-elle raisonnable?
  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[20]  Les deux parties soutiennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable. La Cour a déjà conclu dans d’autres décisions que l’appréciation de la preuve par le comité d’appel était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Leroux c Canada (Procureur général), 2012 CF 869, au par. 32; Thompson c Canada (Procureur général), 2019 CF 662, au par. 17; Crummey c Canada (Procureur général), 2019 CF 73, aux par. 15 et 16 [Crummey]; Everett c Canada (Procureur général), 2019 CF 627, au par. 14). Par ailleurs, l’application de la définition de l’invalidité énoncée dans la Loi sur les pensions aux faits de l’affaire soulève une question mixte de fait et de droit qui commande elle aussi l’application de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 53 [Dunsmuir]; Chaytor c Canada (Procureur général), 2011 CF 501, au par. 18 [Chaytor]; Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, au par. 21; Jansen c Canada (Procureur général), 2017 CF 8, au par. 20 [Jansen]). Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au par. 47).

[21]  En ce qui concerne la deuxième question en litige, le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable en matière d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Le défendeur estime quant à lui que le comité d’appel a le pouvoir d’apprécier l’ensemble de la preuve dans le cadre d’une audience de novo et que la question de savoir si le demandeur souffre actuellement d’une affection n’était pas une nouvelle question. Il n’y a donc eu selon lui aucun manquement à l’équité procédurale et la question de l’appréciation de la preuve par le comité d’appel est par conséquent susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. J’estime que, dans la mesure où il aurait pu y avoir un manquement à l’équité procédurale, cette question est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43; Chaytor, au par. 18). Lors d’un examen selon la norme de la décision correcte, la cour de révision n’acquiesce pas au raisonnement du décideur, elle entreprend plutôt sa propre analyse (Dunsmuir, au par. 50).

Le cadre législatif

Loi sur les pensions, LRC 1985, c P-6

3 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

3(1)  In this Act,

[…]

...

invalidité La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental. (disability)

disability means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act; (invalidité)

[…]

...

21(1) Pour le service accompli pendant la Première Guerre mondiale ou la Seconde Guerre mondiale, sauf dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve, le service accompli pendant la guerre de Corée, le service accompli à titre de membre du contingent spécial et le service spécial :

21(1) In respect of service rendered during World War I, service rendered during World War II other than in the non-permanent active militia or the reserve army, service in the Korean War, service as a member of the special force, and special duty service,

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — survenue au cours du service militaire ou attribuable à celui-ci;

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that was attributable to or was incurred during such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

[…]

...

(2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

(2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

[…]

...

(2.1) En cas d’invalidité résultant de l’aggravation d’une blessure ou maladie, seule la fraction — calculée en cinquièmes — du degré total d’invalidité qui représente l’aggravation peut donner droit à une pension.

(2.1) Where a pension is awarded in respect of a disability resulting from the aggravation of an injury or disease, only that fraction of the total disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated is pensionable.

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18

Principe général

Construction

3 Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3 The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

[…]

...

Règles régissant la preuve

Rules of evidence

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

Analyse

LA PREMIÈRE QUESTION : La décision du comité d’appel était-elle raisonnable?

[22]  Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans l’arrêt Wannamaker :

[5]  L’article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible. Toutefois, l’article 39 ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.).

[6]  L’article 39 n’oblige pas non plus le Tribunal à admettre toute la preuve présentée par le demandeur. Le Tribunal n’a pas l’obligation d’accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits. Par contre, il se peut que le Tribunal doive expliquer la raison pour laquelle il conclut que les éléments de preuve ne sont pas crédibles : MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42, aux paragraphes 22 et 29. La preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question.

  i.  La preuve médicale

[23]  Le demandeur fait valoir que le comité d’appel a rendu une décision déraisonnable en concluant que la preuve médicale qu’il avait présentée n’était pas crédible, que le comité d’appel a rendu des motifs imprécis ou erronés et qu’il a omis de démontrer de manière intelligible pourquoi il avait jugé que la preuve apportée par ses médecins n’était pas crédible (Crummey, au par. 25). Il existait entre le demandeur et ses médecins un rapport médecin-patient et les opinions médicales étaient plausibles, fiables et logiquement capables d’établir la preuve des faits en question. Autrement dit, elles étaient crédibles au sens de l’arrêt Wannamaker (au par. 6). Le demandeur explique pourquoi il estime que la preuve médicale était crédible et en quoi le comité d’appel a commis une erreur dans son appréciation de cette preuve.

