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                                               Date : 19980810

                                         Dossier : IMM-5366-97

ENTRE

                      PRITAM SINGH BAINS,

                                                    demandeur,

                              et

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                    défendeur.

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]        Les présents motifs se rapportent à une demande d'annulation d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans cette décision, il a été conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce que son témoignage sur les faits importants dans sa revendication était jugé non digne de foi. Les dispositions de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) ont été incorporées au droit canadien par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-5.

[2]        La Commission a commencé les motifs de sa décision en déclarant que [TRADUCTION] « il existait d'importantes contradictions entre son FRP [le FRP du demandeur] et ses dépositions orales ainsi que des invraisemblances dans celles-ci. » En tirant sa conclusion, la Commission a réitéré cette inférence, disant qu'il existait [TRADUCTION] « d'importantes contradictions entre les dépositions orales du revendicateur et son FRP » , et qu'il existait des [TRADUCTION] « invraisemblances dans ses dépositions orales » .

[3]        Je n'ai pu relever aucune contradiction entre les dépositions orales du demandeur et son FRP, et l'avocat du défendeur n'a pas pu m'en renvoyer à une seule. De même, chose intéressante, l'agente chargée de la revendication (ACR), lorsqu'elle a fait ses observations à la fin de l'audition, a fait cette remarque : [TRADUCTION] « [concernant] la crédibilité, je n'ai noté aucune inconsistance dans son témoignage. »

[4]        Les invraisemblances sur lesquelles la Commission a fondé sa décision étaient : 1) le demandeur n'a pas mentionné dans son FRP les dix incidents de harcèlement et les trois détentions effectuées par la police du Pendjab entre février 1992 et décembre 1996 dont il a fait état dans ses dépositions orales; 2) la violence a diminué au Pendjab après 1993 et, par conséquent, il n'était pas raisonnable pour le demandeur d'avoir qualifié les abus de la police au Pendjab, après cette date, de routine; 3) pour la même raison, le témoignage du demandeur selon lequel il s'exposait au harcèlement alors que son jeune fils y échappait n'était pas raisonnable; 4) le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi parce que son père n'avait pas été interrogé ni détenu pour avoir recueilli le militant alors que le demandeur l'avait été; 5) le témoignage du demandeur selon lequel la police l'avait torturé pour arracher des renseignements concernant l'identité et les cachettes de militants n'était pas digne de foi parce que la police avait d'autres détenus de qui elle pouvait tirer ces renseignements, et le demandeur s'était montré coopératif avec la police; 6) le FRP du demandeur a été modifié à l'audition pour déclarer que la police avait arrêté son père après qu'il se fut enfui du pays, et le fait que la police ait arrêté seulement son père et non pas aussi les deux fils du demandeur n'était pas raisonnable; 7) son témoignage selon lequel il avait envoyé une copie de sa revendication du statut de réfugié dans son pays, en Inde, pour qu'elle pût être montrée à la police du Pendjab afin de prouver qu'il ne se trouvait pas au pays n'était pas digne de foi parce qu'il n'avait pas pris une mesure plus opportune, celle consistant à se rendre au Consulat indien de Toronto pour l'informer des endroits où il se trouvait.