[24]  Le défendeur soutient que le comité d’appel était conscient de l’obligation qu’il avait, aux termes de l’article 39 de la Loi sur le TACRA, d’examiner la preuve sous le jour le plus favorable possible. Le comité d’appel a reconnu cette obligation, tout en concluant, à juste titre, qu’il n’était pas tenu d’accepter la preuve non crédible, même si elle n’était pas contredite. De plus, il a pris en considération la preuve médicale et a exposé de façon claire et explicite le cadre dont il s’était servi pour évaluer la crédibilité des lettres de la Dre Coles et du Dr Giacomantonio. Le comité d’appel était autorisé à accorder une importance limitée à la preuve qu’il ne jugeait pas crédible, à la condition de motiver ses conclusions. Son analyse de la crédibilité de la preuve médicale était raisonnable.

a)  La lettre de la Dre Coles

[25]  Dans sa lettre, la Dre Coles a déclaré que les maladies coronariennes ont des causes multifactorielles et que, même si le service militaire n’a pu contribuer aux antécédents familiaux de cardiopathie précoce du demandeur, son emploi de technicien d’armement – un métier propre à la Marine – comportait plusieurs risques qui pourraient avoir contribué à la progression de sa maladie et à son infarctus du myocarde. Elle a indiqué que le demandeur avait signalé qu’il devait travailler par quarts et que le stress que cela entraînait, surtout lorsqu’il travaillait de nuit, ainsi que la séparation d’avec sa famille pouvaient avoir contribué à l’évolution de sa cardiopathie. En outre, à l’époque, la « culture » de la Marine favorisait le tabagisme. Même si le demandeur avait fait le choix de fumer, le fait d’être entouré de fumeurs et d’avoir un accès facile au tabac rendait l’abandon de la cigarette très difficile. Le demandeur avait aussi signalé que la nourriture servie par la Marine à l’époque comprenait beaucoup d’aliments frits et de restes, ce qui pourrait avoir provoqué une hausse des taux de cholestérol LDL et de triglycérides du demandeur et aurait indéniablement contribué au dépôt de cholestérol dans ses artères. Selon la Dre Coles, il existe en outre un lien direct entre une telle alimentation et l’obésité, qui constitue en soi un facteur de risque indépendant de la maladie coronarienne. Les horaires de travail par quarts du demandeur et son alimentation l’ont amené à souffrir d’obésité abdominale en raison d’un mode de vie sédentaire (attribuable à la fatigue ressentie à la fin d’un quart), ce qui, d’après les études, est un facteur de risque de la maladie coronarienne. La Dre Coles a conclu que ces facteurs, qu’elle s’est ensuite employée à énumérer sous forme de liste, sont interreliés et travaillent en synergie. Ainsi, ils contribueraient à hauteur de trois cinquièmes à une aggravation marquée.

[26]  Dans le contexte de son examen du rapport rédigé par la Dre Coles, le comité d’appel a d’abord déclaré que celle-ci était médecin de famille et qu’elle n’avait pas d’expertise en cardiologie. Le demandeur affirme que, pour cette raison, le comité d’appel n’a accordé aucun poids à son rapport, mais je ne suis pas d’accord, car le comité d’appel a ensuite tiré d’autres conclusions lors de son appréciation de la crédibilité de l’opinion médicale de la généraliste. Le demandeur prétend aussi que la raison pour laquelle le comité d’appel pourrait avoir écarté cet élément de preuve – à savoir le fait que la Dre Coles n’est pas cardiologue – ne se dégage pas de ses motifs. Je note que les parties ne contestent pas le fait que la Dre Coles est médecin de famille et non cardiologue. Par conséquent, il est évident qu’elle ne possède pas le niveau d’expertise d’un spécialiste. Cela dit, je conviens avec le demandeur qu’en qualité de médecin de famille, la Dre Coles détient une certaine expertise. Si le comité d’appel estimait qu’elle n’avait pas les compétences nécessaires pour cerner, comme elle l’a fait, les facteurs susceptibles de contribuer aux maladies coronariennes et expliquer comment ces facteurs sont liés au demandeur, les motifs qu’il a rédigés n’en font pas état. Ainsi, dans la mesure où le comité d’appel a fondé sa conclusion relative à la crédibilité de l’opinion médicale de la Dre Coles sur le fait qu’elle est médecin de famille, je suis d’avis que, à défaut d’expliquer pourquoi le fait qu’elle ne soit pas spécialiste pouvait nuire à la crédibilité de son opinion, le comité d’appel a agi de façon déraisonnable.

[27]  Le comité d’appel a ensuite déclaré que la Dre Coles avait indiqué à plusieurs endroits dans sa lettre que les renseignements qu’elle détenait venaient du demandeur. Il lui aurait par exemple dit que la Marine servait beaucoup de repas frits, ce qui selon elle était susceptible de provoquer une augmentation du taux de cholestérol LDL et de triglycérides du demandeur. Le comité d’appel a affirmé que la Dre Coles n’avait pas de renseignements indépendants sur la qualité de la nourriture servie et sur les choix de repas offerts au demandeur et avait fondé son opinion sur les renseignements que le demandeur lui avait transmis. À mon avis, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’un médecin effectue ses propres recherches et fournisse des renseignements indépendants sur la qualité de la nourriture servie par la Marine. La Dre Coles pouvait à bon droit se fier à ce que le demandeur, son patient, lui avait dit à ce sujet. Elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si ce type de nourriture a bel et bien été servi; elle a émis l’opinion, en sa qualité de médecin, que si c’était le cas, cela aurait pu contribuer à la maladie coronarienne du demandeur. Il importe également de souligner que le comité d’appel ne met pas en doute l’opinion de la médecin selon laquelle les aliments frits auraient pu faire augmenter le taux de cholestérol LDL et de triglycérides du demandeur.

[28]  Dans la décision Lebrasseur c Canada (Procureur général), 2010 CF 98 [Lebrasseur], la juge Tremblay-Lamer a statué qu’il était déraisonnable de rejeter les rapports médicaux produits par le demandeur au motif que celui-ci-constituait la source des renseignements les sous-tendant :

27  Bien que le défendeur ait raison d’affirmer que le Tribunal a droit de tirer des conclusions sur la crédibilité et qu’il n’a pas à accepter tous les éléments de preuve qui lui sont présentés, sa conclusion au sujet des rapports médicaux présentés par le demandeur, selon laquelle celui-ci constituait la source des conclusions tirées par les professionnels de la santé, est non justifiée. Il ne suffit pas d’affirmer que les rapports en question sont fondés sur des faits rapportés par le demandeur parce qu’ils ne sont pas pour autant moins crédibles si cette version des faits est véridique. Le Tribunal n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité du demandeur; et pourtant, il n’a pas tenu compte de la conclusion favorable que le Comité a tirée quant à sa crédibilité. Par conséquent, le Tribunal n’a pas justifié sa décision d’écarter les rapports médicaux.

[29]  En l’espèce, le demandeur affirme que sa crédibilité n’a jamais été attaquée, mais que le comité d’appel a conclu, de manière détournée, qu’il n’était pas crédible en s’en prenant au fait que la Dre Coles s’était fiée aux renseignements qu’il lui avait communiqués. Bien que je convienne que le comité d’appel n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur, il lui était néanmoins loisible d’examiner l’ensemble de la preuve dont il disposait. Lors de son examen de la preuve, le comité d’appel a bien fait allusion à la déclaration du 19 janvier 2004 dans laquelle le demandeur a décrit les facteurs de stress qui avaient selon lui contribué à ses problèmes cardiaques, notamment la rotation à deux bordées auxquels il a été affecté pendant six mois et demi, la perturbation de ses habitudes de sommeil, une mauvaise alimentation et un manque d’exercice physique, des moyens limités de s’alimenter sainement et l’obligation de manger ce qui était proposé. Le comité d’appel a également reproduit le résumé du témoignage que le demandeur a donné devant le comité de révision et qui se trouve dans la décision de ce comité. Le témoignage du demandeur a porté notamment sur le stress lié au travail par quarts. Selon lui, le travail par quarts a perturbé son sommeil et ses habitudes alimentaires, en l’obligeant à prendre ses repas en dehors des heures habituelles, à manger des restes ou à sauter des repas. Sa déclaration du 21 septembre 2016 portait sur son déploiement dans le cadre de l’opération Apollo, au cours de laquelle les quarts de garde pour la disponibilité opérationnelle normale et élevée ont été appliqués. Il travaillait donc 12 heures par jour et dormait de façon interrompue, ce qui lui laissait peu de temps pour faire de l’exercice, décompresser ou se détendre. Même ses habitudes alimentaires étaient [TRADUCTION] « déréglées ».

[30]  Bref, la preuve du demandeur sur la question de la nourriture servie par la Marine était limitée. Le demandeur n’a produit aucune preuve sur la question de savoir à quelle fréquence des repas frits étaient servis, s’il y avait d’autres choix alimentaires ou en quoi le fait de manger des restes avait pu lui causer des problèmes coronariens.

[31]  À mon sens, le cas d’espèce se distingue de l’affaire Jansen, où il était question de la preuve présentée par la demanderesse pour tenter d’établir que certaines blessures liées au service étaient bel et bien survenues. Dans cette affaire, le raisonnement du comité d’appel ne pouvait reposer que sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité – une conclusion qu’il n’avait toutefois pas tirée. Or, en l’espèce, le comité d’appel aurait pu conclure que la preuve produite par le demandeur sur la question de la nourriture servie à bord du navire pendant son service ne constituait pas une base suffisante pour étayer les renseignements qu’il avait transmis à la Dre Coles et sur lesquels elle s’était fiée pour se former une opinion (Wannamaker, au par. 5) – autrement dit, qu’il ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits nécessaires pour ouvrir droit à pension. Ainsi, comme le demandeur n’avait pas produit de preuve sous-jacente à ce sujet, il était permis de remettre en question la fiabilité des conclusions de la Dre Coles, à savoir que la dyslipidémie (liée aux choix alimentaires) avait contribué à la maladie coronarienne du demandeur et qu’elle était liée à son service militaire.