[5]        À l'interrogatoire, toutes ces conclusions d'invraisemblance reposent soit sur de la spéculation soit sur un défaut de preuve. Pour ce qui est de la première invraisemblance, c'est-à-dire l'omission par le demandeur de mentionner les incidents de harcèlement et de détention dans son FRP, les revendicateurs reçoivent l'instruction de relater seulement les incidents importants de leur revendication dans ce document. La revendication du demandeur reposait sur des événements qui avaient eu lieu en 1992 concernant l'élection de cette année au Pendjab, et sur des événements de 1996 relatifs au fait qu'il avait recueilli un militant blessé. À l'audition, on lui a demandé directement pourquoi il n'avait pas inclus dans son FRP une mention de harcèlements pour la période allant de 1992 à 1996, harcèlements dont il avait fait état en réponse à des questions oralement.    Il a répondu [TRADUCTION] « J'ai estimé qu'il s'agissait là de problèmes très ordinaires, et j'ai consigné les principaux problèmes dans le récit. » Cette explication n'a rien de déraisonnable. Il n'existe pas de preuve permettant de conclure qu'il était déraisonnable pour lui d'avoir omis ces incidents dans son FRP. Ceux-ci n'étaient pas au centre de sa revendication, et il n'a jamais cherché à en faire le centre de sa revendication. En outre, il mentionne effectivement dans son FRP le fait d'avoir [TRADUCTION] « connu de nombreuses difficultés » en tant que membre de la communauté Jat du fait de l'exigence d'avoir une patrie sikh indépendante. De même, il fait état dans ce document du [TRADUCTION] « harcèlement général de la police » et l'[TRADUCTION] « arrogance de la police du Pendjab » .

[6]        Au sujet de la conclusion selon laquelle la violence a diminué et le fait pour le demandeur, et non ses fils, d'avoir fait face au harcèlement était déraisonnable, malgré l'existence de la preuve documentaire selon laquelle la violence a diminué, on ne m'a renvoyée à aucun élément de preuve d'après lequel les actes de harcèlement et d'abus de la part de la police ont diminué. De même, on ne m'a citée aucune preuve pour étayer la conclusion qu'il était déraisonnable pour le demandeur d'avoir connu du harcèlement alors que ses fils y ont échappé. Un fils, à l'époque, aurait eu un peu moins de vingt ans; l'autre était plus jeune. Si la police soupçonnait seulement le demandeur d'engagement avec les militants, il serait raisonnable pour elle de le harceler uniquement. L'inférence repose sur de la spéculation.

[7]        Pour ce qui est de la conclusion selon laquelle le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi parce que son père n'avait pas été interrogé et arrêté en même temps que le demandeur, ce dernier a donné une explication complètement logique quant à la raison pour laquelle cela s'était produit; il avait dit à la police qu'il était responsable d'avoir emmené chez lui le militant blessé; le militant y avait été seulement pour une brève période; il n'existe pas de preuve que le père avait la possibilité de s'y impliquer dans une grande mesure. La Commission semble avoir simplement méconnu cette explication.

[8]        La conclusion que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi parce qu'il s'était montré coopératif avec la police, et qu'il existait d'autres détenus dont des renseignements pouvaient être tirés est complètement déraisonnable. On peut, compte tenu des faits donnés, tirer la conclusion contraire : il s'était montré coopératif avec la police dans l'identification de deux militants et, par conséquent, il doit connaître l'identité et les cachettes d'autres personnes; les autres détenus n'ont révélé aucun renseignement et il serait donc plus utile de le torturer plutôt que de torturer ceux-ci. Toutes les deux versions constituent de la spéculation. Une telle spéculation ne permet pas de conclure que le témoignage du demandeur sur son traitement aux mains de la police n'était ni plausible ni raisonnable.

[9]        Pour la cinquième conclusion quant au caractère déraisonnable et invraisemblable, c'est-à-dire que le FRP du demandeur a été modifié pour faire état de l'arrestation du père, et qu'il était déraisonnable pour la police d'avoir arrêté le père mais non les fils du demandeur, le FRP du demandeur n'a pas été modifié de la façon que la Commission indique dans ses motifs. Le demandeur l'a modifié pour dire qu'il avait appris l'arrestation de son père seulement après son arrivée au Canada. Le FRP contenait toujours l'affirmation selon laquelle son père avait été arrêté après que le demandeur eut quitté le pays. De même, on ne m'a renvoyée à aucun élément de preuve permettant de conclure qu'il était déraisonnable pour la police d'avoir arrêté le père et non les fils du demandeur. Je note qu'au moment de l'incident de 1996, le fils aîné ne se trouvait pas dans la maison lorsque son père a, paraît-il, emmené à la maison le militant blessé, il était à l'extérieur, dans la ferme. Le fils cadet se trouvait à la maison. Son âge varierait entre 13 et 14 ans, L'avocat du demandeur soutient qu'en l'absence d'une preuve indiquant qu'il est de pratique courante pour la police du Pendjab d'arrêter tous les membres de sexe masculin d'une famille dans ces situations, l'inférence est sans fondement factuel.