[32]  Le problème, toutefois, c’est que le comité d’appel n’a pas conclu que le demandeur avait fourni des éléments de preuve insuffisants en ce qui concerne la qualité et la disponibilité des aliments à bord des navires de la Marine auxquels il a été affecté. Au contraire, le comité d’appel a reconnu que le demandeur avait affirmé avoir mené un mode de vie sédentaire et s’être mal alimenté pendant son déploiement, mais il a affirmé qu’aucune preuve indépendante ne lui avait été présentée pour établir qu’il n’y avait pas d’équipement de conditionnement physique à bord ou que la nourriture servie lorsque le demandeur était en mer était malsaine. Le comité d’appel n’a pas expliqué pourquoi il avait besoin d’une preuve indépendante en l’absence de conclusion défavorable en matière de crédibilité. En outre, l’alinéa 39b) de la Loi sur le TACRA oblige le comité d’appel à accepter tout élément de preuve non contredit que lui présente le demandeur et qui lui semble vraisemblable. Si le comité d’appel jugeait que la preuve produite par le demandeur concernant la qualité de la nourriture servie par la Marine n’était pas crédible, même si elle n’a pas été contredite, il lui fallait tirer une conclusion en ce sens, la justifier, puis rejeter la preuve sur ce fondement (Jansen, aux par. 55 à 58).

[33]  Le comité d’appel a également déclaré que la Dre Coles n’avait pas fait référence aux [TRADUCTION« renseignements médicaux contemporains ». Plus particulièrement, bien qu’elle ait mentionné les antécédents familiaux de cardiopathie précoce du demandeur et son tabagisme, elle n’a pas mentionné un facteur de stress important d’origine non militaire, à savoir le fait que le demandeur était engagé dans une [TRADUCTION« procédure de divorce acrimonieuse ». Je fais remarquer que le dossier mentionne à quatre reprises le divorce du demandeur. La première fois, c’est dans un questionnaire médical daté du 11 octobre 2001. Dans la partie du questionnaire consacrée au « stress », le demandeur devait indiquer s’il avait des préoccupations ou des inquiétudes, à ce moment-là, à l’égard des éléments suivants : relations personnelles/familiales, relations de travail/professionnelles ou problèmes financiers. Il a répondu « non » dans tous les cas. Pour ce qui est des [TRADUCTION« autres problèmes », il n’a répondu ni oui ni non, mais il a ajouté une note indiquant qu’il était en instance de divorce.  On trouve aussi dans le dossier un rapport de consultation produit par l’Unité des services de santé de la formation d’Halifax et daté du 10 juillet 2002. Ce rapport, qui décrit l’état de santé du demandeur avant ses infarctus, comporte un énoncé selon lequel [TRADUCTION« [s]on père et sa grand-mère ont eu des infarctus. Il a une sœur en bonne santé. Il est actuellement en instance de divorce. Il a trois enfants, qui sont âgés de 9, 6 et 4 ans. Il est technicien d’armement. Il travaille sur le navire Iroquois depuis plusieurs années et n’a jamais subi d’opération chirurgicale ». Dans le Guide d’entrevue (août 2002), qui se présente comme une entrevue consécutive au déploiement visant à déceler tout problème qui pourrait en avoir découlé (par exemple, des troubles du sommeil ou de l’alimentation ou des changements dans la personnalité, les habitudes de consommation d’alcool ou les relations professionnelles et familiales), le demandeur a signalé, entre autres choses, qu’il avait une nouvelle petite amie et que ses enfants s’adaptaient bien à son retour. Sous la rubrique [traduction] « Autre », il a ajouté que son ex-épouse se comportait de manière imprévisible et qu’elle et lui étaient devant les tribunaux, car il demandait la garde partagée des enfants. Il a précisé qu’il composait avec le comportement de son ex-épouse et qu’il ne laissait pas la situation le troubler. Dans un rapport d’examen médical daté du 3 octobre 2012, il est écrit ce qui suit, dans la partie réservée à l’examen psychiatrique : [TRADUCTION« Bonne humeur/dort bien. Faible stress actuellement malgré ses problèmes de santé/rétablissement et une bataille judiciaire concernant la garde des enfants… ». Le résumé du témoignage du demandeur devant le comité de révision est repris dans la décision du comité d’appel et comprend ce qui suit : [TRADUCTION« Il s’est séparé de sa femme en 2000. À l’époque, il vivait un divorce acrimonieux. » Le dossier dont je dispose ne contient aucune transcription du témoignage du demandeur.

[34]  Il est vrai que la Dre Coles n’a pas mentionné le divorce. En revanche, elle a précisé que les maladies coronariennes sont attribuables à de multiples facteurs. Elle a reconnu que le service militaire du demandeur n’avait aucun lien avec ses antécédents familiaux de cardiopathie précoce. Elle a dressé la liste des facteurs qui, à son avis, ont contribué à la maladie coronarienne de son patient et qui sont liés d’une manière ou d’une autre à son service militaire, facteurs qu’elle a décrit comme étant interreliés et travaillant en synergie. Selon elle, ces facteurs ont contribué à hauteur de trois cinquièmes à une aggravation marquée. Bien qu’il soit problématique que le divorce ne soit pas mentionné, je suis d’avis qu’en fixant surtout son attention sur cette omission pour conclure que l’ensemble du rapport n’était pas crédible, le comité d’appel a omis de tenir compte et de traiter des autres facteurs que la Dre Coles a relevés et qu’elle jugeait liés au service du demandeur. De plus, le comité d’appel aurait pu soupeser l’importance du stress lié au divorce avec les facteurs de stress attribuables selon la Dre Coles au service militaire du demandeur, ainsi qu’avec la preuve médicale qui n’étayait pas l’existence de tels facteurs de stress avant ses crises cardiaques et avec d’autres facteurs de risque comme le tabagisme et les antécédents familiaux.

[35]  Le comité d’appel a également conclu que la Dre Coles n’avait pas expliqué en détail comment elle était arrivée à la conclusion que le service militaire du demandeur avait contribué à ses problèmes cardiaques dans une proportion de trois cinquièmes, mais il ne précise pas ce qu’il manque à l’analyse. Cela dit, en ce qui a trait à l’argument du demandeur, qui fait valoir que la Dre Coles est son médecin de famille depuis une décennie et qu’elle connaît très bien ses antécédents médicaux, je signalerais qu’à l’audience que j’ai présidée, le demandeur a été incapable de désigner, dans le dossier, un élément de preuve confirmant la durée de cette relation médecin-patient; le dossier du tribunal ne contient pas non plus les dossiers médicaux de la Dre Coles relatifs au demandeur.

[36]  En somme, j’estime qu’il était peut-être loisible au comité d’appel de n’accorder, en définitive, que peu de poids à l’opinion de la Dre Coles, compte tenu des autres éléments de preuve du dossier, mais ses motifs n’établissent pas que le rapport n’était pas crédible parce qu’il n’était pas plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve des faits en question.

b)  La lettre du Dr Giacomantonio

[37]  S’agissant de la lettre du Dr Giacomantonio, le comité d’appel a signalé que son auteur était un expert dans le domaine de la cardiologie. Il a aussi fait remarquer, à juste titre, qu’il s’agit d’une très courte lettre. En effet, celle-ci fait, en tout et pour tout, moins d’une demi-page. Le Dr Giacomantonio a écrit :

[TRADUCTION] Je conviens que l’alimentation, le stress – qui est, du moins en partie, atténué par l’usage du tabac, mais aussi très courant, particulièrement à l’époque à laquelle vous avez servi dans l’Armée – de même que les troubles du sommeil attribuables au stress et la nature même de la profession, tout cela a contribué à votre maladie coronarienne et aux infarctus du myocarde que vous avez subis.

[38]  Le Dr Giacomantonio a ensuite déclaré que les éléments liés au service militaire du demandeur ont contribué à sa maladie dans une proportion maximale de deux ou trois cinquièmes. Puis il a ajouté que tous les éléments relevés par le demandeur ont incontestablement contribué à sa maladie cardiovasculaire, mais que cette maladie ne frappait pas tous les militaires. À sa connaissance, les maladies cardiovasculaires ne sont pas plus présentes chez les militaires qu’au sein de la population civile. Par ailleurs, il a mentionné l’existence de facteurs contributifs sous-jacents, d’origine biologique et génétique, notamment les antécédents familiaux de risque et de maladie, qui sont présents dans la famille du demandeur au moins en partie en raison d’une dyslipidémie (taux élevé de cholestérol). Il a conclu que, dans l’ensemble, [TRADUCTION« il est incontestable que le service militaire exigeant contribue à votre maladie cardiovasculaire, mais il n’en est pas en soi la cause ».

[39]  Selon le comité d’appel, il est difficile de dire si le Dr Giacomantonio était au courant de l’ensemble de la situation du demandeur. Par exemple, il ne fait pas allusion au divorce acrimonieux que vivait le demandeur à l’époque qui a précédé sa crise cardiaque, mais il a mentionné les facteurs de risque d’origine biologique et génétique propres à l’état sous-jacent du demandeur. Le comité d’appel a aussi jugé que la déclaration du DGiacomantonio citée précédemment manquait de clarté et de précision. De plus, il a souligné que le Dr Giacomantonio n’avait pas commenté les données médicales contemporaines ni fourni d’analyse détaillée de sa conclusion selon laquelle le service militaire du demandeur avait contribué à son affection sans en être la cause. Le médecin n’a pas expliqué ce qu’il entendait par « service militaire exigeant ». D’ailleurs, le demandeur a fondé sa demande sur le stress ayant causé son affection, et non sur le caractère exigeant du service militaire. Pour ces motifs, le comité d’appel a conclu que l’opinion médicale du Dr Giacomantonio n’était pas crédible dans la mesure où il établissait un lien entre la maladie du demandeur et son service militaire.

[40]  Il ressort clairement du dossier que le Dr Giacomantonio est le cardiologue traitant qui a pris en charge le demandeur lorsque celui-ci a eu ses crises cardiaques. Le rapport sommaire de congé de la Régie de la santé Capital a été rédigé en son nom, et le Dr Giacomantonio a également remis au médecin militaire responsable du dossier du demandeur, le Dr Zwicker, un rapport indiquant qu’il avait vu le demandeur en novembre 2002. Il a noté que les facteurs de risque présentés par le demandeur étaient la dyslipidémie et le tabagisme, une habitude qu’il n’a toujours pas abandonnée, et qu’il avait en plus des antécédents familiaux importants, son père ayant eu une crise cardiaque au début de la quarantaine et sa sœur faisant l’objet de tests relativement à un souffle au cœur. Le Dr Giacomantonio a déclaré :