[10]       En dernier lieu, la conclusion que le témoignage du demandeur n'était pas digne de foi parce qu'il n'avait pas pris une mesure plus opportune, celle consistant à informer le Consulat indien de Toronto des endroits où il se trouvait, plutôt que d'envoyer à sa famille au Pendjab des renseignements permettant de convaincre la police qu'il ne se trouvait plus au pays, ne repose sur aucun élément de preuve. Peut-on présumer qu'informer le Consulat serait plus efficace qu'informer la police du Pendjab directement? Peut-on présumer que, du point de vue du demandeur, il serait plus facile de se rendre au Consulat avec l'information plutôt que d'envoyer par la poste une lettre à sa famille au Pendjab?    Rien dans la preuve n'étaye la conclusion que son témoignage selon lequel il a envoyé la documentation chez lui était déraisonnable ou invraisemblable parce qu'il ne s'était pas, au lieu de cela, rendu au Consulat.

[11]       La décision Maldonado c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302, à la page 305 (C.A.F.), a précisé que la Commission devait avoir de bonnes raisons de conclure qu'un demandeur manquait de crédibilité. Les affaires Attakara c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989) 99 N.R. 168 (C.A.F.) et Owusu - Ansah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), sont deux affaires où des décisions ont été annulées parce que les inférences tirées par la Commission reposaient sur des conclusions d'invraisemblance qui n'étaient pas en soi de telle nature. Dans l'affaire Frimpong c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), une décision de la Commission a été annulée parce qu'elle reposait sur des conclusions qui n'étaient pas étayées par les éléments de preuve. Plus récemment, dans l'affaire Arunthavarajah c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] F.C.J. No. 956 (C.F.1re inst.), il est fait état de la décision Giron c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.), et de la déclaration y faite selon laquelle une décision fondée sur des invraisemblances est peut-être moins immunisée contre le contrôle que celle dans laquelle la crédibilité est mise en doute en raison du comportement, de la manière évasive ou du témoignage contradictoire. Il en est ainsi parce qu'une cour de révision, selon la nature des invraisemblances alléguées, se trouve dans une position aussi bonne que celle dans laquelle se trouve la Commission pour apprécier la validité des invraisemblances alléguées.

[12]       Compte tenu de cette jurisprudence, je suis convaincue que la décision faisant l'objet du contrôle doit être annulée. Celle-ci repose, en premier lieu, sur la conclusion qu'il existait des contradictions entre les dépositions orales du demandeur et son FRP alors qu'on ne pouvait trouver rien de tel. En second lieu, elle reposait sur un certain nombre de conclusions selon lesquelles le témoignage du revendicateur était déraisonnable ou invraisemblable, lesquelles conclusions s'appuient, en grande partie, sur des inférences fondées sur de la spéculation ou pour lesquelles on ne pouvait relever aucun élément de preuve qui les étayait.

[13]       Une ordonnance conforme aux présents motifs sera donc rendue.

                             (signé) B. Reed

                                  Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 10 août 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

           Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :IMM-5366-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :Pritam Singh Bains

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :Le mercredi 5 août 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :       le juge Reed

EN DATE DU10 août 1998

ONT COMPARU :

Barbara Jackman                  pour le demandeur

Brian Frimeth                         pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Jackman & Waldman

Avocats

281, avenue Eglington est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3                          pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                                pour le défendeur

      

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