[TRADUCTION] Dans l’ensemble, l’état cardiovasculaire de M. Morris est assez stable; son endoprothèse vasculaire paraît fonctionnelle et il ne semble pas présenter d’insuffisance coronarienne résiduelle importante sur le plan hémodynamique. Des données récentes indiquent que le Plavix et l’aspirine seraient bénéfiques après un infarctus du myocarde et en présence d’une endoprothèse, du moins pendant au moins un an, et je n’ai donc pas interrompu cette thérapie. Pour ce qui est des lipides, son taux de LDL n’a pas encore atteint la valeur-cible et j’ai donc augmenté sa prise de Zocor à 40 mg p.o. par jour. Malheureusement, ses taux de triglycérides et de HDL sont disproportionnés et si cette situation persiste, dans trois à six mois lors de la visite de contrôle, j’envisagerais une thérapie combinée, par exemple 160 mg de Lipidil Supra par jour et un suivi approprié des tests de fonction hépatique et de créatine kinase, et l’éducation du patient au sujet des effets secondaires.

[…]

Enfin, en ce qui a trait à sa situation au travail, je suis d’avis que M. Morris peut reprendre ses fonctions habituelles, compte tenu de son état cardiovasculaire actuel, qui est normal.

[41]  Apparemment, contrairement au Dr Giacomantonio, la Marine n’était pas d’avis que le demandeur pouvait reprendre ses fonctions habituelles. Dans une feuille de travail concernant les limitations d’emploi remplie par les Services de santé de la formation en date du 11 septembre 2003, le Dr Zwicker a conclu que le demandeur devait être suivi par un médecin tous les six mois et par un spécialiste sur une base annuelle, qu’il présentait un risque de crise qui exigerait l’intervention d’un médecin dans les deux heures et qu’au cours d’une telle crise il serait incapable d’exécuter toutes ses fonctions. Par ailleurs, il devait prendre certains médicaments tous les jours, à défaut de quoi, dans un délai de trois à cinq jours, il pouvait subir une crise liée à son problème de santé chronique. En outre, il était incapable de supporter un contexte d’opérations militaires (il était inapte au service en mer, aux opérations de l’ONU, aux situations d’isolement et au déploiement) et tout effort physique soudain et soutenu pouvait provoquer une crise liée à son problème de santé chronique. Il serait apte au service en mer s’il demeurait possible de lui garantir un accès à un médecin ou à des services hospitaliers en moins de deux heures.

[42]  Le dernier rapport du forum du Centre des services de santé des Forces canadiennes (Atlantique) qui figure au dossier porte la date du 27 juillet 2004. Ce rapport indique que le demandeur s’est présenté pour un suivi sur son état cardiaque; il énumère les médicaments pris par le demandeur, et il indique que le demandeur allait apparemment être libéré pour des raisons médicales. Le rapport conclut que le demandeur demeure dans un état cliniquement stable, qu’il serait avisé de subir un nouvel électrocardiogramme à l’effort, pour lequel des dispositions seraient prises, et qu’il devrait continuer de prendre ses médicaments actuels.

[43]  À mon avis, la conclusion du comité d’appel selon laquelle il est impossible de savoir avec certitude si le Dr Giacomantonio connaissait l’ensemble de la situation du demandeur, au motif qu’il a omis de mentionner le divorce, est en quelque sorte contredite par le dossier, qui montre que le Dr Giacomantonio était le médecin traitant qui a soigné le demandeur après ses crises cardiaques, qu’il a soumis un rapport au médecin militaire concernant la santé du demandeur après ses crises cardiaques et qu’il a bel et bien fait référence aux facteurs contributifs sous-jacents, d’origine biologique et génétique. Selon moi, le comité d’appel a accordé une fois de plus une importance injustifiée au divorce, en faisant abstraction des autres facteurs liés au service du demandeur qui, aux dires du Dr Giacomantonio, avaient contribué à sa maladie coronarienne et aux infarctus du myocarde dont il a été victime.

[44]  Je ne suis pas non plus d’avis que la phrase citée plus haut est inintelligible. Malgré une syntaxe douteuse, il est clair que le Dr Giacomantonio a reconnu que l’alimentation, le stress (même si ce stress était allégé en partie par la cigarette), les troubles du sommeil attribuables au stress et la nature du métier du demandeur ont tous contribué à sa maladie coronarienne et aux infarctus du myocarde dont il a été victime.

[45]  Le comité d’appel a aussi déclaré que le Dr Giacomantonio n’avait pas examiné ni commenté les données médicales contemporaines. Il fait vraisemblablement référence aux données médicales qui datent de la période à laquelle le demandeur a eu ses crises cardiaques. Or, le Dr Giacomantonio était le cardiologue qui a soigné le demandeur, comme il ressort du dossier. En effet, un peu plus loin dans ses motifs, le comité d’appel a déclaré que le demandeur avait incontestablement subi un infarctus du myocarde, lequel est documenté dans les rapports rédigés par le Dr Giacomantonio. Bien qu’il arrive souvent, dans les cas où une demande de pension est refusée, qu’il n’y ait pas de preuve médicale contemporaine de la blessure ou des faits visés par la plainte et dont on prétend qu’ils ont causé l’affection en question ou y ont contribué, ce n’est pas le cas en l’espèce. En somme, les motifs du comité d’appel ne précisent pas quels sont ces dossiers médicaux contemporains qui auraient dû être commentés, ni pourquoi le défaut de le faire a entaché la crédibilité de l’opinion du Dr Giacomantonio.

[46]   Quant à l’absence d’analyse détaillée des raisons qui ont amené le Dr Giacomantonio à conclure que le service militaire du demandeur avait contribué à sa maladie, sans en être la cause, il est vrai que son opinion médicale est très brève. Toutefois, il est évident que le Dr Giacomantonio estimait que l’alimentation et le stress lié au travail avaient contribué à la maladie coronarienne du demandeur et que des facteurs sous-jacents d’ordre biologique et génétique entraient également en ligne de compte. C’est dans ce contexte qu’il a déclaré que le service militaire exigeant du demandeur avait incontestablement contribué à sa maladie cardiovasculaire, mais qu’il n’en était pas en soi la cause.

[47]  Je tiens à souligner que le comité d’appel ne laisse pas entendre que les opinions médicales sont contredites par d’autres éléments de preuve de nature médicale. J’estime que, considérés dans leur ensemble, les motifs invoqués par le comité d’appel pour conclure que les rapports médicaux de la Dre Coles et du Dr Giacomantonio n’étaient pas crédibles sont déraisonnables.

  ii.  L’invalidité

[48]  Le comité d’appel a déclaré que, pour accorder le droit demandé, il devait d’abord conclure que le demandeur avait reçu un diagnostic établissant qu’il souffre actuellement de l’affection faisant l’objet de la demande, que cette affection constitue une invalidité et que le service militaire avait causé cette affection, y avait contribué ou l’avait aggravée. Pour ce qui est de savoir si l’affection faisant l’objet de la demande constitue une invalidité, le comité d’appel s’est appuyé sur la définition du terme « invalidité » énoncée à l’article 3 de la Loi sur les pensions et a noté que, dans sa déclaration, le demandeur a exposé en détail les effets que son affection avait sur lui. En particulier, il a été rangé dans une certaine catégorie; il n’est plus apte au service en mer; il était incapable de remplir ses fonctions de technicien d’armement naval; il ne remplit plus les conditions liées au principe de l’universalité du service, et il n’était plus admissible aux promotions ou aux possibilités de perfectionnement dans son métier. Par conséquent, il a été libéré des forces armées. Le comité d’appel a déclaré que ces renseignements dataient de 2004 et qu’il ne disposait d’aucun élément de preuve établissant que l’affectation du demandeur [TRADUCTION« entraînait actuellement une incapacité »; par conséquent, il s’est dit incapable de conclure que l’affection entraînait une invalidité pour le demandeur.

[49]  Le demandeur soutient que le comité d’appel a commis une erreur en n’appliquant pas la bonne définition de l’invalidité. Le critère applicable exige simplement du vétéran qu’il établisse avoir été touché par « la perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental ». Selon le demandeur, les opinions médicales de la Dre Coles et du Dr Giacomantonio sont la preuve qu’il souffre d’une affection qui entraîne actuellement une incapacité, et le comité d’appel n’a pas justifié sa décision d’écarter son témoignage ou de ne pas traiter explicitement de l’article médical qu’il a produit afin d’étayer la preuve de son invalidité.

[50]  De son côté, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour le comité d’appel de se demander si l’affection visée par la demande continuait d’être invalidante pour le demandeur.

[51]  Si on fait abstraction de l’aspect temporel de l’interprétation de l’article 3 et des alinéas 21(1)a) et 21(2)a) de la Loi sur les pensions – question qui a été débattue devant moi à l’audience – et du fait que les conditions exigées sont énoncées différemment dans les motifs du comité d’appel et dans ceux du comité de révision, et si en outre on ne tire aucune conclusion à cet égard, on constate que le comité d’appel ne mentionne pas la déclaration du demandeur datant de septembre 2016. Dans cette déclaration, le demandeur a affirmé que, depuis 2004, il a occupé divers postes, doit faire l’objet d’un suivi continuel et doit rencontrer régulièrement son médecin de famille, et que sa carrière dans la Marine a contribué à sa maladie et l’a aggravée, que cette maladie lui a imposé des contraintes dans sa vie personnelle et qu’elle l’a forcé à apporter des changements dans son mode de vie. Le comité d’appel n’a pas non plus traité de l’unique rapport médical déposé par le demandeur, « Braunwald’s Heart Disease: A Textbook of Cardiovascular Medicine » [Braunwald : traité de médecine cardiovasculaire], 8e édition, qui peut être consulté sur le site Web « Doctors Nova Scotia », et, notamment, au chapitre 86 sur les aspects psychiatriques et comportementaux des maladies cardiovasculaires, d’une brève section sur le stress lié à la vie personnelle et le stress professionnel. Contrairement au comité de révision, le comité d’appel n’a pas fait référence à cet article; cela dit, je ne vois pas quel est le lien entre cet article et l’argument du demandeur selon lequel il souffre d’une affection qui entraîne actuellement une incapacité. De même, les rapports médicaux présentés par le demandeur n’abordent pas directement cette question.

[52]  Quoi qu’il en soit, la décision du comité d’appel ne permet pas de déterminer si celui-ci a oublié de tenir compte de la preuve susmentionnée ou s’il l’a simplement jugée peu convaincante ou insuffisante. Par conséquent, sa conclusion est déraisonnable. Cela ne signifie pas que la preuve du demandeur était suffisante, mais le comité d’appel avait l’obligation de tenir compte de l’ensemble de la preuve, et il semble qu’il ait négligé de le faire.

La deuxième question : Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[53]  Lorsqu’il s’est penché sur la question de savoir si le demandeur avait reçu un diagnostic établissant qu’il souffrait actuellement de l’affection faisant l’objet de la demande, le comité d’appel a déclaré qu’il ne faisait aucun doute que le demandeur avait subi un infarctus du myocarde, tout en faisant remarquer que le demandeur n’avait produit aucune preuve d’un diagnostic établissant qu’il souffrait actuellement d’une affection. Le demandeur prétend qu’il s’agit d’une question nouvelle. Pour leur part, le Ministère et le comité de révision ont accepté le diagnostic d’infarctus du myocarde reçu par le demandeur, tout comme le fait que cela constitue une invalidité. L’unique aspect qu’ils ont remis en question est l’existence d’un lien avec le service militaire du demandeur. Le demandeur affirme que le comité d’appel a manqué à son obligation d’équité procédurale en soulevant une nouvelle question sans l’en informer et sans lui donner la possibilité d’y répondre.

[54]  Bien que le demandeur cite de nombreuses décisions à l’appui de sa position, aucune de celles-ci ne concerne la tenue d’une audience de novo, comme en l’espèce. La Cour a confirmé par le passé que les audiences tenues devant les comités de révision et d’appel constituent une procédure de novo (Nolan c Canada (Procureur général), 2005 CF 1305, au par. 19). Dans une procédure de novo, le décideur n’est pas lié par la décision de l’instance inférieure et il doit rendre sa propre décision après avoir examiné l’ensemble de la preuve. Dans l’arrêt Comeau c Canada (Procureur général), 2007 CAF 68, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur le même argument que celui soulevé par le demandeur en l’espèce :

[12]  M. Comeau a également soutenu, en droit, qu’il n’était pas loisible au Tribunal de conclure que son état n’était pas apparu durant son service militaire, parce ce point avait été décidé en sa faveur lors de l’examen antérieur par le comité d’appel. M. Comeau soutient que la seule question devant le Tribunal au moment du nouvel examen était celle de savoir si le service militaire avait aggravé son état. À l’égard de ce point, M. Comeau déclare que le rapport du Dr Douglas est concluant. Selon la juge Dawson, et je suis d’accord avec elle, le Tribunal était tenu d’examiner la demande de M. Comeau à nouveau, en s’appuyant sur sa propre évaluation indépendante de toute la preuve présentée devant lui. Il n’était aucunement lié par les conclusions de fait du Tribunal antérieur.

[55]  Par conséquent, le comité d’appel n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

[56]  J’aimerais toutefois faire remarquer que la conclusion tirée par le comité d’appel, à savoir qu’il n’y avait aucune preuve d’un diagnostic établissant que le demandeur souffre actuellement de l’affection faisant l’objet de la demande, est inintelligible, puisque l’affection en cause, selon le comité d’appel, est un infarctus du myocarde. Ce diagnostic n’est pas contesté. L’affection sous-jacente du demandeur semble continuer d’exister, mais son état semble avoir été stabilisé grâce à une endoprothèse vasculaire et à la prise de médicaments. Cela étant, à moins que le demandeur soit victime d’une nouvelle crise cardiaque, il n’y aura jamais de diagnostic établissant que le demandeur souffre actuellement de l’affection visée par la demande. Sans doute le comité de révision a-t-il mieux formulé les considérations pertinentes en affirmant que la question était de savoir si le demandeur [TRADUCTION« a établi qu’il est atteint de l’affection (une blessure, une maladie, ou l’aggravation de l’une ou l’autre) faisant l’objet de la présente demande et si l’affection en question constitue une invalidité permanente ».

[57]  Dans l’ensemble, la preuve du demandeur était probablement insuffisante. Néanmoins, pour les motifs qui précèdent, les motifs donnés par le comité d’appel pour conclure que les opinions médicales n’étaient pas crédibles étaient déraisonnables, et le comité d’appel a par ailleurs commis une erreur en n’examinant pas tous les éléments de preuve présentés par le demandeur.


JUGEMENT dans le dossier T-222-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision du comité d’appel est annulée et l’affaire est renvoyée à un comité différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen en tenant compte des motifs énoncés dans la présente décision;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour de novembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-222-19

INTITULÉ :

DARRYL MORRIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 OCTOBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Jillian Kean

Pour le demandeur

Mary Anne MacDonald

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McInnes Cooper

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour le défendeur

 

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